DMS : Chapitre 6
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Chapitre 7 – Ce n’est qu’un essai (3)

 

Le style architectural d’Imperos était vraiment spécial. Il y avait là un mix générationnel et culturel assez flagrant, entre la frondaison des groupes d’arbres couvrant les arches et les dômes typiques de la Rome antique, les piliers sculptés dont j’avais pu voir les sosies parfaits sur les photos du Parthénon et les façades finement ciselées représentatives du style roman du XIIème ou XIIIème siècle, à vue de nez. Sur un haut bâtiment, je vis même une tête de gargouille en pierre qui me regardait comme si elle me reprochait de me promener là.

Je sentais que je pouvais passer des semaines à marcher dans ces rues sans jamais en voir le bout, et sans jamais en découvrir la dernière chose surprenante. C’était comme si des siècles, ou des millénaires s’étaient écoulés petit à petit, chaque génération ajoutant sa pierre à l’édifice architectural de la ville, créant un melting-pot de civilisations et d’époques. Me perdant avec enthousiasme dans ce labyrinthe de rues improbables, je regardais tout de même régulièrement en direction de la grande tour au-dessus du Palais des Mille Miroirs, afin d’être sûre de pouvoir retrouver mon chemin plus tard.

Entre temps, mon donjon était relativement calme. Les tomtes vivaient leur vie, certains étaient en train de dormir à l’heure qu’il était. Il commençait tout doucement à faire nuit sur ce plan-dont-je-ne-connaissais-pas-le-nom où était construit le donjon, et je commençais à me dire que personne n’y mettrait les pieds au moins avant le lendemain, heure locale.

Je m’étais engagé dans une ruelle plus étroite, et cela faisait un moment que je n’avais pas vu de visage familier, à savoir rouge avec des cornes. Je me sentais bien seule ici, et même l’ambiance commençait à devenir quelque peu lugubre, un silence malsain me pesait de plus en plus sur les épaules.

D’ailleurs, dans cette ruelle, qui s’avérait être une impasse, le vent s’était mis à souffler en emportant avec lui ce qui restait de mon sentiment de sécurité. Un monstre aurait pu surgir d’un moment à l’autre que je n’aurais pas été surprise pour autant ; j’étais comme dans une partie abandonnée de la ville, alors que j’étais certaine qu’il n’en était rien. J’éprouvais une immense envie de faire demi-tour immédiatement, poussé par une force invisible qui me criait haut et fort de me sauver pour ma vie.

Mais puisque ce n’était probablement qu’une impression, pourquoi s’en faire ? J’avançai encore un peu, et tout au fond de l’impasse se trouvait une petite devanture de magasin.

— Une boutique ici ? Mais il est fou. Il avait autant s’installer dans le fin fond d’une caverne remplie de démons, ça aurait attiré plus de monde que cette ruelle maudite.

Cela dit, poussée par la curiosité et par le désir qu’à l’intérieur, toute cette pression malsaine disparaisse, je m’y introduisis promptement, faisant sonner la clochette de la porte d’entrée. Un vieux bonhomme m’accueillit avec un regard curieux et un sourire froid.

— Oh, un client, bonjour, bonjour… Et pour un client, c’est une cliente ! s’exclama-t-il.

Sérieux, il restait vraiment debout derrière son comptoir toute la journée ? Il devait recevoir autant de visites ici que… Je ne trouvais même pas de comparaison digne de ce nom.

— Bonjour ?

Au moins, la sensation oppressante avait disparu.

— Comment puis-je vous aider, chère cliente ?

Mais si ça se trouve, c’est comme le type de la boutique pour débutants, c’est une espèce de PNJ ? Auquel cas, ça ne doit pas le déranger d’attendre là éternellement. Mais pourquoi ici ?

— Qu’est-ce que tu vends ici, vieux bonhomme ?

S’il n’était pas un type géré par le système, alors il réagirait certainement à la façon dont je l’avais appelé. Et étonnamment – ou pas, il répondit :

— Mademoiselle, je vends des objets insolites. Les plus rares et les plus puissants que vous puissiez trouver. Vous avez réussi à surmonter la peur et l’envie de fuir, ce qui signifie que vous avez une âme forte et une volonté inébranlable, aussi êtes-vous désormais autorisée à acquérir l’article de votre choix ici. Mais attention… Vous n’en aurez qu’un seul, choisissez bien.

Bon ben voilà, c’est un PNJ.

Ce n’étaient pas réellement des PNJ, mais c’était plus simple de les voir de la sorte et de les appeler ainsi. De toute façon, ils n’en avaient rien à faire, je n’allais pas non plus lui faire des courbettes.

— Et je peux voir ces articles ?

