DMS : Chapitre 68
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Chapitre 69 – Les Devoirs d’un Paladin (7)

 

De retour sur la place et face à ce type qui m’avait poussé à voler un pauvre forgeron dans un village de débutant – donc même pas le plus riche et le plus talentueux – je sortis discrètement l’arme d’entre les plis de ma toge. Juste son pommeau, à vrai dire. Je ne voulais pas montrer l’objet incriminant.

— Et voilà, lui chuchotai-je, comme tu me l’as demandé, une épée. Quant au bouclier, le voici.

Je me tournai pour lui montrer ce petit bouclier cabossé accroché à ma hanche. J’espérais qu’il récupère rapidement le tout, me dise à quel point j’étais géniale et qu’il me donne enfin cette récompense de quête ! Je voulais en finir avec lui après ce qu’il m’avait forcée à faire.

Il m’adressa un énorme sourire et me répondit en écartant les bras :

— Ah ! Parfait ! La première partie des préparatifs pour l’entraînement est terminée !

…La première partie ?

— Et merde.

Bien entendu, il fallait que ce soit une quête à rallonge. C’était bien ma veine. Je caressai rapidement l’idée d’abandonner et de l’envoyer paître, mais secouai immédiatement la tête. Après ce que j’avais fait, je ne pouvais pas arrêter ; il était hors de question que j’aie volé ce pauvre type en vain.

— Allons-y, soupirai-je, récupère cette épée et ce bouclier et donne-moi la suite de ta saloperie de quête…

Il ne prit pas offense de ma façon de parler et enchaîna aussitôt :

— Oh, non, non, non. Je ne veux pas de ces armes. Elle sont pour vous !

Eh ? Comme récompense de quête, j’avais droit à ce que j’avais pu me procurer ? Mais j’aurais pu le faire sans cette quête ! Qu’est-ce que tout ça signifiait ?! J’avais la profonde impression de m’être faite arnaquer jusqu’à l’os.

— J’ai entendu dire qu’un voleur sévissait à Roram. Vous rendez-vous compte ? Il a agressé la femme du forgeron et on dit qu’il lui a volé un de ses précieux trésors !

— …Tu rigoles ? C’est une blague, c’est ça ?

Comment l’information avait-elle déjà pu se répandre à ce point ? Cet instructeur était un PNJ qui n’était en rien affilié au forger…

— Oh… Un PNJ, hein ?

Le système était bien entendu omniscient… Il avait sans doute créé cette quête immédiatement après mon départ de la maison, comme une furie et possédant l’objet de mon crime. Je décidai alors de le laisser continuer, ne sachant pas vraiment où il voulait en venir.

— J’aimerais maintenant, comme application de l’entraînement sur le terrain, que vous parveniez à récupérer ce qui a été volé. Mais je crains que le mécréant ne soit déjà loin… Si vous ne parvenez pas à le retrouver, revenez me voir dans une heure et nous aviserons. Je sais que vous ferez de votre mieux !

Quoi ? C’était tout ? J’avais juste à me promener une heure et revenir le voir ?

— Bon. Très bien, finis-je pas concéder avant de tourner les talons.

 

*

 

Regardant de temps en temps ce qu’il se passait dans mes deux donjons, je vis Wayne et Khetsun dans celui sur Albion et trois têtes inconnues dans l’autre. Il n’y avait plus grande affluence, j’allais devoir régler le problème plus tard. Les deux compères mourraient face à Friderik, seul dans le donjon – j’avais supprimé le boss et les monstres – et dans la forêt hantée, les aventuriers s’étaient déjà rendus compte qu’ils avaient un net désavantage contre les spectres gardiens des lieux. Et lorsqu’ils parvenaient à les éviter ou les vaincre grâce à l’aide d’un prêtre, ils finissaient maudits par la Sorcière.

Tandis que je me demandais comment faire de la publicité pour mes donjons afin d’attirer plus de têtes à couper, je vis plusieurs explorateurs sans doute de très faible niveau vu leurs armures et leur démarche courir dans tous les sens et poser des questions aux habitants de Roram.

