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Chapitre 184 : L’héritage des dragons 2/2

 

La source de chaleur intense placée aux côtés de l’arbre de vie n’avait de cesse de grossir. Son aspect était en tout point terrifiant, évoquant le mal incarné. Elle était noire comme les esprits qui l’entouraient. En son sein pourtant en résidait une autre, blanche, d’une pureté incomparable. Celle-ci se nourrissait du cœur de dragon depuis déjà dix jours, aussi l’Immortel se concentrait-il à chasser les esprits malins cherchant à l’étouffer. La curiosité avait d’abord poussé quelques-uns à s’approcher, avant que tous ne se détournent du spectacle, honteux face à l’abnégation qu’il avait pour son ami.

Finalement, la vie reprit son cours et les héros furent forcés de se donner des rôles, car l’Immortel était bien trop occupé pour utiliser ses pouvoirs que d’aucuns considéraient comme divins et réparer tout le mal fait. Il leur fallut une vingtaine de jours, aidés de la liche, pour enfin parvenir à sécuriser les environs. Les carcasses des monstres furent rassemblées en un seul endroit, en une véritable montagne de sang.

Pour l’heure, pour autant, personne d’entre eux n’osait encore s’éloigner de la montagne Sauros. La crainte qu’un seigneur dimensionnel ne se terre dans les environs, attendant la moindre erreur, restait encore très vivace, aussi se contentèrent-ils de rassembler leurs forces. À l’inverse, l’escouade spectrale dirigée par Che Haesol et appuyée par Blanka n’exprimait aucune hésitation à repousser sans cesse les frontières du territoire.

« Ça commence à faire un moment… Toujours aucune nouvelle des autres ? » demanda Blanka.

« Je crains que nous ne soyons les derniers… » admit Che Haesol.

Après l’arrivée des membres d’Alandal sur Alphène, d’autres guildes terriennes, convaincues par son projet, avaient manifesté le souhait de suivre l’Immortel. Hélas, personne ne vit la moindre trace d’eux.

« Le temps des belles paroles est révolu. » lança Blanka.

« Je crois plutôt qu’il s’est passé quelque chose. »

« Je suis inquiet, Haesol. Je crains que nous ne puissions jamais retourner sur Terre. »

« Ha ha. Tu doutes encore de notre Roi ? S’il n’existe pas de route, il la construira lui-même. »

« Non, non… C’est que je pense souvent à ma mère, ces derniers temps. Elle est malade. »

Elle lui envoya une petite tape sur l’épaule, ne sachant trop comment le consoler, et prit finalement le parti de le laisser seul face à sa peine. Pour cause, elle avait des affaires bien plus pressantes à régler.

« Capitaine Haesol ? Qu’y a-t-il ? » s’étonna Tauric en la voyant venir à sa rencontre.

Che Haesol jouissait elle aussi d’une certaine popularité au sein des alphéniens, l’escouade dont elle était à la tête étant spécialisée dans l’assistance et le secours. Le moine de Skia l’accueillait donc comme une des siennes, à des lieux des esprits malades qui suivaient habituellement l’Immortel.

« C’est au sujet de la sainte vierge… Savez-vous où elle se trouve ? »

« J’aurais aimé vous répondre par l’affirmative… tous nos efforts sont pour le moment restés vains. » fut-il contraint d’admettre.

Quelques rumeurs circulaient sur la possibilité que l’Immortel l’ait tuée, mais Che Haesol refusait d’y croire. Elle était trop familière des deux pour oser imaginer un tel scénario. Malheureusement, celui-ci étant dans l’impossibilité d’affirmer le contraire ou de fournir des explications, les bruits de couloir continuaient de gagner du terrain.

« Tauric ! Enfin, te voilà ! » cria tout à coup Latasha, essoufflée.

« Je n’ai pas bougé ? Bon, qu’est-ce qui t’amène ? » s’interloqua Tauric.

« Melody est de retour ! »

« Oh, vraiment ? On dirait que vous n’êtes pas venue pour rien, Capitaine Haesol. »

Haesol se contenta de lui adresser un sourire des plus formels, avant d’inviter l’elfe à fournir davantage d’explications.

« Elle arrive, juste le temps de gravir la montagne. » lui répondit-elle.

« Les dieux d’Alphène sont avec nous ! » se satisfit Tauric.

Les trop nombreux blessés allaient enfin pouvoir récupérer ! Sans compter qu’avec l’artéfact divin en sa possession, ses pouvoirs avaient probablement décuplé. La rumeur de son assassinat disparut aussi vite qu’elle était venue, tandis que celle de son arrivée explosa au point que tous coururent à sa rencontre, ne laissant plus au sommet de la colonie que l’Immortel et le feu malade. Ils n’étaient pas seulement soulagés, mais véritablement heureux. Pourtant, le visage de Melody semblait trahir quelque peine.

