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Chapitre 38 – Là où je ne voulais plus aller (1)

 

— Je ne vois pas vraiment où tu veux en venir. Un sort ? Qui me permettrait de ressembler à une exploratrice ?

Friderik hocha la tête d’un air assuré, contemplant un avenir probable dont j’ignorais alors l’étendue des retombées.

— Oui. Exactement ça.

Je n’eus pas vraiment besoin de réfléchir à la question, je ne connaissais rien de tel.

— Je ne connais absolument rien à propos des sorts. Vraiment. Je possède des compétences buguées, mais… les sorts…

Je me rappelai un peu douloureusement de ma visite du sud de la ville, monde étrange et à part, demeure d’esprits pervers et narcissiques. Ce fut à ce moment que j’avais pris la ferme décision de ne pas toucher à la magie. S’il fallait devenir comme eux, imbus et pressés comme un courtier, pour pouvoir faire partie de ce monde, alors je préférais encore rester une architecte classique.

Alors non, je ne connaissais pas le sort dont Friderik me parlait. À vrai dire, je ne savais même pas s’il existait.

— Pourquoi as-tu besoin de ce sort, d’abord ?

— Oh. Moi, je n’en ai pas besoin. Toi, peut-être.

— Et pourquoi ça ? Je ne compte pas retourner là-bas, tu sais… Ni dans le sud, ni…

Je me souvenais encore terriblement de la douleur. Les lacérations. Ces coups de poignards atroces. Comme si la douleur sur Albion avait été plus intense que tout ce que j’avais ressenti dans le donjon ou dans le monde extérieur jusqu’alors. J’en eus froid dans le dos. Je ne voulais décidément plus que l’on me perce les entrailles à ce point.

— Brrr…

— Pourquoi ? Mais… Si je te le disais, la surprise serait gâchée !

Il se foutait de ma gueule.

— …et puis, je ne suis absolument pas sûr de ce que j’avance, alors je préfère ne pas te donner de faux espoirs. Si ça s’avère exact, par contre… alors tu me remercieras mille fois, j’en suis sûr.

— Ah ! Alors c’est ça ! Tout ce que tu cherches, c’est ma reconnaissance ! Je commence à te voir venir, je sais très bien ce que tu vas réclamer. Tu peux oubli…

— Oh, oh oh, du calme ! Pourquoi m’agresses-tu comme ça ? Non, ce n’était pas mon intention. Je n’ai pas besoin de reconnaissance pour ça…

Je ne relevai même pas sa remarque. Je commençais à avoir l’habitude, après tout. Il n’était pas méchant et bien que forcé de vivre cette vie de slime malgré lui, il faisait des efforts pour m’être utile. Il avait un bon fond, même si d’apparence, il était trop direct et osait dire des choses parfois déplacées.

C’était mon slime. Il était, quoi qu’il arrive, trop adorable pour que je puisse lui en vouloir bien longtemps.

— Je ne m’intéresse pas vraiment à la magie… Si je voulais y toucher, c’était pour toi. Alors, donne-moi une bonne raison de retourner patauger dans cette mare d’arrogance qu’est le monde du sud.

Je ne souhaitais réellement pas y aller. Rien que de repenser à la façon dont ce type m’avait parlé… Et l’autre, qui avait l’air si gentil, doux, serviable, et qui avait fini par m’insulter. Non, décidément, le sud de la ville n’était pas fait pour une frêle jeune fille timide comme moi.

Et Friderik sembla lire dans mes pensées, parce qu’il répondit aussitôt.

— Allons, tu as plus de caractère que ça. Tu ne te laisserais pas arrêter par deux pauvres types ! Rappelle-toi toujours de Krahn, de ce que tu lui as fait malgré sa position. Tu crois sincèrement que tu vas courber l’échine face aux types du sud ?

Il marquait un point. Il avait raison même si je ne voulais pas l’admettre simplement parce que je ne souhaitais pas y retourner. Mais pourquoi devais-je y aller ? J’attendais toujours une bonne raison. J’en étais venue à ne plus vraiment aimer les surprises. Je préférais savoir à quoi m’attendre, quitte à être déçue par la suite.

