MoL : Chapitre 40
MoL : Chapitre 42

Chapitre 41 – Des motivations contradictoires

 

Le début du moins ne différa en rien des autres – il prit le train avec Kirielle, l’amusa avec quelques tours de magie et une version embellie de ses aventures afin de passer le temps et discuta même avec Ibery pendant quelques temps. Mais pas trop, non plus – elle ne s’intéressa pas terriblement à lui, cette fois, car il s’était hâté de terminer de raconter ses histoires à Kirielle avant son arrivée à Korsa et ne fit pas montre d’un quelconque talent en magie tandis qu’elle se trouvait dans le compartiment.

— Nous y sommes, dit Zoeian en descendant du train, aidant Kirielle à faire de même avec ses bagages – elle était mignonne à dire qu’elle voulait porter sa valise toute seule, mais il savait que cette résolution ne durerait pas et qu’il aurait bientôt l’occasion de cesser de jouer le jeu. Je souhaite à ma sœur préférée la bienvenue à Cyoria.

— Je suis ta seule sœur… répliqua-t-elle, les yeux dansant entre tout ce que la gare avait à lui offrir.

— Alors tu sais que je dis la vérité, lâcha Zorian.

Kirielle l’ignora en faveur des couleurs des devantures de boutiques, de l’énorme horloge qui pendait au plafond de la gare et de la masse humaine qui grouillait dans les lieux. Pour dire vrai, elle encaissait la nouveauté bien mieux que l’avait fait Zorian, la première fois qu’il avait débarqué à Cyoria.

— C’est énorme, conclut-elle au bout d’un instant.

— Cyoria est une grande ville et un important croisement, répondit simplement Zorian. Il y a beaucoup de trafic, c’est normal.

— On peut visiter un peu ? demanda-t-elle.

— Tu veux dire faire les boutiques à la recherche de babioles inutiles ? suggéra Zorian, ce qui lui valut une moue boudeuse. Bien sûr qu’on peut. Je ne t’achète qu’un souvenir, par contre, et rien de trop ridicule.

— Que qualifies-tu de trop ridicule ? s’enquit-elle aussitôt en anticipant avec avidité ce qu’elle allait découvrir dans cette boutique, et puis dans celle-là également, et que dire ce celle-ci ?

— Utilise ton bon sens, soupira Zorian – il n’allait certainement pas commencer à jouer sur les mots avec elle.

— Et si je ne suis pas sûre à propos de quelque chose ?

— Demande.

Il pourrait probablement acheter tout ce sur quoi elle poserait les yeux, spécialement en sachant qu’il allait recevoir beaucoup d’argent quelques jours plus tard, mais il ne voyait pas comme une excellente idée de l’encourager ainsi à l’excès. Kirielle n’avait jamais été très encline à la restriction et il n’osait même pas penser à ce qu’elle pourrait faire s’il lui disait qu’il cèderait à la moindre de ses envies. En vérité, il en frissonna.

Pendant une heure et demi, Zorian se contenta de suivre Kirielle tandis qu’elle gambadait d’une boutique à l’autre comme un papillon drogué, suivant un circuit qu’elle était la seule à pouvoir discerner. Mais il ne chercha pas à comprendre – il passa ce temps à utilise son sens spirituel et à mettre en ordre les informations qu’il recevait de la foule autour de lui. Les masses humaines denses et hautement mobiles comme celle de la gare de Cyoria tendaient à ruiner ses capacités mentales, à en réduire le retour à un imbroglio d’émotions confus et incompréhensible, d’étranges signaux et de pensées sans aucun sens. Avec le temps, il devenait meilleur pour choisir un esprit particulier dans ce brouillard de fond, cela dit. Il répéta la procédure en s’accrochant constamment à celui de Kirielle, la considérant comme une espèce d’ancre télépathique avant d’essayer de choisir quelques esprits dans la foule, de tenter de s’y accrocher également sans perdre Kirielle. C’était un travail lent et ennuyant mais il commençait à en avoir vraiment assez de devoir éteindre son sens spirituel à chaque fois qu’il croisait une foule.

Elle finit par choisir une boule à neige. Alors oui, c’était une très jolie boule à neige – la petite maisonnette et les arbres étaient incroyablement détaillés et réalistes, presque comme si quelqu’un avait réellement réduit un vrai paysage par magie même si l’objet n’avait rien de magique et le globe de verre était vendu pour un prix… pour un prix. Mais c’était toujours mieux que ce à quoi Zorian s’était attendu et il l’acheta sans se plaindre. L’esprit perdu dans son entraînement, il se demanda si ses compétences en altération étaient assez bonnes pour produire ce genre d’objet…

La chasse au souvenirs terminée, ils partirent en direction de la place principale et de la fontaine, tout comme ils l’avaient fait précédemment. Cette fois cependant, Zorian partit immédiatement en direction du parc dans lequel une fillette pleurait sa bicyclette – ils n’avaient vraiment pas besoin de rencontrer les rats. Au contraire, c’était un risque inacceptable, l’esprit de Kirielle était totalement libre d’accès et il existait toujours la possibilité que les rats pussent découvrir quelque chose digne d’intérêt dans ses pensées.

Il s’avéra que ce fut un changement plutôt important. N’ayant pas vu les rats, Kirielle ne put pas en parler à Rea et le sujet ne se présenta simplement pas. Apparemment, il avait grandement sous-estimé à quel point il avait perturbé Rea la fois passée, parce que n’avoir rien dit quant aux terrifiants pouvoirs de télépathie des rats la rendit bien moins nerveuse… ainsi que bien plus insistante, elle voulait qu’ils restent.

Il laissa Rea et Kirielle le convaincre de retarder leur départ. Pour autant qu’il pouvait l’affirmer, c’était le meilleur moment pour découvrir quoi que ce fût dans l’esprit de Rea, avant qu’elle eût le temps de le suspecter, et il avait absolument l’intention de presser l’orange pour en tirer jusqu’à la moindre goutte.

