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Chapitre 79 – Le donjon imprenable (9)

 

Depuis plusieurs jours maintenant, ce type qui disait s’appeler Joc et qui faisait jadis partie d’une petite tribu d’hommes dormant dans une grotte et vivant de cueillette et de chasse vivait ici avec Pythagore et moi-même, chez les géants.

Il réfléchissait à la façon dont devaient se dérouler les choses depuis son départ d’Imperos. Quelles étaient les retombées ? Qu’allait faire le système ? Sans doute uniquement lui trouver un remplaçant et arrêter les frais. Il n’allait pas pousser ses limites pour partir à la recherche d’une seule architecte qui avait commis quelques crimes que même Joc l’architecte considérait comme mineurs.

Ceci dit, si je m’amusais à retourner en ville comme ça, je me ferais prendre à coup sûr. Je devais déjà être recherchée et je me demandais même si mes donjons étaient toujours ouverts. Mon niveau existait encore, je pouvais le voir dans mon statut ; mais les donjons… et mes crédits, dans tout ça ?

— Friderik… murmurai-je, assise contre un mur et recroquevillée, en pleine réflexion.

J’espérais de tout cœur qu’il ne lui fût rien arrivé de mal. J’étais alors totalement impuissante et je ne pouvais pas aller vérifier. Ma vision mentale du donjon était sectionnée, le système s’en était chargé. Il fallait que je me raccroche à l’espoir que la connexion mentale n’était pas liée à l’existence du donjon.

— Si mon donjon s’est fait détruire… Alors, Friderik… Que lui sera-t-il arrivé ?

J’étais perdue dans mes pensées, Joc était plongé dans une étude technico-politique des réactions du système et Pythagore ronflait, un gobelet de vin vide à la main.

Nous étions trois, tous trois humains, tous trois Terriens – je le supposais pour Joc mais même lui ne pouvait pas le confirmer – perdus sur un plan post-mortem où un système tout-puissant nous donnait la chasse, pour diverses raisons. Trois fugitifs qui allions devoir réagir, faire quelque chose, et vite.

— Je crains que si on ne fait rien, repris-je à l’attention de Joc, le système finisse par nous envoyer tout de même des architectes, d’une manière ou d’une autre. Peut-être même des PN… des corrompus, comme tu les appelles.

Pour toute réponse, Joc fronça les sourcils et acquiesçât. Il était visiblement arrivé au même stade dans sa propre réflexion et cherchait activement un moyen de répondre à la menace qui allait sans doute bientôt peser sur nous.

Je me levai et fit rapidement le tour du camp, cherchant l’inspiration là où je savais que je ne la trouverais pas. Il était hors de question de demander aux géants d’attaquer Imperos, naturellement. Quelque chose me disait qu’ils auraient refusé quoi que je leur dise. Après tout, ils risqueraient leur vie à le faire et Imperos n’était pas une menace pour eux dans l’état. Même pour les faveurs de leur déesse, ils n’allaient pas balancer leur vie aux ordures.

— Mon armure ? Hah, si je savais où était celui qui gère le système dans son ensemble, je pourrais essayer de le séduire.

Réalisant la stupidité de mon idée, je la ravalai rapidement avec amertume. Ce système me l’avait donnée, il était certain qu’il ne pouvait pas être affecté…

— Bon sang ! m’écriai-je, je n’en peux plus ! Depuis trois jours maintenant, on ne fait que penser, penser et penser encore !

Et nous n’arrivions à rien. C’était un problème insoluble, peu importait le côté par lequel on l’observait. Si nous restions au camp des géants, nous allions forcément finir par nous faire attaquer, et sans doute par une véritable armée. Mais au moins, il nous fournissait un lieu de repos, un sanctuaire où nous nous sentions quelque peu en sécurité. Si nous le quittions, nous serions livrés à nous-mêmes dans un vaste monde où des dangers côtoyaient d’autres dangers.

Si nous tentions de rentrer à Imperos… Non, la question ne se posait même pas. Seule, j’étais foutue. Pythagore ? Il se ferait bannir pour l’éternité, dans le meilleur des cas. Joc ? Ce serait sans doute lui qui nous infligerait la sentence.

Dépitée, je retournai réveiller Pythagore.