— Je ne suis pas la seule à avoir reçu cette quête… ?

J’entendis des bribes de conversations, et ils s’enquéraient bel et bien sur le mystérieux criminel. Mais je portais toujours ma toge blanche ; si le forgeron m’avait dénoncée, pourquoi personne ne faisait-il attention à moi ? J’étais la personne la plus suspecte de la planète !

— Se peut-il qu’il n’ait pas parlé, mais que la quête ait été générée automatiquement ? Ce grand gaillard avait peut-être peur d’être mal vu par ses clients s’il révélait une telle mésaventure… Mais pas de chance pour lui, le système l’a grillé. Ou alors… Sa femme ne lui a pas décrit son agresseur ? Était-elle trop choquée ?

Je l’imaginais parfaitement chez lui, à s’occuper de sa femme tout en lui disant que non, il ne fallait surtout pas parler de ce qu’il s’était passé, ainsi personne ne serait au courant et les affaires reprendraient vite.

Au bout d’une heure de visite, je connaissais désormais Roram plutôt bien. J’avais noté la position de toutes les structures principales, la taille approximative du village et la façon dont ses habitants se comportaient au quotidien. Ils n’avaient effectivement pas l’air plus concernés que ça par l’apparition de donjons à proximité. Pour eux, les explorateurs étaient là et servaient de ligne d’attaque et de défense pour leur permettre de vivre leur vie en paix.

— Allez, retournons voir ce con.

Mais alors que je m’apprêtai à me rendre chez l’instructeur des paladins tout en espérant vainement croiser Wayne venu mettre à jour ses compétences, j’aperçus une petite créature noire entre deux maison, dans l’ombre projetée par le mur.

— Un monstre ? Ce n’était pas humain, ça ! On aurait dit… Un gobelin !

Ne me posant pas de question, je pivotai et courus en direction du monstre que j’avais entraperçu. Suivant ses traces de pas dans l’herbe folle, je finis par l’acculer face à la palissade du village. Il ne pouvait plus fuir.

— Eh. C’est pas ton jour, hein ? Pourquoi avoir voulu envahir un village d’explorateurs ? Tu es suicidaire.

Je ne savais vraiment pas pourquoi il s’était perdu là, mais il fallait, pour le bien de tous et y compris du mien, que je l’élimine. Je ne voulais pas prendre le risque de me faire attaquer de dos en plein village. Tandis que je m’approchais pour l’attaquer, faible créature qu’il paraissait être, une idée folle me traversa l’esprit.

Et si je ramène un coupable à ce mec ? Aurai-je une meilleure récompense que si je lui dis qu’il s’est enfui ?

Après tout, il y avait tant d’explorateurs débutants qui couraient après un fantôme et je me doutais bien que personne n’allait être capable de ramener la précieuse épée ainsi que le coupable. Si je le faisais… Oui, ça valait définitivement le coup. De plus, le forgeron récupèrerait son épée, ma conscience pèserait alors moins lourd et il ne dénoncerait absolument pas ma toge blanche, il ne le ferait plus du tout. Que sa femme lui ait tout avoué ou non.

— Entrave.

Le petit gobelin à la peau noire et encapuchonné sous un tissu vert sombre cessa de bouger et tomba à quatre pattes. Je le voyais grimacer, lutter pour se libérer, mais qu’espérait-il ? J’avais réussi à mater un serpent de niveau 60 ou 70 pendant plusieurs secondes grâce à ce sort. J’avais la bonne affinité pour le rendre puissant, après tout.

En plissant les yeux, je vis effectivement que cette créature, digne de ce qu’on pouvait trouver dans les environs d’un village de débutants, était un gobelin roublard de niveau 2. Il venait de laisser tomber une bague en fer et un morceau de pain.

— Il est entré au village pour voler ? C’est parfait. Alors tu auras ce que tu mérites.

Je l’attrapai par le col et le soulevai, petit gobelin toujours incapable de bouger, de crier ou de me frapper.