— Étudiant de l’Académie Royale de Magie ? Plutôt prestigieux que d’étudier en un tel endroit pour un garçon d’une petite ville rurale, si je puis me permettre, remarqua Rea. Non qu’il y ait quoi que ce soit de mal de venir d’une petite ville – nous en sommes nous-mêmes, après tout – mais cette académie n’accepte-t-elle pas uniquement les… ah…

— Seuls les très talentueux et pistonnés ? supposa Zorian.

C’était ce que la plupart des lointaines gens qui n’étaient pas personnellement impliqués pensaient. Voyant Rea acquiescer, il continua.

— Pas vraiment. Le processus d’admission est un ensemble. Votre score aux examens d’entrée, une recommandation éventuelle d’un membre de l’administration ou quelqu’un d’assez célèbre, vous pouvez être accepté d’office si vous vous refuser l’entrer pouvait offenser quelqu’un d’important… De base, tant que vous pouvez payer les frais et être assez bien placé dans les examens d’entrée, vous pouvez y aller, c’est presque garanti.

— Est-ce ainsi que vous avez été accepté ? demanda Rea avec curiosité.

— J’étais dans le top 50, si l’on se base sur les résultats de l’examen d’entrée, dit fièrement Zorian – il était 48ème mais il n’allait pas en faire mention, quand même.

— Mon frère a beaucoup de talent, s’imposa Kirielle. Mais, euh, ils l’ont probablement aussi accepté grâce à notre frère Daimen. En tout cas, c’est ce que dit maman.

— Quoi ? s’étonna Zorian, plus choqué que surpris.

— Euhhh… bafouilla Kirielle tout bas. S’il te plaît, ne sois pas fâché parce que maman m’a dit de ne pas te le raconter, parce que tu te fâcherais avec moi mais elle a dit que toi et Fortov avez uniquement été acceptés parce que Daimen est si grand et puissant et a du succès et…

— Daimen n’a rien à voir avec ça, fit Zorian en grinçant des dents. J’ai réussi à obtenir des résultats, si bons que mon admission n’a jamais été remise en question ! Mère est, comme toujours, encline à croire que tout ce qui arrive de bien est dû à lui et elle nous met sur le dos tout ce qui –

— Je vous crois, monsieur Kazinski, l’interrompit Rea. Calmez-vous. Il n’y a pas de raison de sauter à la gorge de votre sœur ainsi.

— C’est vrai, pardon, dit Zorian avec beaucoup plus d’amertume qu’il le désirait.

Un silence court et dérangeant s’abattit sur la pièce. Parfait. Super, vraiment un joli coup, Zorian. Bravo.

Bordel, pourquoi avait-il laisser ça l’énerver à ce point ? Il valait mieux que ça !

— Ainsi, je suppose que votre frère est Daimen Kazinski ? demanda finalement Rea. Le fameux ?

— Oui, soupira Zorian. Le fameux.

— Attends, ton autre frère est célèbre ? demanda innocemment Nochka à Kirielle. Il a fait quoi ?

— Des trucs, répondit Kirielle en haussant les épaules, mal à l’aise et ne désirant rien dire de plus sur le sujet ; probablement pour ne pas agresser encore plus son frère.

— Daimen est un archéologue aventurier, expliqua Zorian, faisant de son mieux pour réprimer son agacement. Il conduit des expéditions dans des zones dangereuses à la recherche d’artefacts perdus et de ruines oubliées. Ou même des plantes rares et des créatures magiques, bien que ce soit théoriquement en-dehors du rôle d’un archéologue. Il réussit extrêmement bien et ça lui permet de recevoir beaucoup d’attention de la part des gens.

Et voilà. C’était une explication sommaire et incomplète, certes, mais pas vraiment erronée ou guidée par l’amertume. En espérant que ça suffirait.

— Je n’ai pas entendu parler de lui depuis plus d’un an, maintenant, nota Rea.

— Il est en Koth, dit Zorian. Apparemment, il a trouvé quelque chose de très important dans la jungle, mais il est très secret par rapport à ça. Je suis sûr que vous en entendrez parler quand il décidera de révéler tout ça au monde entier.

Heureusement, la conversation partit dans une autre direction à ce moment. Zoiran décida de tirer avantage de la nature plutôt personnelle des questions de Rea pour lui en poser au sujet de ses affaires à elle. Son histoire était techniquement identique à ce qu’elle lui avait déjà raconté, mais ses pensées de surface furent nettement plus simples à lire cette fois, avec l’absence du besoin de se protéger de rats capables de les déterrer en profondeur.

Et ses pensées lui racontèrent une histoire intéressante. D’une part, Sauh n’était pas un ailuranthrope. Rea et Nochka l’étaient, mais pas lui. Rea avait été une criminelle avant de le rencontrer et de décider de laisser cette vie derrière elle pour pouvoir vivre avec lui. C’était… romantique. Sauf que ni les anciens associés de Rea ni le reste des habitants de sa ville n’étaient d’accord pour la laisser enterrer ce passé troublant, et la famille finit par rassembler ses affaires pour partir en quête d’un endroit où personne ne les connaissait et où ils pourraient tout recommencer à zéro. Un endroit où leur fille pourrait grandir sans voir le passé de sa mère saboter sa vie à la moindre occasion.

Bordel, il commençait à vraiment se sentir bouillir de rage en pensant à ce que le culte avait prévu pour eux… Il ne pensait pas pouvoir regarder une fois de plus les parents de Nochka se faire assassiner froidement et elle-même se faire kidnapper. Bien que, s’il y repensait, ce ne fût pas un problème particulier dans cette boucle : ses talents n’étaient pas suffisants pour lire les pensées des cultistes de haut rang même s’il les trouvait en suivant les mouvements de Nochka. Et qui avait dit qu’il serait même capable d’empêcher l’enlèvement, déjà ? Ce n’était pas comme s’il disposait d’un plan sans faille pour le prévenir, après tout – s’il prenait place selon un schéma différent cette fois, il devrait techniquement surveiller la famille Sashal jour et nuit pour l’intercepter.

