DMS : Chapitre 2

Chapitre 1 – Ma vie, cette punition

 

Je m’appelais Qian Wuying. Je suis née dans une petite clinique de la banlieue nord de Baijing, et déjà le jour de ma naissance annonçait ma vie sous des auspices plutôt lugubres. Mes parents, deux pauvres paysans croyant dur comme fer à l’astrologie et à la divination, avaient entendu une femme aussi étrange que peu recommandable mais qui avait eu la présence d’esprit de se prétendre chamane de je ne sais quel dieu et leur avait demandé une sacrée somme pour finalement déclarer que leur futur enfant, à savoir moi, n’était pas chanceuse.

Mais au final, elle avait peut-être raison, parce que ma mère est morte en couche, j’ai failli y rester également, et j’ai dû passer plus de trois semaines à l’hôpital en observation. Mon père, qui ne voulait pas d’enfant au départ, s’est ensuite occupé de moi comme il le pouvait, il faut le lui accorder. Cependant, j’avais bien senti dans les premières années de ma vie que j’aurais pu être née dans une famille plus aimante, plus soudée, et surtout plus vivante.

En effet, mon père est mort d’une pneumonie non-traitée peu après mes six ans. Il avait horreur de l’hôpital et des médecins depuis le jour de la mort de ma mère, et ne s’inquiétait pas de sa maladie, même quand il commença à cracher du sang, et il disait sans cesse que ça passerait. C’était un idiot, qui n’a que réussi à me laisser en garde à mon oncle et ma tante quand il est mort, ne me laissant pour tout héritage que des regrets.

Et ces personnages-là n’étaient pas les plus adorables du monde. J’appris par la suite que mon père avait un compte en banque avec une somme substantielle qu’il devait me léguer, mais que mon oncle et ma tante y avaient allègrement pioché en tant que tuteurs, n’y laissant absolument pas le moindre sou.

 Wuying ! Sors les poubelles !

 Wuying ! Prépare-moi à manger !

 Allez, qu’attends-tu ! Je suis rentré du travail et tu n’as pas fait les courses !

 Crois-tu que ton père serait fier de voir à quel point tu paresses ! Ne t’a-t-il pas enseigné le respect, aussi ?

« Wuyin ! » par ci, « Wuyin ! » par là. Je n’étais ni plus ni moins qu’une esclave que mon oncle battait de temps à autres sans cligner des yeux. Je devais faire le ménage, la lessive, les repas, et attention, s’ils n’étaient pas à leur goût, j’avais droit à des coups de bâton. Mon dos en a gardé des marques toute ma vie durant.

Je parvins tout de même à entamer des études en serrant les dents et en leur faisant miroiter l’argent que je gagnerais plus tard, lorsque je serais devenue architecte. C’était mon rêve, je voulais créer des bâtiments, les tours les plus hautes du monde et des monuments imposants. La violence se calma donc lorsque j’entrai à l’université, mais pour être remplacée par une pression constante à chaque instant de ma vie. Lorsque l’un de mes deux tuteurs voyait que je n’étais pas en train d’étudier, ils me tombaient tous les deux dessus en me rappelant à quel point il était important que j’étudie, pour mon avenir. Enfin, ils ne pensaient bien entendu qu’à l’argent qu’ils pensaient que j’allais leur donner pour s’être occupés de moi pendant toutes ces années.

Evidemment, j’étais bien assez hypocrite pour pouvoir leur sourire et leur dire qu’ils auraient leur part, qu’ils n’auraient jamais à s’inquiéter pour leurs vieux jours, et d’autres sornettes bien enrobées de miel. S’ils avaient été un peu plus malins, ils auraient pu se rendre compte que c’était totalement stupide, que jamais je n’allais tenir une promesse pareille envers deux monstres comme eux, mais il faut croire que les perspectives de richesse font perdre la tête aux gens plus facilement encore que l’alcool.

A l’université, j’ai passé du temps à chercher un petit ami. Je me disais que si je pouvais trouver quelqu’un de bien, quitte à l’épouser et changer de vie, je me jetterais dans ses bras et satisferais tous ses désirs. Mais la malchance faisant partie de moi, les quelques garçons intéressants sur qui je tentais de mettre le grappin n’étaient absolument pas attirés par moi, ou déjà pris, ou plongés dans leurs études.