— Eh, mon vieux, dis-je en le secouant un peu, debout.

Il écarquilla les yeux et une fois que la lucidité y fut revenue, me répondit.

— Hm, oh, Wuying ? Que se passe-t-il ?

— Pourrais-tu créer un sort… permettant de…

Tout en me regardant, il haussa les sourcils et tenta de boire une gorgée de vin de son verre bien vide.

— Ah, merde ! Attends, je reviens, maugréa-t-il.

Il se leva et disparut dans sa demeure avant d’en ressortir quelques secondes plus tard, un sourire plus rassuré aux lèvres et le gobelet plein à ras bord.

— Tu veux quel sort ? me demanda-t-il en sirotant son précieux.

Facepalm.

Le vin était plus important que la résolution de toute cette situation. Voilà ce que je voyais en le regardant. Cela dit, je pouvais comprendre ; il avait décrété vouloir rester là pour toujours, et les affaires de la ville ne l’intéressaient plus du tout.

Mais il devait quand même se rendre compte que je ne pouvais pas penser comme ça ! Et s’il était là, c’était grâce à moi, il pouvait bien m’être un peu utile… D’autant que si le système se décidait à attaquer le camp des géants, alors même lui se retrouverait sous le feu et sa petite vie d’alcoolique arriverait bien rapidement à son terme.

— Un miroir. Je veux un miroir.

Il fallait que je sache, pour mon donjon.

— Et un marchand.

Et pour mes crédits. Mes droits. Je ne les avais plus, mais pouvait-il créer un marchand hors du système ?

— Et…

Et je ne savais pas ce que je voulais d’autre, en réalité.

Pythagore se mit à réfléchir et après un long moment d’intense avalage de vin, finit par me répondre.

— Ça devrait être possible.

— V… Vraiment ?!

Je m’attendais réellement à ce qu’il me dise qu’il ne pouvait pas le faire. Après tout, il s’agissait là de choses intimement liées au système. Pouvais-je seulement passer un miroir sans être repérée par le système et immédiatement contrôlée ? Possédai-je encore un quelconque pouvoir de création et de gestion de donjon ?

— Mais je ne peux rien garantir, reprit-il comme pour confirmer mes soupçons. J’ai une idée, mais…

Joc lui coupa la parole.

— Bien sûr, que c’est possible.

Pythagore et moi-même tournâmes nos têtes vers lui, d’un air surpris.

— Je suis sans doute l’un de ceux qui savent comment fonctionnent le système avec une précision remarquable, expliqua-t-il, et je peux garantir qu’il ne possède pas de moyen de voir ce qui passe dans les miroirs. Vous pouvez voir ça… comme s’il se contentait de donner un peu de son pouvoir à un miroir avant de s’en désintéresser. C’est un objet autonome qui n’a rien à répondre au système.

Toujours aussi bavard, hein ? Mais ce qu’il disait avait du sens et me soulageait en même temps. Pythagore allait pouvoir me créer un moyen de rejoindre le donjon.

— Mais qu’en est-il du donjon ? Mes crédits ? …Friderik ?

— Oh, réalisa-t-il, le slime. Cette étrange créature…

Il se mit à réfléchir et tandis que j’étais aussi pendue à ses lèvres que Pythagore l’était à son gobelet de vin, il reprit.

— Je pense qu’il ne s’est rendu compte de rien.

Que voulait-il dire par là ? Rendu compte de rien ? On disait ça, généralement, d’une personne ou d’un animal que l’on tuait instantanément, en un coup.

— Ne me dis pas que… hésitai-je.

Je me mis à hésiter, me demandant si je voulais réellement connaître la réponse à cette question, tout compte fait. Mais il ne me laissa pas le loisir du choix et continua, lancé.

— Il doit encore être en train de tuer des explorateurs, sans se rendre compte de ce qui t’est arrivé. Ceci dit, tu peux dire au revoir à tes crédits. Depuis que tes droits ont été révoqués, tu n’en gagnes plus. Ce point, je peux te l’affirmer sans me tromper. Ce que tu possédais restes en ta possession, mais tu n’as plus aucun moyen d’en gagner, désormais. Il s’agit là d’un moyen que le système met en place afin d’éviter que tu puisses gagner des niveaux alors que tu es une fugitive. Ainsi, il conserve le loisir de pouvoir t’appréhender sans que tu puisses devenir trop forte, même s’il doit pour ça mettre énormément de temps.