Il décida de mettre son plan original de côté pour l’instant, en attendant de voir la façon dont les choses allaient se développer. Qui sait, peut-être que la boucle précédente était un manque de chance et que les cultistes ne kidnappaient pas Nochka de façon régulière. Il allait malgré tout placer un traqueur sur elle, juste au cas où…

Le temps qu’ils eussent fini de parler, la pluie emplissait déjà le monde. Rea tenta d’insister pour qu’ils attendissent que le temps se calme mais Zorian savait que ça n’allait pas arriver de sitôt et refusa. Il s’enveloppa ainsi que sa petite sœur d’un bouclier anti-pluie et fit ses adieux à la famille Sashal.

Il considéra ce trajet comme une preuve de ses compétences grandissantes, trajet qui les vit arriver secs chez Imaya, le bouclier n’ayant consommé qu’une toute petite partie de ses réserves de mana.

 

___

 

Les jours suivants ne furent que routine. Il fit le plein de cristaux de mana, les vendit dans diverses boutiques pour de grandes quantité de liquidités, accepta l’offre de Taiven et vérifia si ses notes mentales avaient survécu à la réinitialisation – ce qui était ben et bien le cas.

Avec le début des cours qui arriva le lundi, cependant, Zorian décida de sortir un peu de sa zone de confort pour initier le contact avec l’un de ses camarades de classe. Spécifiquement, Raynie. Il enquêtait actuellement sur les métamorphes, après tout, et elle était supposée être une lycanthrope… Peut-être connaissait-elle quelques informations cruciales ? Il ne ferait pas mal de lui demander.

Il y avait un gros problème évident avec cette idée, cela dit. Raynie recevait énormément de lettres d’amour et d’invitation de la part de ses fans et s’imaginerait très probablement que sa tentative pour l’approcher serait juste du même acabit. Et elle n’était intéressée ni par les histoires de cœur ni même par de simples rendez-vous galants, elle l’avait clairement fait comprendre au fil des années. Comment pourrait-il s’assurer que sa tentative à lui ne passerait pas pour ce qu’elle n’était pas ?

Il agonisa pendant une journée entière, se demandant quelle méthode il devait employer pour l’approcher, mais… il décida qu’il était parfaitement stupide. Et puis quoi, si elle se faisait des idées ? Même si elle rejetait catégoriquement tout homme tentant de lui faire des avances, elle se montrait toujours polie et très courtoise… sauf cette fois-là, lorsqu’elle avait envoyé une mandale à ce type, mais tout le monde savait qu’il avait été très pressant et plus que malpoli avec elle. Au pire, il pourrait l’approcher directement avant les cours et lui proposer une petite conversation, que pouvait-il arriver ? Elle pourrait simplement la lui refuser sans entendre ce qu’il avait à dire. Ce n’était guère la fin du monde, et avec la boucle temporelle en place, il aurait toujours une autre occasion de s’y essayer autrement.

Le pire n’arriva pas, néanmoins. Le lendemain, quand Zorian lui demanda s’il pourrait avoir son attention quelques minutes après les cours, Raynie lui accorda un soupir et leva rapidement les yeux vers le plafond, comme si elle demandait aux dieux ce qu’elle avait fait pour mériter ça, avant de lui accorder quelques instants.

Les cours se déroulèrent banalement et prirent fin, et la salle se vida progressivement jusqu’à ce qu’il ne restât que Zorian, Rayine et Kiana. Pourquoi Kiana restait-elle ? Bordel, sa présence n’était clairement pas anodine et il décida de ne pas en faire mention. Kiana savait-elle que son amie était une métamorphe ? Sinon, aborder le sujet devant elle ne serait sans doute pas au goût de Raynie.

C’était contraignant.

— Désolée pour ça, fit Raynie, je sais que tu voulais sans doute que ça reste privé, mais Kiana a insisté pour rester, et, eh bien…

Elle haussa les épaules, impuissante. Elle avait l’air sincèrement navrée et s’il avait été incapable de ressentir les vrais sentiments des gens, il aurait même pu la croire sur parole. Il jeta un coup d’œil vers Kiana, et elle se tendit légèrement en retour en lui offrant une petite grimace. Probablement essayait-elle de paraître plus intimidante que sa nature le lui permît… Ses vraies émotions relevaient de l’impatience et de l’ennui – pour elle, c’était sûrement une corvée que d’assister à cette confession avant de pouvoir s’en aller avec son amie.

Zorian faillit laisser craquer un sourire face à ce duo. Le truc comique, c’était que s’il devait demander à quelqu’un de l’accompagner un temps sur les chemins de la vie, ce serait Kiana et non Raynie. Il avait déjà plus ou moins les yeux sur elle depuis bien avant toute cette histoire de boucle temporelle, d’une façon quelque peu floue, comme un rêve un peu inconscient. Une partie de lui désirait se confesser immédiatement à Kiana, juste pour voir comment les deux filles réagiraient à ce développement soudain.

Mais non, ce ne serait amusant que pour un court instant et il devrait vivre avec le drame créé pendant tout le mois. Il n’avait pas besoin de ça. D’ailleurs, il n’appréciait Kiana que pour des raisons obscures, principalement physiques – il sentait qu’elle était simplement tout aussi belle que Rayine et préférait ses cheveux noirs au roux flamboyant de Raynie. C’était vraiment tout. Pour ce qu’il en savait, sa personnalité pouvait parfaitement être atroce ou magnifique.

— Si sa présence te convient, alors ça me va, conclut Zorian. Cela dit, puis-je ériger une bulle d’intimité autour de nous ? Neolu et compagnie sont de l’autre côté de la porte, à tenter de nous espionner et je pense que nous serons tous heureux – toi spécialement – si ce beau monde n’apprend pas ce dont nous allons parler.

