DMS : Chapitre 143
DMS : Chapitre 145

Chapitre 144 – Les Skaaghs (5)

 

— …faire d’elle, dans ce cas ?

— Elle est si étrange.

— Tu as vu sa couleur de peau ?

— En tout cas, l’anti-venin fonctionne sur elle.

— Elle ne doit pas être si bizarre que ça, finalement.

— Elle a des cornes. Tu sais ce que ça veut dire…

— Je ne pense pas que…

— Toutes les créatures à cornes arborent des intentions maléfiques.

— Je sais, mais… elle n’a pas l’air de… Je veux dire, regarde-la.

— Ne te fie pas aux apparence, Laënwan.

Je repris peu à peu conscience, les ténèbres laissant lentement place à une violente migraine causée par l’éclat du soleil entrant par la fenêtre, comme si je ne l’avais pas vu depuis des années et que mes yeux étaient devenus tels ceux de ces animaux qu’on pouvait trouver au fond des grottes sombres.

En gémissant, en serrant les dents, je plissai mes paupières à peine entrouvertes en levant le bras pour me cacher les yeux. Enfin, c’était ce que mon réflexe m’intimait de faire, mais le mouvement ne vint pas.

— H… Hm ? Eh ? maugréai-je.

Sentant cette espèce de tension, de restriction dans mes membres, je levai légèrement la tête. Il ne m’en fallut pas plus pour constater. J’étais attachée. Mes poignets et mes chevilles étaient fermement liés à des barreaux en bois composant l’architecture d’un lit qui semblait savamment travaillé dans une seule énorme pièce de bois.

Je tournai la tête. Les voix que j’avais entendues dans mon sommeil, je ne les avais pas rêvées. Il y avait là deux hommes que je ne pouvais pas confondre pour quoi que ce fût d’autre que ce qu’ils étaient.

Des elfes.

Petits, plus que moi, les oreilles pointues défiant la gravité, les cheveux blonds et longs, plaqués et tirés vers l’arrière. Leurs vêtements aux nuances de brun et de vert leur donnait vraiment l’air typique des elfes de toutes les histoires que j’avais pu lire sur Terre. Les elfes étaient-ils si communs ?

En me voyant bouger et en m’entendant gémir, ils cessèrent de se regarder et tournèrent tous deux les yeux vers moi, le regard à la fois sévère et perplexe. Ils allaient forcément me demander qui j’étais, ce que je faisais là… Ma mémoire était quelque peu embrumée. Que m’était-il arrivé, exactement ?

Je cherchai la présence de la persona, mais elle semblait être endormie. Je pouvais la ressentir, mais elle ne réagissait pas. Peut-être avait-elle eu besoin de se recharger après une longue période éveillée ?

L’elfe le plus proche de moi s’avança d’un pas, tout en restant à une distance respectable, hors de ma portée même si je devais parvenir à me libérer de mes entraves – ce qui n’était sans doute pas près d’arriver si je n’utilisais pas ma bénédiction de force.

— Qui es-tu ? me demanda-t-il sans préambule.

Qui étais-je ? Naturellement, être prisonnière des elfes que j’étais venue chercher n’était pas assez étrange, il fallait qu’ils m’eussent capturée sans même s’assurer de mon identité ? Agissez d’abord, réfléchissez ensuite, je ne pensais pas que les elfes pussent être de cette acabit.

— Je m’appelle Wuying, lui répondis-je simplement, d’une voix cassée.

Je n’en dis pas plus. Il m’avait demandé qui j’étais, il le savait maintenant. Je tentais de rassembler mes souvenirs du mieux que je pouvais ; qu’avais-je donc pu faire pour mériter un tel traitement ? Les avais-je attaqués ? Je me souvenais être entrée dans cette forêt, et tout ce qui s’était passé ensuite n’était qu’un flou grandiose parsemé de quelques bribes et images volages.

— D’où viens-tu ? Nous ne t’avons jamais vue dans notre forêt. D’ailleurs, nous n’avons jamais vu personne te ressemblant de près ou de loin, dois-je avouer.