Mais j’eus beau essayer de lui tirer les vers du nez, il resta impassible et ne m’en dit pas plus. À un point qu’il me força vite à abandonner la lutte. Ces trois explorateurs entrant dans mon donjon aidèrent un peu, également.

— Oh, regardez-moi ça…

Mon attention se tourna entièrement vers le donjon, me faisant oublier ce que j’essayais de forcer Friderik à avouer.

Des trois, j’en connaissais deux. Le moine, et le paladin. Evidemment. Friderik m’en avait parlé et…

— Mais ils ne sont que niveau 6 ?

Depuis le temps où je les avais croisés et où ils étaient aux alentours du niveau 5, je m’attendais à ne plus les revoir ici. Je pensais qu’ils avaient dépassé ce stade depuis longtemps et que ceux qui entreraient dans mon antre allaient être des débutants prêts à m’offrir leur vie, pas ces deux-là…

Eux… Ils allaient me donner du fil à retordre.

— Regarde qui voilà.

— J’ai vu.

Friderik était tout aussi concentré, je pouvais presque imaginer des sourcils froncés sur son visage de slime souvent un peu trop imperturbable.

— Mais ils peuvent encore entrer ici ?

— Evidemment. Ils n’étaient que niveau 5, la semaine dernière. Tu t’attendais à quoi ?

— …Je ne sais pas ? À ce qu’ils soient plus haut niveau, vu leur talent ?

— Ce n’est pas si rapide. J’ai mis trois mois à atteindre le niveau 6. Tu crois qu’on prend un niveau en quelques jours ? De ce côté, les architectes sont bien plus avantagés que les explorateurs. Eux, ils doivent tuer des dizaines et des dizaines de monstres, y compris plusieurs boss, pour gagner un niveau.

J’étais surprise. Je n’étais pas étrangère au système d’expérience des jeux vidéo, et un point me semblait étrange.

— Mais s’ils mettent autant de temps à bas niveau, qu’en est-il des niveaux plus élevés ? Mettent-ils des années à progresser ?

— Hmm… Je ne sais pas trop… Je n’ai jamais été haut niveau, tu sais. Tout ce que je te dis provient des connaissances générales des explorateurs et des rumeurs qui circulent à la taverne. Tu sais, les gens ivres parlent, haha ! »

— …

— Enfin, non. Le système d’expérience est un peu spécial pour les explorateurs. Un explorateur de niveau 5 chassant des monstres de niveau 5 progressera aussi vite lorsqu’il chassera des monstres de niveau 50 au niveau 50. La progression est vraiment régulière et même si elle est relativement lente, elle ne ralentit pas par la suite.

— Oh… Mais alors, ça veut dire que pour continuer à progresser, un explorateur est obligé de toujours changer de donjon…

— En effet. C’est un point important de la prise de niveau. Le choix des lieux de chasse.

— Ok. D’accord. Donc ces deux-là n’ont pas bougé du village de débutants.

— Roram. Le nom du village est Roram. Et oui, il est probable que pour une raison quelconque, ils attendaient là qu’un nouveau donjon apparaisse. Pourtant, vu leur talent, au niveau 6, ils auraient pu déjà partir pour Camelot… »

— Camelot ?

Albion, Camelot, tous ces noms me disaient bien quelque chose… Mais si je n’avais pas fait le rapprochement au début, rencontrer ces deux noms ensemble ne pouvait pas être une coïncidence.

— Albion, comme le pays breton gouverné par le roi Arthur ?

— Oh ! En effet. Tu connais ?

— …on va dire ça.

Je ne pouvais pas le croire. Il ne s’agissait rien de plus qu’une légende de la Terre. Comment un plan ou une planète lointaine pouvait-elle exister et posséder les mêmes noms, la même histoire ? C’était un peu invraisemblable. Je m’étais déjà fait cette réflexion à plusieurs reprises, mais plus j’avançais, plus ce sentiment était présent – tout ça, tout ce système, c’était bien trop Terrien.