— Ugh, grogna Raynie en se levant pour se diriger vers la porte. Pas besoin de ça. Je reviens tout de suite.

Grâce à son sens spirituel, Zorian put sentir les quatre signatures mentales des curieux qui s’enfuyaient à toutes jambes à l’arrivée de Raynie. Ils étaient déjà presque au bout du couloir quand elle arriva à la porte pour les regarder s’enfuir et revint tout aussi rapidement.

— Bien, commença-t-elle. Maintenant que la brigade de choc a disparu, on peut enfin en finir avec tout ça. De quoi désirez-vous me parler, monsieur Kazinski ?

— Est-ce que Kiana sait ce qu’est un métamorphe ? demanda Zorian abruptement.

Bien sûr, qu’elle savait, si sa réaction choquée était d’une quelconque indication.

— Quoi ? balbutia Raynie. Comment sais-tu ce que… ?

— J’ai demandé à un érudit du nom de Vani de me parler des métamorphes et –

— Vani de Knazov Dveri ? le coupa Raynie. N’es-tu pas supposé être de Cirin ?

— C’est le cas, confirma Zorian. Mais ça ne veut pas dire que je n’ai pas le droit de visiter Knyazov Dveri de temps à autre. J’y ai des amis, après tout.

— Bien sûr, bien sûr, soupira Raynie. Écoute… Zorian. Je le garde secret pour une raison.

— C’est pour ça que j’ai demandé si Kiana savait, acquiesça-t-il.

— Je sais, s’invita l’intéressée en croisant les bras. Et je vais être charitable et imaginer que tu vas toi aussi le garder secret, bien que tu sois ami avec cette pipelette de Benisek, tout comme je l’ai gardé secret moi-même. Alors que veux-tu exactement de Raynie ?

— J’ai fait la connaissance d’un couple d’ailuranthropes et je voulais entendre une opinion extérieure, celle d’un autre métamorphe, à propos de certaines choses, expliqua Zorian. Je me disais que je pourrais aussi bien demander à Raynie et voir si elle accepterait de répondre à quelques questions.

Les deux filles digérèrent l’information dans un bref silence.

— Je… Euh… C’est un sujet bien trop sensible pour un interclasse, décida Raynie. Notre prochain cours va déjà commencer.

— Eh bien, oui, confirma Zorian. Pas besoin que ce soit maintenant et ici. Je voulais juste savoir si tu voudrais bien m’aider.

— Je pourrais bien, dit-elle sur un ton un peu dérisoire. Mon souci principal à propos des métamorphe, tu dois t’en douter, a toujours été la nécessité de cacher aux gens ce que je suis. Mais on dirait que l’information a déjà filtré, au moins te concernant. D’ailleurs, si tu traînes avec des chats, je dois te prévenir : je ne veux pas les offenser mais les ailuranthropes tendent à être des personnages assez…

— J’ai entendu des rumeurs à leur propos, la rassura Zorian. Alors, comment allons-nous faire ?

— Je ne sais pas, admit Raynie. Je vais y réfléchir. Tu m’as prise au dépourvu le plus total, avec cette histoire. Je m’attendais à entendre une confession de plus. Je te préviendrai lorsque j’aurai décidé du lieu et de l’heure.

— Ne nous contacte pas, rajouta Kiana. Attends que nous le fassions.

Ainsi, ils arrivèrent déjà à cours de temps libre et terminèrent ce rendez-vous galant pour se précipiter vers leur prochain cours. Par-dessus tout, Zorian était totalement satisfait de cette conclusion… même si les regards et les chuchotements de ses camarades prédestinait déjà la naissance d’une certaine rumeur dont, il était sûr, aurait des conséquences à déterminer.

 

___

 

Raynie ne sembla pas être pressée d’organiser ce fameux rendez-vous, mais Zoiran ne lui en tint pas rigueur. Ce n’était rien d’urgent et il avait des choses à faire pour l’occuper entre temps.

Actuellement, l’une de ces choses concernait la mise à sac totale du campement Aranea afin d’y trouver le moindre indice sur l’endroit où elles gardaient leurs trésors. Il n’avait pas eu beaucoup de chance pour l’instant, mais il ne s’attendait pas à tomber dessus aussi facilement – ce serait une salle du trésor sacrément inutile si une simple journée de recherche permettait d’en percer les secrets.

Zorian erra dans les tunnels de la colonie, son sens spirituel en quête de la moindre Aranea survivante ; et il n’en trouva aucune. Les tunnels des Aranea étaient d’un silence de mort, les corps des araignées géantes dispersées à droite et à gauche, imperturbables et à l’abri des charognards grâce aux barrières de protection que les Aranea avaient placées sur leur colonie. Occasionnellement, il ressentait une signature mentale, mais à chaque fois qu’il s’en approchait, il s’agissait d’un monstre du donjon qui tentait de passer outre les protections magiques d’une manière ou d’une autre ou l’un des mâles survivants.

Non que ceux-ci étaient totalement inutiles – bien que non-sapiens, ils représentaient malgré tout ce qu’avaient été les Aranea, même s’ils n’en possédaient pas les défenses mentales. Zorian s’assura de capturer tous ceux qu’il croisait afin de plonger dans leur esprit à la recherche de la cachette qu’il cherchait – plus par désir d’entraîner sa manipulation de la mémoire sur une espèce semblable aux Aranea que par pur espoir d’y trouver quelque chose.

Bien qu’il dût avouer que les mâles étaient bien plus malins que ce que les Aranea avaient prétendu – ils étaient plus proche, niveau intelligence, du corbeau ou du cochon que d’animaux plus stupides comme le cheval ou le chien. Trois d’entre eux travaillaient même ensemble afin de le prendre en embuscade et Zorian ne put éviter que de justesse de se faire mordre par l’un d’entre eux.

