MoL : Chapitre 13 !
MoL : Chapitre 15

Chapitre 14 – L’effet petite soeur

 

Après avoir annoncé à Kirielle de faire ses valises pour le voyage, une tâche qu’elle s’était mise en tête d’accomplir immédiatement, il emplit sa chambre d’orbes lumineux multicolores et descendit dans la cuisine pour y affronter sa mère. Le spectacle de lumière était une habitude qu’il avait prise à chaque fois parce qu’il n’était pas certain qu’Ilsa accepterait d’arranger un enseignement privé si elle ne tombait pas dessus. Non que ça lui faisait tant de bien puisque ces boucles courtes l’obligeaient à cesser trop rapidement pour espérer y gagner quoi que ce fut mais il continuait à le faire malgré tout. Juste au cas où. Qui pouvait savoir si cette boucle en particulier allait être celle où Zach arrêterait de mourir ?

Sa mère l’étudia comme un oiseau de proie tandis qu’il descendait les escaliers, cherchant la moindre aspérité dans son apparence qui lui aurait permis de formuler une critique. Il savait par expérience qu’elle trouverait quelque chose à dire mais s’en fichait plutôt pas mal. Il était suffisamment bien habillé pour s’éviter un sermon redondant à propos de l’honneur de la famille et c’était tout ce qui comptait. Pendant un moment, il avait tenté d’utiliser les connaissances de la boucle pour apparaître parfait mais ça ne fonctionnait pas sur quelqu’un qui voulait trouver un défaut. Tu parles de standards. Peut-être qu’elle tentait vraiment de le pousser à bout pour s’assurer qu’il refuserait la demande de Kirielle ?

Il s’assit à table et repousse le porridge froid sur le côté pour croquer dans une pomme à la place en ignorant le regard critique de sa mère. Après avoir réalisé qu’il n’allait rien dire, elle lâcha un soupire dramatique pour se lancer dans un des monologues longs comme un bras dont elle avait le secret, en tournant toujours autour du pot – la possibilité d’emmener Kirielle avec lui à Cyoria.

— Maintenant que j’y pense, dit-elle finalement, se décidant enfin à en venir aux faits. Je ne t’ai même pas dit que j’allais à Koth avec ton père pour rendre visite à Daimen, n’est-ce pas ?

— Tu veux que j’emmène Kiri à Cyoria ? supposa Zorian.

— Je… Quoi ? fit-elle en clignant des yeux, surprise, avant de secouer légèrement la tête. Elle te l’a dit.

— Ouaip, confirma Zorian.

— Et voilà pour le moment parfait comme nous en avions convenu, critiqua sa mère. Je suppose que je devrais aller la réconforter.

— La réconforter ? Pourquoi donc ? s’étonna Zorian. J’ai dit oui et elle est extatique. Elle est dans sa chambre et elle emballe ses affaires.

Elle regarda son fils comme s’il venait soudain de se mettre à réciter de la poésie classique en langue étrangère. Zorian ne savait pas s’il devait s’en sentir coupable ou ennuyé : était-ce vraiment si étrange d’accepter sa demande ? Avant qu’il ne fut enrôlé à l’académie, il avait passé plus de temps que quiconque avec la petite démone, leur mère comprise. Il était plus proche d’un parent pour Kirielle que ses vrais parents ne l’avaient jamais été ! Vraiment, si Kirielle lui avait simplement dit qu’elle voulait y aller au lieu de laisser leur mère parler à sa place, il aurait sans doute accepté après une petite discussion même avant la boucle.

Ennuyé. Oui, il était définitivement ennuyé par sa mère. Il leva des yeux provocateurs dans sa direction, la mettant au défi de lui dire quoi que ce fût.

— Quoi ? lâcha-t-il après quelques secondes d’observation mutuelle.

— Rien, finit-elle par répondre en travaillant son expression en quelque chose de plus indéchiffrable. Je suis juste surprise, c’est tout. Je suis contente que tu aies finalement commencé à penser à autre chose qu’à ta personne. Tu as pensé au logement ?

— En effet, confirma Zorian. Tout va dépendre. Devrai-je payer de ma poche ou vas-tu donner de l’argent pour ça ?