— Bien sûr ! me dit-il en me tendant un vieux livre à moitié effrité par le temps, et faites attention, c’est fragile. Je ne l’ai pas sorti depuis que le dernier client est apparu, il y a toutes ces années…

Années ? J’aurais dit des siècles, vu l’état du bouquin.

— Bon. Voyons voir ça…

Au moment où j’allais jeter un œil au fameux livre parcheminé, je sentis un groupe de deux explorateurs entrer dans le donjon. C’était comme un petit picotement qui me traversait l’esprit, et lorsque je me concentrai sur le donjon, je les vis clairement. Deux hommes, habillés de tissu et de cuir, et portant chacun une petite épée de mauvais facture. L’un des deux tapota l’épaule du deuxième comme pour le rassurer, et le poussa en avant en riant.

Bon, je verrai ça dans deux minutes. Voyons ce livre.

Dans les vieilles pages étaient listé tout un tas de salles spéciales, de pièges mortels et de monstres de haut calibre. Le truc, c’est qu’absolument tout était légendaire. Et quand je dis tout, … Tout. Pas un seul article n’était à jeter, j’en avais les larmes aux yeux et les sourcils qui frétillaient. J’osais imaginer un donjon contenant toutes ces merveilles, toutes à la fois ! Bon sang, même le plus grand des héros devait être incapable de ressortir de là vivant.

— Il… Il n’y a pas de prix ? Nulle part ? De toute façon…

Je me mis à pleurer en prononçant ces mots.

— … J’ai pas un rond. Et ils doivent être hors de prix.

Un des deux explorateurs dans le donjon venait de se faire capturer. Il pendait dans le filet comme un jambon dans un cellier, se balançant de droite à gauche ; son pote, celui qui avait semblé le plus expérimenté un peu plus tôt, luttait avec les deux tomtes à l’entrée de la salle, peinant à éviter de se faire écraser un pied par-ci et éclater un genou par-là.

Allez-y, les cocos. Butez ce mec, et après, butez celui qui pend. Et puis si vous échouez, tant pis. Après tout, ce n’est qu’un test. Moi j’ai autre chose à faire, là.

Me tournant vers le vieux derrière son guichet, je lui désignai un objet au hasard sur une page tournée au hasard. Il s’agissait d’un type de donjon appelé « Cave de Cristal ».

— C’est combien pour ça ?

Il ne prit même pas la peine de regarder, et me répondit avec un sourire effacé.

— Cet article n’a pas de prix.

— Ah. Super, lui répondis-je d’un air choqué. J’avais beau être arrivé ici par hasard, je m’étais quand même emmerdé à traverser une espèce de ruelle maudite qui ne cherchait qu’à me faire fuir, pour trouver une boutique que sans doute personne n’avait visitée les dernières 10… ou 500 années, et tout ce à quoi j’avais droit en guise de service client, c’était un article qui n’avait pas de prix ?

— S’il n’a pas de prix, alors ne le mets pas dans ton catalogue… Franchement…

— On s’est mal compris, demoiselle. Aucun des articles mentionnés dans cet ouvrage n’a de prix.

— Hein ? C’est quoi ? Un magazine d’exposition ? Pour faire baver les gens ? C’est mesquin.

— Pas du tout, chère cliente. Chaque article ici est à vendre, mais un client ne pourra en acheter qu’un, alors il devra faire son choix judicieusement.

— Oui, ça je l’avais compris la première fois. Mais si les articles n’ont pas de prix… ?

Je commençai à m’énerver tout doucement. Vieux ou pas, PNJ ou pas, il allait goûter à ma main dans pas longtemps.

— Après avoir choisi l’article de son choix, le client devra aller s’acquitter d’une tâche que je vais lui confier. Il recevra l’article de son choix en retour.

— Et t’aurais pu le dire tout de suite, mais t’as préféré me faire tourner en bourrique ? Super, le service commercial.

Deux tomtes venaient de tomber, je le sentis. Du coup, je focalisai ma vision sur le donjon à nouveau. Le type les avait tués tous les deux, mais il était un peu mal en point, saignait et avait une jambe tordue dans le mauvais sens, sans doute suite à un coup de gourdin bien placé. Il trancha la corde retenant son collègue, qui tomba lourdement au sol. Ils discutèrent pendant quelques secondes, l’un rassuré, l’autre grimaçant de douleur, juste avant que Thomred ne leur tombe dessus au milieu de sa ronde, suivi par ses trois éternels fidèles acolytes.

Avant qu’il n’ait eu le temps de réagir, l’explorateur en mauvais état après son combat contre les deux gardes reçut un violent coup de l’énorme massue noueuse de Thomred dans la tempe, et sa tête explosa dans un mélange de sang et de morceaux d’os et je vis même un globe oculaire s’étaler contre le mur à grande vitesse. Le corps à qui il manquait maintenant plus des trois quarts de la tête s’effondra, et l’autre type ne demanda pas son reste, se jetant à corps perdu sur la dalle de sortie et disparaissant dans un bruit qu’évidemment je n’avais pas entendu puisque ma vision n’avait pas le son.

