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Chapitre 62 : Le propriétaire 1/6

 

– Les dragons ? cria soudainement Herta.

– Tu l’entends ? s’étonna Yu Ilhan.

– J’ai dû retirer mon halo divin, mais oui, je l’ai entendue. Ton arme va te servir, finalement… je ne pensais pas que ses propriétés draconiques se référaient directement aux dragons.

– Comment ça ? Il y a une différence ?

– Oui. Les dragons règnent sur la race draconique. Ils en sont les seigneurs, lui confirma Réta Kar’iha.

– Les membres de la race draconique sont très puissants, poursuivit Herta, mais les dragons sont au minimum de troisième classe. Certains, qui ont longtemps vécu et atteint la cinquième classe, sont considérés comme des êtres supérieurs. Leur pouvoir est terrifiant.

– Beaucoup plus que les anges, j’imagine. Avec toutes vos règles à la noix, je ne sais toujours pas de quoi vous êtes véritablement capables, la provoqua Yu Ilhan.

– À ce sujet, reprit la faucheuse, notre monde fut autrefois un havre de paix, où elfes comme êtres humains se partageaient ses nombreux fruits. Jusqu’au jour où des monstres ont commencé à y apparaître… peu après, nous avons subi plusieurs apocalypses consécutives.

– Herta ? lança le jeune homme d’un ton sec.

– Oui… des erreurs ont été commises, avoua-t-elle à contrecœur.

Le drame qui se jouait sur Terre avait donc un précédent… si Dieu existait bel et bien, Yu Ilhan comptait bien lui faire rendre quelques comptes.

– Rapidement, les cieux ont réalisé que notre monde souffrait d’anomalies. Ils mirent tout en œuvre pour tenter de ralentir le processus, mais il était trop tard. Les dragons, qui ne vivent que dans le but de détruire, anéantirent notre monde seulement un demi-siècle après la première apocalypse, continua-t-elle, la voix tremblante.

Son histoire était tragique. Les elfes et les humains avaient mis leurs différences de côté pour combattre leur ennemi commun, mais la traîtrise et la couardise eurent rapidement raison d’eux.

– Les cieux nous abandonnèrent finalement, lorsque le dernier ordre tomba. Épris de sang, les dragons continuèrent de tuer ceux qui fuyaient, sans même réaliser qu’ils anéantissaient aussi, ainsi, leur propre potentiel d’évolution. J’ai finalement été gravement blessée après des siècles à combattre, et j’ai rejeté l’idée de mourir. Je m’en suis donc remise à la dernière possibilité…

– Un choix stupide, jugea froidement Herta. Les monstres et les tyrans sont les deux facettes d’une même pièce. Quelle que fût la raison, devenir l’un d’eux était pareil que mourir.

– C’est un peu plus complexe que cela, lui répondit-elle. Je suis moi aussi une faucheuse.

Bien sûr, Yu Ilhan en avait conscience. La classe n’était finalement peut-être pas si unique que ça…

– Puisque je régnais sur la mort, j’ai pensé que ma volonté pourrait survivre. Afin de m’en assurer, j’ai insufflé grâce à mes pouvoirs mon esprit dans ma robe et ma faux. Dans l’attente que quelqu’un aux aptitudes similaires aux miennes puisse enfin me délivrer.

– Hmm… c’est pour ça que ma lance bénéficie d’un bonus de dégâts contre les dragons, réalisa Yu Ilhan.

Ainsi, après avoir miraculeusement acquis la classe de faucheur néophyte, Yu Ilhan était parvenu à la libérer. Quoiqu’à l’état de voix dans sa tête, son âme avait bel et bien survécu à la transformation.

– Devenir un tyran n’était certainement pas le choix le plus réfléchi, mais je n’ai pu m’en empêcher. Mon monde ne pouvait disparaître aussi simplement que ça, même si j’en étais la dernière survivante, avoua-t-elle.