— Là, tu m’insultes, le coupa sa mère. Bien entendu que nous vous donnerons de l’argent pour payer une location. Quand avons-nous jamais fait payer nos enfants pour une quelconque dépense essentielle ? De combien as-tu besoin ?

Comme si sa propre remarque concernant Zorian qui pensait enfin aux autres n’était pas tout aussi insultante. Il répondait simplement dans le même ordre. Mais oui, Zorian admit avec rancœur qu’elle avait raison – ses parents avaient de nombreux défauts mais ils ne laisseraient jamais leurs enfants avoir faim ou sans un toit à moins d’être en faillite totale eux-mêmes. Il était le mouton noir, mais un fils malgré tout. Aussi passèrent-ils les quelques minutes qui suivirent à parler dépenses à Cyoria, argumentant l’un et l’autre sur l’argent qu’il lui faudrait pour louer un endroit où loger Kirielle et pour la nourrir. Zorian, bien évidemment, avançait de très larges sommes et il en savait assez sur l’économie de Cyoria pour donner du poids à ses demandes. Sa mère ne cacha pas sa surprise face à ce genre de connaissances des prix de location dans les divers districts de Cyoria – apparemment, elle avait l’impression que ce genre d’intérêt terre-à-terre n’était pas du tout du goût de Zorian – qui décida de ne pas lui expliquer qu’il gardait une trace des prix pour pouvoir quitter la maison à la moindre occasion et tenta de changer de sujet. Sa mère resta fixée sur cette incohérence mais Ilsa arriva rapidement, le sauvant de son interrogatoire. La mère de Zorian s’excusa rapidement en disant qu’elle allait aider Kirielle à faire ses bagages et Zorian guida Ilsa dans sa chambre lorsqu’elle lui demanda où ils pourraient avoir un peu d’intimité. Après tout, il devait lui montrer le spectacle lumineux par accident.

Au début, la discussion se déroula d’une manière standard mais la routine habituelle fut rapidement mise à mal lorsqu’ils abordèrent le sujet du logement.

— Selon ceci, commença Ilsa en agitant momentanément un morceau de papier, vous avez vécu dans l’internat pendant les deux années passées. Je suppose que vous allez faire de même cette année ?

— Euh, en fait, non, répondit Zorian. J’emmène ma petite sœur avec moi cette année, alors je ne peux pas faire ça. À moins que l’académie offre des possibilités pour ce genre de cas ?

— Ce n’est pas le cas, affirma Ilsa.

— Je m’en doutais, répliqua Zorian, peu surpris. Nous allons résider dans un hôtel en attendant de trouver un endroit à louer.

Ilsa le regarda d’un air étrange, que Zorian eut du mal à déchiffrer.

— Vous n’avez pas déjà réservé quelque chose ? s’étonna-t-elle.

— Non, dit simplement Zorian. La décision a été un peu abrupte et je n’ai pas vraiment eu le temps de m’y préparer. Pourquoi ?

— J’ai peut-être une solution pour vous, expliqua Ilsa, se redressant pour paraître plus sérieuse.

— Vous voulez dire que vous connaissez un endroit que je peux louer ? demanda Zorian, ravi, ce à quoi Ilsa acquiesça. C’est… une chance, je suppose. Qu’avez-vous en tête ?

— Tout d’abord, je veux que vous compreniez bien que ce que je vais vous proposer n’a rien à voir avec l’Académie Royale de Magie de Cyoria, l’avertit Ilsa. C’est quelque chose qui reste strictement entre nous, compris ?

— Ok, accepta Zorian avec prudence – il commençait à devenir un peu inquiet mais ne sentit aucune arnaque ou intention maligne dans la voix de la professeure et se contenta d’attendre ce qu’elle avait à dire.

— Une amie loue des chambres à un prix très raisonnable, commença-t-elle.

Après plusieurs minutes de questions et de réponses accompagnées d’une bonne dose de lecture entre les lignes, Zorian décida qu’il allait donner une chance à l’amie d’Ilsa. Ses loyers raisonnables étaient légèrement élevés mais c’était gérable. Elle laissa également entendre que son amie adorait les enfants et ne serait que trop heureuse de s’occuper de Kirielle quand Zorian serait en cours, ce qui justifiait chaque pièce qu’il aurait à payer pour ça si c’était vrai.