Je courus jusqu’à l’instructeur des paladins avant que le sort ne prenne fin ; j’eus besoin d’une trentaine de secondes à peine. Je sentais que l’entrave allait prendre fin d’une seconde à l’autre, aussi balançai-je le tout aux pieds du PNJ, monstre incapacité et épée miroitante en m’écriant :

— C’est lui ! J’ai retrouvé l’épée et le voleur ! C’est un gobelin !

Le PNJ baissa les yeux vers la pauvre victime de mon arnaque et son regard dériva ensuite sur l’épée qui brillait dans l’herbe.

— Aha ! Crapule ! Monstre ! Tu oses pénétrer Roram et voler un pauvre forgeron !

Il partit dans un délire. D’accord, ça collait avec ce que je lui avais dit, mais quand même, en tant que sous-fifre du système, j’avais eu peur pendant quelques secondes qu’il soit au courant de tout et me dise que non, ce n’était pas lui, avant de me regarder d’un air étrange.

Il sortit sa propre épée, blanche comme du platine, de son fourreau et alors que le gobelin parvenait enfin à faire répondre ses membres petit à petit, sa tête se sépara de son corps sans autre forme de procès.

— Outch. Direct, comme ça, marmonnai-je.

—  Voilà que justice est rendue, dit-il fièrement en enfournant son arme à nouveau.

— Et maintenant ? On en a enfin fini ? Je vais avoir une récompense ? lui demandai-je avec avidité et anticipation.

— Hmmm… L’entraînement est terminé, mademoiselle, et nous en serions restés là si vous n’aviez pas trouvé le coupable, mais… je ne peux pas laisser les choses en l’état. Alors, exceptionnellement, je vais vous demander autre chose avant de décréter la fin de l’entraînement.

Oh, non… Pourquoi… Pourquoi… J’aurais dû laisser ce gobelin tranquille ! Toi et tes idées de merde !

— Ce ne sera pas bien long, me rassura-t-il en voyant mon air dépité, je vais vous demander de simplement bien vouloir ramener cette précieuse épée à son juste propriétaire. Lorsque ce sera fait, revenez me voir et nous en aurons terminé.

— Enfin !

J’en voyais le bout.

Je ramassai l’épée en tout hâte et tandis que je voyais les explorateurs un peu partout dans le village cesser d’enquêter sans doute après avoir reçu une mise à jour de leur quête, je me dirigeai d’un pas assuré vers l’antre du forgeron.

Je commençais à connaître les lieux ; le forgeron était toujours dehors, tambourinant et martelant sans relâche le métal et lui donnant une forme désormais plus claire. Lorsque j’étais passée plus tôt, je ne pouvais pas distinguer ce qu’il cherchait à fabriquer. Désormais, je pouvais clairement voir que la matière devenait une épée, encore grossière certes mais une lame déjà reconnaissable.

Je m’approchai de lui pour lui adresser la parole une fois de plus :

— Bonjour… Encore.

Il se tourna rapidement vers moi avant de river à nouveau ses yeux sur son œuvre. Il transpirait à grosses gouttes et serrait les dents, à la fois de colère, de concentration et de désarroi.

— Encore toi ? Qu’est-ce que tu veux encore ? aboya-t-il sèchement, tu ne vois pas que je suis occupé ? J’ai vraiment, vraiment beaucoup de travail !

Je ne pouvais pas lui en vouloir de me parler sur ce ton. Il devait être conscient qu’il allait devoir travailler deux fois plus afin de combler la perte liée au vol de son épée. D’un autre côté, je ne comptais pas attendre ou faire un foin qui aurait pu rapidement tourner en ma défaveur si sa femme s’en mêlait.

— Je suis en mission pour l’instructeur des paladins.

Il leva un sourcil, pas plus intéressé que ça mais probablement curieux de savoir ce qu’il avait à voir avec mon affaire. Après tout, je le soupçonnais de ne pas avoir donné l’alerte me concernant. Il voulait certainement garder tout ça pour lui et éviter de faire des vagues qui auraient pu nuire à son commerce.