– Ravie de savoir que je ne suis pas la seule à trouver ça débile ! souffla Herta.

– C’est pour ça que le monde abandonné s’est connecté à la Terre… pour me trouver moi, fit le jeune faucheur.

– Malgré mon erreur, j’ai réussi. J’ai pu te transmettre mon souhait et mon histoire.

– C’est vrai… lui reconnut Herta. Tout ça c’est de ta faute, Yu Ilhan ! Si tu ne défiais pas toute logique, on n’en serait pas là !

– Sans moi, nous n’aurions même pas cette conversation. Rejette-moi la faute si ça peut permettre de te calmer, mais n’oublie pas que je suis le seul à pouvoir régler tout ça, rétorqua avec un étrange sérieux l’intéressé.

Herta baissa les yeux, profondément mal à l’aise. Il avait fait mouche.

– Réta… Je comprends ta frustration, mais je suis beaucoup trop faible pour espérer vaincre des dragons, reprit-il plus calmement.

Le défi était intéressant, mais à voir les difficultés qu’il avait traversées pour tuer un monstre de troisième classe, il préférait ne même pas imaginer ce à quoi il aurait à faire face s’il accédait à sa requête. Sa vie n’était pas négociable.

– Il ne s’agit pas de volonté. Darus a déjà un lien avec la Terre. Si la connexion n’est pas brisée très vite, la Terre va devoir affronter des dragons, lui rappela la faucheuse.

– La parole est à la défense. Qu’est-il advenu du donjon ? demanda Yu Ilhan en faisant face à Herta.

– Elle dit vrai… Le donjon ne restera pas éternellement scellé. Nous ne pouvons pas non plus détruire le donjon. Mais Lita t’a déjà expliqué tout ça, non ? Le seul moyen de procéder, c’est en offrant des quêtes divines aux Terriens, lui expliqua-t-elle.

– Oh, ça me revient. C’est urgent à ce point ?

– Pour le moment, il y a peu de chances que les dragons aient repéré la faille. Dès la deuxième apocalypse, en revanche…

Herta et lui ne venaient-ils pas justement d’en parler ? L’occurrence du phénomène était proche. Il en était en tous cas persuadé.

– Pourquoi ? lui demanda-t-il.

– Parce que la concentration en mana augmentera. Les murs du donjon finiront par lâcher, lui répondit Herta.

– Comment ça, par lâcher ?

Herta lui expliqua alors calmement que lorsque l’énergie au sein d’un donjon devenait trop grande, les pièges de la destruction, saturés, finissaient par se briser. Les monstres étaient alors libres d’envahir la Terre… c’était ainsi que se déroulait le phénomène d’invasion.

– Vous auriez pas pu les rendre plus solides ? s’étonna-t-il, le ton agacé.

– Ce n’est pas aussi simple. De toute façon, les donjons ne sont que temporaires. Il faudrait des matériaux plus rares et coûteux pour faire un donjon capable de tenir des siècles, et je ne vais pas te mentir, les ressources des cieux ne sont pas infinies. Nous ne pouvons nous permettre de tout donner pour un seul monde. De surcroît, si on utilise un piège trop puissant, on s’expose à un risque de surcharge. C’est pire qu’une invasion, crois-moi.

Il était vrai qu’à choisir entre un monstre mutant à la puissance folle et quelques loups, le choix était vite effectué… de toute manière, un donjon ne pouvait éternellement durer.

– Mais, pourquoi faire des donjons, alors ?

– Parce que sans eux, les humains seraient déjà morts, Yu Ilhan.

Aussi effrayante soit la perspective, il fallait qu’il se rende à l’évidence. L’humanité devrait bientôt faire face aux dragons…

– On ne peut pas empêcher la deuxième apocalypse ? Ou au moins savoir quand elle aura lieu ? l’interrogea-t-il.

– La seconde apocalypse, dans un monde, c’est un phénomène bien plus dynamique que la première. En général, il se produit 150 ans après, mais vu les changements qui ont eu lieu récemment… il doit rester 50 ans, tout au plus, lui avoua Herta.

