MoL : Chapitre 22
MoL : Chapitre 24

Chapitre 23 – Allumer la mèche

 

En surface, être mis en paire avec Nouveauté était la recette idéale d’une frustration sans fin et d’ennui – elle était une pipelette impatiente et impulsive qui ne possédait aucun concept d’espace personnel à toujours graviter autour de Zorian, le tapoter avec ses pattes avant et le regarder avec curiosité. Zorian n’avait pas peur des araignées mais ce genre de contact physique était juste de trop.

Techniquement, elle était une version arachnide de Kirielle et il ne tolérait les habitudes de sa sœur que parce qu’elle était sa sœur.

Malgré ça, Zorian était fort heureux de l’avoir rencontrée. Sa personnalité laissait certainement beaucoup à désirer et il devait souvent la rediriger vers ses leçons lorsqu’elle prenait d’étranges tangentes sur des sujets divers et variés mais elle était un trésor d’informations à la fois sur les psioniques et sur les Aranea. Et contrairement à la matriarche, dont les explications ressemblaient à chaque fois à des tentatives de manipulation à peine masquées, Nouveauté ne possédait pas la moindre once de tromperie en elle. La plupart du temps, elle pensait ce qu’elle disait et il était douloureusement évident quand elle tentait de contourner un sujet ou de cacher des demi-vérités. C’était un changement de rythme rafraîchissant comparé à ses interactions précédentes avec les Aranea.

Nouveauté restait parfaitement inconsciente de ses pensées, trop prise par l’inspection de l’équipement d’alchimie de Zorian. C’était là une autre différence entre la matriarche et elle – Nouveauté ne pouvait pas lire ses pensées de surface s’il ne les structurait pas très calmement et lentement avant de les cibler vers elle particulièrement. Ça rendait sa présent bien plus relaxante qu’elle ne l’aurait été autrement.

[Les humains construisent tant de chose étrange,] déclara Nouveauté après avoir inspecté les fioles en verre de ses yeux et de ses pattes.

Zorian ne savait pas si les Aranea étaient habituellement si enclines à toucher les choses et si Nouveauté ne faisait simplement pas attention lors de ses interactions avec lui ou si l’araignée avec qui il devait maintenant passer du temps était juste une espèce de fille physique mais elle aimait de façon certaine toucher ce qu’elle étudiait. Malheureusement, ça incluait Zorian en personne en plus des objets inanimés mais au moins, elle semblait désormais avoir compris qu’il n’était pas d’humeur à lui faire des câlins.

[Comment as-tu seulement fait ceci ? C’est le même genre de roche transparente que vous utilisez pour vos fenêtres… mais je n’ai aucune idée de la façon dont vous avez réussi à plier un rocher pour lui donner cette forme. Et c’est si lisse… Je sais que ces embranchements au bout de vos membres supérieurs sont plus efficaces que nos pattes pour fabriquer des choses détaillées mais c’est de la folie. Tu sais, les Aranea ont un jour essayé de conserver des prisonniers humains sous la forme de thralls, mais c’était tellement lourd… Il s’est avéré qu’il était plus simple de faire du commerce. Vous autres humains n’avez pas l’air de vous sentir très bien sous le sol et vous kidnapper a toujours fait monter la colère de votre côté, même celle des clans étaient différents. Et… Uh, c’était il y a troooop longtemps et nous ne faisons teeeellement plus ce genre de choses aujourd’hui et tu devrais trop oublier tout ce que je viens de dire à ce sujet, ok ?]

— Oh oh, fit Zorian d’un air dubitatif avant de décider de ne pas poursuivre. Pour ce que ça vaut, cette roche transparente est appelée verre et ce n’est pas vraiment plié. C’est fait à partir de sable, que l’on chauffe jusqu’à ce qu’il fonde jusqu’à devenir malléable avant de planter de long tubes dans la masse pour souffler dedans. C’est ce qui lui donne sa forme.

Nouveauté se tourna pour lui accorder l’attention de tous ses yeux.

[Nom du sac d’œufs de ma grand-mère ! Comment est-ce que l’un des vôtres a-t-il pensé à faire ça ?! Les humains possèdent-ils une espèce de sens de pierre magique ou quoi ?]

— Euh… non.

Zorian resta patient bien qu’expliquer ce genre de choses à Nouveauté était ennuyeux mais la rendait bien plus encline à partager des choses à son tour alors il s’y collait.

— Les humains ont toujours farfouillé avec des outils de toutes sortes. Nous sommes plutôt fragiles par nature alors construire des choses est une question de survie. Nous utilisons des outils bruts pour façonner de meilleurs outils et ces meilleurs outils pour en faire d’encore plus précis, et ainsi de suite. Je ne sais pas exactement comment est né le soufflage du verre mais il n’a pas simplement fait une apparition magique dans la tête d’un humain.

[Je ne pense pas vraiment que vous pouvez vous considérer comme des êtes fragiles,] douta Nouveauté. [Vous manipulez une magie incroyable et vous avez tellement conquis la surface du monde grâce à elle !]

— Tous les humains ne pratiquent pas la magie, corrigea Zorian. Seule une minorité d’entre nous sommes des mages et le nombre était encore plus faible à cette époque reculée.

[La plupart de vos outils ressemblent à de la magie à mes yeux, pour être honnête,] dit Nouveauté. [Vous ramassez des pierres et effectuez des rituels compliqués pour les transformer en ces merveilles qu’aucun talent de tissage de toile ne pourra permettre d’imiter. C’est ce qui me fascine le plus à propos des humains – cette étrange magie de construction qui vous est propre. J’espérais un peu pouvoir apprendre quelques-uns de tes secrets tout en t’enseignant ce que je sais mais on dirait que ça va être trop compliqué, parce que, tu sais.]

Elle secoua ses pattes de devant pour donner de l’emphase à ses mots.

[Je n’ai pas ces mains que vous utilisez pour tout ça. Ce n’est pas que j’abandonne ! Je vais trop chercher un moyen de pouvoir apprendre tout ça !]

— Eh bien, tu m’as déjà dit que tu apprenais à devenir un mage alors tu pourras toujours utiliser de la vraie magie, nota Zorian. Les sorts de fabrication existent, après tout. Bien entendu, tu devrais comprendre les propriétés des matériaux que tu désires travailler ainsi que les principes d’ingénierie des objets que tu souhaites créer. Mais si tu es sérieuse à propos de ton ambition de devenir artisan, c’est de toute façon une condition essentielle.