« Que… que vous est-il arrivé, championne d’Aria ? » lui demanda Tauric discrètement.

« L’Immortel manquait de temps, alors nous avons décidé qu’il valait mieux que je rentre seule. » répondit-elle.

« Je vois… Vous avez-vous aussi subi votre lot d’épreuves. Je suis réconforté que vous vous en soyez si bien sortie. Mais… j’ai un peu honte de vous demander ça après ce que vous venez de traverser, mais pourriez-vous aller voir les blessés ? Ils auraient grand besoin de vos bénédictions. »

« Mais, bien sûr ! »

Elle eut un léger rire, par trop crispé pour ne pas trahir le profond malaise qu’elle ressentait. Et même les plus féroces larmes de joie de son peuple ne lui furent d’aucun secours.

 


 

Vingt jours avaient passé alors que Kang Woojin était toujours installé en tailleur, sans bouger ni manger. Certains des réfugiés en vinrent à se demander quelle sorte de monstre pouvait rester en vie dans de pareilles conditions, mais personne n’osa même mentionner le fait. Car dans le regard des héros ne transparaissait que l’admiration.

Toutefois, il était vrai que l’on s’interrogeait sur ses actions. Il avait certes libéré la colonie d’un grand péril, mais il ne semblait plus s’inquiéter un temps soit peu du sort de la planète en elle-même. Il y avait pourtant bien de quoi s’inquiéter. Le pouvoir d’Alphène subissait de grands changements, l’armée des morts ayant déjà récupéré un tiers des territoires conquis, et annihilé autant de seigneurs dimensionnels. Melody, quant à elle, ne pouvait détacher le regard de sa silhouette.

Kang Woojin… Comment la déesse a-t-elle pu m’imposer une telle épreuve ?

Elle avait tout donné à Aria. Sa vie, ses pensées, toute son âme lui était consacrée. Pourtant, en cet instant, elle n’entretenait plus pour elle que de la colère.

Brûler l’arbre, elle en a de drôles !

Son dernier oracle n’était pas seulement grave, il était parfaitement scandaleux. Ils avaient tous tant lutté à protéger ce symbole d’espoir, et elle voulait maintenant qu’il soit détruit ? Que soit détruite la porte vers la Terre, et que soit bloqué le seul homme qui leur avait tendu la main ? D’autant plus qu’elle connaissait parfaitement les raisons qui avaient motivé Aria à formuler cette requête. Elle était si injuste que Melody était en proie à un véritable tourment.

« C’est toi, Melody ? Qu’est-ce que tu fais ? »

« Ah ! » cria-t-elle par réflexe, comme si elle venait de découvrir qu’il avait des yeux derrière la tête.

« Tu me matais, petite vicelarde ? »

« Non, ce n’est pas, enfin je… Je ne suis pas une perverse ! » s’offusqua-t-elle, rouge de honte.

Elle ne pouvait souffrir son regard. Elle se sentait déjà coupable et profondément désolée, mais son cœur battait tellement fort qu’elle ne parvenait même pas à tirer au clair ce qu’elle ressentait. Fort heureusement, son attention se concentra sur autre chose.

« Vous avez réussi ? » lui demanda-t-elle en voyant que le cœur de dragon et les esprits mauvais avaient disparu.

« J’ai en tous cas fait tout mon possible. Le reste est entre ses mains… » répondit Woojin en baissant un peu la tête.

« Que voulez-vous dire ? »

« Qu’il va renaître de ses cendres. Il doit recréer son enveloppe corporelle, maîtriser son énergie, et peut-être le reverrons-nous à cet instant. »

Le sens de ses paroles ne lui apparaissant pas bien clair, Melody eut légère grimace qui agaça immédiatement Woojin.

« Bon, laisse tomber. File-moi ta relique sacrée. Et magne-toi !» lui ordonna-t-il.

« C’est que… je… je l’ai perdue. » balbutia-t-elle.

« Hmm… »

Woojin approcha son visage du sien, comme pour voir par delà ses yeux. La profondeur des siens la fit chavirer, et elle ne put s’empêcher de baisser la tête.

« Ok. Retrouve-la d’ici à mon retour. » trancha-t-il finalement.

« Vous partez ?! » s’inquiéta-t-elle tout à coup.

« Où veux-tu que j’aille ? J’ai besoin de trouver le champion d’Hérès. »

Sa ceinture obtenue et à condition que Melody lui remette la tiare d’Aria, il pourrait obtenir le reste des objets manquants dans le magasin dimensionnel, ayant déjà en sa possession les autres reliques.