Il se montrait poli, mais ferme. Il désirait bien sûr en savoir plus sur moi, mais…

— Que vous ai-je fait, au juste ? lui demandai-je en retour. Je… Je ne me souviens plus vraiment de…

Une nouvelle pointe de douleur me ravagea le crâne alors que je tentais de rassembler ce qui me servait de mémoire.

— D’où viens-tu ? répéta-t-il. Que nous veux-tu ?

Persistant, hein ? Mais bon, il était en position dominante, ici. Je ne pouvais pas trop me soustraire à son interrogatoire, surtout pas sans savoir ce que j’avais pu leur faire.

— Je viens… de très loin, lui avouai-je. Si loin que je ne pourrais pas te dire quelle distance nous sépare, vous autres elfes et l’endroit d’où je viens. Ce que je vous veux… Eh bien…

C’était délicat à avouer de but en blanc, mais Friderik avait besoin d’eux et j’avais perdu suffisamment de temps.

— Je suis venu rendre visite à l’un des votre, lui dis-je simplement. Un elfe expert dans un certain type de monstres… Les slimes, pour tout dire.

Il se tourna vers l’autre elfe et ils se mirent à chuchoter à voix si basse que je ne pouvais guère que voir leurs lèvres bouger sans rien entendre, alors qu’ils étaient là, à quelques mètres de moi à peine.

Au bout de quelques dizaines de seconde de cet échange silencieux, l’elfe me fixa à nouveau et reprit la parole.

— Il y a bien une telle personne au sein de notre peuple, fit-il calmement, mais froidement. Cela dit, pour quelle raison la cherches-tu ?

Jusqu’au bout, hein ?

— Ne pourrais-tu pas me dire ce que j’ai fait pour mériter un tel traitement ? Quoi que j’ai pu faire, j’en suis navrée, ce n’était pas dans mes inten…

— Tu ne nous as rien fait, trancha-t-il d’un ton sec. Réponds.

Je ne leur avais rien fait ? Mais… Bon. Je n’avais rien à perdre à jouer le jeu jusqu’au bout.

— Là d’où je viens, il n’est pas rare de voir des gens et des slimes… être amis, inventai-je. Et il se trouve que l’un des miens souffre d’un mal que nous ne savons guérir. Après de longues recherches… hem… magiques, j’ai découvert qu’il existait ici un expert en slimes. Je me suis hâtée en me disant que peut-être cette personne allait pouvoir m’aider.

L’elfe se tourna une fois de plus vers son collègue, qui hocha la tête. Puis, il se tourna une fois de plus vers moi.

— Bien. Il semble que tu nous caches des choses et que tu nous avoues une demi-vérité, mais Laënwan me dit que ta raison est bien réelle.

Il s’autorisa un sourire, pour la première fois depuis qu’il était apparu devant moi.

— J’avais cru entendre que les elfes étaient plutôt accueillants, me permis-je de dire en le voyant se détendre. Tu me vois surprise de cet accueil.

Il fallait que je comprenne.

— Ne t’en fais pas, dit-il, tandis que le dénommé Laënwan quittait la pièce. Tes souvenirs te reviendront très rapidement. Tu as été trouvée gisant dans la forêt, sur le point de mourir. Tu as été en contact avec les épines d’un buisson de mispuis, n’est-ce pas ? Il s’agit de ces…

— …de ces trucs épineux et violacé, ouais.

De ça, je me souvenais, maintenant qu’il en faisait mention. Il disait vrai, au fil des minutes, mes souvenirs s’emboîtaient petit à petit, comme un jeu de construction. Il suffisait que j’en touche un du doigt pour le reconnaître et comprendre où le replacer. Rapidement, la situation globale ne m’était plus si étrangère.

— Je me suis fait empoisonner, et j’ai perdu connaissance, me rappelai-je alors. Vous m’avez trouvée, alors ? Vous… m’avez soignée ?

Il hocha la tête.

— Nous n’avions jamais vu de créature comme toi. Nous nous demandions même si tu étais réellement digne d’être sauvée. Mais nous avons pris le risque, sans nous passer de ces…

Il tendit la main d’un geste large pour désigner mes liens.

