DMS : Chapitre 79
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Chapitre 80 – Le donjon imprenable (10)

 

Je passai une dernière fois en revue tout ce dont j’avais besoin de me rappeler. Tout ce que j’avais besoin de savoir, et tout ce que je ne devais surtout pas oublier.

Ne pas mourir arrivait en première place, sans concurrence. Si je mourrais, alors ce serait la fin de tout. Réapparaître à Imperos me vaudrait la peine capitale, quelle qu’elle fut. Si Joc disait vrai, je risquais de devenir un pion du système… Un PNJ. Alors, ce serait fini ; plus personne ne serait en mesure de m’aider. Je ne comptais absolument pas, pour venir me sauver, sur un type qui risquait de se faire corrompre par le système et un autre qui préférait picoler que de jouer au chevalier servant.

Y repenser me fit encore une fois froid dans le dos et un frisson me parcourut l’échine, de la nuque jusqu’aux fesses.

Je devais trouver Friderik et le garder contre moi lorsque je sortirais du donjon par la dalle de sortie. Ainsi, il voyagerait avec moi, puisque nous étions liés, et il ne ressortirait pas à Imperos. Mais j’y allais pour le chercher, je n’allais donc certainement pas oublier de l’emmener avec moi en repartant.

Pour finir, il fallait que je fasse vite.

Si le système se rendait compte que j’avais posé le pied sur Albion, alors… il pourrait accélérer les choses et fermer mon donjon. Je ne savais alors pas si je pourrais encore en créer un autre. Je pourrais tout à fait être coincée sur Albion pour toujours !

— Hors de question, affirmai-je pour me donner du cœur à l’ouvrage.

Maintenant que je savais des choses que je n’aurais pas dû savoir, je ne pouvais plus me contenter de me dire que ce n’était pas grave, je pouvais bien rester sur Albion et vivre une vie d’exploratrice. Il allait de soi que je ne pourrais jamais dormir tranquille en sachant que le système était toujours impuni et libre derrière moi.

Oui, j’allais y arriver. J’étais Qian Wuying, mère des bugs improbables, créatrices de chimères adorables, grande déesse des géants tout-puissants et héritière officielle du titre de rebelle envers le système. Je ne pouvais pas échouer avec un palmarès pareil. Je n’avais pas le droit de me louper ou tout serait fini, d’une manière ou d’une autre.

Le miroir de pierre noir et brillant fut installé dans la hutte de Pythagore. Ainsi, il pourrait travailler dessus s’il avait la moindre chose à faire concernant ses sorts. Joc partageait désormais sa demeure et se trouver près du miroir était également d’une grande aide lorsqu’il essayait de chercher ce qu’il se passait dans le système sans être repéré.

Un vrai pirate des cavernes, ce Joc.

Mais il avait passé dix mille ans sous la tutelle du système, qui l’avait nourri d’informations et d’indices quant aux possibilités d’intrusion et de malversation. Maintenant qu’il était libre, pourquoi n’en profiterait-il pas ?

Je m’apprêtais déjà à partir. Je pris une grande inspiration, et me fit à l’idée que le tout pour le tout, c’était maintenant ; ce fut à ce moment que Pythagore se leva de son siège, près de son plan, et m’attrapa par le bras.

— Attends, fit-il soudain.

Je me retournai vers lui, les sourcils levés, sincèrement curieuse. Pourquoi m’avait-il arrêtée ?

— Oui ?

— Prends cette bague. Grâce à l’aide des géants, de Joc et de mes connaissances, j’ai pu terminer de l’infuser juste à temps avec un sort qui te sera utile. Ce n’est pas encore de la télépathie… pour ça, il faudrait accepter des effets secondaires des plus atroces… mais j’ai pu y placer une conscience artificielle, somme de mes connaissances et de celles de Joc. Je ne voulais pas t’en parler pour ne pas te donner de faux espoirs, n’étant pas certain de pouvoir la finir comme je le souhaitais… mais c’est bon. C’est fait. Ha ha !

Qu’est-ce que c’était que ça, encore ?

— Une conscience artificielle ? Hein ?

— Correct. Ainsi, si tu as des questions, ou si tu te retrouves coincée dans une situation inextricable, tu pourras demander son avis à la conscience dans la bague. Mais fais attention, la magie est puissante et elle met du temps à se recharger. Je pense que… tu auras sans doute droit d’éveiller la bague une fois par jour, au maximum. Le temps que tu seras dans ton donjon ne devrait pas être long, mais j’ai appris à toujours prévoir le pire.

Il m’offrait un wiki portable, cet abruti adorable. Il n’avait pas fini d’avoir des idées exceptionnelles… C’était plutôt une bonne nouvelle, et une excellente idée. Si cette bague contenait réellement la somme du savoir des deux types qui vivaient maintenant au camp des géants, alors elle possédait un potentiel exceptionnel. Je m’en servirais clairement à bon escient.

J’enfilai la bague à mon doigt et je pus sentir, je ne sais par quel miracle magique, qu’il y avait effectivement une conscience endormie en son sein. C’était une présence, comme… comme un petit animal de compagnie dans une cage, posée juste devant moi. Je le sentais, je savais qu’il était là, mais je ne pouvais pas le toucher.

