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Chapitre 63

Pendant dix jours et dix nuits, Shi Kun répéta la même routine.

Du matin au soir, il s’appliquait et faisait de son mieux pour exposer divers fruits qu’il avait précédemment gorgés d’énergie spirituelle à une fermentation accélérée. La nuit tombée, lorsqu’il avait terminé, il possédait une pleine bouteille d’un alcool plus pur que ce qu’il avait fait par le passé.

La nuit lui était réservée pour se reposer après avoir quotidiennement vérifié l’état de santé du doyen. Ce dernier avait vraiment dû puiser dans ses dernières réserves parce qu’il ne reprit toujours pas conscience au bout du dixième jour. Même si son corps était dans un bien meilleur état qu’il ne l’avait été, ses yeux ne se rouvraient pas.

« Que suis-je censé faire ? Distiller de l’alcool spirituel pendant des semaines ? » Shi Kun ne désirait qu’une chose et c’était de boire, s’enivrer pour un si court instant et percer. Percer enfin, lui qui sentait l’urgence d’une situation qui allait lui demander de partir effectuer d’autres missions toujours plus dangereuses.

« Et si cette fois, je me retrouvais à l’autre bout du monde ? Comment pourrais-je rentrer ? »

Shi Kun soupira. Pour la première fois depuis qu’il avait commencé, il cessa de répéter les mêmes geste et se mit à réfléchir.

« J’ai suffisamment d’alcool spirituel pour le moment. Et ajoutons à cela celui de la Montagne Impériale… Je ne devrais peut-être pas, cela dit… Ce serait du gâchis. Plus tard, oui, plus tard. »

L’alcool qu’il était capable de distiller lui-même n’était très certainement pas aussi bon que celui qu’on lui avait généreusement offert à la Montagne Impériale. Aussi décida-t-il de le garder pour un niveau de cultivation plus élevé, lorsque l’alcool qu’il distillait lui-même ne suffirait plus.

Shi Kun jeta encore un coup d’oeil vers le doyen, qu’il avait installé au pied d’un arbre. Le vieil homme ronflait comme il le faisait depuis des jours, plongé dans un profond sommeil récupérateur.

Shi Kun tapota sur sa sacoche spirituelle et en fit sortir une des bouteilles de sa création.

« Il est temps. Je ne vais pas patienter, et s’il ne se réveillait jamais ? Et s’il se réveillait dans cent ans ? »

Il s’approcha du doyen et lui offrit trois petites claques pour s’assurer qu’il n’était pas en train de reprendre conscience. Voyant qu’il ne réagissait pas, Shi Kun esquissa un sourire et porta la bouteille à son nez. Il fit sauter le bouchon d’un coup sec et huma les fragrances qui se dégageaient de l’alcool spirituel.

« De la fraise spirituelle, oui. Ça sent si bon. »

Shi Kun pouvait sentir que sa base de cultivation s’était stabilisée longtemps auparavant et que son dantian ne demandait qu’à s’élargir, désormais. Il était fin prêt à percer ; il ne lui manquait que le qi.

« À la mienne ! » Shi Kun leva la bouteille et en descendit le contenu d’un coup sec. Il savait que le degré de pureté de cet alcool spirituel n’était pas parfait, mais la Paresse lui avait confirmé qu’avec un taux de près de 90 % d’impuretés, il ne parviendrait pas à réaliser mieux à son niveau. En outre, cela semblait suffisant pour lui permettre de percer et d’évacuer toutes les impuretés accumulées.

Shi Kun sentit cette douche et violente chaleur se répandre dans son corps. Elle descendit le long de son œsophage avant d’emplir son estomac. De là, elle fusa dans toutes les directions où migraient ses vaisseaux sanguins et tandis qu’il ne ressentait déjà plus les effets de l’ivresse, Shi Kun sentit cette puissant énergie argentée voyager dans ses veines et ses artères en direction de son dantian.

Ce dernier accepta tout ce que cette énergie avait à lui proposer et se gorgea de ce délicieux qi. Après tout, n’était-ce pas là la seule façon qu’il avait de se rassasier ?

Shi Kun finit par ressentir son dantian plein à ras bord, au moment exact où l’énergie argentée avait totalement diaparue.

« Oh… J’y suis presque ! Ça marche vraiment ! »

Sans hésitation ni deuxième pensée, Shi Kun tapota sa sacoche spirituelle une fois de plus pour faire apparaître une deuxième bouteille de ce même alcool spirituel. Il ressentait clairement les effets des impuretés sur ses méridiens déjà largement bouchés ; mais il n’en fallait que si peu, une quantité si négligeable de plus… C’était simple. C’était facile. Il suffisait de boire et de laisser faire le reste.