[Je vais être honnête, je n’ai aucune idée de ce que tu viens de dire,] lâcha Nouveauté après un bref silence. [Mais je suppose que tu tentais de m’encourager alors merci !]

— C’est vrai, soupira Zorian. Nous nous égarons encore. Concentrons-nous sur les leçons.

[Mais ces leçons sont si ennuyantes !] se plaignit Nouveauté. [Tu connais déjà la plupart de toutes ces choses… C’est juste une question de pratique et tu ne peux pas le faire ici, de toute façon. Tu t’entraînes, n’est-ce pas ?]

— Bien sûr que oui, confirma Zorian. Je passe le plus clair de mon temps à tenter de sentir mes camarades de classe et d’autres étudiants dans le bâtiment. Ce n’est pas comme si j’allais trouver quoi que ce soit d’utile dans ces cours. Tout se passe plutôt bien mais je dois toujours me concentrer lourdement pour atteindre une certaine portée. J’ai aussi tenté de ressentir leurs émotions mais c’est à chaque fois un coup dans l’eau. Es-tu certaine que personne ne va me détecter, à force de faire ça ? Parce que je vais me retrouver dans la panade si quelqu’un remarque que je m’amuse avec l’esprit des gens.

[Je n’arrête pas de te dire que personne ne peut te détecter sans envahir ton esprit d’abord,] le rassura Nouveauté. [J’ai totalement été demandé aux autres Aranea à ce propos parce que tu n’arrêtes tellement pas de me poser la question et elles me l’ont confirmé. Techniquement, ressentir les esprits et l’empathie de base n’impliquent pas d’intrusion dans les esprits des autres. Je sais que tu ne crois pas du tout en la Grande Toile mais imagine une espèce de plan mental qui pénètre toute chose existante. Les esprits créent des vagues sur ce plan, comme des pierres jetées dans l’eau, et ceux qui sont Ouverts peuvent utiliser ces vagues pour localiser les esprits autour d’eux et deviner certains faits basiques à leur propos. Espèce ou état mental général, notamment.]

— Huh. Ça a du sens, dit Zorian. Ainsi, sentir les esprits et l’empathie sont vraiment deux aspects de la même capacité… qui se trouve être la possibilité de ressentir ce plan mental et interpréter les vagues qui s’y propagent ? Sais-tu si les sorts de protection mentale ont un effet ?

[Oh, définitivement,] confirma Nouveauté. [Les sorts de protection mentale de base que les mages aiment utiliser ruinent plus ou moins ton empathie les concernant. Trop d’interférences. Les détecter, d’un autre côté, devient encore plus simple. Tout sort affectant l’esprit d’un individu le rend bruyant pour un psychique, même s’il s’agit d’un sort défensif. Spécialement ceux-là, maintenant que j’y songe. Bon, à l’exception de ce fameux sort appelé Esprit vide qui provoque la déconnexion d’un esprit et de la Grande Toile, rendant une personne totalement indétectable et immunisée aux magies affectant l’esprit. Plutôt terrifiant, en fait.]

Zorian connaissait le sort dont elle parlait. Esprit vide était connu comme un sort de défense ultime contre la magie mentale mais le sort bénéficiait d’une bien sinistre réputation car il provoquait des problèmes psychologiques s’il était mal lancé ou utilisé pendant trop longtemps. Un certain nombre de mages paranoïaques qui craignaient que les gens envahissent leur esprit étaient devenus fous après l’avoir utilisé de façon permanente. Le sort avait clairement très mauvaise réputation parmi les mages. Il y avait d’autres protections, moins drastiques, qui suffisaient dans bien des cas.

— C’est étrange, dit Zorian innocemment. La matriarche m’a dit qu’aucune vulgaire magie humaine ne pouvait me protéger contre elle si elle était déterminée à pénétrer mon esprit. Et maintenant, tu viens de me dire qu’il existe un sort que je pourrais apprendre afin de m’immuniser totalement aux pouvoirs psychiques.

[Ah, eh bien, tu vois…] bafouilla Nouveauté. [Elle avait raison parce que ce sont deux choses différentes, oui ? Un bouclier, c’est une chose. Nous pouvons totalement l’abaisser et le pirater. Si tu te retires de la Grande Toile, par contre, c’est comme si tu n’existais pas du tout ! Il faut d’abord sentir un esprit pour s’y connecter, et si tu ne peux pas t’y connec –]

— J’ai compris, l’interrompit Zorian. Pas de lien télépathique, pas de magie Aranea. Et tu ne peux pas te connecter à ce que tu ne peux pas sentir. Hmm… Clairement, le créateur de l’Esprit vide connaissait une ou deux choses à propos des pouvoirs psychiques. On dirait presque qu’il est fait spécifiquement pour les contrer.

[L’idée n’est pas révolutionnaire,] grommela Nouveauté. [Un psychique suffisamment doué peut se déconnecter de la Grande Toile avec un peu d’efforts. On appelle ça s’assombrir. C’est une capacité plutôt ténébreuse, souvent utilisée par les assassins, les voleurs et les saboteurs. Mais peu importe, le problème n’est pas juste l’Esprit vide – c’est le fait que n’importe quel mage suffisamment puissant pour le lancer l’est également pour s’occuper de notre toile toute entière tout seul. Nous avons des moyens de nous défendre face à ce genre de personne, mais je ne peux trop pas t’en parler parce que les autres me démembreraient tellement si je te le disais. Tu sais, secret-défense, tout ça.]

— Ouais, fit Zorian, qui n’avait aucunement l’intention de créer des problèmes à Nouveauté chez elle et donc de poursuivre la conversation sur ce sujet.

Leur plans super secret-défense se résumait sans doute à quelque chose comme faire s’écrouler le tunnel entier sur sa tête, de toute façon.

— Ainsi, l’Esprit vide est une compétence psychique traduite en un sort. Pas très surprenant, je suppose – les mages adorent copier les compétences des créatures magiques pour s’en servir.

