DMS : Chapitre 138
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Chapitre 139 – Camelot en danger (8)

 

 

[Appropriation vient d’être supprimée.]

[Volée céleste vient d’être acquis.]

[Réinitialisation de la compétence dans : 23 h 59 m 59 s.]

[Volée céleste.]

[Les Elfes des forêts de la Lune Rouge boisée sont les seuls Elfes dont la maîtrise de la forge et celle de la magie ont atteint un paroxysme inégalé. Capables de combiner leur talent à l’arc avec des flèches enchantées de leur composition, ils furent même, d’après les légendes, capables d’abattre des dragons grâce à la Volée céleste, apogée de leur art.]

Je sentis ma main se lever et tandis que je ne possédais pas d’arc, la persona, qui contrôlait alors mon corps, tendis les bras malgré tout. L’un vers l’avant, l’autre vers l’arrière, comme pour tendre la corde. Une mimique qui, si l’on n’était pas au courant de la situation, pouvait facilement être prise pour un jeu de semblant.

Face à Orc’Grogar, devenu fou pour une raison qui m’échappait – et sans doute avait-ce à voir avec sa sortir improbable du donjon – la persona ne perdit pas son sang-froid et je n’osai l’interrompre intérieurement. Elle écarta simplement les doigts de la main qui faisait mine de tendre la corde d’un arc imaginaire, et une lumière diffuse naquit devant moi.

Une série de lignes lumineuses s’arquèrent dans la nuit comme autant d’étoiles filantes nées au creux de mes doigts. Le spectacle était magnifique et mortel : Ces projectiles d’un blanc pur fendirent l’air presque instantanément et l’orque qui chargeait comme un rhinocéros au galop ne comprit sans doute même pas que quelque chose arrivait dans sa direction.

Pshashashashashashak !

Il fut touché en dix endroits différents, du torse aux pieds, en passant par les bras et les poignets. Malgré le pouvoir perçant des flèches de lumière qui ne devaient pas posséder un pouvoir d’arrêt important, Orc’Grogar fut projeté en arrière comme s’il venait de se prendre un camion dans la face. Il bascula et tomba à la renverse sous la puissance de la volée et termina sa course parfaitement cloué au sol par des projectiles de lumière vive qui ne semblaient pas vouloir disparaître.

— BEUUAAH ! grogna-t-il, bava-t-il et s’étrangla-t-il en se tortillant dans tous les sens, mais ultimement incapable de faire bouger les flèches de lumière d’un iota.

La persona, sûre d’elle s’avança vers lui d’un pas lent et s’arrêta à quelques centimètres de sa tête pour le toiser de haut.

Je lui avais cédé mon corps, oui. Je l’avais fait volontairement et en sachant ce que je risquais si elle s’était jouée de moi, à ce fameux moment, quand elle m’avait raconté ce qui lui arrivait. La compétence Justice que j’avais utilisée sur elle, bien que je ne susse toujours pas quel en avait été l’effet réel, semblait lui avoir anéanti la mémoire. Volé, peut-être, pour employer un terme plus correct. Elle s’était retrouvée face à moi, dans mon monde intérieur, béate, incapable de comprendre qui elle était, et… peut-être était-ce parce qu’il s’agissait de mon corps, de mon esprit, de moi… mais quelque chose en moi me hurlait qu’elle ne mentait pas, alors j’avais décidé de prendre le risque.

Je lui avais laissé raconter son histoire, ce qu’elle savait, ce qu’elle ignorait. Elle avait conscience d’être une production artificielle d’un système quelconque qui lui était des plus obscurs ; on lui avait donné une mission, et cette mission représentait sa raison de vivre. Cependant… mission il n’y avait plus, et amnésie était désormais de rigueur. J’avais vu ce que mon attaque lui avait fait. Je savais, au plus profond de moi, que ce n’était pas un trou de mémoire passager, qui disparaîtrait au bout d’un certain temps. Ses souvenirs lui avaient été dérobés, sans possibilité de retour.

C’était pour ça, pour cette raison précise, que j’avais décidé de lui faire confiance. Elle m’affirmait qu’elle se sentait proche de moi, de mon être, et qu’à défaut de savoir ce pour quoi elle avait été créée, elle suivrait son instinct, qui lui disait qu’elle ne devait pas me quitter, tout en ignorant pourquoi.