— Et il me veut quoi, lui ? Cet étranger, ce type arrivé un beau jour comme par magie ?

Décidément, il n’était plus du tout de bonne humeur. Mais encore une fois, je comprenais et je culpabilisais. Enfin, j’allais pouvoir rapidement lever ce poids.

— J’ai poursuivi un voleur et retrouvé une arme vous appartenant, lâchai-je d’un coup.

Bang ! Bang ! Bang…

Il lui fallut trois coup de marteau pour se rendre compte de ce que je venais de dire et de la portée de mes paroles.

— Alors la nouvelle s’est répandue comme par magie, hein… comprit-il.

— Oui.

— Montre-moi ça, m’intima-t-il en se tournant vers moi après avoir posé son marteau.

Il était toujours dubitatif, je pouvais le sentir. Après tout, personne n’était censé savoir à quoi ressemblait l’épée volée et n’importe qui aurait pu prétendre avoir trouvé la bonne arme, même en toute honnêteté, et se tromper. Mais moi, je savais. Forcément, je savais.

Je sortis l’épée de ma toge et la lui tendis, un peu comme un trésor inestimable. Il pâlit immédiatement et esquissa un large sourire tout en fondant en larmes quelques secondes plus tard.

— Oh…sob… Elle est de ret… de retour ! Sob, sob… Moi qui pensais ne plus rien avoir pour assurer l’avenir de mon futur enfant… Sob…

Il serra l’épée contre lui et releva des yeux plus cléments dans ma direction.

— Merci, jeune fille, merci, du fond du cœur… Tu sais, cette épée vaut une fortune, c’est le fleuron de ma création… Je dois la vendre pour assurer l’aven… Oh, mais tu t’en fiches, pas vrai ?

Il avait bien tort. Je ne m’en fichais pas. Il n’était pas un PNJ, mais un humain, avec des sentiments, une famille, une histoire et un futur. Je ne pouvais pas me résoudre à provoquer sa chute. Par contre, ce qu’il ignorait, c’était que son épée ne valait rien et qu’il n’en tirerait pas grand-chose. Une arme d’apparat, voilà ce que c’était.

Et je n’avais pas le cœur de le lui dire.

Il hésita un moment, observa l’épée dans ses mains et finit par m’adresser la parole à nouveau alors que je m’apprêtais à le laisser à son travail et à filer en douce pour aller dire à l’autre dindon que j’avais terminé sa quête.

— Je…

Et voilà. Il m’avait adressé la parole. J’étais obligée d’écouter. Mon cœur ne me permettait pas de le laisser là s’il voulait encore parler. Putain, quelle conne, encore.

— Je voudrais te présenter ma femme, et notre futur enfant, qu’elle porte. Cette épée et l’argent issu de sa vente, c’est pour lui.

Sa femme ?

Eh merde.

Raka
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13 thoughts on “DMS : Chapitre 69

  1. C est un bon commencement, maintenant elle doit Payer ! Il fait qu elle aide ce mec a faire une bonne arme ou je ne sais pas… Il le mérite. Merci pour les chaps

    1. Merci pour le chapitre…
      Franchement une très bonne histoire que je prends plaisir à lire ça change un peut et c’est très fun, continu comme ça t’as

  2. Merci beaucoup pour la découverte de ce LN. C’est mon deuxième sur votre fabuleux site après TODAG. J’espère que cette bonne intrigue se continuera jusqu’à une belle conclusion. Je pense continuer en version Anglaise tellement il ma plu .

    Merci encore

    1. Mea culpea après 5min de recherche je me rend compte que tu es surement l’auteur de ce ce LN. Et bien je te dis avec encore plus respect et d’admiration bravo et merci!! Tu auras mon soutient financier le mois prochain avec le plus grand des plaisirs!! Du coup moi qui pensai prendre de l’avance… tant pis mais c’est sans aucun regret ^^

      1. Ha ha, merci à toi 🙂
        Tu aurais bien du mal à prendre de l’avance en effet.
        Moi-même, je n’ai que quelques chapitres d’avance actuellement en stock.

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