Après quoi, le sujet dévia vers son choix de mentor, ou plutôt, le fait qu’il n’avait plus le choix ainsi que les options qu’il allait sélectionner. Comme il avait déjà testé toutes les options qui pouvaient l’intéresser, ses choix étaient désormais plutôt constants : botanique, astronomie et anatomie humaine. Il les choisissait uniquement parce qu’il savait de façon factuelle que les professeurs de ces matières se foutaient royalement de le voir venir en cours et parce qu’Akoja n’avait choisi aucune de ces trois options et n’était même pas consciente des fois où il les manquait.

Au moment où Ilsa partit pour l’académie, Kirielle descendit les escaliers comme un troupeau d’éléphants au galop en ignorant parfaitement les sermons de sa mère à propos du fait de courir dans la maison. Sans aucun doute, elle avait fini de toute préparer longtemps auparavant et attendait simplement le départ d’Ilsa afin de sortir de sa chambre.

— Je suis prête ! cria-t-elle au milieu d’un large sourire.

— Tu as tout emballé ? demanda Zorian.

— Ouais ! acquiesça-t-elle.

— Et mes cahiers ? renchérit Zorian.

— Pourquoi devrais-je emballer tes cahiers ? grimaça-t-elle. Tu peux le faire tout seul, fainéant !

— Eh bien, tu les as pris dans ma chambre pour les cacher sous ton lit de façon professionnelle, lui fit remarquer Zorian.

— Oh ! comprit-elle alors, les yeux grands ouverts, ces cahiers ! Hmm… Je crois que j’ai un peu oublié de te les rendre. Je vais les remettre dans ta chambre, ok ?

— De quoi parlez-vous, tous les deux ? demanda leur mère en approchant.

— Rien du tout ! paniqua légèrement Kirielle, se tortillant immédiatement pour lui faire face. J’ai juste oublié quelque chose, c’est tout ! Je reviens tout de suite !

Kirielle fusa dans les escaliers en ignorant les sermons de sa mère à propos du fait de courir dans la maison. Zorian la regarda exercer une retraite avisée, les yeux plissés. Pourquoi Kirielle était-elle si effrayée que leur mère découvre qu’elle avait emprunté des livres à son frère ? Ce n’était guère la première fois qu’elle s’adonnait à ce genre de pratique et leur mère s’en fichait pas mal. Cette réaction incongrue cachait clairement quelque chose, il le savait.

Zorian commençait à songer qu’il ne connaissait peut-être pas sa sœur aussi bien qu’il l’imaginait.

 

___

 

— Je m’ennuie.

Zorian ouvrit les yeux et observa sa petite sœur. Il ne pouvait pas les fermer plus d’une minute sans qu’elle ne dise quelque chose ou qu’elle ne le frappe accidentellement dans les genoux de ses petites chaussures pointues.

— J’ai remarqué, répondit-il en levant les yeux aux ciel. Et qu’est-ce que tu veux que j’y fasse ?

— Joue à un jeu avec moi ? tenta-t-elle, pleine d’espoir.

— N’avons-nous pas déjà joué suffisamment ? soupira son frère. À force de te battre au pendu, je commence à en avoir marre, tu sais.

— Tu as triché ! protesta-t-elle. Asphyxie n’est même pas un vrai mot !

— Quoi ?! Mais bien sûr que si, répliqua-t-il. Tu es juste –

— Menteur ! le coupa Kirielle.

— Peu importe, renifla Zorian. Ce n’est pas comme si c’est le seul jeu auquel j’ai gagné.

— Ah ! Alors tu admets que tu as triché à celui-là ! conclut-elle triomphalement.

Zorian ouvrit la bouche et faillit répondre mais la referma aussitôt.

— Pourquoi est-ce que je me dispute à ce sujet ? demanda-t-il soudain, même s’il s’agissait d’une remarque pour lui-même et non pour Kiri.

Le craquement sec qui précédait toujours l’annonce des haut-parleurs coupa court à ce qu’elle voulut lui répondre.

— Nous arrivons à Korsa, clama une voix électronique sans émotion, qui répéta son annonce après un craquement et un grincement métallique de plus. Nous arrivons à Korsa.