[Vraiment ?] demanda Nouveauté. [Mais je pensais que la magie humaine était si bonne que vous n’aviez rien à apprendre des autres espèces. La matriarche parle toujours de la splendeur de votre magie et à quel point personne ne peut l’égaler…]

— Non, c’est totalement faux, dit Zorian. Les mages de tradition Ikosienne, qui sont virtuellement tous ceux que tu vas pouvoir rencontrer dehors, sont vraiment à fond dans l’idée de copier les caractéristiques qui fonctionnent chez les autres espèces et les utiliser à leurs fins. Le système entier de magie structurée est créé spécialement pour être étendu selon nos besoins. Il est vrai que nous trouvons rarement quelque chose digne d’apprentissage parmi les autres traditions, de nos jours… mais c’est essentiellement parce que nous avons déjà tout copié.

[C’est… différent de l’histoire que j’ai entendue.] admit Nouveauté.

— Ne déprime pas, la plupart des humains pensent également que notre tradition magique est apparue totalement formée durant les premiers jours de l’empire Ikosien, expliqua Zorian. Mais revenons à notre discussion sur les défenses mentales. Tu as dit qu’une Aranea pouvait abattre ou contourner n’importe quelle magie défensive, à l’exception de l’Esprit vide. Est-ce que ça t’inclut également ?

[Bien entendu ! Pour quoi me prends-tu ?] protesta Nouveauté. [Si je ne pouvais pas combattre par télépathie, j’aurais été dévorée à la nurserie !]

— Quoi, sérieusement ? s’étonna Zorian en clignant des yeux. Comme dans, tu te serais fait bouffer, ou… ?

[Euh, non, pas littéralement. Nous n’avons pas laissé les nourrissons dévorer les autres depuis… Euh… parlons d’autre chose. C’était juste une façon de parler, voilà le point important. Peu importe !]

Nouveauté tenta de changer de sujet en tout hâte.

[Je ne sais pas comment ça fonctionne chez les humains mais les Aranea, à la naissance, sont confinées dans une nurserie pendant les premiers mois de leur vie. Nous sommes généralement nombreuses et toutes amassées dans cette petite pièce avec rien d’autre à faire que harceler les nounous en quête d’histoires ou nous battre les unes avec les autres. Et les nounous n’aiment pas quand les nourrissons commencent à s’en prendre physiquement à leurs camarades. Elles sont beaucoup plus accommodantes à propos des… expérimentations… de nos pouvoirs psychiques. Quelque chahut télépathique est toujours à prévoir, et nous apprenons rapidement les bases de la défense mentale.]

Zorian tenta d’imaginer la scène qu’elle venait de dépeindre et abandonna d’un haussement d’épaules. Il prit mentalement note d’éviter les nurseries Aranea à tout prix, juste au cas où l’opportunité devait se présenter à l’avenir.

— C’est… intéressant… mais pas tout à fait ce que je demandais. Je m’interrogeais au sujet des contres, pas des défenses elles-mêmes, finit par dire Zorian.

[Tu ne peux pas gagner un combat en te défendant uniquement,] pouffa Nouveauté. [Je ne comprends pas cette étrange division entre l’attaque et la défense mentale que tu persistes à exprimer. Contrattaquer est un point crucial dans n’importe quelle défense efficace. Même une toute petite contrattaque oblige l’adversaire à perdre du temps et se concentrer sur ses propres défenses tout en négligeant l’attaque.]

— Je crois que j’oublie trop facilement que les pouvoirs psychiques ne sont pas discrets mais plutôt une manifestation multifacettes d’une capacité unique, admit Zorian. Pourtant, rendre un coup n’est pas forcément mental – si je peux faire cesser ton attaque mentale suffisamment longtemps, je pourrais simplement te frapper ou lancer un sort pour t’obliger à plier le genou pour de bon. Considérant que je ne sais rien du combat télépathique, c’est probablement l’option la plus pertinente pour moi, n’est-ce pas ? Et ça me ramène à ma proposition : je veux voir à quel point mes défenses mentales peuvent résister face à tes capacités. Je vais lancer quelques sorts de protection mentale et tu vas faire de ton mieux pour les abattre. Qu’en dis-tu ?

[Mon honorée matriarche m’a donné des instructions strictes sur les moments durant lesquels je peux faire progresser ton instruction,] hésita Nouveauté.

Instructions sans doute accompagnées par des ordres stricts sur ce qu’elle n’avait pas le droit de lui enseigner du tout. Zorian ne se faisait pas d’illusion : les Aranea n’allaient pas lui enseigner plus d’une toute petite fraction de leurs talents psychiques. Paradoxalement, elles vénéraient leurs capacités dans un certain sens et encourageaient leur propagation parmi l’humanité mais en voyaient clairement la majeure partie comme un secret bien gardé même entre elles. Sans même parler du fait qu’il aurait été plutôt stupide de la part de la matriarche d’apprendre à Zorian à faire certaines choses qu’ils pourraient rapidement utiliser contre elles. Par exemple, il était à peu près certain que Nouveauté avait pour ordre absolu de ne pas lui enseigner comment manipuler une mémoire afin qu’il ne s’essaye pas à toucher au paquet de souvenirs de la matriarche et potentiellement se nourrir de ces informations précieuses.

Pourtant, Zorian s’en accommodait parfaitement. Il avait déjà reçu de leur part bien plus que ce à quoi il s’attendait et au cas où il devait devenir cupide pour plus que ce que la matriarche désirait fournir ? Eh bien, il y avait d’autres Aranea que celles sous Cyoria et Nouveauté avec était claire sur le fait qu’elles ne se parlaient pas vraiment. S’il échangeait un simple et unique secret avec dix groupes différents, il pourrait facilement obtenir assez de connaissances pour que n’importe lequel de ces groupes se sente mal à l’aise, le sachant en liberté. Pour plus d’ironie, il pouvait même revenir à Cyoria et échanger là des secrets venant d’autres groupes. C’était une astuce classique utilisée par les Ikosiens quand il s’agissait de gérer les populations tribales et la boucle temporelle rendait ça encore plus facile à achever.