— Et donc, si je veux cet article-ci, c’est possible ? demandai-je au commerçant impassible.

Il baissa les yeux pour la première fois, et vit ce que je lui montrais. C’était un piège légendaire appelé ‘Fontaine des vœux gâchés’, que la description dépeignait comme une copie parfaite de la Fontaine des vœux, mais sans aucun bénéfice. Elle tentait les aventuriers qui désiraient y jeter un objet, car elle prétendait pouvoir, avec une probabilité de 25%, leur rendre cet objet avec des pouvoirs décuplés. Dans 75% des cas, il serait évidemment perdu à tout jamais. La Fontaine des vœux gâchés était un piège légendaire, qui était sûrement la meilleure catégorie existante, et de ce fait, avait 100% de chance de garder l’objet jeté par les aventuriers malchanceux et cupides. J’étais alors certaine que ça allait m’être extrêmement utile.

Le vieux marchand étrange me répondit calmement.

— C’est un bien bel article que vous désirez là. Mais êtes-vous sûre de votre choix, demoiselle ? Il y a quantité de monstres puissants et de donjons aux propriétés magiques dans ce livre, qui seraient sans nul doute extrêmement plus utiles.

Il essayait de me faire douter, ou quoi ? Et si j’avais choisi le Phoenix Cramoisi de la première page, il aurait dit la même chose ? Ah bla bla bla, c’est un bien beau piaf, mais vous êtes sûre de ne pas vouloir ce piège-ci ? Sérieusement…

— Ce sera celui-là, lui confirmai-je en hochant la tête.

— Très bien dans ce cas, dit-il avec un grand sourire tout en rangeant son ancêtre de catalogue sous son guichet, ce que je demande pour cet article est simple. Mon plus jeune fils est parti en expédition quelque part dans les montagnes à l’ouest. Il n’est pas rentré depuis plusieurs jours déjà. Je crains pour sa vie, et je suis bien trop vieux pour partir à sa recherche. Lorsque vous reviendrez avec lui, ou avec la preuve que vous l’avez trouvé et qu’il était malheureusement trop tard, cet article sera à vous.

Quoi ? Un fils ? Putain, mais on dirait une vieille quête bidon de jeu vidéo. Il est pas sérieux, le vioque. Attends, il… il est sérieux ? Merde. Il est sérieux. Oh, le con.

— Merci pour cet énoncé ultra précis, dès que je passe dans le coin, je promets d’y jeter un œil, lui répondis-je nonchalamment.

C’était plus compliqué qu’il n’y paraissait. Le monde là-dehors était dangereux et mortel. Même si je savais exactement où le trouver, rien ne garantissait que j’y parvienne à temps, en vie, et qu’en plus je puisse rentrer saine et sauve. Je n’étais clairement pas assez expérimentée, je ne connaissais pas plus les montagnes dont il parlait que tout autre endroit hors des murs de la ville. Par contre, je pourrais y aller plus tard… Et mettre la main sur cet article légendaire, un jour ou l’autre.

— Si vous ne rentrez pas avant le lever du soleil, alors il sera probablement déjà mort, et vous pourrez oublier ma demande. À ce moment, je pense que je fermerai boutique pour de bon, je serai bien trop triste pour continuer.

Il fallait qu’il rajoute ça, et merde !

Cependant, je me ravisai bien vite.

— D’un autre côté… Je risque quoi, dans le pire des cas ? Mourir et réapparaître chez moi ? Et ça fait si mal que ça ?

Ce furent de bonnes paroles pour faire demi-tour dignement et m’enfoncer à nouveau dans cette ruelle de malheur, me dirigeant tant bien que mal vers l’ouest en me fiant à ma maigre connaissance de la ville, alors que du côté du donjon, tout avait déjà été réinitialisé depuis belle lurette. Piège, gardes, tout était comme je l’avais laissé.

— Monde extérieur, me voilà… soupirai-je en grimaçant.

Raka
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9 thoughts on “DMS : Chapitre 7

  1. J’avoue être très intéressé par ce novel, ( le principe me fait un peu penser à un jeu en vrac du bazar du grenier )
    A un moment, la MC a laissé penser que les habitants du plan pourraient cultiver. Prévois tu de mélanger le style coréen ( les donjons en général ) et le style chinois ( la culture ) ?
    Au passage, merci pour ton travail, c’est vraiment super 

    1. Je n’en ai pas l’intention, non.
      C’est juste qu’en tant que chinoise elle sait ce qu’est la cultivation. Même en admettant qu’elle ne lit pas de LN, ça fait partie de leur culture et du taoïsme en général. Il n’est donc pas anormal qu’elle fasse cette remarque.

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