— Oh, dieu merci, grommela Zorian. Non seulement leur halte à Korsa signifiait que les trois quarts du voyage étaient avalés mais également que quelqu’un allait les rejoindre dans leur compartiment, donnant l’occasion à Kirielle d’embêter une autre personne.

Quelqu’un mais pas Ibery, par contre. Il avait délibérément évité le compartiment habituel afin de s’assurer qu’elle et Kiri ne se croisent pas, une rencontre entre ces deux-là ne pouvant se terminer bien. Kiri aimait autant Fortov que Zorian et se trouvait avoir bien moins de tact que lui.

— Il y a tellement de gens, fit remarquer Kirielle en observant la file de passagers sur les quais, le nez collé à la vitre. Ce sont tous des étudiants comme toi ?

— La plupart le sont, oui, confirma Zorian. Même si tout le monde ne va pas à la même école que moi. Il n’y a pas qu’une académie à Cyoria.

— Je pensais que les mages étaient plus rares que ça, avoua-t-elle. Maman dit qu’il faut être vraiment intelligent pour en devenir un. Tu penses que je pourrai devenir mage, un jour ?

— Bien sûr, dit-il en haussant les épaules.

— Pour de vrai ? balbutia sa sœur, une mixture improbable d’excitation et d’incrédulité dans la voix. Zorian la suspectait d’imaginer qu’il allait utiliser cette réponse pour lui faire une blague douteuse.

— Oui, confirma-t-il. Je ne vois pas pourquoi tu ne pourrais pas. Tu as l’air de te débrouiller suffisamment bien à l’école, d’après ce que j’en ai entendu et je ne vois pas pourquoi ton intelligence te poserait problème. Et ce n’est pas comme si les parents ne peuvent pas se permettre de te payer des études, même si ce n’est pas à Cyoria.

Kirielle ne répondit rien, optant pour un silence profond tandis qu’elle regardait à nouveau par la fenêtre. Il s’apprêtait à lui demander ce qui n’allait pas quand la porte coulissante du compartiment s’ouvrit, le poussant à tourner la tête.

— Byrn Ivarin, se présenta le garçon. Puis-je m’asseoir ici ?

Zorian lui fit signe de la main en silence. C’était le même type qui l’avait incité à demander un emploi à la bibliothèque la dernière fois qu’ils avaient discuté. Il s’était montré plutôt bavard à cette époque alors ça allait être parfait ! Même s’il n’était pas enclin à parler à une si jeune fille, Zorian doutait que Kirielle allait le laisser l’ignorer et il semblait trop poli pour juste oser la snober. Il fallait espérer qu’il allait garder Kirielle occupée pour le reste du trajet.

— Je m’appelle Kirielle Kazinski, répondit-elle rapidement. Et voici mon frère Zorian. Es-tu un étudiant comme Zorian ? Sais-tu utiliser la magie ?

— Euh… Eh bien, oui, balbutia Byrn, déchiré entre l’envie de s’intéresser à leur nom de famille et le désir de rester poli en répondant à sa question.

Politesse qui finit par l’emporter.

— Je ne suis qu’un première année, cela dit, alors ce n’est pas comme si je possédais quoi que ce soit à montrer.

Malheureusement pour lui, il allait devoir attendre un moment avant de pouvoir leur poser des question sur leur nom de famille – Kirielle était lancée et se mit à assaillir le pauvre adolescent de toutes les questions imaginables. Zorian découvrit bientôt que Byrn était fils unique, descendant de deux mages de première génération de Korsa et que sa famille s’attendait à beaucoup de sa part. Byrn était également excité de s’éloigner de ses encombrants parents et s’apprêtait à apprendre la magie. Ça, au moins, Zorian pouvait comprendre.

— Trois grands frères, hein ? se mit à rire Byrn. Pauvre de toi. Bien que… J’aurais souhaité avoir moi-même quelques grands frères. Mes parents auraient eu quelqu’un d’autre à harceler à longueur de temps.

— Je vois ce que tu veux dire, soupira Kirielle. Depuis que Zorian va à l’académie, je suis devenu le centre d’attention. Ça craint.

Zorian frémit de sympathie. Il n’y avait pas pensé mais cette révélation expliquait en grande partie le comportement de Kirielle les deux années précédentes. Sans Zorian qui agissait comme un paratonnerre à critiques, le séjour de sa sœur à la maison avait probablement pris une tournure assez sévère pour une gamine de son âge. Une partie de lui-même était heureux que la petite démone eut été forcée de vivre une partie de ce que lui-même avait traversé mais il jugeait également qu’elle ne méritait pas ça.