Bien sûr, je le savais, moi. C’était pour reprendre possession de moi un jour ou l’autre, mais elle, elle l’ignorait. Aussi fis-je ce que j’avais de plus malin à faire : accepter sa proposition, elle qui me promettait de me montrer des choses que je ne pouvais connaître, des reliquats d’informations qui lui avaient été données par le système duquel elle était issue, y compris un moyen de maîtriser ma compétence la plus puissante et la plus aléatoire, dans une certaine mesure.

Nous sortîmes de ce monde, Joc nous ayant rappelées à la réalité le moment venu. Je n’avais pas dominé la persona, mais le résultat était acceptable, selon tout point de vue raisonnable. Elle était en moi et avait perdu tout caractère rebelle et destructeur… Que pouvais-je demande de plus dans ma situation, face à un monstre pareil, capable d’écraser ma volonté à tout moment si l’envie lui prenait ?

Joc au courant de ce qu’il se passait, il hocha la tête à plusieurs reprises mais ne parvint pas plus que moi à expliquer ce qui s’était réellement passé. D’après lui, cette compétence, Justice, faisait sans doute partie de ce qu’on appelait la Trinité Divine, des compétences au nombre limité – non, il n’y en avait pas que trois, selon ses dires – mais extrêmement dévastatrices, que seuls les dieux pouvaient posséder et sous certaines conditions particulières uniquement.

Une telle compétence avait sans doute été capable de totalement formater la persona, de la rendre inoffensive. Ou plutôt, de lui faire perdre l’envie de me faire du mal. Au contraire, j’avais eu de la chance – moi, de la chance ! Un haut fait – et Justice n’avait fait que supprimer ce qui faisait de la persona une entité mauvaise et négative pour la transformer en quelque chose d’autre, tout en lui accordant ce qu’il lui fallait de souvenirs pour le devenir.

Une compétence divine s’il fallait la nommer, en effet.

J’avais alors décidé de me rendre dans la taverne pour voir ce qui s’y passait ; après tout, les choses avaient changé depuis que je n’y avais plus mis les pieds. Et quelle ne fut pas ma surprise en la trouvant vide, barman et clients inclus, porte détruite, sol fissuré et murs fendus. Pendant un moment, je m’étais imaginé que le donjon avait été vaincu et que quelqu’un s’était amusé à s’en prendre à lui, sans même me rendre compte de la puissance qu’il fallait pour venir à bout de la structure même du donjon.

En effet, les donjons étaient soumis aux lois créées par le système sur les plans, et puisqu’architectes et explorateurs pouvaient atteindre un niveau maximal de quatre étoiles, il fallait donc être au moins aussi puissant pour dépasser ces lois. J’en supposais tant, dans tous les cas, et ça me semblait logique selon toute probabilité.

J’avais mis un moment à réaliser que le seul être vivant capable de ça était le tavernier lui-même. Il ne dépassait pas la limite. Il n’était que de niveau 199 ★★★, mais… dans un élan de folie, je le soupçonnais fortement de pouvoir rassembler suffisamment de puissance pour ça. Mais il m’était soumis et il savait que je ne lui aurais jamais permis de faire ça. Alors que s’était-il passé ? Le moment n’était pas propice à la réflexion. Je sortis en courant. La persona désirait m’apprendre à maîtriser l’Appropriation, mais nous n’en avions pas le temps ! Dans le tunnel qui remontait vers la surface, je lui cédai le contrôle de mon corps, confiante. Le temps n’était plus à l’apprentissage, mais à l’action.

Je constatai bien vite que les quelques clients croisés avant d’atteindre la surface et qui erraient sans but dans ce long tunnel étaient différents. Les yeux d’un rouge intense, ils cherchaient inlassablement à me sauter dessus pour mettre fin à mes jours, sans même se poser de question. Ils étaient enragés. La persona n’eut pas besoin d’avoir recours à de puissants pouvoirs pour les anéantir, quelques entraves et frappes brutales bien placées s’avérèrent suffisantes. Mais une fois dans le château, puis en ville, nous suivîmes les traces d’une cohorte de soldats, nous doutant bien qu’ils étaient fatalement à la poursuite de l’orque que je cherchais moi aussi – je ne pouvais décemment pas laisser ma création ravager la ville, pour la raison obscure qui poussait également ceux que nous avions éliminés plus tôt à faire de même.

En le voyant, j’avais poussé la persona à lui proposer de se calmer. Juste au cas où.

Et nous en étions désormais là… Elle avait utilisé l’Appropriation sans hésiter, en sachant parfaitement ce qu’elle désirait ; et elle l’avait eu.

