Chapitre 59
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« Mais ce n’est pas possible ! Je refuse de croire que ça puisse être possible ! » Le doyen bondit sur ses pieds et secoua la tête. « Si le qi est réapparu au bout de si peu de temps, la distorsion temporelle entre cet endroit et notre monde doit être gigantesque ! Est-ce que plusieurs années se sont déjà écoulées, chez nous ?! »
Le doyen se mit à réfléchir intensément aux répercussions que pouvaient avoir son absence, si celle-ci se prolongeait. Il fallait à tout prix continuer à mener la grande invocation en menant de futures victimes à devenir des fidèles du grand ancien mais si le doyen du groupe n’était pas là, nul ne pouvait prédire comment les choses allaient tourner.
Tandis qu’il se laissait noyer par ces pensées parasites, Shi Kun lui tapota l’épaule pour le faire revenir à la réalité.
« Le qi est là. Il faut se dépêcher, non ? Si je me souviens bien, la dernière fois qu’il est apparu, il n’a duré qu’un instant avant de s’en aller. »
Le doyen réalisa que Shi Kun avait raison. C’était une simple constatation mais venant du fils d’un grand patriarche, les mots prirent une toute autre profondeur.
« Il… Il ne veut pas me laisser seul ici ! » En son cœur, le doyen pleura de joie : si Shi Kun avait décidé de l’abandonner derrière lui, il ne se sentait pas la volonté nécessaire pour s’opposer à lui. Après tout, refuser un ordre de Shi Kun valait autant que refuser un ordre de la Montagne Impériale. C’était un affront passible de bien pire que la mort : la destruction du dantian, faisant de vous à nouveau un simple mortel parmi les Hommes.
Non, ce sort n’était pas enviable et le doyen aurait préféré attendre une centaine d’années pour revenir plutôt qu’aller à l’encontre de la volonté de Shi Kun. Quelle ne fut alors pas sa joie lorsqu’il l’entendit lui dire « qu’il fallait y aller ! »
« Oui ! Oui, votre splendeur. Faites-moi confiance. Je me charge du voyage ! » Alors qu’une petite déchirure naissait à la surface limpide de la mer de lumière, le doyen fit un geste des deux mains et les plaqua à nouveau sur le sol, comme il l’avait fait précédemment. Cette fois, la mer n’ondula ni ne vibra : l’énergie passa directement par la petite faille d’où émanait un qi que même Shi Kun pouvait ressentir comme familier, de si près.
« Oui, je le sens ! C’est la sensation… C’est notre monde ! » Shi Kun agrippa fermement et par réflexe l’épaule du doyen juste avant que celui-ci se mettre à vibrer d’une lueur rouge.
Un souffle, puis deux, et trois, et ils n’étaient plus là.
Le monde de lumière était redevenu vide et paisible, à l’exception de quelques courants de qi qui allaient et venaient au gré d’une volonté inconnue.
Tous deux s’étaient changés en un flot d’énergie rouge qui remonta le courant du qi blanc en provenance de leur monde. Shi Kun pouvait voir le doyen devant lui, comme s’il s’agissait d’une illusion, un corps qui n’était pas là, ou peut-être observé à travers un voile épais. Il n’osa pas parler mais remercia les cieux que ce doyen eut possédé une telle technique. Qu’auraient-ils pu faire s’ils avaient été dans l’incapacité de voyage de la sorte, en empruntant les voies du qi entre les dimensions ?
L’espace d’une fraction d’instant, Shi Kun se prit même à imaginer que c’était sans doute la capacité la plus enviable qu’il eut vue jusqu’à présent. Se déplacer sur de très longues distances sans se fatiguer ? Voilà qui pourrait potentiellement devenir l’un de ses buts dans la vie, maintenant qu’il savait que la possibilité existait.
Cela dit, il voyait le doyen grimacer et souffrir toujours plus à mesure qu’ils avançaient à contre-courant. Peut-être finalement était-ce encore plus éreintant que le fait de voyager normalement ? Shi Kun secoua la tête, balayant l’envie soudaine qu’il venait de ressentir.
Tout cela est très long à décrire mais le voyage ne dura que le temps d’une pensée fugace. Le voile séparant ce royaume spirituel de lumière et le monde natal de Shi Kun se déchira et ils le franchirent instantanément. La plaie qu’ils avaient ouverte en passant à travers se referma plus rapidement encore dans un réseau d’étranges fils qui quadrillaient l’espace derrière eux.
Plus vite qu’ils ne purent tourner la tête pour regarder derrière eux, ils ne furent plus capables que d’observer un ciel bleu infini.
« N… Nous sommes dans le ciel ?! » Shi Kun baissa les yeux et cria en se rendant compte qu’il se trouvait si haut dans le ciel qu’il ne parvenait même pas à distinguer une quelconque terre sous ses pieds. Où qu’il regardât ne se trouvait qu’un tapis de nuages blancs à perte de vue.
Cependant, il n’eut pas vraiment l’occasion de se poser d’autres questions : soumis à la loi de la gravité contre laquelle un cultivateur au niveau de la maîtrise du qi ne pouvait lutter, il chutait déjà et prenait de la vitesse plus vite qu’il n’aurait souhaité le faire.
À ses côtés, le doyen tombait, lui aussi impuissant contre la loi la plus basique de la terre. Cultivateur au stade de l’Établissement des Fondations, il n’avait pas non plus ce qu’il fallait pour imposer sa volonté à la terre et se soustraire à son emprise.
« C… Comment fait-on pour voler ?! Je croyais que les cultivateurs pouvaient voler !! » Shi Kun paniqua et voyait le tapis de nuages blanc s’approcher trop rapidement. Il se rendit alors compte qu’il avait toujours entendu que les cultivateurs pouvaient flotter dans les airs – et l’avait souvent subi aux côtés du patriarche Destinée – mais qu’il ne s’était jamais demandé comment faire. D’un seul coup, ce point était devenu ce qui importait le plus dans sa vie toute entière.