Mais s’il voulait un jour faire une telle chose, il avait besoin de pouvoir défendre son esprit. Il avait cette satanée impression que les tribus d’Aranea en-dehors de Cyoria n’étaient pas tout à fait aussi amicales que la matriarche et sa tribu et Zorian hériterait de tout effet mental dans la boucle suivante. La matriarche avait promis de lui apprendre les bases du combat télépathique, ce qu’il traduisait par insuffisant pour nous menacer mais efficace contre les rats-crâne et des mages anonymes. Il avait vraiment besoin de découvrir à quel point la magie humaine était efficace contre une Aranea moyenne.

— Nous ne faisons pas progresser les leçons, parce que tu ne vas rien m’apprendre, insista Zorian. C’est juste un test. Je veux voir mes sorts de défense contre tes attaques.

[Très bien, je suis trop partante, alors !] s’excita Nouveauté, soudain emplie d’enthousiasme. [Mais uh, tu n’as pas le droit de m’attaquer physiquement en réponse, hein ?]

— Ce serait un peu ruiner l’expérience, nota Zorian.

[Parfait. Alors, imaginons que je t’attaque depuis une embuscade… ou suis-je pressée ?] demanda Nouveauté.

— Quelle est la différence ?

[Eh bien, si j’attaquais depuis une embuscade, je tenterais de simplement outrepasser ton bouclier mental par un talent supérieur. C’est vraiment efficace lorsque ça fonctionne mais lent à préparer et ça ne marche pas si la cible est consciente de ma présence ou qu’elle n’est pas occupée ailleurs. D’un autre côté, si le temps est l’essence, je frapperais simplement le bouclier avec une force brute. C’est plus rapide mais ça demande plus de mana. Oh, et il est compliqué de juger le niveau de force exact nécessaire pour briser un bouclier mental… sans également blesser l’esprit alors, euh… imaginons que je t’attaque depuis une embuscade, ok ?]

— Allons-y comme ça, conclut Zorian sur un ton impassible.

L’heure qui suivit fut aussi frustrante qu’instructive. Nouveauté prit le tout comme un jeu, s’améliora au fil du temps malgré les essais futiles de Zorian visant à raffiner ses défenses au travers de la répétition de sorts et de combinaisons de sorts. C’était plutôt gênant de voir l’Aranea surexcitée et dispersée passer à travers ses défenses comme si elles n’existaient pas, le tout en moins de 30 secondes à chaque fois. Bien sûr, ces 30 secondes auraient été suffisantes pour qu’il l’incinère lors d’un vrai combat mais ça présumait qu’il était en position pour le faire et ce n’était pas une chose à prendre pour acquise. Et si elle s’était cachée ? Et si elle se plaçait derrière une protection quelconque ? Et si elle n’était pas seule ?

Cependant, un peu de gêne valait le coup. Il savait maintenant que sa meilleure défense contre les Aranea – et sans doute d’autres psychiques – était le simple sort de base de bouclier mental. D’autres sorts plus sophistiqués ne semblaient pas tenir la route aussi bien que celui-là contre les attaques télépathiques de Nouveauté.

[La plupart des sorts que tu as utilisé sont très faciles à contourner à l’aide de quelques feintes et une bonne synchronisation,] expliqua Nouveauté. [Ils sont tous basés sur des schémas simples de défense et réagissent toujours de la même façon à mes attaques. Ce bouclier magique avec lequel tu entoures ton esprit, par contre… c’est quelque chose de plus brut mais j’avoue qu’il m’a donné plus de mal. Pas de schéma ou quoi que ce soit de spécial, juste une barrière mentale solide et imperturbable. Je ne pense pas être capable de la contourner le jour où tu ne te loupes pas en lançant le sort.]

— Je me loupais… ? s’étonna Zorian.

[Ouais. Ce bouclier avait ces petites imperfections dans lesquelles j’ai pu me glisser pour passer. Je ne pense pas qu’elles étaient supposées se trouver là.]

Hmm, des imperfections, avait-elle dit ? Ça ressemblait au résultat normal d’une formation de sort normale. Très peu de mages pouvaient lancer un sort à la perfection et ils n’en avaient que rarement besoin – des imperfections minimes n’avaient presque jamais d’importance à moins de se trouver dans des circonstances vraiment particulières.

Apparemment, il s’agissait là d’un de ces cas spéciaux. Zorian réprima un soupir – il pouvait déjà entendre la voix spectrale de Xvim dans sa tête, le sermonnant à propos des échecs qu’étaient les mages actuels et la nécessité de s’entraîner jusqu’à pouvoir lancer un sort correctement plutôt qu’assez bien.

En rétrospective, penser de la sorte ne faisait que titiller le destin.

 

___

 

Lorsque Zorian arrive à sa session hebdomadaire de torture chez Xvim, il s’attendait à passer par une heure complète du programme habituel… ce qui, dans cette boucle-là, se résumait à attraper un paquet d’allumettes pour tenter d’en allumer une sans faire flamber les autres ou se brûler la main au passage. Bien entendu, Xvim regardait déjà Zorian fixement alors que ce dernier n’avait même pas encore les deux pieds dans la pièce. Mais il fit des choses vraiment étranges durant leur session.

Zorian n’avait pas encore réussi à s’asseoir quand Xvim décida de lui adresser la parole.

— J’ai entendu que tu as lancé des boules de feu ? demanda-t-il. Est-ce vrai ?

Zoiran se retint de force de lui faire une grimace. Lorsqu’il faisait un commentaire du genre, ce n’était jamais bon signe – Xvim n’était jamais impressionné par Zorian alors il trouverait forcément une chose à objecter sur son entraînement avec Taiven. Merde, comment ce type avait-il fait pour savoir ?

Le visage de Xvim n’annonçait rien d’évident et Zorian avait déjà tenté d’utiliser ses compétences rudimentaires d’empathie pour tenter de voir ce qui l’ennuyait sans parvenir à un résultat probant. Xvim avait un contrôle incroyable sur ses émotions et virtuellement rien ne pouvait le perturber ou le mettre hors de lui.

— Je peux lancer le sort, oui, dit Zorian prudemment comme si parler lentement allait l’aider à échapper à l’éventuel champ de mine que son mentor s’apprêtait à poser. À puissance minimale, mais –

— C’est un non, dans ce cas, coupa Xvim de son air imperturbable avant de fixer Zorian comme pour le mettre au défi de le contredire.