— D’ailleurs, je voulais vous demander, reprit Byrn, votre nom est plutôt distinctif. Il n’existe pas vraiment d’autres Kazinski dans la nature. Êtes-vous des parents de Daimen Kazinski, par hasard ?

— C’est notre frère, trancha net Kirielle.

— Vraiment ? s’excita Byrn. Tu sais, je n’ai pas entendu d’histoire à son sujet depuis un moment. Que devient-il ?

— Il est en Koth, expliqua Kirielle. Je pense qu’il a trouvé quelque chose dans la jungle mais… je n’en sais rien. Je ne lui parle pas si souvent. Il passe son temps à voyager. Tu en découvrirais probablement plus sur lui en lisant le journal qu’en me posant la question. Zorian le connait mieux que moi, d’ailleurs.

Zorian lui lança un regard meurtrier pour lui avoir refilé le bébé comme ça, et sur un sujet comme Daimen, pour ne pas faire pire ! La sœurette se contenta de faire claquer sa langue dans sa direction. Hmpf.

— Daimen et moi ne nous entendons pas vraiment bien, lâcha Zorian sur un ton brut. Je ne peux pas t’en dire beaucoup plus qu’elle ne l’a fait.

— Oh, soupira Byrn, clairement déçu, avant de laisser échapper un rire légèrement forcé pour tenter de dissiper l’atmosphère lourde qu’il avait lui-même attiré. Et dire que je pensais entendre des histoires sur l’un de mes héros. Enfin, je suppose que d’une certaine façon, c’est ce que j’ai eu, n’est-ce pas ? C’est un peu triste qu’il n’ait pas de temps à consacrer à sa famille.

— Hmm, souffla Zorian nonchalamment.

Le reste du trajet fut peu digne de mention, à l’exception peut-être du fait que Byrn avait décidé de faire route avec eux pendant un temps, lorsqu’ils débarqueraient. Byrn et Kirielle étaient tous deux en émoi – pour ne pas dire apeurés – par la taille impressionnante de la gare de Cyoria et Zorian décida de faire preuve de bon cœur en leur faisant rapidement visiter les lieux. Rapidement devint en prenant leur temps, Kirielle insistant constamment pour entrer voir ce qui se vendait dans les magasins. Il tenta de lui dire que chaque échoppe vendait des souvenirs hors de prix et qu’ils n’achèteraient rien de toute façon mais ça n’ébrécha en rien la détermination de la fillette. Elle ne faisait que jeter un œil. Byrn, pour quelque obscure raison, était du côté de Kiri. Il aimait faire les boutiques, lui aussi.

Quelle folie.

Comme ils avaient perdu tant de temps, la pluie avait déjà commencé à inonder le monde quand ils furent enfin prêts à quitter la gare. Byrn n’avait pas de parapluie bien évidemment et même s’il en avait eu un, la quantité de bagages qu’il transportait aurait rendu tout trajet sous la pluie assez problématique. Zorian offrit son aide en maugréant – le gosse avait l’air si misérable face à ce soudain tour des évènements qu’il n’avait pas le cœur de le laisser dans sa misère.

D’ailleurs, Kirielle n’aurait jamais laissé faire et il ne voulait pas provoquer de scène en était obligé de la traîner jusqu’à destination.

— J’apprécie vraiment, tu sais ? avoua Byrn en laissant glisser ses doigts sur le dôme de la barrière anti-pluie d’un air curieux. Je ne sais pas ce que j’aurais fait sans ton aide. On ne dirait pas que la pluie va cesser rapidement.

— Pour la dernière fois, c’est bon, soupira Zorian. Vraiment, je vis pour aider mon prochain.

Byrn mima un remerciement à Kirielle du bout des lèvres et cette dernière jouait sans honte avec la barrière en sortant et en y entrant bras et jambes. Elle leva le pouce dans sa direction ; apparemment, il savait qui remercier pour sa bonne fortune. Hmpf. Si Zorian arrivait à court de mana à mi-chemin vers leur nouvelle résidence après avoir conduit Byrn à l’académie, c’était tout sur leur tête. La barrière était plutôt gourmande en mana et il avait dû l’élargir pour couvrir trois personnes et un paquet de bagages flottant sur un disque.