Les Aranea n’étaient que venimeuses s’il en croyait ce qu’on lui en avait dit, mais il n’allait pas non plus tenter le destin ainsi.

— Merde, jura-t-il : rien, pas même un indice sur l’endroit où il devait chercher ensuite. C’est bon, j’en ai marre, j’arrête pour aujourd’hui. Kael, tu as terminé avec ton examen ?

Kael leva les yeux du corps immobile et rétracté de quelque Aranra malchanceuse, son esprit laissant gentiment tourner les engrenages, lui permettant de redevenir un être vivant capable de tenir une conversation.

— Hmm ? Oh, ça, maugréa-t-il. Oui, je les ai analysées pour y trouver des relents de magie de l’âme il y a un moment déjà. Et il n’y en a trace. Rien du tout, rien, et ça m’effraye sincèrement. Si tu ne m’avais pas dit ce qui s’était passé, j’aurais juré qu’il s’agissait de marionnettes de chair très sophistiquées et exemptes d’âmes, pas de créatures intelligentes dont les âmes ont été, d’une manière ou d’une autre, extraites. Je viens de terminer un examen médical plus approfondi, néanmoins. Et il n’y a pas moyen que ce soient des marionnettes. Je suis perplexe. Tout ça n’a l’air d’aucun effet de sort de l’âme dont j’ai un jour entendu parler.

Merde. Il espérait vraiment que Kael fût capable de découvrir quelque chose.

— Tu ne peux vraiment rien me dire d’autre ? le pressa Zorian. Quoi que ce soit ?

— Non. Enfin, peut-être, hésita Kael, provoquant une illumination dans les yeux de Zorian qui l’incita à continuer. Mes analyses médicales montrent que ces araignées sont effectivement mortes le premier jour de ce mois, elles sont mortes vers deux heures du matin.

— Ah, je vois où tu veux en venir, dit Zorian après une courte pause. Ça implique que la boucle démarre presque six heures avant que je m’éveille.

— Oui, confirma Kael. Je ne suis pas sûr que ce te soit très utile, mais c’est intéressant.

— Très intéressant, en effet. Et peut-être même utile. Spécialement si je peux me forcer à ouvrir les yeux au tout début de la boucle plutôt qu’à l’heure habituelle.

Kael acquiesça avant de vérifier soudainement sa montre à gousset.

— Ah, je n’ai même pas réalisé que tout ce temps s’était déjà écoulé. J’ai promis à Kana de l’emmener au parc, aujourd’hui. Penses-tu que nous pourrions –

— Oui, accepta Zorian de manière préemptive. C’est pour ça que je t’ai interrompu, en premier lieu. J’en ai assez de cet endroit pour aujourd’hui. Rassemble tes affaires et je nous renvoie à la surface.

Cinq minutes plus tard, Kael et Zorian se téléportèrent vers la grande pierre qui servait d’ancre de retour, dans le sous-sol de la maison d’Imaya. Ce sort de retour était rapidement devenu l’un des favoris de Zorian grâce à sa capacité à traverser toutes sortes d’interférences magiques et de barrières anti-téléportation.  Il aurait encore mieux apprécié s’il avait pu conserver un lien avec toutes les ancres créées, si le coût en mana n’en était pas devenu exorbitant et permanent… mais on ne pouvait pas tout avoir. Il souhaita une bonne fin de journée à Kael qui avait ses propres affaires à régler et sortit à la rencontre de Kirielle.

Il la trouva dans la cuisine, à raconter des histoires à Imaya tout en jouant avec le golem miniature qu’il avait fabriqué rien que pour elle. Etonnement, personne ne s’était aventuré à faire remarquer – ou simplement réaliser – le prix que devait coûter un tel jouet. Pour eux, il s’agissait sans doute d’un vulgaire jouet magique, et personne ne songea une seconde au talent qu’il fallait pour le fabriquer.

Pour Zorian, cependant, ce petit golem était des plus spéciaux, et pour une raison bien particulière : il en avait créé le schéma lors de la boucle précédente.

Bien qu’il eût dépensé beaucoup de temps à faire joujou avec la formulation et la création d’objets magiques au travers des boucles successives, il avait toujours été, en vérité, réticent à l’idée d’y consacrer trop de temps parce qu’il devait alors recréer les schémas et plans à chaque fois, de mémoire. Tandis qu’il s’agissait d’une bonne chose dans un sens car elle lui forçait à réévaluer et raffiner ses créations à chaque fois au lieu de se baser sur des dessins existants, en réalité, il s’agissait d’une immense perte de temps de devoir tout réécrire à chaque fois de zéro. Il s’était alors limité à des projets plutôt simples et maintenant qu’il pouvait transférer ses connaissances au-delà d’une fin de boucle, il était libéré de toute limitation et pouvait réellement commencer à progresser dans le domaine.

Il salua Imaya, annonça son retour, et se tourna vers sa petite sœur.

— Salut, Kiri, lui dit-il. Tu es prête pour ta leçon de magie ?

— Oui ! s’écria-t-elle avec enthousiasme.

— Alors, ça veut dire que tu as bien lu les trois premiers chapitres du livre que je t’ai donné ?

— Euh… Ouais, acquiesça-t-elle, bien moins sûre d’elle. Je, eh, j’en ai peut-être sauté quelques parties.

Zorian la regarda, un regard silencieux qui lui disait Je sais, tu sais, on sait. Il sentait que s’il l’interrogeait sur sa lecture, il découvrirait qu’elle avait sauté bien plus que quelques parties.