— …précautions.

Ils m’avaient sauvée sans me connaître ou avoir jamais vu d’architecte, c’était compréhensible. Qui pouvait leur affirmer que je n’étais pas animée de mauvaises intentions ?

— Je pourrais te mentir, lui dis-je.

— Oui, tu aurais pu, confirma-t-il en hochant la tête. Mais alors, Laënwen aurait détecté tes mensonges.

— Oh ? Grâce à la magie ?

— Pas tout à fait. Enfin, en quelque sorte… C’est un liseur de vérité. Il est capable de voir le mensonge au sein des paroles les mieux ficelées, et il m’a confirmé que tu es bien là pour ce que tu prétends.

— Oh.

Ainsi, ils étaient capables de dire si quelqu’un mentait. Il fallait que je me penche sur le sujet, c’était une compétence fort intéressante. Si je pouvais l’apprendre…

— Normalement, nous nous montrerions plus chaleureux que ça. Il n’est pas dans nos coutumes de recevoir des invités, même étranges, de la sorte. Mais les temps sont anormaux… et nous ne pouvons que trop nous méfier de toute chose inhabituelle. Et ton arrivée l’était grandement.

Il soupira et tira à lui une chaise aussi finement taillée dans le bois que l’étais le lit dans lequel je me trouvais, pour s’y asseoir.

— Tu es restée inconsciente pendant trois jours, finit-il par dire. Nous ne pensions pas que tu t’en sortirais, pour tout dire. Le poison avait déjà énormément progressé. Tu as un métabolisme sacrément dominant, il faut l’avouer.

Ou alors était-ce l’œuvre de la persona. Est-ce pour ça qu’elle s’est épuisée et endormie ? M’a-t-elle sauvé la vie en ralentissant la progression du poison de mispuis ?

— Quoi qu’il en soit, puisque tes intentions ne sont pas mauvaises, nous allons te libérer. Nous avons suffisamment bafoué l’hospitalité des elfes.

Il se leva, et pendant qu’il défaisait mes liens comme s’il avait une totale confiance en moi et dans le fait que je n’étais pas là pour une deuxième raison moins pacifique, je me souvins d’une chose particulière.

— Dans la forêt, je me suis fait tirer dessus par un archer… qui a bien vite détalé.

— Oh, lâcha-t-il. Je ne suis pas au courant. Il s’agit très certainement de l’un de nos éclaireurs. Il faut comprendre que nous sommes assez stressés en ce moment, entre les incursions de Skaaghs et l’avancée des nains qui veulent miner de force au cœur de la forêt…

Avais-je bien entendu ce que j’avais cru entendre ?

Après le sacro-saint elfe en tout point fidèle à ceux des histoires, la description se terminait par une grimace de dégoût suite à l’évocation des… nains ?

— Je dois être en train de rêver, marmonnai-je en me massant les poignets, désormais assise sur le lit.

— Je me nomme Ealdal, dit l’elfe qui ne n’était effectivement pas encore présenté.

— Enchantée… Tu connais déjà mon nom.

— En effet, acquiesça-t-il. Dame Wuying.

— Dame ? m’étonnai-je. Qui te dis que je suis une dame ?

Il leva les yeux au ciel. Oh, étonnant.

— Allons. Les signes ne trompent pas, fit-il d’un air quelque peu dédaigneux en agitant la main devant ma poitrine. Tu es malgré tout d’une espèce humanoïde, et je ne suis pas idiot.

Ainsi, ils n’avaient effectivement pas d’humour, tout comme dans les livres. Bordel, j’étais vraiment tombé sur le cliché absolu de l’elfe des bois, hein ?

— Je suis désolée de te presser ainsi, mais… pourrais-tu me conduire à la personne qui s’y connait en slimes ? Le temps presse sincèrement, et j’ai peur qu’il ne soit déjà trop tard alors que nous parlons.

Il secoua la tête.

— Je ne peux pas faire ça. Je suis navré.