Fort heureusement, Zorian était bien trop sage pour se faire avoir par ce genre de ruses de la part de Xvim et ils se contentèrent de se fixer l’un l’autre pendant un moment en silence. Au bout d’un certain temps, Xvim brisa le mutisme d’un soupir trop dramatique pour la situation.

— Les mages, aujourd’hui… Toujours vouloir précipiter les choses en n’étant pas préparés… Je m’attends à bien mieux de toi. Il n’y a rien de mal à ce que tu t’intéresses à la magie de combat mais t’essayer immédiatement à la plus brillante, au sort du plus haut rang que tu puisses lancer, est stupide. Une boule de feu qui ne possède que la moitié de sa puissance n’est pas une boule de feu du tout. Tu devrais te concentrer sur la construction d’une base solide jusqu’à pouvoir la lancer correctement.

— Eh bien, dit calmement Zorian. Pourquoi ne pas me montrer comment faire, dans ce cas ?

Pour toute réponse, Xvim sortit un paquet de cartes de son tiroir et le lança vers lui. Zorian l’attrapa instinctivement avant qu’il ne percute sa tête, trop habitué aux petites manies de son mentor pour se laisser surprendre par l’initiative.

— Des cartes ? demanda-t-il en tournant le paquet dans ses mains.

Elles avaient l’air de cartes parfaitement normales, à l’exception des carrés, lignes, cercles et autres figures géométriques qui remplaçaient les images habituellement présentes.

— Des cartes, confirma Xvim. Précisément, des cartes faites dans un matériau qui absorbe le mana. Les runes que voici, dans les coins, rejettent tout mana que la carte peut absorber, le faisant radier dans son environnement proche. Il faut beaucoup de mana pour les affecter d’une quelconque façon.

— Et je vais les affecter ? supposa Zorian.

— Tu vas essayer, j’en suis sûr, lâcha Xvim nonchalamment en arrangeant inutilement l’ordre des crayons sur son bureau au lieu de regarder Zorian. Elles sont vraiment très difficiles à affecter pour des mages dont les compétences sont si volatiles que les tiennes. Pour couper court, tu vas tenter de brûler les formes dessinées sur ces cartes, et uniquement ces formes. Tu peux commencer dès que tu te sens prêt.

Zorian fixa les cartes pendant un moment. Il jugea comprendre quel était l’intérêt de l’exercice : il devait utiliser beaucoup de mana et il devait l’utiliser instantanément ou les runes dans les coins l’évacueraient simplement. C’était plus ou moins le défi de tout combat magique : façonner une grosse dose de mana rapidement sans détériorer la structure du sort.

 

Ainsi prit-il une profonde inspiration, choisit une carte simple : un cercle au milieu, comment pouvait-ce être plus facile ? Puis il y insuffla une dose conséquente de mana en tant que premier essai.

Les runes des coins brillèrent un peu et rien d’autre ne se passa.

Bordel. Ça allait être un peu plus compliqué que prévu.

 

___

 

Après avoir fait briller les runes plusieurs fois, après en avoir trop fait et incinéré quelques cartes dans la foulée – faisant roussir ses doigts en même temps – Zorian parvint finalement à marquer une forme floue d’une brûlure légère, clairement inspirée par le dessin au centre de la carte plutôt qu’un trou irrégulier carbonisé. De façon prévisible, Xvim n’eut que quelques paroles désobligeantes à ce propos.

Zorian finit par arriver à court de mana et dut arrêter. Quel genre d’exercice était si intense en mana qu’il épuisait toutes les réserves de celui qui s’y adonnait ? Les exercices à la Xvim, apparemment. Au lieu de simplement le renvoyer comme à son habitude, néanmoins, Xvim se mit à lui parler de la façon correcte de rassembler le mana ambiant. Il expliquait qu’il existait un moyen plus rapide de le faire, si vous restiez complètement immobile en ne faisant rien d’autre. Pas très utile, toutes choses considérées, mais probablement crucial s’il devait dominer l’exercice proposé par Xvim dans un temps raisonnable.

Puis, comme remarque d’au revoir, Xvim lui fit nonchalamment remarquer qu’ils allaient continuer leurs leçons le lendemain. Ce lendemain qui n’était même pas un jour de cours, chose qui n’avait pas l’air de déranger son mentor le moins du monde.

— Bien, conclut Xvim. Nous aurons toute la journée. Il va falloir du temps, d’après ce que j’ai vu aujourd’hui.

Ce n’était pas un cas isolé, cela dit. À partir de ce jour, Xvim insista pour voir Zorian sur une base quotidienne, monopolisant chaque minute de son temps libre. Pourquoi avait-il d’un seul coup décidé de faire ça ? Il n’interagissait habituellement jamais en-dehors des sessions prévues. Comme si Zorian pouvait savoir ! Par contre, c’était assurément très ennuyeux.

Les Aranea, d’un autre côté, faisaient face à leurs propres frustrations. Tenter de traquer le briseur de bouclier qui avait embauché Taiven et son groupe s’avéra plutôt facile mais l’atteindre était une autre paire de manche. En plus d’être très bon dans l’analyse et la destruction de protections magiques, l’individu n’était pas débutant dans l’autre sens et savait en créer des versions haut de gamme, en plus d’être un mage très capable. Les Aranea perdirent deux de leurs membres en essayant de l’espionner et finirent par abandonner l’idée dans cette boucle pour se concentrer sur d’autres choses.

Elles firent de leur mieux pour contrer les envahisseurs le soir du festival, bien entendu.

Les deux boucles suivantes furent plus ou moins identiques – les Aranea rassemblèrent des informations sur l’ennemi, demandant parfois à Zorian lorsqu’elles devaient interagir ouvertement avec quelqu’un, et entamèrent une campagne d’assassinats au sein des cultistes et autres collaborateurs, tous ceux qu’elles parvinrent à identifier. Zorian apprit la magie de combat, les arts de l’esprit Aranea et tenta de survivre aux leçons de Xvim sans lui démolir le nez. Tous leurs efforts cumulés portèrent des fruits de façon stable, l’invasion déraillant de plus en plus avec chaque boucle qui passait et la matriarche confiante en le fait que le troisième voyageur allait devoir se montrer bientôt.