— Très bien, dit-il en posant un petit cube noir sur la table. Ceci est un cube d’absorption du mana. Sa fonction est très simple – il absorbera le mana que tu émettras, après quoi les lignes gravées là vont se mettre à luire. Ça a l’air inutile, je sais, mais les mages débutants comme toi ont toujours des problèmes pour ressentir leur propre flux de mana et ne peuvent pas déterminer si leurs efforts mènent à des résultats. Ce cube va t’aider à te concentrer sur ta cible. Plus tard, quand tu sauras extraire le mana de ton corps de façon fiable, nous pourrons avancer vers l’exercice suivant, nourrir le cube volontairement afin de travailler ton contrôle…

Kirielle attrapa le cube prudemment, comme s’il alla la mordre, et se mit à suivre du doigt les lignes tracées à sa surface.

— Tu as aussi appris en utilisant un de ces trucs ? demanda-t-elle. Je pensais que tu l’avais fait à l’aide de l’une des billes de verre que tu as ramenées avec toi à la fin de ta deuxième année.

— En effet, mais j’ai découvert plus tard que ces choses n’étaient pas tout à fait le meilleur outil pour ce qu’on leur demande de faire, expliqua Zorian. Produites en masses avec un œil sur le coût de fabrication plutôt que sur l’efficacité maximale. Ce cube est un peu plus avancé que ça.

— Oh, lui lâcha-t-elle, l’air parfaitement surpris. Il… t’a coûté cher ?

Techniquement… Eh bien, Zorian avait produit ce cube lui-même mais il était vrai que les matériaux n’étaient pas tout à fait bon marché…

— Oui, mais ne t’inquiète pas pour ça, dit-il en balayant la question de la main. Je me moque de dépenser un peu d’argent pour ça, tant que tu considères tes cours avec sérieux. Et… Kirielle ?

— Ouais ?

— Il faut vraiment que tu lises ces trois chapitres pour la prochaine fois. Et j’apprécierais un peu plus d’honnêteté, à l’avenir.

Au moins, elle eut la décence de rougir de honte en silence.

 

___

 

La première semaine du mois fut un succès pour Zorian. Oui, il ne parvint pas à trouver le trésor Aranea, mais tout le reste se passa à merveille.

Robe Rouge négligeait une fois de plus de donner des informations à l’envahisseur et ils s’organisaient déjà aussi nullement qu’ils l’avaient fait la fois passée. C’était la deuxième fois qu’il agissait ainsi, et ce n’était qu’en prenant en compte les deux boucles durant lesquelles Zorian avait été à nouveau présent à Cyoria. Pour tout ce qu’il pouvait dire, ça avait peut-être démarré bien plus tôt que ça – Robe Rouge avait-il complètement abandonné son camp après leur confrontation ? C’était plus qu’étrange si l’on considérait à quel point il leur avait été dévoué auparavant. Peut-être qu’il le faisait principalement pour occuper Zach et masquer les contrecoups de ses propres actions ? Si c’était le cas, le fait qu’il s’était révélé à Zach aurait rendu tout ça inutile…

Quelle qu’en fut la raison, Robe Rouge était absent, et son absence rendait les choses vraiment faciles pour Zorian. Au moment où il réalisa que son ennemi invisible avait à nouveau laissé tomber l’envahisseur, il lança immédiatement une série d’attaques contre ceux qu’il connaissait et leurs alliés cultistes. Il ne trouva rien de nouveau mais chaque plongeon qu’il effectuait dans une mémoire lui faisait faire un pas en avant vers l’ouverture du paquet mémoriel de la matriarche, et il se considéra gagnant dans tous les cas. Il épia également quelques caches de ressources qu’il avait découvertes plus tôt et se permit même d’en piller une défendue de façon particulièrement mauvaise. Elle ne contenait rien d’autre qu’une grande quantité de bouteilles et de potions non-étiquetées, ce qui était particulièrement décevant. Il les amena à Kael pour voir si celui-ci pourrait lui dire de quoi il s’agissait et leur trouver une utilité. Il se sentait mal de tirer tant avantage du Morlock, mais à chaque fois qu’il était sur le point de se raviser, Kael lui montrait un enthousiasme si vif et agréable que Zorian finissait invariablement par se dire que finalement, tout allait bien.

Ses chasses aux monstres avec Taiven furent plus rentables cette fois également, car il savait où se situaient les nids et il avait connaissance des migrations particulières. Taiven était extatique mais Zorian remarqua malgré tout qu’elle le regardait étrangement quand elle pensait qu’il ne la voyait pas. Avait-elle réalisé qu’avoir deviné les emplacements des monstres par magie était un peu trop gros ? Eh bien, peu importait – comme elle ne lui en parlait pas, il décida de continuer à utiliser ses connaissances afin de rendre leurs chasses fructueuses, et si les retombées devaient arriver, il les gèrerait plus tard.

Sa quête d’un meilleur passe de bibliothèque se déroulait également sans accroc, bien qu’elle fût toujours dans ses étapes initiales. La méthode qu’il avait choisie était simple : il allait traîner aux abords de l’entrée de la bibliothèque aux heures de pointe et discrètement analyser l’esprit des gens qui allaient et venaient, à la recherche d’un passe de haut niveau chez quelqu’un de peu habitué à fréquenter les lieux. Après tout, tandis que l’académie était pointilleuse lorsqu’il s’agissait de céder ce genre d’autorisation à ses étudiants, ceux qui en possédaient n’étaient pas vraiment rares. Plein de mages en disposaient, et peu les utilisaient réellement avec régularité. S’il choisissait sa cible avec soin, personne ne réaliserait même l’absence de l’objet. Et il pouvait même espérer que la libraire ne réalisât jamais qu’il n’était pas celui dont le nom était inscrit sur le passe.

Le succès divin de la semaine, cependant, fut cette session avec Xvim, à laquelle il se rendait. Son mentor n’était habituellement extrêmement ponctuel concernant leurs sessions, les terminant toujours à l’heure exacte prévue – jamais plus, jamais moins. Ce jour-là, cependant, Zorian s’était montré si bon lors de leur rendez-vous que Xvim avait décidé d’étendre leur session au-delà du temps initialement décidé. Zorian n’en dit rien et continua simplement à accepter les demandes ridicules qui lui étaient faites, mais il souriait intérieurement. Même si Xvim conservait sa façade de marbre, le fait qu’il eût décidé de briser ses habitudes sempiternelles raconta à Zorian tout ce qu’il avait besoin de savoir : ses progrès arrivaient à un point où il parvenait à agacer son mentor.