J’ai même tenté de séduire un de mes professeurs, un homme musclé et ténébreux, un métis enseignant les mathématiques appliquées. Il semblait vouloir se rapprocher de moi, m’invitant même un soir à une séance de « révisions » particulières tandis que j’abordais des points de son cours que je ne comprenais pas.

Le soir venu, je le retrouvai dans sa classe, seule. J’étais prête à enfin vivre une aventure, l’aventure de ma vie si possible, avec cet homme séduisant et si gentil. C’était une histoire qui aurait pu durer si longtemps ! Et elle dura… Elle dura jusqu’à ce qu’il sorte un livre de mathématiques et ouvre la page où étaient expliqués les points dont je lui avais parlé le jour même.

Outre le fait de ne pas vouloir fricoter avec une élève, il s’avérait qu’il était déjà marié et avait un fils. Je l’appris en discutant un peu avec lui ce soir-là, en tentant de me rapprocher de lui bien qu’il n’eut pas compris mes intentions initiales. J’avais envie de pleurer. En fait, je ne me suis pas gênée, mais pas devant lui. Comme souvent, je pleurais en rentrant à la maison, à pieds parce que mon oncle et ma tante refusait de dépenser le moindre centime pour me payer le bus.

Plus tard, j’ai trouvé un petit boulot comme vendeuse de tickets de cinéma. Je travaillais deux heures par jour, et j’ai pu me payer un vélo pour aller et venir plus vite entre la maison et l’université.

Vélo qui se fit voler une semaine plus tard, ce qui me fit pleurer à nouveau. Je n’avais aucune assurance, et aller raconter l’histoire à la police n’allait certainement pas mener à grand-chose. Comme s’ils allaient retrouver un voleur de vélo… Ils avaient mieux à faire, de toute façon.

Néanmoins, je finis mes études tant bien que mal et une fois mon diplôme en poche, je me pris des refus au nez. Aucune entreprise d’architectes ne voulait engager une femme, semblait-il. Pour pousser ma chance encore plus loin, je n’avais pas droit à un prêt bancaire pour monter ma propre entreprise parce qu’il me fallait un garant, les banques ne voulaient pas prêter de l’argent sans apporte personnel et sans garant. Mon oncle et ma tante, en plus de ne pas avoir d’argent et de ne pas pouvoir servir de garants, me pressaient pour que je trouve un emploi et que je commence à faire entrer un salaire dans ce qui était devenu dans leurs bouches le « foyer familial. » Comme si je m’étais une seule fois sentie faire partie de cette maison !

Après une recherche laborieuse, j’ai tout de même fini par trouver un job, loin de mes attentes mais qui me permit de gagner un peu d’argent. Je devins, contre toute attente, employée de pompes funèbres.

Mon premier jour de travail s’est évidemment passé de façon catastrophique. Je ne savais pas ce qu’on attendait de moi, ni comment faire ce qu’on finit par me demander. Je n’ai pas compris les termes qu’on employait en parlant des offres proposées aux clients, et ma langue a même dérapé à deux reprises lorsque je parlais des dépouilles, provoquant des regards noirs de la part des familles des défunts.

Je me fis renvoyer le jour-même, avec pour seul remerciement un chèque de salaire de quatre heures de travail.

De retour sur le marché de l’emploi depuis quinze minutes à peine, je me fis renverser par une voiture. J’aurais bien aimé mourir sur le coup, mais elle ne fit que me casser huit côtes, plusieurs os dans mes bras et mes jambes, la mâchoire et le crâne.

J’étais là, étendue sur la route, et le conducteur de la voiture ne s’est même pas arrêté. Il a préféré partir en trombe pour éviter les problèmes, je suppose. Quoi qu’il en soit, je n’en ai plus jamais entendu parler. Enfin, je veux dire, pour les trois heures de plus qu’a duré ma vie. Trois heures de souffrances, sur le bitume, sous la pluie pour ne rien arranger. Les pompiers qui ont voulu me mettre sur une civière ont bien évidemment utilisé du matériel défectueux, et me laissèrent tomber sur le sol, m’arrachant un hurlement bestial. L’un d’eux, j’en suis certaine, a même rigolé de la situation. Devenais-je paranoïaque ? Non, je n’avais absolument aucune raison de l’être, allez.