La plus grosse surprise lui fut infligée lorsque Nouveauté lui affirma se souvenir de leurs interactions des boucles passées. Apparemment, la matriarche ne monopolisait pas le transfert de mémoire comme il le suspectait mais faisait passer les souvenirs de 6 Aranea au travers du temps. Nouveauté, étant devenue quelque chose comme l’entraîneur personnel de Zorian, avait été jugée suffisamment importante pour être inclue dans ce groupe d’élite, et la jeune araignée n’en était pas peu fière.

Par contre, Zorian sentit qu’il était temps de changer d’allure. Deux boucles successives emplies de Xvim étaient plus qu’il ne pouvait en tolérer et Taiven lui avait appris quasiment tout ce qu’elle savait sur la magie de combat de toutes façons.

Il frappa à la porte du bureau d’Ilsa et attendit qu’elle l’invite à y entrer.

 

___

 

— Bonjour, monsieur Kazinski, le salua Ilsa, un soupçon d’amusement dans la voix. Je ne m’attendais pas à vous voir avant vendredi. Je suppose que vous avez entendu quelques histoires à propos de votre mentor, n’est-ce pas ?

— Non, je sais déjà quel genre de personne est Xvim. Je ne suis pas ici pour ça, répondit Zorian. Non, je suis venu parce que je veux apprendre à me téléporter.

Ilsa cligna des yeux, surprise.

— C’est… plutôt ambitieux. Laissons de côté la raison pour laquelle je devrais prendre de mon temps pour vous enseigner ceci, qu’est-ce qui vous fait penser que vous êtes seulement capable de lancer un tel sort ? Même le plus simple des sorts de téléportations est très compliqué.

— C’est de bonne guerre, admit Zorian. Que diriez-vous d’une petite démonstration ?

— Mais avec plaisir, se mit à rire Ilsa de bon cœur en lui faisant signe de se lancer ; Zorian n’eut pas besoin de son empathie pour se rendre compte qu’elle était certaine qu’il ne l’impressionnerait pas.

Eh bien – défi accepté.

Chaque exercice de façonnage difficile, chaque sort compliqué qu’il avait appris durant les deux ans qu’il avait déjà passés à répéter ce même mois – il lui montra tout. Chaque tests écrit, chaque question qu’elle lui opposaient. Il les remplit toutes par des réponses parfaites. – parfois parce qu’il connaissait honnêtement la réponse, parfois parce qu’elle les lui avait déjà proposées à plusieurs reprises. Puis, tandis qu’elle surfait toujours sur la vague d’incrédulité sur laquelle il l’avait hissée, tandis qu’elle réalisait qu’il était assez talentueux pour être diplômé de l’académie dans la minute, il sortit plusieurs objets magiques de son sac à dos pour se mettre à expliquer les formules qu’il expérimentait. Bien qu’officiellement étrangère à cet art, Zorian savait qu’Ilsa en connaissait un rayon sur le sujet et qu’elle était capable d’apprécier la difficulté de ce qu’il lui mettait sous les yeux.

— Avec un tel talent, je suis surprise que vous n’ayez pas encore postulé pour un transfert vers un groupe de tiers 1, fit-elle remarquer lorsqu’il eut enfin terminé.

Ah, oui. Les fameux groupes de tiers 1. La réponse de l’académie aux étudiants trop avancés pour le cursus normal. Malheureusement, le prestige d’appartenir à l’un de ces groupes signifiait que de nombreuses personnes influentes faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pour y placer un de leurs enfants, ce qui voulait à son tour dire que les couts qui y étaient dispensés ne pouvaient pas être si avancés que ça par rapports aux cours normaux. Autrement, tous ceux qui y étaient par un arrangement quelconque lié à une puissance politique ne pourraient pas tenir la distance. Zorian avait entendu toutes sortes de rumeurs à propos de ces groupes, en bien, en mal, mais l’image générale semblait les voir construits d’enfants de nobles placés là dans un seul but d’ascension sociale et qui regardaient tous les autres de haut. Rien à quoi Zorian voulait prendre part.

— Je crois que je peux réaliser bien plus de choses en étudiant de mon côté, dit-il. Si je trouvais vraiment que les cours n’avaient rien à m’offrir, j’aurais déjà demandé à passer mon diplôme pour quitter l’académie.

— Ne soyez pas si pressé, l’avertit Ilsa. Je suis sûre que vous pourriez trouver les ressources de l’académie utiles pour une ou deux années de plus. Vous n’êtes pas si avancé.

L’académie n’aimait pas les étudiants qui la quittaient en cours de cursus. Publiquement, ils étaient fiers de leur capacité à aider même des mages adultes, alors que dire des enfants surdoués ? Être diplômé plus tôt signifiait que l’étudiant n’avait plus rien à apprendre de l’académie et ce simple fait été considéré comme un immense revers de la main dans leur fierté de la part de l’élève. Ils ne remboursaient pas non plus les frais avancés dans ce genre de cas.

L’un dans l’autre, Zorian ne prévoyait pas de se faire diplômer ainsi. Ça ne lui apporterait rien d’autre qu’une mauvaise relation avec l’académie. Pourtant, il avait toujours trouvé que placer quelques menaces légères dans des négociations aidait l’autre partie à le prendre un peu plus au sérieux.

Ilsa continua de réfléchir en silence pendant un moment, tapotant de manière rythmique son stylo sur un dossier empli de tests sur lesquels Zorian avait roulé avec facilité un peu plus tôt. Zorian ne l’interrompit pas, bien qu’il considérât ce silence comme un mauvais signe. Selon toute vraisemblance, cet essai allait une fois de plus être un échec et il devrait tenter une autre approche lors de la prochaine bouc –

— Très bien, voici mon offre, l’interrompit soudain Ilsa. Je deviendrai votre mentor en lieu et place de Xvim. Je vais vous instruire les aspects avancés de l’illusionnisme, l’altération, l’animation et la conjuration. Si vous m’impressionnez par votre dévouement, j’inclurai quelques cours sur la magie dimensionnelle dans cette liste et si vous vous montrez capable à leur propos… alors je vous apprendrai un sort basique de téléportation.

— Quoi ? réagit Zorian en clignant deux fois des yeux.

C’était bien plus que ce qu’il avait demandé ! Non qu’il s’en plaignait, mais…

— C’est bien plus que ce que j’espérais, avoua-t-il. Quel est le piège ?