Malheureusement, autant aurait-il aimé voir combien de temps Xvim comptait continuer à le garder là s’il ne s’en plaignait pas, Zorian avait d’autres obligations.

— Une session d’entraînement avec quelqu’un d’autre, dis-tu ? demanda Xvim, curieux. Et en quoi, je te prie, cette autre session est-elle importante pour t’autoriser à couper court avec celle prévue avec ton mentor ?

— C’est une chose que Miss Zileti a arrangé me concernant, expliqua Zorian, invoquant l’autorité d’un autre professeur. Je dois voir une élève afin de lui donner des leçons de magie mentale.

Xvim le regarda fixement pendant quelques secondes. Si Zorian s’était attendu à un choc, une demande de confirmation que oui, il avait bien dit magie mentale, alors oui, il aurait été déçu. Xvim se contenta de rester silencieux pendant une dizaine de secondes, tapota une fois du doigt sur la table et prit une décision.

— Pourquoi ne pas m’en avoir parlé plus tôt ? demanda-t-il.

— Je ne voulais pas vous offenser, monsieur, lui assura Zorian doucement. Il s’agit de notre première session et vous m’avez immédiatement fait démarrer par des exercices de mise en forme du mana, à peine étais-je entré. Je sentais qu’il aurait été impudent d’interrompre cette leçon pour un détail aussi peu pertinent, puisque nous étions supposés terminer bien plus tôt.

— Hmpf. Et tu dis que tu enseignes à une autre étudiante ? L’aveugle qui enseigne à l’aveugle… commenta son mentor en secouant la tête pour montrer sa désapprobation, avant de secouer la main pour le faire partir. Bien, dans ce cas. Je ne voudrais pas t’empêcher de mener ta quête à bien.

— Merci, monsieur, dit Zorian en se levant de son siège. Nous nous voyons vendredi prochain, donc ?

— Non. Viens me voir lundi après les cours, répliqua immédiatement Xvim. Je dois voir cette magie mentale dont il est question en action avant de planifier notre prochaine session.

Huh. Celle-là, il ne s’y attendait pas. Xvim sous-entendait-il qu’il pouvait l’aider à améliorer ses capacités mentales ? Il possédait bien sûr un très puissant bouclier mental mais Zorian était sceptique quant à la possibilité qu’il fût capable de l’aider à ce regard. Et il était encore plus incrédule quant au fait que son mentor veuille l’aider tout court, même s’il s’avérait par miracle qu’il fût une espèce d’expert en magie… Ce type ne vivait-il pas que pour les exercices de base ?

Décidant qu’il allait devoir attendre jusqu’à ce fameux lundi pour comprendre ce qu’il avait dans la tête, Zorian quitta le bureau et se rendit à son rendez-vous avec Tinami afin d’officiellement s’entraîner mutuellement.

En vérité, il ne savait pas qu’il s’agissait d’elle, mais en considérant que le cas était foncièrement le même que la fois précédente… il supposa que l’identité de l’autre étudiant n’était pas vraiment un mystère. Et en effet, en arrivant dans la salle de classe assignée, il y trouva celle qui l’attendait déjà.

— C’est toi, le mage mental ? demanda-t-elle pour toutes salutations.

[Oui,] répondit immédiatement Zorian par télépathie, la faisant vibrer de choc ; elle plissa les yeux.

— Tu es en retard, se plaignit-elle.

— Désolé, s’excusa-t-il. Xvim a décidé d’étendre notre session au-delà des limites. Je suis parvenu à en échapper il y a quelques minutes à peine.

— Tu as choisi Xvim comme mentor ? s’étonna-t-elle. Pourquoi ?

— Je viens de Cirin, expliqua Zorian. C’est loin de Cyoria. Le temps qu’Ilsa vienne me voir, tous les autres mentors avaient déjà été choisis.

— Et il est aussi mauvais qu’on le dit ?

— Il m’a fait pratiquer des exercices de mise en forme du mana pendant deux heures sans pause, aujourd’hui.

— Ouch. Ok. Je suppose que ça excuse quelques minutes de retard, admit-elle. Nous devrions peut-être planifier nos prochaines rencontres à d’autres dates, juste au cas où.

— Probablement, confirma Zorian.

Même lui ne savait-il pas ce que Xvim avait en tête pour la fois suivante alors qu’il avait vécu ce mois un bon nombre de fois, de trop nombreuses fois.

—Quelque chose d’important que je devrais savoir avant que nous ne commencions ?

Comme la fois précédente, Tinami était largement intéressée par la pratique de la télépathie et sa capacité à lire les pensées de surface. Elle était plutôt mauvaise selon les standards de Zorian mais elle s’améliorait très rapidement sous ses conseils. Quant à lui, il s’entraîna principalement à ressentir les sens d’une autre personne ; il pouvait accéder aux sens des humains plutôt facilement mais tenter de fonctionner normalement tout en était sous l’influence de deux sets de sens différents était encore un défi majeur. Spécialement si lui et elle regardaient dans deux directions totalement différentes, par exemple.