— Ce sort est extraordinaire, déclara Kirielle. Est-il difficile à lancer ? Est-ce que tu penses que tu peux me l’apprendre ? Je ne le dirai à personne !

— Oh, s’il te plaît, renifla Zorian. Tu ne peux même pas sentir ton mana, encore moins lui donner forme. Ce n’est pas une question de légalité mais de compétence. Il te faudrait des mois si tu étais une espèce de génie, un an ou deux dans le cas contraire. Contente-toi d’attendre d’aller dans une école de magie, ok ?

Kirielle déchanta aussitôt.

Au bout du compte, ils parvinrent à déposer Byrn en sécurité sous la propre barrière de l’académie avant de reprendre leur route. En fait, ils étaient presque arrivés à destination lorsque Zorian arriva à court de mana, provoquant l’évaporation pure et simple de la barrière anti-pluie.

Presque. Il espérait que l’amie d’Ilsa n’était guère regardante sur les visiteurs trempés jusqu’aux os.

 

___

 

— Vous auriez dû attendre ! Honnêtement, quel esprit vous a possédé pour vous faire marcher sous ce temps horrible ? Les gosses, de nos jours… Vous pensez tous être invincibles ?

Zorian leva les yeux au ciel face au sermon de leur nouvel hôte, ne cherchant pas à cacher sa réaction le moins du monde ; elle était occupée à fouiller dans des tiroirs et ne lui faisait pas vraiment face. La pluie allait continuer la nuit entière – même s’il ne pouvait pas exactement lui dire comment il le savait – alors attendre n’était pas une option. D’ailleurs, ils y seraient arrivés à la perfection si Kirielle n’avait pas eu la merveilleuse idée de vouloir ramener Byrn à l’académie. Et puis, ce n’était pas comme si leur courte marche sous la pluie était si traumatisante. Vraiment, pourquoi était-elle si remontée ?

Ses pensées furent interrompues par une serviette jetée à son visage.

— Voilà. Tu peux utiliser cette serviette pour sécher tes cheveux, expliqua-t-elle. Je vais voir si ta sœur a besoin d’aide. J’espère pour toi qu’elle ne tombe pas malade après ça ou tu vas m’entendre, compris ?

— Elle n’est pas en sucre, grommela Zorian. Elle ne va pas s’émietter juste pour un peu d’eau.

Soit il avait parlé trop doucement pour être entendu, soit elle avait pris le parti de l’ignorer. Dans les deux cas, elle se contenta de le dépasser et de quitter la pièce. Peu concerné, Zorian s’installa sur une chaise à proximité et étudia l’endroit dans lequel ils venaient d’arriver.

Le propriétaire, une certaine Imaya Kuroshka, était une quarantenaire qui les avait rapidement fait entrer dès leur arrivée, trempés jusqu’aux os, sur le pas de sa porte. Elle n’avait même pas demandé à vérifier leurs identités avant de les aider – il fallut que Zorian se présente pour qu’elle comprenne enfin qu’ils avaient une bonne raison de sortir sous ce temps pourri. Zorian avait été tenté de proposer à la femme son propre sermon sur la naïveté et le fait de laisser des étrangers entrer dans sa maison mais contrairement à certaines personnes, il choisit de ne pas se montrer difficile. Elle semblait être quelqu’un de bien, toutes choses considérées. Au moins, elle n’avait pas l’air d’un de ces propriétaires qui tentaient de saigner leurs locataires de tout ce qu’ils pouvaient posséder, même s’il ne pouvait pas en être certain aussi rapidement.

Ce qui l’avait vraiment irrité en revanche, ce fut que cette Imaya considérait qu’ils vivaient déjà sur place. Il avait simplement accepté de visiter les lieux, rien d’autre !