— Ah, ma bague. J’espère que tu vas m’être très utile, dis-je en souriant.

À peine les mots sortis de ma bouche, l’anneau se mit à luire, faiblement mais d’une lumière blanche évidente. Au bout de deux secondes, j’entendis une voix dans ma tête.

— Je ne sais pas si je te serai utile, mais quoi qu’il en soit, je ferai de mon mieux. Après tout, j’en sais, des choses ! Et je suis sacrément logique, aussi. Pas très modeste, ceci dit.

La lumière faiblit et disparut comme elle était apparue.

Et moi, j’étais là, comme une conne, me rendant compte que je venais de gaspiller une utilisation de l’anneau juste comme ça. Il était maintenant vide de toute magie, je le sentais, clair comme de l’eau de roche !

— Mais… Mais… On ne m’avait pas dit qu’il suffisait de lui parler pour qu’il se réveille ! m’écriai-je.

Pythagore me répondit aussitôt.

— Ah ! Je ne savais pas non plus. Je pensais qu’il aurait fallu que tu utilises la magie…

Et voilà comment j’avais utilisé « à bon escient » mon anneau pour la toute première fois.

 

*

 

Cette fois, c’était l’heure. J’avais finalement tout ce qu’il me fallait.

[Niveau 18 / 22765 crédits.]

J’avais vraiment les mêmes crédits qu’avant. Si Friderik s’adonnait toujours à son carnage en règle, alors il le faisait uniquement pour lui. D’ailleurs, ce fait éveilla un souvenir qui me dérangea quelque peu. Me tournant vers Joc, je lui posai une dernière question avant de partir :

— Dis… hésitai-je tout de même, je me souviens, au début, lorsque Friderik tuait des explorateurs, il me semble que je ne gagnais pas de crédits. Pourquoi les choses ont-elles changé ? Je… Je ne m’en suis pas vraiment rendue compte, mais maintenant que j’y pense, ça n’a aucun sens.

Joc haussa les épaules, complètement impuissant. Il m’offrit une réponse malgré tout.

— Comment pourrais-je savoir ce qu’il en est du fonctionnement d’un monstre généré par un bug ? Je ferai quelques recherches sur le sujet si ça te fait plaisir, mais ne me demande pas de répondre immédiatement. C’est impossible.

— Oh… Évidemment. À quoi m’attendais-je ?

Il avait raison. Friderik pouvait bien fonctionner d’une manière totalement arbitraire et même aléatoire, pour ce que j’en savais. Après tout, il n’était pas censé exister et le système n’avait pas prévu de calculer la possibilité de telles interactions entre lui et moi.

Peut-être y avait-il encore d’autres facteurs à prendre en compte, mais ce n’était pas à l’ordre du jour. Joc avait dit qu’il chercherait et même si j’étais certaine qu’il ne trouverait rien de concluant, je lui poserais tout de même la question, plus tard.

Me retournant vers le miroir, je concentrai mon esprit.

Sur la surface noire et brillante apparut mon donjon sur Albion, et je vis immédiatement la fontaine magique, égale à elle-même. L’entrée était juste de l’autre côté, et devant elle…

— Friderik !

Un slime se battait nonchalamment avec un trio d’explorateurs, et encore plus qu’auparavant semblait presque s’ennuyer en les mettant à mort.

Mais il était en vie, lui ! Il existait toujours, et mon donjon autour de lui !

Les trois pauvres hères s’écroulèrent avant de disparaître en une volute de fumée. Ce fut le moment que je choisis pour entrer dans le donjon. Aussitôt dedans, je me mis à crier.

— Friderik ! Vite, il faut sortir ! Viens avec moi !

Il fallait faire vite avant que les explorateurs suivants ne se décident à entrer et me trouvent ici. Après tout, je n’étais pas sous ma forme humaine… S’ils me voyaient, ils voudraient me tuer et même si Friderik les en empêcherait, il était mieux d’éviter toute situation de ce genre. De toute façon, je n’avais plus rien à gagner à les tuer et mon donjon était, paraissait-il, menacé de destruction imminente. Il s’agissait peut-être d’une question de secondes ou d’heures, mais je ne pouvais pas prendre le risque.

Il se tourna vers moi en m’entendant crier, l’air étonné. Immédiatement, il bondit dans ma direction.

— Wuying ! Depuis combien de temps n’es-tu pas venue me voir ?!

Il avait l’air de me sermonner mais je pouvais lire dans ses yeux à quel point je lui avais manqué. Il me sauta dans les bras, non pas parce que je le lui avais demandé mais simplement parce qu’il était heureux de me voir. Même pas pour essayer de me toucher là où il ne fallait pas… juste comme ça.

J’esquissai un sourire face à ce comportement quelque peu enfantin.

— Moi aussi, je suis contente, chuchotai-je, tu m’as manqué. Un peu. Un tout petit peu.