— Eh bien, tout d’abord, j’attends de vous que vous deveniez mon assistant personnel, expliqua Ilsa. Cela fait deux ans que je tente d’en trouver un mais le principal refuse de payer un salaire et trouver une personne talentueuse encline à travailler gratuitement est étonnamment difficile. Quoi qu’il en soit, vous serez en charge de vérifier le grand nombre de tests et de devoirs que je reçois chaque jour et je pourrais bien vous demander également de me remplacer lors de certains cours de cette année. Ou toute autre tâche que je pourrais considérer indigne de moi, en fait.

Ennuyeux mais un prix correct à payer pour ce qu’elle offrait. En fait, tout ça avait étrangement l’air de…

— Et vous deviendrez officiellement mon apprenti, continua Ilsa en devançant ses pensées. Si je dois vous apprendre de la magie avancée et vous confier mon travail, je veux posséder un certain pouvoir légal sur vous.

…de quelque chose comme ça. Normalement, Zorian serait réticent à signer un contrat avec une personne qu’il connaissait à peine puisque le contrat signifiait principalement que le mentor pouvait rendre la vie difficile à son apprenti si celui-ci décidait de faire les choses contre son accord mais ce contrat allait durer jusqu’à la fin du mois alors merde.

— Oh, et vous prendrez la position de délégué de la classe pour votre groupe, lâcha soudain Ilsa.

Zorian grimaça. Non seulement s’agitait-il là d’un travail ingrat et horrible, mais c’était surtout un travail déjà pris.

— Akoja va être dévastée, grommela Zorian, se sentant un peu mal de lui voler son poste et encore plus parce qu’il ne le voulait pas.

Mais comment pouvait-il manquer une chance pareille ?

— Zorian, se mit à rire Ilsa, je te donne ce poste parce qu’elle n’en veut plus. Elle dit qu’elle le déteste, que tout le monde se moque d’elle à cause de lui et que je devais trouver quelqu’un d’autre. Malheureusement, je n’ai reçu aucune offre de remplacement. Pas d’une personne en qui j’ai confiance, en tout cas.

Elle regarda Zorian d’un air entendu.

— Vous êtes l’une des personnes qu’elle a recommandées pour la position mais je n’ai même pas perdu mon temps à vous poser la question. Tout ce que j’ai entendu à votre sujet suggère que vous n’auriez jamais accepté.

— Et vous aviez absolument raison, confirma Zorian, toujours un peu sous le choc.

Akoja ne voulais pas être déléguée ? Mais bon sang, elle vivait pour ça ! Et quoi qu’il en fut, si elle ne voulait pas le faire, pourquoi le faisait-elle de façon si dévouée ? Si Zorian était coincé à devoir faire un job qu’il n’aimait pas, il en ferait le moins possible et raterait même volontairement les choses afin qu’Ilsa le remplace au plus vite. Pourquoi Akoja ne le faisait-elle pas ?

— Vous aviez raison. La seule raison qui fait que j’accepte… c’est parce que votre offre est vraiment trop bonne.

— Alors marché conclu ? demanda Ilsa pour y mettre les formes.

— Oui, mais avant ça, j’ai une question et une condition, répondit Zorian. Premièrement, pourquoi voulez-vous m’instruire sur ces sujets en particulier ? Et deuxièmement, je veux apprendre le sort de téléportation avant le festival d’été.

— Je doute quelque peu que vous parveniez à maîtriser les prérequis de la téléportation en à peine moins d’un mois, opina Ilsa. Mais dans le cas hautement théorique où ce devrait être le cas, je n’ai aucun problème à accepter votre demande. Pourquoi être si intransigeant quant à un sort de téléportation ?

— C’est un peu mon rêve d’être capable de le faire, fit Zorian en haussant les épaules. Dans ma tête, la téléportation a toujours été l’un des exemples fondamentaux de ce qu’un mage puissant peut faire, et devrait être capable de faire.

— Intéressant. Par curiosité, quelles sont les autres choses que devraient être capable de faire un mage ? demanda Ilsa.

— Créer un champ de force, un objet magique, une boule de feu, réparer les objets brisés et se rendre invisible, lista Zorian. Je peux déjà faire les quatre premiers et le cinquième est illégal sans permis spécial.

Il travaillait déjà sur l’obtention d’un sort d’invisibilité de toute façon, mais elle n’avait pas besoin de le savoir.

Ilsa le regarda longuement d’un regard connaisseur et Zorian aurait pu jurer qu’elle lisait ses pensées s’il n’était pas confiant en sa capacité à détecter toute intrusion banale dans son esprit.

— Pour répondre à votre première question, j’ai choisi ces disciplines parce qu’elles font partie de ma spécialité, répondit Ilsa. Il est normal pour un apprenti d’acquérir les connaissances de son maître, n’est-ce pas ?

— Bien sûr, confirma Zorian. Je ne suis pas sûr de comprendre ce que toutes ces choses ont en commun, cela dit. Les spécialités ne sont-elles pas supposées être plus… spécialisées ?

— Eh bien… Lorsque j’étais un jeune mage, expliqua Ilsa, j’avais moi aussi un rêve. Spécifiquement, je désirais maîtriser la vraie conjuration.

— Comme dans… fit Zorian en clignant des yeux, la création de matière réelle à partir de rien ? N’est-ce pas un mythe ?

— C’est la position actuelle de l’académie, en effet, lui accorda Ilsa. Des sources qui remontent à avant le Cataclysme prétendent que des mages puissants pouvaient faire de telles choses mais tous les sorts permettant d’y parvenir ont été perdus et personne n’a jamais été capable de les recréer. De nombreux mages pensent qu’ils n’ont simplement jamais existé et que les anciennes archives inventent des choses ou les déforment. Peu importe. En tant que jeune mage, mon rêve était de recréer ces sorts et j’ai étudié tout ce que j’ai pu et que j’imaginais une étape vers ce but. La conjuration moderne implique essentiellement la création d’illusions solides alors il était naturel de commencer avec l’illusionnisme avant de progresser vers la conjuration. Ensuite, comme la conjuration demande de travailler la matière réelle, j’ai débordé mes recherches sur l’altération, et la fabrication d’objets.