Une fois Imaya de retour avec Kirielle, qui s’était changée et avait des cheveux presque secs, ils se mirent à discuter. Zorian devait réorienter la conversation sur l’éventualité de leur séjour sur place de temps à autre, Imaya et Kirielle enclines à laisser les paroles dériver à la moindre occasion. Il dut envoyer des coups de pied à sa sœur à plusieurs reprises pour lui signifier qu’elle devait la fermer – Ilsa lui avait dit de ne jamais aborder le sujet du mariage et des fiancés devant Imaya pour une raison obscure. Zorian aimait quand les gens respectaient sa vie privée, aussi était-il ravi de faire de même envers elle ; une chose avec laquelle Kirielle avait réellement un problème à cause de sa tendance à bavarder.

Leur arrangement ne lui convenait pas réellement, pour dire la vérité. La maison d’Imaya n’avait pas été construite dans un but locatif : c’était une demeure familiale – bien qu’énorme – qui possédait quelques chambres au premier étage. Zorian et Kirielle en hériteraient d’une et devraient partager le reste des équipements de la maison avec Imaya et deux autres locataires qui devaient arriver quelques jours plus tard. C’était bien moins d’intimité que ce à quoi il était habitué… Sans parler du fait que leur chambre ne possédait qu’un lit, ce qui signifiait qu’il allait devoir dormir avec sa sœur. Il avait partagé quelques nuits avec elle lorsqu’elle était plus jeune et savait de façon factuelle qu’elle était une dormeuse agitée et il avait un problème avec ça. Heureusement, ils étaient les seuls locataires pour l’heure et Imaya leur permit d’occuper deux chambres sans supplément tarifaire avec pour condition que Kirielle devrait retourner avec Zorian quand la chambre aurait trouvé son occupant.

Zorian décida de rapidement chercher une autre location dès le lendemain. Juste au cas où.

 

___

 

Malgré son nouvel arrangement et la présence de Kirielle, les jours qui suivirent furent plutôt standards. Il postula pour le job à la bibliothèque, alla parler à Ilsa à propos de l’enseignement avancé et choisit la divination comme discipline à approfondir. Il s’exerçait à plusieurs exercices de mise en forme dès qu’il avait du temps libre, se concentrant principalement sur la recherche du nord qui était supposé aider à la divination. Taiven le traqua malgré son changement de résidence et Zorian la notifia à propos des rumeurs sur les araignées utilisatrices de magie mentale dans les égouts pour s’assurer qu’elle allait survivre à la rencontre. Malgré les défauts, il décida de ne pas quitter la maison d’Imaya, qui faisait un boulot de maître en gardant Kirielle joyeuse et surtout peu encline à ennuyer son frère. Kirielle passait un temps fou à dessiner ; il ne savait même pas qu’elle aimait ça. Elle ne l’avait jamais fait, à la maison, pour autant qu’il put s’en souvenir. Peut-être que le voyage avait fait naître en elle une vocation.

Dans tous les cas, une fois ces premiers jours passés, tout… dérailla, simplement. Premièrement, la boucle ne s’arrêta pas et continuait à suivre son cours, ce qui était notable en soi. Plus important, cependant, Ilsa lui demanda une fois de plus d’aller quérir Kael et sa fille à la gare, tout ça pour découvrir que le Morlock avait également une chambre prévue dans la maison où il vivait, pour une raison plus ou moins familière – Ilsa la lui avait recommandée.

Ainsi, il vivait désormais sous le même toit que sa petite sœur, un adolescent Morlock, la fille de celui-ci et une propriétaire qui n’agissait pas comme une propriétaire. Il allait enfin faire la connaissance de son instructeur de divination, Xvim allait lui jeter des billes à la tête le vendredi à venir, Ilsa rendait apparemment visite à son amie de façon régulière et Imaya avait invité Taiven à manger le dimanche suivant lorsqu’elle avait tenté de convaincre Zorian de descendre dans les égouts. Clairement, ça n’allait pas être une boucle des plus classiques.

— J’ai toujours l’impression de profiter de toi, dit Kael en versant une pleine poignée d’une poudre bleue dans un récipient transparent en verre.

— Et je ne comprends toujours pas pourquoi, répondit Zorian sans quitter des yeux les petits champignons bleus qu’il était actuellement en train de réduire en poudre. Je te fournis les ingrédients pour ton laboratoire d’alchimie et tu me laisses être ton assistant pendant que tu travailles. Tu vas économiser de l’argent sur les réactifs et je vais acquérir un peu de ton expérience. Merde, qu’est-ce que tu trouves de prédateur dans cet échange ? Voilà.