Mais que pouvais-je y faire, mis à part l’accepter tel qu’il était ? Haussant les épaules, je repris.

— De toute façon, ça ne me regarde pas. Je ne compte pas vraiment y retourner. Tu ne m’as toujours pas dit pour…

Me coupant la parole, un bâton en bois sortit du miroir et tomba à mes pieds. Je tournai la tête pour apercevoir le moine se gratter l’arrière du crâne.

— Alors il s’est finalement laissé tenter… Ben, raté, mec. Ton bâton est à moi, maintenant.

Friderik ne manqua pas l’occasion et tandis que je m’en saisissais, chercha à s’informer sur sa rareté.

— Il est bien ?

Mais ce que j’avais entre les mains n’était rien d’autre qu’un vulgaire bout de bois. Il n’avait rien de spécial, pas de compétence propre, c’était… une arme portée par le plus débutant des débutants. Lui aussi, il avait essayé de me refourguer sa camelote ?!

— Camelot… Camelote… Pfft…

J’avais honte de mon jeu de mot mais j’en riais quand même. Et j’avais même honte d’en rire.

— …

— Bon, par contre, ils ne se sont pas attardés dans la salle de la Fontaine. Les voilà déjà à l’entrée de la tanière des varans. Je suis curieuse de savoir ce que valent ces salamandres d’eau.

Je ne les avais pas observées plus que ça. Je ne savais rien de leurs capacités et j’étais impatiente de découvrir ce qu’elles pouvaient faire. D’ailleurs, le duo de tête composé du paladin et du moine observait prudemment les alentours de ce grand labyrinthe de pierre et de roche faiblement éclairé tandis que la troisième personne, que je ne connaissais pas, fermait la marche à reculons.

– Est-ce que tu sais pourquoi ce donjon a tellement changé ? N’était-il pas supposé être le repaire d’un gobelin ?

– Tu as loupé le nom, à l’entrée ?

– Ah. Euh, oui.

– Nous sommes dans le Nid d’Izdasa, maintenant. Ce n’est plus un donjon de gobelins. Il faut croire qu’ils se sont fait virer…

– C’est pour ça que tu voulais venir ?

Le moine répondit au paladin, qui posait des questions idiotes.

– Evidemment. Tu n’as pas entendu ? Xun Ya s’est vantée, à la taverne. Elle a soi-disant tué un architecte devant son propre donjon.

– Devant le donjon ? Quelle connerie… Elle essaye d’attirer l’attention pour se faire un bon groupe, c’est tout. Elle a pu montrer ses crédits ?

– Non. Elle a prétendu ne pas en avoir gagné.

– Hah ! Je savais. Quelle conne.

– Oui, mais… Le point important, c’est qu’elle a dit que le donjon du Pyromancien avait changé. Toi, tu étais occupé à picoler, mais je l’ai entendue le dire. Elle l’a affirmé : elle y a vu des varans. Elle est immédiatement sortie, sans essayer de les tuer, pour avertir ceux qui voudraient se faire le gobelin. Pour qu’ils ne se fassent pas avoir.

– Oh… Et elle avait raison. Pour le coup des varans, en tout cas. Pour l’architecte… Hah !

Les deux aventuriers habituels discutaient comme s’il étaient tranquillement en train de prendre un café. Ne se rendaient-ils pas compte qu’ils étaient dans une salle emplie de varans ? D’ailleurs, je pouvais en compter un certain nombre, à commencer par les lézards d’eau qui venaient de repérer les intrus.

Il était étrange de les entendre parler ainsi, alors que j’avais toujours pris l’habitude du silence dans mon donjon. J’en venais presque à les considérer comme des personnages de série télé et à commencer à les apprécier.

— Haaa… Si on pouvait tous être amis, au lieu de se taper dessus… Ne serait-ce pas plus simple ?

Je me perdis dans mes délires à voix haute, ce qui fit réagir mon slime.