— Pardon ? m’offusquai-je. Je t’ai dit ce pourquoi j’étais là, et tu as bien compris que je suis à la minute près, peut-être à la seconde ! Je dois la voir, je suis là pour ça !

— Ce n’est pas que je ne veux pas, répondit-il fermement en se levant, pour bien me faire comprendre qu’il était chez lui, et non l’inverse. Elle n’est pas dans le village.

— Je vais l’attendre, affirmai-je aussitôt.

Je ne pouvais pas me montrer faible ou faire de compromis. Il fallait que je la vois au plus vite.

— Tu risques d’attendre longtemps, soupira-t-il en levant une fois de plus les yeux au ciel. Elle est retenue en otage par les nains.

— Quoi ?! m’écriai-je. Mais pourquoi feraient-ils ça ?! Non, non, non, j’ai compris. Tu as dit qu’ils voulaient miner dans la forêt ? Je vois déjà le plan foireux… Non ! Je dois y aller ! Peu importe, je dois aller la sauver !

Ealdal plaça ses mains sur ses hanches, pour bien me montrer qui était le patron, ici. Ouais, bien sûr, un elfe d’un mètre soixante, aux bras de femme et à la peau si lisse qu’il aurait bien pu être mannequin pour une publicité de shampooing-douche. Bien sûr, il était le patron. Visiblement, il ne me prenait pas au sérieux et essayait de me faire comprendre que mon humour n’avait pas sa place ici, si j’en croyais sa grimace sévère.

— Je te l’ai dit, je suis là pour voir cette personne, et rien ne m’en empêchera, dussè-je brûler la forêt entière.

— Blasphème ! s’écria-t-il. Tu ne toucheras point à la forêt ! Pourquoi voudrais-tu la voir flamber, pour commencer ?!

C’était bien vrai. Aucun sens de l’humour.

— …Je suis plus que capable de la tirer des griffes de ces nains, lui affirmai-je. Alors c’est décidé.

Et pour cause, si mon jugement était correct, elfes et nains devaient être de niveaux relativement similaires, sinon un groupe aurait déjà écrasé l’autre depuis belle lurette. Et ce que je voyais au-dessus de la tête de l’elfe me confortait grandement dans le fait que j’allas être capable de sauver l’experte en slime, qui, si je l’avais bien compris, était une femme.

Il n’était que de niveau 95, et n’arborait pas la moindre étoile. Je n’étais pas extrêmement loin derrière, et surtout, mes statistiques étaient bien plus élevées que ce que mon niveau devait normalement le permettre grâce à ma classe de Paladin.

— Je te garantis que je vais la sauver, dis-je en tentant de paraître la plus confiante possible.

— Là n’est pas le problème, soupira-t-il encore. Tu prends des décisions hâtives, sans nous connaître, sans connaître notre peuple, sans connaître nos ennemis, sans rien savoir de la situation actuelle et sans même te demander si cela pourrait être utile. Si tu es si capable que tu le dis, nous avons un problème plus urgent à régler. Bien plus urgent et immédiat. Si nous ne le résolvons pas, le sauvetage dont tu parles pourrait bien être le dernier des souci du monde… si elle n’a plus de village où rentrer.

— Un problème plus urgent ? Le village des elfes est en danger ? m’étonnai-je.

— Les Skaaghs nous attaquent depuis fort longtemps maintenant, depuis l’extérieur de la forêt. Ces créatures de malheur vivent dans les marais sombres et glauques, et ont décidé, pour une raison qui nous échappe, de conquérir notre forêt. Et nous sommes sur le point de perdre de façon cruciale. Si tu souhaites réellement nous apporter ton aide… Eh bien, tu vas devoir nous aider à les repousser, à obtenir au moins une victoire majeure pour les dissuader de se frotter à nous avant longtemps.

Raka
Les derniers articles par Raka (tout voir)
DMS : Chapitre 143
DMS : Chapitre 145

Related Posts

6 thoughts on “DMS : Chapitre 144

Répondre à Aximili Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Social Media Auto Publish Powered By : XYZScripts.com