Il confia les champignons en poudre au garçons aux cheveux d’albâtre, qui soupira pour lui signifier sa défaite avant de retourner au travail. Zorian prit le temps d’observer l’atelier sans poser trop de questions.

L’atelier de Kael était plutôt impressionnant, considérant qu’il s’agissait d’un sous-sol qu’Imaya avait mis à sa disposition pour qu’il puisse le convertir à sa guise. L’installer fut la toute première chose qu’il fit en s’installant dans la maison, Imaya étonnamment peu inquiète qu’un simple étudiant de l’académie travaille avec de dangereuses concoctions sous sa maison. Ilsa m’a assuré qu’il sait ce qu’il fait, qu’elle disait. Eh bien, c’était sans doute le cas mais quand même. Pour tout équipement, Karl disposait de ce que lui avaient prêté les autorités académiques. Selon lui, c’était un équipement obsolète mais il ne pouvait pas se permettre de se montrer pointilleux, content d’en avoir un tout court.

— Je pense simplement que ce que coûte les ingrédients que tu me fournis est au-delà de n’importe quelle expérience que je pourrais t’apporter, reprit Kael en versant de l’eau bouillante dans le récipient empli de poudre bleue avant d’y ajouter quelques étranges petites boules noires que Zorian ne reconnut pas. En fait, en considérant ton talent en alchimie, je devrais te payer pour être mon assistant.

— Ne t’inquiète pas pour ça, répéta Zorian, qui espérait que cette fois, ça lui rentrerait dans le crâne. Il ne pouvait pas exactement dire à Kael que ses économies étaient virtuellement infinies, alors il était un peu compliqué de lui dire que l’argent importait peu.

Par-dessus tout, ses interactions avec le Morlock furent bien plus familières cette fois. À contrecœur, il dut admettre que Kirielle y était pour beaucoup – elle s’était entendu avec Kana plutôt rapidement même si l’autre fille n’était pratiquement qu’un bébé, ce qui avait mis Kael à l’aise avec Zorian et elle ; après quoi, ils découvrirent qu’ils avaient beaucoup en commun et Zorian décida de l’aider en matière d’alchimie et d’apprendre quelque chose dans le même temps, ce qui avait conduit à la situation actuelle.

— Cette situation est terriblement étrange, insista Kael après une minute de silence. Pas d’une mauvaise façon, cela dit. Je n’ai pas vu Kana si heureuse depuis longtemps. Je suis vraiment reconnaissant envers ta sœur pour tout ce qu’elle fait pour elle.

— Pour être honnête, je ne sais pas combien de temps ça va durer, admit Zorian. Pour l’instant, elle la trouve mignonne et je suis sûr qu’elle trouve probablement plaisant d’avoir une fillette plus jeune qu’elle pour qui elle est le centre d’attention. Mais elle a tendance à s’ennuyer rapidement et dans tous les cas, elle n’est à Cyoria que temporairement, pendant que ma famille est à Koth, chez mon frère.

— Eh bien, c’est fort regrettable, soupira Kael avant de sourire à Zorian. Et je suppose que tu te sentiras soulagé quand elle sera enfin partie.

— Heh, qui sait, chuchota Zorian. Nous verrons comment les choses progressent. Elle va bien pour l’instant, alors peut-être qu’elle ne sera pas une peste en puissance comme elle en a l’habitude. J’espère que le caractère de ta fille va l’influencer, au moins un peu.

— Oh, ce serait vraiment dommage, protesta Kael. Qu’une fille si vivante et joyeuse perde cette étincelle de vie, ce serait vraiment dommage, oui. Je souhaite pour ma part que Kana puisse hériter d’un peu de cet enthousiasme sans limites.

— On échange, alors ? offrit Zorian.

— Non, renifla Kael avant de rire. Passe-moi le céleri d’eau et tais-toi pendant un moment. J’ai besoin de concentration pour cette partie.

Ainsi, Zorian se tint là en silence et le regarda travailler tout en pensant à ce que le reste du mois allait lui apporter comme surprises.

Raka
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9 thoughts on “MoL : chapitre 14

  1. J’ai hâte que l’histoire avance j’en est de très bon souvenirs 😀
    C’est vraiment un chef d’oeuvre je trouve

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