— Hein ? Ne dis pas de bêtises, Wuying. Les explorateurs ne sont pas comme ça. Enfin… Certains, sans doute. Mais il y en aura toujours qui ont soif de sang et à qui toute cette situation convient très bien. Ceux-là te tueront toujours à vue, même le jour où une trêve hypothétique est signée. Et puis, tout est fait pour laver le cerveau de tout le monde. On nous apprend que les architectes sont le mal incarné et qu’il faut les éliminer quoi qu’il arrive.

Je tournai les yeux vers lui, un peu choquée par tant de violence dans leur façon de voir les choses.

— Le mal incarné ? Ah… J’étais loin de me douter qu’ils pensaient de la sorte.

— Ils le pensent. C’est indéniable. Moi-même, je…

Friderik se tut avant de trop en dire. Mais je savais. Il faisait des efforts considérables pour s’adapter à sa vie et à moi mais avant, il était lui aussi un explorateur qui pensait comme les autres. Il m’avait même insultée en me voyant. Je ne lui en tenais pas rigueur, mais ça me donnait un petit aperçu de la façon dont ils pensaient tous.

— T’en fait pas, va. C’est du passé. Tu es ici avec moi, maintenant.

— …Oui. Et puis même si ça ne me convenait pas, je n’ai pas vraiment le choix, n’est-ce pas ?

— Qui sait ?

Sur ces mots hésitants, je tournai à nouveau les yeux vers le donjon. Une salamandre d’eau venait de sortir d’une flaque un peu plus profonde que les autres et avait ouvert la gueule.

Piouuuuu !

Elle cracha un jet d’eau rectiligne qui ressemblait un peu à un tir de pistolet à eau, mais en plus puissant. Je ne doutais pas de la puissance de l’attaque, mais… elle semblait tout de même assez risible. Je voyais d’ores et déjà les explorateurs se faire asperger et rire de bon cœur en se moquant de mon monstre.

Pikit !

Néanmoins et contre toute attente, le filet d’eau percuta le paladin de plein fouet, sur le côté. Il ne l’avait pas vu arriver.

– Ughhhh !!

Mais au lieu de l’éclabousser, le tir ne rencontra pas de résistance et à l’endroit exact de l’impact, qui par un heureux hasard s’avéra être une faille entre deux morceaux d’armure, une tache de sang apparut rapidement. Le paladin posa un genou à terre sous le coup de la surprise et serra les dents après avoir hurlé de douleur.

— Bon sang, ce tir a transpercé le paladin ? Go, go, go, mes salamandres d’eau !

Je mimai une pom-pom-girl comme une idiote sous les yeux de Friderik.

— …Ne me juge pas. Tu n’as pas le droit.

— …

Evidemment, il ne savait pas ce qu’était une pom-pom-girl. Pour lui, je venais simplement de danser comme une imbécile. J’allais devoir combler ses lacunes, plus tard, ou ce genre de situation se reproduirait sans cesse.

– Wayne ! Est-ce que ça va ?!

Le moine venait de se baisser pour s’enquérir de l’état de son compagnon pendant que la troisième personne, relativement discrète, observait la scène en cherchant leur agresseur du regard.

– Là ! C’est un gros lézard bleu !

Et il avait aperçu la salamandre, qui venait de plonger sa gueule dans la flaque pour préparer un nouveau tir.

De l’autre côté du groupe, de façon totalement inaperçue, une deuxième tête bleue sortait d’une autre flaque d’eau.

Raka
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18 thoughts on “DMS : Chapitre 38

  1. merci pour le chapitre et vivement celui où Wujing visite Camelot ! tu as prévu de faire manger Excalibur par Frederick ?

  2. J’ai l’impression que ça marche de mettre tous ses monstres dans la même salle… mais est-ce qu’un architecte a déjà pensé à faire un piège pour enfermer un explorateur dans son donjon, pour faire baisser le niveau maximum ?

  3. merci pour le chapitre. un vrai plaisir de retrouvé le donjon, avec son petit coté sadique raaa vivement la suite de ce combat.

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