Orc’Grogar était cloué au sol, incapable de se relever ou de bouger le moindre membre, ses yeux brûlaient d’une folie meurtrière rouge sombre et moi j’étais là, dans mon corps, à observer la persona agir. Une situation que j’avais déjà rencontrée par le passé, mais différente cette fois : je savais qu’elle m’écoutait et respectait la propriété de mon corps. Sur une simple demande, elle m’en redonnerait le contrôle.

Je m’étais fait là une alliée de poids. D’un poids phénoménal, si j’en croyais les efforts qui avaient été mis en œuvre pour sa création et son peaufinage.

Je connaissais un système qui n’allait pas vraiment être content de l’avoir perdue, et à mon attention, qui plus était.

Sans même que je lui pose la question, la persona ressentit les interrogations qui trottaient dans mon esprit et ouvrit la bouche une fois de plus, en direction du pauvre tavernier fou.

— Qu’est-ce qui t’a pris ? demanda-t-elle de sa voix ressemblant à la mienne mais… différente, presque extraterrestre. Pourquoi ces éclats de violence ?

L’orque se débattit en crachant dans tous les sens, ses deux yeux rouges flamboyants dansant une chorégraphie qu’ils étaient les seuls à connaître. Il ne chercha ni à articuler, ni à retrouver la raison. En mon fort intérieur, je savais qu’il était trop tard : si j’avais perdu son allégeance, on ne pourrait probablement plus revenir en arrière.

Tue-le. Tue-le, on ne peut plus rien pour lui. Il est fou et ne répondra pas. Je suis toujours lié à lui, je… peux sentir que j’ai raison.

— Tu es sûre, Wuying ? Ne doit-on pas chercher à comprendre ce qui se cache derrière cet acte déraisonné ? Pourquoi le boss de ton donjon a-t-il été jusqu’à en fracasser la porte ? Tu sais que ce n’est pas possible, normalement ? C’est impossible ! Nous ne pouvons pas classer ce dossier et risquer que ça se reproduise. Dois-je vraiment le tuer ?

Oui.

— Fort bien, chuchota la persona. C’est ton donjon, ton boss, ton choix.

Elle leva la main et encocha une nouvelle fois une volée de flèches invisibles dans son arc imaginaire, avant de viser directement la tête de l’Orc. Elle m’envoya une dernière intention mentale, question silencieuse à laquelle je répondis par une confirmation intérieure.

Elle ouvrit les doigts et une volée d’éclats lumineux bombardèrent l’Orc en pleine gueule, le transperçant de part en part et ne laissant dans son sillage qu’une bouillie informe et sanglante. Il mourut sur le coup, sans même comprendre sans doute ; ses yeux ne perdirent pas leur aura rouge vif, même dans la mort. Ce ne fut que plusieurs dizaines de secondes plus tard que la lumière de la colère et de la folie commença tout doucement à s’estomper pour finalement s’évanouir, bien après que le tavernier eût rendu son dernier souffle.

Bon sang. Il est vraiment mort si facilement ? C’était un putain de monstre. Il n’y a pas un piège ?

— Il n’y a pas de piège, me confirma la persona par ma bouche. Ce sort est létal. Les Elfes qui l’utilisent sont de très haut niveau eux aussi, et l’ont créé en infusant des flèches de… oh. Tu t’en fiches, c’est ça ?

Un peu.

— On fait quoi, maintenant ? s’enquit la persona.

On retourne au donjon. J’espère que…

Je fus d’un seul coup prise d’un très mauvais pressentiment. Et si Orc’Grogar avait été réinitialisé et qu’il pétait les plombs une fois de plus ? Il fallait que j’en aie le cœur net. Son cadavre n’avait pas disparu de sous nos yeux mais… avec ce dysfonctionnement, pouvais-je être sûre de rien ?

— Alors on va s’y hâter, trancha la persona. Lévitation.

Raka
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10 thoughts on “DMS : Chapitre 139

  1. Merci pour ce chapitre!!
    Ton histoire me plait toujours autant et j’attend avec plaisir la suite.

      1. Une série de lignes lumineuses s’arquèrent dans la nuit comme autant d’étoiles filantes nées au creux de mes doigts. Le spectacle était magnifique et mortel : Ces projectiles d’un blanc pur fendirent l’air presque instantanément et l’orque qui chargeait comme un rhinocéros au galop ne comprit sans doute même pas que quelque chose arrivait dans sa direction.

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