« Quoi ?! Quelle question étrange ! Nous ne le pouvons pas ! » Le doyen répondit, aussi étonné qu’il l’était. « Pour pouvoir flotter dans les airs, il faut se soustraire à la volonté de la terre et commencer à se dresser contre celle des cieux ! Il faut établir les fondations de la cultivation et commencer à faire naître son âme ! »
Shi Kun ne savait pas de quoi il s’agissait. Il ne s’était jamais vraiment intéressé à la hiérarchie de la puissance au sein de la cultivation, ni même à la théorie même de la cultivation. De fait, il ne pouvait saisir ce que lui expliquait le doyen et s’en fichait un peu, le regard braqué vers les nuages.
« Mais ce n’est pas grave ! Nous sommes des cultivateurs ! Nous ne mourrons pas d’une chute, même si elle fait mal ! » Le doyen continua à expliquer à Shi Kun qu’il n’avait pas à s’en faire pour ce qui se passerait une fois le sol atteint. « Nos corps sont renforcés par le qi ! »
Les deux compères traversèrent la couche de nuages qui flottaient nonchalamment, impassibles aux malheurs du monde.
« Oh… oh ! Une montagne ! » Shi Kun remarqua le premier qu’ils se dirigeaient loin, sous leurs pieds – ou au-dessus de leurs têtes selon l’angle de leurs pirouettes – vers ce qui semblait être le sommet d’une montagne. Ou plutôt, un pic proche du sommet.
« C’est la montagne impériale ?! » Le doyen ouvrit des yeux immenses et ses joues claquaient au vent tandis qu’il ne parvenait pas à la refermer, stupéfait qu’il était. Sa longue barbe se déchirait en deux et enveloppait son cou et sa nuque tel un foulard gris et soyeux.
« La montagne impériale ? » Shi Kun tourna la tête vers lui, surpris par ces mots. « Je m’y attendais, zut ! Nous sommes arrivés à l’endroit où le qi quitte notre monde ! »
« Préparez-vous à l’impact ! » Le doyen adressa un signe de tête à Shi Kun et ce dernier ne put que soupirer intérieurement. Maintenant qu’il était là, il n’avait plus vraiment le choix.
« Plus le ch… ? Incarnation de la Paresse ! Où es-tu ?! » Shi Kun effectua un geste d’incantation de la main et l’air se déchira à ses côtés, suivant sa chute comme si le trou nouvellement ouvert était accroché à Shi Kun. Une tête de tortue arborant pics et pointes apparut.
« Hm ? Où sommes-n… Oh ? Shi Kun, nous tombons. » La Paresse bâilla et observa le sommet de l’un des pics de la montagne qui se rapprochait très rapidement. « Fais attention, ça risque de faire un peu mal. »
« Ah, je… Toi aussi ?! Aide-moi ! »
« Et tu veux que je fasse quoi ? » La tortue haussa les épaules.
« Je… Je ne sais pas, ton truc, là, fais-moi bouger pour ralentir ma chute ! » Shi Kun paniqua proprement. Il ne parvenait presque plus à aligner deux mots et parvint miraculeusement à terminer sa phrase de manière compréhensible.
« Ah, ça… Je ne peux rien faire, désolé. » Sur ces mots et un nouveau haussement d’épaules, la tortue disparut comme elle était arrivée.
Shi Kun eut envie de hurler, de protester, de lui signifier que techniquement, il était son maître et invocateur et qu’elle devait sans doute lui obéir. Mais qu’allait-elle faire alors ? Shi Kun savait qu’elle rirait, au mieux, ou qu’elle n’en aurait rien à faire, au pire.
Et puis le sol était déjà là.
Shi Kun et le doyen atterrirent avec la puissance de deux boulets lancés à grande vitesse et s’enfoncèrent dans le sol jusqu’à la taille, creusant au passage deux larges cratères sur plus de trente mètres de diamètre.
« Eh ? C’est moins douloureux que je ne le pensais. » Shi Kun avait à peine senti l’impact lui picoter les pieds. « Suis-je si fort ? »
« Non. » Le doyen répondit calmement en touchant la terre des doigts. « Cette terre est spéciale. Je ne sais pas pourquoi mais elle réduit les dégâts subis à tous ceux qui entrent en contact avec elle. C’est… un peu comme si l’on tombait sur un immense flan. »
« Un f… Je vois. » Shi Kun vit un flan et se surprit à se dire qu’il le mangerait volontiers.
« Votre splendeur… Nous sommes sur la montagne impériale… Vous êtes chez vous ! »
« Chez moi ? » Shi Kun fut tiré de sa rêverie par un doyen satisfait. Il était arrivé exactement là où il aurait souhaité de tout cœur pouvoir se rendre : il allait enfin avoir accès à une récompense et à une bonne fortune incroyables après avoir ramené le fils mystérieux chez lui.
« Ah… Chez moi ? Pardon ? Chez moi, c’est la province de Jiaoju. Ce n’est pas ici. » Shi Kun secoua la tête, presque irrité que le doyen fasse mine d’avoir oublié son serment de le ramener chez lui, loin à l’ouest.
« Cette petite province ? Vous désirez vraiment vous y rendre à nouveau ? Mais… Qu’avez-vous à y gagner ?! Ici, le qi est pur et puissant, et on peut le raffiner avec facilité ! Seul un i… » Il cessa de parler en se rendant compte qu’il était sur le point de traiter Shi Kun d’idiot.
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Le doyen ne va pas être content 😀
Merci pour le chapitre
Merci pour le chapitre !
Merci pour le chapitre
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