« Melody, protège la colonie d’ici à mon retour. Ok ? »

« Euh… »

« Oui, ou merde ?! » perdit-il patience.

« Soit… »

« Alors je te fais confiance. »

L’Immortel parti, Melody sentit toutes ses forces la quitter. Elle s’effondra à genoux, laissant l’angoisse la submerger tout à fait.

Aria…

 


 

Un hurlement se fit entendre, si atroce que Latasha en vint presque à regretter la présence des dragons. Ses arbres et le bruit du vent lui manquaient terriblement.

« Mais… mais pourquoi dois-je venir avec vous ?! » lança-t-elle en s’efforçant d’ignorer la désagréable impression.

« Parce que tu es la seule qui semble avoir les mains libres, pour le moment. » lui répondit le plus simplement du monde Woojin.

« Hein ?! Mais j’ai des choses à faire, moi aussi ! »

« Celui qui en fait le moins doit me servir de guide, c’est comme ça. »

« Pour qui vous prenez-vous, à la fin ? Vous croyez que vous pouvez débarquer comme ça et ordonner tout le monde ? »

« Pff… Dis-moi au moins si je vais dans la bonne direction ? » lui demanda-t-il en pointant du doigt un sentier.

« Non, c’est par là-bas, répondit-elle d’un ton à peine plus conciliant. »

« Celui qui a la meilleure vision doit me servir de guide. »

« Hmpf… Bon, je vais vous accompagner. » consentit-elle finalement à dire, voyant bien qu’il ne lâcherait sous aucun prétexte le sujet.

La dernière relique sembla enfin à sa portée.

 


 

Autour d’un petit feu, plusieurs familles s’étaient assises afin de partager un repas. Les enfants furent les premiers à saliver.

« Ça a l’air trop trop bon ! » apprécia l’un d’eux.

« Attends un peu de goûter, petit père… Tiens, ce morceau-là est prêt. » lui répondit un adulte.

Après quoi le débita-t-il en petits cubes, qu’il enfila sur des petits piques à brochettes faits à partir de branchages aiguisés, afin que les six enfants présents puissent en profiter.

« Haaan, c’est méga bon ! »

« Moi ma brouchette elle est encore plus mieux ! »

Le sourire leur était vite revenu. C’était là toute la force des enfants, capables de s’adapter à toutes les situations sans en prendre ombrage. Malgré les semaines de lutte et de fuite…

« Ouais ben moi d’abord, je connais un secret ! »

« C’est même pas vrai. Vas-y, c’est quoi ton secret alors ?! »

« C’est ma maman qui me l’a dit, alors c’est vrai ! »

« Beuuuh, menteur. Elle a dit quoi ? »

« Eh ben que le Roi des esprits du feu, il était mort ! »

Un silence étrange traversa l’assemblée, tant parmi les adultes que leurs rejetons. Les sourires commencèrent à s’effacer tandis que le ton baissa d’un très net cran.

« Vraiment ? » reprit une fille.

« Oui… C’est pour ça que la flamme continue de brûler. » répondit le jeune garçon, l’air triste.

Hong Sunggoo avait lors de ses entrainements attiré quantité de regards curieux, surtout d’enfants, chez lesquels il comptait de nombreux admirateurs. La flamme était pour eux sa sépulture, aussi la regardèrent-ils en s’essuyant les yeux.

« Mais c’est pour ça que la viande est aussi bonne, alors ! » lança finalement un père afin de les sortir de leur peine.

« Ah mais… mais oui ! Il est gentil le Roi des esprits de feu ! » s’amusa un autre garçon.

Puis les autres, à l’unisson, de suivre. Voilà comment réagissaient des enfants pour qui la mort était perpétuellement présente, et où les adieux étaient si nombreux qu’un de plus ou de moins n’était que quantité négligeable. En léchant leurs doigts, ils continuèrent un moment de regarder la flamme qui grossissait, rapetissait, comme respirant d’un souffle pénible.

Nostra
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9 thoughts on “SSN Chapitre 184

  1. Merci pour le chapitre !

    Honnêtement je sais pas trop comment réagir face a la dernière partie…
    « Il est mort… rooo c’est triste…. Mais les brochettes sont bonnes du coup!!! Ha bah ça va alors XD »

    NON MAIS WTF !!! :’D

    1. Tu connais beaucoup de parents qui supportent de voir leurs enfants tristes ? 😛 Quant à la réaction des gosses, bah, comme dit dans le chapitre, ils ont été trop habitués à la mort pour être traumatisés. C’est justement bien ça qui est terrible. Perso j’ai trouvé ce passage très intéressant sur le plan émotionnel, faut voir par delà l’aspect rigolo.

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