Une fois de plus, Shi Kun sentit cette chaleur l’envelopper, le pénétrer et exploser en lui jusqu’à se déverser dans son dantian. À peine quelques instants plus tard, Shi Kun fut forcé de s’asseoir d’un seul coup, pris de vertiges.

« Oh, je… »

Il entendit des coups de tonnerre résonner dans sa tête. Levant les yeux par réflexe comme il l’avait déjà fait, il se rendit compte que le ciel bleu ne présentait rien de menaçant ; c’était uniquement la protestation de la terre et des cieux, qui exprimaient dans sa tête leur mécontentement. Après tout, un cultivateur n’allait-il pas à l’encontre de leur volonté ?

Shi Kun se surprit à apprécier cette sensation. C’était la troisième fois qu’il l’éprouvait et à chaque fois, elle lui procurait de plus en plus de plaisir, un plaisir dominateur, qui le plaçait au-dessus de toute vie en tant que juge et bourreau. C’était une sensation instinctive, naturelle et contre laquelle personne ne pouvait aller.

L’air se déchira dans son dos et la Paresse apparut dans sa totalité, souriant légèrement et hochant la tête en silence.

Shi Kun remarqua la tortue mais ne lui accorda pas la moindre attention. Accaparé par sa percée, il n’était plus qu’un corps empli d’une énergie phénoménale, capable de déchirer la terre et de fendre les cieux.

Il sembla à Shi Kun qu’il était cependant plus difficile d’accepter la puissance qui lui était offerte, comme si son propre corps commençait à lui dire qu’il ne la supporterait pas.

« Je sais… Je sais ce qu’est cette sensation. Mon corps doit s’adapter et ma base de cultivation se stabiliser… Sans quoi je risque d’exploser si je perce à nouveau. » Shi Kun était paresseux mais pas idiot : il savait ce qu’il pouvait et ne pouvait pas faire et ce qu’il ne fallait surtout pas essayer.

Il se releva lentement et observa ses mains avant de fermer les poings.

« Troisième niveau de la maîtrise du Qi… » Il réalisa qu’il avait parcouru un peu plus de chemin, désormais : on ne pourrait plus lui retirer ce qu’il avait accompli, d’autant qu’il l’avait fait seul, sans l’aide de personne. Ou presque.

« Bon, ok, on m’a beaucoup aidé mai j’ai quand même percé seul ! »

Shi Kun entendait encore des crépitements électriques dans son esprit. Il savait que son corps avait surmonté avec facilité les tribulations imposées par les cieux et la terre et qu’à partir de ce moment, il ne devait se soucier que de celles qui arriveraient plus tard, lorsqu’il percerait vers le quatrième niveau.

« Quatre niveaux… Je me demande combien il y en a vraiment. Et puis… Qu’y a-t-il ensuite ? »

Shi Kun s’étonna une fois de plus en l’espace de quelques instants. Ce qui le surprenait, c’était son intérêt grandissant pour la cultivation. Pas la pratique, non ! Pas devenir le plus fort, certainement pas ! C’était bien trop fatigant.

Non, ce qui lui faisait tourner les méninges était purement théorique. Quelle étaient les règles qui régissaient le monde de la cultivation ? Qui les avait créées ? Les cieux et la terre n’étaient-il pas une simple représentation de puissance qui échappaient aux humain ?

« Merde, je réfléchis trop. »

Shi Kun épousseta sa toge avant de la retirer et de la plier proprement. Puis il entreprit de plonger dans la rivière proche afin de se débarrasser de cette couche de crasse noirâtre qui recouvrait sa peau sur son corps entier. Toutes les impuretés qui avaient été expulsées de son corps lors de sa percée recouvraient désormais sa peau telle une grasse épaisseur noire.

« Oui ! Je me sens mieux ! » Une fois la tête hors de l’eau et la crasse partie en vagues au gré du courant, Shi Kun se sentit immédiatement mieux. Il bondit hors de la rivière et se rhabilla avant d’effectuer quelques mouvements des épaules.

« Ouah, non seulement mes méridiens sont propres mais j’ai l’impression que mes muscles sont revigorés ! »

Shi Kun effectua quelques petits bonds vers l’avant. Le trop plein d’énergie qui lui parcourait le corps devait être évacué coûte que coûte malgré sa tendance naturelle à vouloir plutôt se poser tranquillement au pied de cet arbre, juste là et de faire la sieste avec le doyen.