— …

En une tirade longue comme mon bras, il venait de briser un de mes espoirs. Moi qui m’imaginais accumuler une somme extravagante le temps que les choses se calment, voilà qu’il me disait que j’attendais pour rien !

— Mais… Friderik continue à gager en puissance, réalisai-je.

Lui, il avait toujours sa quête passive. Peut-être que…

Il fallait que je gère la situation. Comme on dit, à problème extrême, mesures extrêmes.

— Ah, le système me traite comme ça, hein ? Il veut m’acculer, me coincer, me réprimer ?

Oui, je m’énervais encore une fois toute seule, mais il y avait de quoi.

— Eh bien, il va entendre parler de Qian Wuying, et plus tôt que tard !

Une lueur décidée dans les yeux et le visage sévère, je me tournai vers Pythagore.

— Il me faut plusieurs choses. Un miroir. Un sort me permettant de tromper la création de donjon et me permettant aussi d’aller dans des zones bien au-delà de mes capacités actuelles. Et… Joc, est-il possible de débloquer le gain de crédits et le marchand ?

Joc me prit au mot, il savait que j’allais lui demander quelque chose comme ça, sans doute était-il déjà conscient d’où la conversation allait nous mener bien avant qu’elle ne commence. Après tout, il avait quelques petites années d’expérience dans ce domaine…

— J’y ai réfléchi pendant plusieurs jours, répondit-il, et avec la quantité d’informations que je possède, je sais comment les choses fonctionnent. Après tout, c’est moi qui ai révoqué tes droits.

— Donc, tu peux me les rendre ? hésitai-je.

— Évidemment que non. Je ne possède plus l’autorité du système. Ah, c’est une bonne chose, ne te méprends pas. Mais ce que je peux faire est très limité désormais. Je pourrai aider Pythagore à créer des sorts permettant de lever certaines restrictions, mais…

— Mais ?

— …Non, rien. On verra le moment venu si mes inquiétudes sont fondées. J’espère simplement que les effets secondaires ne seront pas catastrophiques.

 

*

 

Il leur fallu trois jours de plus pour parvenir à un résultat probant.

Les géants s’étaient servis d’un métal rare et très brillant, le faisant fondre sous des impacts de foudre incessants tandis qu’il prenait graduellement un aspect miroitant – même si sa forme générale laissait à désirer et ressemblait plus à une grande tuile qu’à un miroir, au moins il faisait l’affaire.

Pythagore créa un sort qu’il transmit à Joc, lui permettant de se servir de son savoir afin de donner au miroir des propriétés identiques à ceux du Palais des Mille Miroirs. De plus, le système n’ayant aucun contrôle réel sur la téléportation vers les donjons, il ne pouvait pas savoir qu’un nouveau miroir venait d’être créé en son sein. Je possédais désormais une porte personnelle vers d’autres mondes qui n’attendaient que moi.

— J’ai également levé certaines restrictions, expliqua Joc, afin que tu ne sois pas limitée lors de la création de donjons, comme aux zones de ton niveau. Tu vas pouvoir te rendre où bon te semble et sans devoir te plier aux règles, désormais. Fais attention, par contre, tu risques gros si tu te rends dans des endroits trop dangereux.

Ce qu’il venait de me dire fit tilt, en l’espace d’une demi-seconde.

— Je peux rentrer sur Terre ?

— Je te le déconseille, fit-il sèchement comme s’il s’attendait à ma question, la Terre n’est pas affectée par le système. Nous ne savons pas pourquoi, mais c’est ainsi, c’est une règle majeure imposée depuis toujours. Je ne sais pas comment le système pourrait réagir si tu t’y rendais et ouvrait sur Terre les portes des donjons. Sans compter sur le fait qu’il saurait où te chercher.

Le silence s’abattit pendant quelques minutes, tandis que je réfléchissais à tout ce dont j’avais besoin.

— Le miroir, check. Possibilité d’aller n’importe où, check. Et mes crédits ? Un marchand ?

Joc se frappa la poitrine avec conviction.