En vérité, elle ne pouvait lui offrir grand-chose en matière d’entraînement qu’il ne pouvait déjà se voir offrir par Kirielle, Kael ou n’importe quel étranger lambda… Mais ce cette façon, il put discuter avec une camarade de classe, ce qui était après tout l’une de ses résolutions à court terme. Il ne faisait pas de mal de coopérer avec Tinami ; ça pourrait s’avérer utile si l’on considérait sa famille. Et plutôt dangereux aussi, ils étaient connus pour jouer avec la magie mentale et la nécromancie… mais il voulait se saisir de cette chance. Il trouvait dommage de devoir commencer de zéro avec elle, cela dit – la dernière fois, il l’avait présentée aux Aranea et aux yeux de Tinami, elles étaient devenues bien plus importantes que lui. À cause de ça, ils avaient très peu interagi l’un avec l’autre en-dehors de leurs sessions d’entraînement… Mais encore, en gardant à l’esprit qu’il l’avait considérée comme un simple cobaye et n’avait pas tenté de la connaître plus que ça, il n’avait pas le droit de se plaindre. Maintenant, par contre, il n’existait aucune Aranea pratique à qui la présenter, même s’il le désirait… il allait devoir attirer son attention d’une autre façon.

— Ok, il faut que je demande – où diable as-tu appris à maîtriser la magie mentale à ce point ? demanda Tinami, perplexe. J’apprends ce genre de choses depuis des années, sous le tutorat d’experts, et toi… tu me dépasses simplement et sans effort dans chaque application de la magie à laquelle je peux penser. Comment ?

— C’est un secret, lui annonça clairement Zorian. Tu pourras me le demander lorsque nous nous connaîtrons mieux.

Quand, hein ? plissa-t-elle les yeux.

— Quand, si, ce que tu veux. Le point, c’est que nous ne nous connaissons pas assez pour que j’accepte de te révéler des choses si personnelles.

— Je comprends, soupira-t-elle, en s’appuyant sur le dossier de sa chaise. C’est vraiment ennuyeux, par contre. Je sais que je ne suis pas un génie dans ce domaine mais –

On frappa à la porte. Zorian et Tinami se regardèrent en levant les sourcils et tous deux haussèrent les épaules en même temps, mystifiés. Qui pouvait frapper à la porte de la salle de classe à cette heure ?

— Je vais voir, dit Zorian en se levant. C’était certainement quelqu’un qui cherchait l’un ou l’autre, et vu sa chance légendaire, c’était sans doute pour lui.

Il ouvrit la porte et trouva Kiana.

— Euh, salut ? tenta Zorian.

— Salut, répondit-elle, en passant rapidement sa tête par la porte pour voir s’ils étaient seuls ou non. Elle recommença lorsqu’elle se rendit compte qu’elle avait aperçu Tinami et la regarda d’un air incrédule.

— C’est privé, lui lâcha froidement Zorian, prévenant ainsi toute question, avant de s’avancer dans le couloir et de refermer la porte derrière lui afin qu’ils puissent bénéficier de quelque intimité en parlant.

— Je n’ai rien dit, se défendit-elle en levant les mains comme pour se protéger. Je suis juste venue te dire que Raynie a finalement décidé de te voir. Dix heures, demain matin, à cette adresse.

Elle lui fourra un bout de papier entre les mains.

— Je ne devrais pas avoir à te le dire, mais ne vas pas raconter des choses, ok ?

— Comme si j’allais nourrir une rumeur sur moi de la sorte, grimaça Zorian en levant les yeux au ciel. Seras-tu là aussi, à monter la garde une fois de plus ?

— Non, mais Raynie est amie avec la personne à qui appartient ce restaurant alors ne vas pas t’imaginer tenter quelque chose de fou, dit-elle. Oh, ça me fait penser – Raynie veut que tu saches que ce n’est définitivement pas un rendez-vous galant. Même s’il s’agit d’un rendez-vous privé dans un restaurant entre deux adolescents…

Elle lui envoya un sourire machiavélique.

— Eh, n’es-tu pas censée être du côté de ton amie ? se plaignit Zorian.

— Je plaisantais, soupira-t-elle. Grands dieux, tu manques autant d’humour qu’elle. Que les cieux nous viennent en aide si vous finissez vraiment tous les deux ensemble. Bon, à la revoyure, Zo’

Zo’… ? Elle se fout de…

Elle se tourna et débarrassa le plancher avant qu’il puisse rétorquer quoi que ce soit. Elle… n’était pas vraiment telle qu’il l’imaginait être. Secouant la tête, il rangea le papier dans sa poche et retourna dans la salle de classe.

— Désolé pour l’interruption, dit-il à Tinami. C’était un petit problème personnel que je devais… Pourquoi est-ce que tu me regardes comme ça ?

— Pas moyen, grommela-t-elle. J’ai entendu que tu en avais après Raynie, mais penser que tu aurais pu la faire accepter… Comment as-tu réussi ce tour là ? Je pensais que c’était impossible ?!

— Je… Oh, merde. Je n’ai pas rendez-vous avec Raynie, Tinami, la rassura-t-il calmement. Tu sautes sur les conclusions.

— À moins que… Mais bien sûr ! s’exclama-t-elle. Bien sûr qu’une personne capable de lire dans les pensées pouvait trouver son point faible !

— Eh ! protesta-t-il. Là, tu es insultante. Je n’irais jamais violer son intimité de la sorte !

— Pourquoi pas ? demanda Tinami avec curiosité. Je le ferais, à ta place.

— Tu… Tu es sûr que tu veux admettre une chose pareille de façon aussi évidente ?

— S’il te plaît. Je ne crois pas une seule seconde à ta perfection morale et ton utilisation responsable de la magie mentale, l’accusa-t-elle. Tu es largement trop bon dans ce domaine pour avoir développé tes pouvoirs en toute légalité.

— Ce sujet est clos, pour autant que je suis concerné, conclut Zorian. Pourquoi ne continuerions-nous pas notre entraînement ? tu sais, ce truc qu’on est supposés faire.

— Il faut que je te le demande quand même, qu’est-ce que vous trouvez à cette fille ? continua Tinami, l’ignorant totalement. Qu’a-t-elle que je n’ai pas ? C’est les cheveux roux ? C’est les cheveux roux, hein ?

Zorian laissa son visage s’effondrer dans ses mains. Et dire que ç’avait été une si bonne journée.

Raka
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