« Bien ! Parfait ! Oui ! Avec ça, je me rapproche de mon objectif. Bientôt, je serai capable de remplir des missions simples et le patriarche me laissera tranquille. » Shi Kun se rappelait régulièrement que son but était proche : il ne devait cultiver que pendant quelques niveaux encore avant de pouvoir enfin se reposer pour de bon. Et… chaque pas dans la bonne direction était un pas bienheureux.

Il ferma les yeux et sonda sa base de cultivation. Ses méridiens étaient propres et purs, son dantian chaotique au-delà de toute description.

« Ma base de cultivation n’est pas stable. Il faut que j’attende que mon dantian s’élargisse naturellement et que mon Qi rageur se calme. Alors, mon corps se sera adapté au troisième niveau de la maîtrise du Qi et je pourrai percer vers le quatrième.

Shi Kun tapota sur le côté de sa sacoche spirituelle et y envoya ses sens spirituels pour constater qu’il disposait encore d’une montagne de fruits spirituels exacerbés à l’énergie blanche de ce monde intermédiaire.

« Je risque de mettre des mois, non… des années si je veux distiller tout ça. Mais voyons le bon côté des choses : je n’aurai plus à me soucier de mon approvisionnement en fruits spirituels. Il m’en restera même énormément lorsque je serai au huitième ou au neuvième niveau de la maîtrise du Qi. »

Shi Kun s’apprêta à invoquer la Paresse afin de lui touche deux mots en rapport avec sa cultivation. Mais il se contenta de soupirer et alla s’asseoir aux côtés du doyen.

« Ah, doyen. Je ne comprends toujours pas ce que tu faisais dans cette grotte. Je suppose que tu vas y retourner ensuite, n’est-ce pas ? »

Il tourna la tête pour l’observer. Il ne présentait plus aucune trace de fatigue ou de décrépissage physique.

« Si j’avais su qu’un jour, je serais curieux de ce que le monde de la cultivation a à offrir… Ne te méprends pas, surtout ! Je ne souhaite pas devenir le plus puissant ou aller me battre pour trouver cette légendaire bonne fortune dont parlent tous les cultivateurs. Malgré tout… J’ignore tant de choses. D’où vient le Qi ? Comment fait-il pour transformer un corps et une âme ? Que sont les niveaux de cultivation ? »

Shi Kun leva les yeux au ciel.

« Je ne sais même pas ce que représentent les fondations, dont le niveau suivant porte le nom. La fondation de quoi, pour commencer ? »

« La fonda… Pardon ? » le doyen venait d’ouvrir les yeux et avait entendu la dernière phrase prononcée par Shi Kun.

« Ouaaaah ! » Shi Kun sursauta et fit un léger bond sur le côté. « Tu m’as fait peur ! Tu aurais pu prévenir, je ne sais pas, faire un signe, bouger, murmurer quelque chose ! Ne réponds pas comme ça après plus de dix jours sans bouger ! »

« D… Dix jours… ? » Le doyen leva une main et l’observa pendant quelques instants. « J’ai récupéré pendant si longtemps ? J’ai utilisé bien trop de Qi. J’ai été forcé de puiser dans ma longévité. »

« Quoi ? » Shi Kun ne parvenait pas à croire ce qu’il entendait. Bien sûr, il était conscient que certaines techniques nécessitaient de payer un lourd tribut afin d’être lancées ou utilisée pendant de longues périodes mais jamais il n’aurait imaginé que le doyen puisse aller si loin juste pour tenir sa promesse. « Tu as vraiment fait ça ? »

« Oui. » Le doyen hocha la tête. « J’ai dû dépenser quelques mois de ma vie. Mais vous savez, votre splendeur, ce n’est rien. Que représentent quelques mois pour un immortel comme moi ? »

Il avait raison. Ce vieux grigou avait déjà vécu si longtemps et était sans doute loin de mourir de vieillesse. Il pouvait bien utiliser des techniques nécessitant un tel prix avec entrain et insouciance.

« Vous avez demandé à quoi servent les fondations, n’est-ce pas ? »

« Eh ? Oui, je crois que j’ai posé la question, par curiosité. »

« Désirez-vous que je vous éclaire sur les différents stades de cultivation que tout cultivateur cherche à atteindre et dépasser ? »

« …Je suppose ? »

Raka
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