— Pour les crédits, je ne peux rien faire concernant tes deux donjons actuels. Ils sont déjà placés sous un sort restrictif qui les empêche de générer le moindre crédit. D’ailleurs, le donjon que tu possédais dans la forêt hantée a disparu, hier. J’ai fait quelques recherches grâce à ce fabuleux sort de Pythagore me permettant d’avoir accès à certains points d’une base de donn… Oh, laisse tomber, tu ne comprendrais pas. Je veux dire que ton donjon dans la forêt a été effacé par le système, parce qu’il est le plus récent que tu as créé. J’ai peur que celui que tu possèdes sur Albion suive le même chemin rapidement.

— Quoi ?! m’écriai-je, il faut que j’y aille tout de suite !

Avant de réaliser autre chose.

— Mais… Lorsque je reviendrai, je ne risque pas de sortir à Imperos ?

Joc se frappa le torse une seconde fois.

— Non. Lorsque tu traverseras ce miroir, tu seras liée à lui. Par contre… Ne meurs pas. Tu réapparaitrais dans ton lit. Nous… n’avons pas eu le temps de pallier à ça pour l’instant, il faut que Pythagore se penche sur la question. Et ça va lui prendre plusieurs jours, au mieux.

Je n’avais pas pensé à ça. Il ne fallait pas que je me mette en danger ! La mort était devenue un danger bien réel pour la première fois depuis longtemps !

Mais autre chose me trottait dans la tête, et en pensant à tout ça, je me rendis compte qu’il était celui à qui je devais le demander.

— Joc. Toi, tu dois le savoir. J’ai entendu que lorsqu’on atteint une certaine puissance, on cesse d’être immortel. Quelle est la vérité sous cette affirmation ?

Joc me regarda d’un air incertain, comme s’il ne comprenait pas d’où me venait cette information, comme si personne n’aurait jamais dû m’en parler. J’avais déjà compris qu’on ne parlait pas de ça aux faibles architectes, bien sûr, mais…

Il secoua la tête et me répondit en toute honnêteté :

— Lorsque la troisième étoile gagne une petite sœur, on perd toute possibilité de retour. Voilà la vérité sous ces mots.

La quatrième étoile ?

— Alors, il y a des architectes possédant…

— Non, me coupa-t-il. Depuis que l’Histoire est Histoire, tous les architectes possédants trois étoiles sont devenus des dieux avant de gagner leur quatrième étoile. C’est une règle. C’est ainsi. Même lorsqu’ils ne remplissent pas toutes les conditions – et avant que tu ne demandes, non, je ne les connais pas – ils cessent simplement de gagner des niveaux. C’est une loi concernant tous les architectes soumis aux règles du système.

Il ne pouvait vraiment pas s’arrêter deux minutes, une fois lancé ? Un vrai moulin à paroles, ce Joc. Mais ça me faisait plaisir. Je l’avais libéré après dix mille ans de souffrances, et évidemment, il cherchait désormais à me rendre la faveur en m’aidant de son mieux et en m’expliquant tout ce que je voulais savoir.

— Bon… Il est temps d’aller récupérer Friderik, lâchai-je froidement avec une pointe d’amertume dans la voix.

Raka
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15 thoughts on “DMS : Chapitre 79

  1. la vache un pti monde rien que pour elel une petite ville ya plus qu’a ramener le gars invisible et frederik et elle aura une bonne equipe d’agence tout risque multiverse lol

  2. « C’est une loi concernant tous les architectes soumis aux règles du système. » Pouvons nous partir du principe que notre héroïne n’est plus soumis à la totalité des règles et pourra possiblement obtenir une 4 eme *?
    :3

    1. Mdr, tu t’arrêtes sur le moindre mot, hein, Œil d’Aigle ? 🙂

      Tu peux partir de tous les principes que tu veux :
      Toute spéculation est toujours bonne à conserver.
      Mais… quelque chose me dit (le scénario global, sans doute) que ça sera bien plus complexe que ça à l’avenir.

      1. Hum plus complexe encore ? Mais c’est que la tentation de lire la suite se fait encore plus forte!! <3

  3. Le problème de base c était pas que pour avoir gagné autant en si peu de temp il fallait que les aventurier se « suicide » dans son donjon ? Alors pourquoi n a t elle pas montrer que c est ce que ferait ces aventuriers ? Sinon merci pour le chapitre

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