– En seulement deux mois, on a traversé l’équivalent de 100 ans ?! Ça veut dire qu’il ne reste plus qu’un mois ! paniqua alors le jeune homme.

– Non, calme-toi. Nous avons bloqué la progression terrienne, pour le moment.

Pour autant, plus elle tentait de le rassurer, plus il paniquait…

– Je n’ai vraiment pas le choix, hein… lâcha-t-il finalement, blasé.

– Au moins, avec ton statut de partenaire des anges, ta puissance sera augmentée de 50% sur Darus, puisqu’il s’agit d’un monde abandonné.

– Parce que tu t’imagines vraiment que ça va suffire ? On parle de monstres de quatrième classe, voire plus ! s’indigna-t-il en réponse à Herta.

– À ce sujet, s’exprima à nouveau la faucheuse, comme si elle avait attendu cette occasion, je peux faire quelque chose.

– Et on peut savoir quoi ? demanda-t-il, son intérêt piqué au vif.

Lorsque les pays de Darus tombèrent, Réta Kar’iha eut tout le loisir de visiter leurs ruines, et ainsi d’apprendre tous les secrets magiques qu’ils avaient jusqu’alors jalousement gardés. C’était justement grâce à ces 11 formations magiques qu’elle avait pu survivre si longtemps. L’une de ces formations lui apprit à détecter la race, le niveau et les compétences de ceux qui lui faisaient face, et de se téléporter n’importe où sur Darus.

– Cette formation a été mise au point par des maîtres elfes, en utilisant les techniques spirituelles les plus poussées. Elle a été raffinée au fil des âges, mais tous ses disciples sont morts. J’en suis la dernière maîtresse, lui expliqua Réta Kar’iha.

– Si c’est aussi balaise que ça, comment ils ont perdu face aux dragons ? se moqua à moitié Herta.

– Parce que tu as l’impression que le destin suit son cours, peut-être ? Tu veux qu’on reparle de mon oubli ? vint la tâcher Yu Ilhan.

Il eut soudainement l’impression que Réta était en train de rire. Sa joie le contaminait presque.

– Donc… ça me permettra de repérer les dragons, c’est bien ça ?

– Tout à fait.

– Mais je suis humain. Comment vais-je pouvoir utiliser les pouvoirs de cette formation ? s’interrogea-t-il.

– Tant que mon essence de vie réside à tes côtés, tu pourras en profiter. Tout du moins, tant que tu posséderas des pierres magiques.

– Je vois…

Il avait une masse d’informations assez conséquente à assimiler, mais une chose lui semblait déjà évidente : il devait se rendre sur Darus et tuer les plus faibles représentants de la race draconique, en espérant qu’il progresse suffisamment pour tout régler avant la deuxième apocalypse.

– Je vais essayer de régler ça tout seul, mais si je rencontre des difficultés, promets-moi de prévenir les cieux, exigea-t-il d’Herta.

– Tu veux rire, ou quoi ? Il n’a jamais été question que tu supportes ce fardeau tout seul ! En plus, si tu te loupes, les conséquences sur Terre seraient dramatiques. Contacte l’Impératrice, son frère et Na Yuna, s’indigna l’intéressée.

– C’est hors de question, s’opposa-t-il avec un petit rire.

À cela, il y avait deux raisons principales. La première et la plus évidente, c’était qu’ils étaient tous les trois trop faibles pour espérer lui être d’un quelconque soutien. Leur sacrifice resterait vain. Cependant, la raison la plus importante à ses yeux était bien différente.

– Le cuir de dragon doit être d’une sacrée qualité. L’idée même de le partager avec qui que ce soit m’est insupportable, avoua finalement Yu Ilhan.

– Sérieusement ? se sidéra Herta.

– Putain… lâcha malgré elle la faucheuse.

Nostra
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