Je ne voulais pas perdre de temps à lui expliquer la situation. J’aurais tout le temps dont j’avais besoin pour ça lorsque nous serions chez les géants, en sécurité et hors du donjon. Et puis, ça lui ferait une bonne promenade, un peu d’air frais après tout ce temps dans le donjon.

— Il faut partir tout de suite, lui dis-je d’un regard sérieux. Viens avec moi.

Évidemment, je le tenais dans mes bras, ma proposition n’était que rhétorique. Me retournant vers la dalle de sortie, je m’apprêtais à filer à l’anglaise avec un Friderik toujours perplexe dans les bras lorsque tout se mit à vibrer autour de moi. D’abord légèrement, puis de plus en plus violemment.

— Bon sang ! Ne me dis pas que c’est maintenant qu’il va disparaître ?! m’écriai-je.

— Quoi ? De quoi tu parles ? C’est quoi, ces secousses ?

Friderik, me voyant paniquer, se mit à montrer lui aussi des signes de nervosité mais sans s’exciter plus que ça. Après tout, il avait passé plus d’une semaine enfermé là et jamais, jamais il n’avait eu affaire à un séisme à l’intérieur même du donjon.

— Tu as fait quelque chose au donjon ? Wuying ? Réponds !

— Non ! Le donjon va disparaître et je n’y suis pour rien ! lui répondis-je tout en posant le pied sur la dalle de sortie.

J’envoyai alors toute la concentration dont je pouvais disposer en direction de la dalle, afin de quitter les lieux au plus vite. Mais il ne se passa rien, et les tremblements, de plus en plus terribles, provoquaient désormais des chutes de pierres et de terre tandis que des gravats jonchaient le sol du donjon.

— …Pourquoi ça ne fonctionne pas ?!

Baissant les yeux vers la dalle, je me rendis compte avec des yeux horrifiés qu’elle était fendue en deux, dans toute sa longueur. Évidemment, elle s’était brisée à cause des secousses et était devenue inutilisable !

En un éclair, j’utilisai mes pouvoirs d’architecte afin de la faire disparaître – et grand dieux, je le pouvais encore – afin d’en poser une autre à la place. Mais cette deuxième étape ne se passa pas comme prévu et je ne fus pas capable de créer quoi que ce fut. Tout ce qui résonnait dans mon esprit, c’était ce message récité d’une voix froide et distante, « Suppression en cours. Action impossible. »

— Merde, merde, merde !!

Je me mis à paniquer pour de bon et perdis l’équilibre, pour me retrouver les fesses par terre et Friderik sur moi.

— On ne peut plus sortir ! m’écriai-je à son attention.

— Quoi ? Mais…

Il ne comprenait toujours pas ce qu’il se passait et regardait autour de lui d’un air complètement perdu. Aucun explorateur n’était entré, sans doute n’en avaient-ils plus la possibilité désormais que le donjon vivait ses dernières minutes.

Alors… Allais-je mourir ? Comme ça ? À peine arrivée et décidée à ne plus mourir, c’était fini ? J’allais me retrouver à Imperos, Friderik courait le risque de se faire supprimer en même temps que le donjon, ou de se retrouver bloqué dans un lieu inconnu ; je ne pus m’empêcher de m’imaginer une espèce de vide interstellaire vide de toute existence pour l’éternité et un frisson me parcourut l’échine une fois de plus pour la journée.

Assise par terre, je regardais les pierres se détacher du plafond et des fissures s’ouvrir dans le sol. La seule chose qui tenait désormais debout de manière intacte, c’était ma fontaine.

— Parce qu’elle est légendaire, hein ? réalisai-je, elle est plus solide que le reste.

…Mais…

— …Fontaine ?

C’était le dernier risque que je voulais prendre, mais la seule option qu’il me restait.

Raka
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18 thoughts on “DMS : Chapitre 80

  1. Va-t-elle plonger dans la fontaine ?
    Un chapitre où il ne se passe pas grand chose, j’ai toutefois aimé la tirade en début de chapitre où Qian se nomme elle-même « mère des bugs improbables, etc ». Ca fait tellement Daenerys Targaryen…

  2. Merci beaucoup pour ce joli chapitre.

    J’aurai rajouté « Succube de la déesse Duphine » dans les titres à la Daenerys.
    Par ailleurs l’anneau wiki ma bien fait marré ^^ Petite inspiration provenant de LVL1s (que tu traites et qui est très agréable)?
    J’annonce un plongeon dans la fontaine avec 3 sorties possibles. Imperos et la c’est la mouise, les géants et la c’est cool ou alors Albion chez le forgeron. Cette fontaine ouvrirai le luxe de pouvoir faire voyager les aventuriers chez les architectes par la même occasion…

    Histoire de parier un peu plus, je la vois bien en briseuse des chaînes de tous les corrompues par la suite…et pourquoi pas à dos de dragon ^^.

    Vivement le prochain épisode!! Merci encore

  3. la légende raconte que le sort d’invisibilité de thecup est si puissant que même l’écrivain qui a écris le webnovel l’a oublié ….

  4. Je pense que si froderick peut lui gagner des credits c parce qur le systeme le considere mnt comme un varan

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