— Et… avez-vous succédé ? demanda Zorian, curieux.

— Tout dépend de ta définition du succès, fit Ilsa en haussant les épaules. Mon but ultime était de créer un sort capable d’invoquer de la matière d’un autre endroit, sans que le lanceur de sort ait besoin de savoir d’où elle vient. Voilà comment j’imaginais comment les anciens Ikosiens pouvaient simuler la création de matière. J’ai plus ou moins réussi mais le sort que j’ai créé ne fonctionne que dans une pièce spécifiquement préparée et son coût en mana varie sauvagement selon ce qu’on cherche à invoquer. Et puis… il y a eu cet incident embarrassant avec la création d’or qui a fini par dérober des pièces anciennes à un musée proche

— Une histoire pour une autre occasion, reprit-elle en secouant la tête. Je dois aller donner un cours bientôt. Je vais préparer un contrat d’apprentissage et tu le signeras demain, alors assure-toi de passer quand tu as un moment.

 

___

 

Les cinq boucles suivantes furent à la fois rébarbatives et mouvementées. Mouvementées parce qu’il y avait toujours quelque chose à faire et rébarbatives parce que rien n’était réellement neuf. Zorian s’améliora progressivement dans diverses compétences, les Aranea s’adaptaient très rapidement à la façon de contrer les envahisseurs de façons variées et Zach avait l’air d’avoir finalement accepté que quelque chose de terriblement inhabituel se passait et qu’il n’en était pas la cause.

Les chances que Zach identifie Zorian étaient faibles, leur magnitude brute ayant tendance à noyer tout ce que Zorian pouvait faire de particulier. Les Aranea commençaient toujours le mois de façon très agressive, donnant de nombreux renseignements au département de police de Cyoria, assassinant quelques personnes et répandant même plusieurs rumeurs alentour. Il en résultait des changements déjà largement propagés dans la ville au moment où Zorian mettait les pieds dans la salle de classe pour la première fois. Changements qui affectaient les étudiants et les professeurs, évidemment. Zach ne suspectait apparemment pas Zorian d’en être la cause initiale, ni aucun autre camarade de classe d’ailleurs.

Zorian commençait à être d’accord avec Zach sur ce point – qui que fut le troisième voyageur, il n’était certainement pas parmi eux. Zorian avait, via diverses excuses, parlé à chacun de ses camarades et le fait qu’il eut passé cinq boucles dans le rôle du délégué l’y avait bien aidé. Il possédait donc une bonne base de connaissances, grâce à son empathie, sur les réactions des uns et des autres lorsqu’il laissait accidentellement échapper des phrases que seul le troisième voyageur pourrait interpréter, et il était plutôt certain désormais qu’ils n’étaient pas impliqués.

L’un dans l’autre, les choses se passaient plutôt bien pour lui. La dernière boucle avait été spécialement fructueuse pour autant qu’il pouvait le juger – il avait finalement réussi à apprendre le sort de téléportation d’Ilsa, Zach commençait à comprendre qu’il pouvait être malin au lieu de brutal pour contrer l’invasion et la dernière invasion, justement, avait échoué à conquérir le bâtiment principal de l’académie, dans lequel les étudiants s’étaient abrités : les Aranea avaient réussi à influencer les dirigeants de l’académie afin qu’ils ajustent leurs schémas défensifs.

Mais la matriarche s’impatientait. Quelque chose la rendait de plus en plus nerveuse à mesure que les boucles passaient et elle refusait d’en parler, donnant des excuses vaseuses à chaque fois qu’il lui posait la question. Elle semblait concentrer la plus grande partie de son énergie sur un projet personnel, qu’elle décrivait comme une collecte d’informations et le suivi d’une piste et les résultats qu’elle en obtenait la perturbaient clairement. Zorian la suspecta d’avoir découvert une information vitale à propos de la nature de la boucle temporelle et pour une raison qu’il ignorait, elle refusait de la partager avec lui. Il était honnêtement amer à ce propos ; qu’est-ce qui pouvait être encore plus perturbant que tout ce qu’ils savaient déjà à propos de ce phénomène ?

Néanmoins, la matriarche insistait sur la nécessité de trouver le troisième voyageur temporel, et plus tôt que tard. Une fois que Zorian lui eut confirmé qu’il ne se trouvait pas dans sa classe, elle se montra convaincue qu’il n’était, comme Zach, même pas présent à Cyoria la plupart du temps. Selon toute vraisemblance, il se contentait de donner des informations cruciales à l’envahisseur au début des boucles avant de s’en aller s’occuper de ses affaires, ailleurs. S’ils voulaient attirer son attention, l’invasion allait devoir faire plus que capoter : elle allait devoir faire un flop spectaculaire.

Ainsi, la matriarche établit son plan pour la boucle suivant, un plan qui serait définitivement bien difficile à ignorer…

Raka
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13 thoughts on “MoL : Chapitre 23

  1. Merci beaucoup pour cette traduction de qualité.
    Ce sont les chapitres que j’attends le plus sur le site !

    Pour ceux qui comme moi :
    – attendent avec impatience le mardi soir (ou le mercredi matin comme aujourd’hui ^^)
    – aiment les univers à la « Harry Potter » (école de magie, boucles temporelles et araignées géantes… oui, il a beaucoup de points communs !), mais avec des personnages intelligents et sensés (là, HP a quelques défauts majeurs ^^)

    Je vous recommande la fan fiction « Harry Potter et les Méthodes de la Rationalité » (terminée et déjà traduite en français) :
    https://www.fanfiction.net/s/6910226/1/Harry-Potter-et-les-M%C3%A9thodes-de-la-Rationalit%C3%A9

    Vous passerez un très bon moment de lecture !

  2. Merci beaucoup pour la traduction, c’est un de mes Novel préfèré ^^. Mais j’ai été surpris que tu reprennes la traduction depuis le début alors que sur Eden la traduction est arrêté à partire du chapitres 38. Pourquoi ne pas reprendre jusqu’à la comme pour Rebirth ?

    1. Parce que si c’était plutôt dans un Français agréable à lire, le côté traduction en lui-même laissait à désirer. Il y a des tas d’expressions, de rythmiques, de caractères des personnages, etc, qui ne sont pas bien retranscrits.

      Alors j’ai tout repris.

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