J’aurais bien aimé arriver à l’hôpital, voir si je pouvais encore survivre dans ce monde de merde.

Seulement, le conducteur du véhicule dans lequel je me trouvais roulait si mal, n’évitait absolument aucune bosse, aucun trou, et prenait les virages comme si sa vie en dépendait et pas la mienne, il roulait si mal, si mal…

Au bout d’un moment, ma vision se troubla, et je n’avais même plus mal. Tout ce que je pouvais voir, c’était une succession de flashs blancs et de ténèbres absolues. Même la mort se foutait de moi. La lumière au bout du tunnel ou les ténèbres éternelles ? Il faudrait savoir…

Finalement, le son de la sirène s’effaça également. Je n’entendais plus rien, et pouvais à peine sentir les tentatives désespérées d’hommes autour de moi – des médecins, peut-être ? – pour me ramener à la vie. C’est ce que je supposais en tout cas, j’avais vu assez de films pour savoir comment ça se passait. Je n’avais plus mal du tout, je ne sentais plus rien. Dans peu de temps, l’un d’eux allait regarder sa montre et dire un truc du genre « heure du décès : 14h et quelques » avant d’aller fumer une clope, sans doute. Je n’allais être qu’une morte parmi tant d’autres à ses yeux.

En définitive, tout stoppa dans ma tête. Je ne sentais plus rien, je n’entendais plus rien, je ne voyais plus rien et ne pouvais plus bouger. J’avais froid. Enfin, non, pas vraiment. J’avais si chaud que j’avais l’impression d’avoir froid. Ou le contraire, peut-être, c’était un peu bizarre.

De toute façon, j’étais en train de mourir, si ce n’était déjà fait. Je voyais effectivement une lumière se stabilisant devant moi, la légendaire lumière au bout du tunnel ! Attends-moi papa, j’arrive maman ! Enfin… J’aurais pu, si j’avais été une personne chanceuse.

Me sentant aspirée par cette lumière, je me rendis compte bien assez rapidement que ce qu’il y avait au bout, ce n’était pas un paradis tant attendu, qu’il soit d’une religion ou d’une autre.

Ce qui se trouvait face à moi, c’était un groupe de personnes au teint rougeâtre, on aurait dit des diablotins, mais en plus gros. Des diables, en fait. Des démons ? Des types rouges, au final. Ils étaient comme moi, ils avaient des yeux, des oreilles, une bouche et des mains, et les seules choses qui les différenciaient de ce que j’étais, c’était cette petite paire de cornes sur leur front, et leur teint rouge. Mouais, des démons, ça sonnait bien. Ma malchance m’avait portée si loin que j’étais même tombé en enfer ?

Bon.

Après tout, je n’étais plus à ça près.

Ils eurent tout de même la bonté de m’accueillir avec des mots gentils. Enfin, des mots pas méchants, donc ça allait.

 Ah, alors c’est lui, le nouveau venu ?

 Lui ? Eh, mais non. C’est une fille.

 Une fille ? Ouah, c’est rare !

 Oui, oui ! C’est bien une fille !

 Les gars, sortez l’alcool ! On va fêter ça avec elle !

Finalement, peut-être que j’avais pensé un peu trop vite. Ils ressemblaient plus à une bande de pervers prépubères qu’à des démons. J’avais toujours rêvé du jour où je me ferais prendre dans les bras d’un homme puissant et viril, mais ce n’était encore jamais arrivé ! Qu’est-ce que j’allais leur répondre, hein ? Je venais d’arriver chez eux, et je me sentais déjà obligée de les envoyer paître. Ils n’allaient pas beaucoup m’aimer…

 Allez, ma fille ! Ne fais pas cette tête ! Qu’est-ce qui ne va pas ?

Devant mon silence, celui qui avait parlé continua.

 Ah, je sais, je sais, c’est toujours pareil… Tu es morte, et tu ne sais pas ce qu’il se passe, hein ? D’où viens-tu ?

Je réussis tout de même à articuler, la bouche engourdie.

 D… De Beijing.

Bei… hein ? C’est où, ça ?

 Chine. Asie, tout ça… Beijing.

 Ah ? Connais pas. C’est sur quelle planète ?

 Pl… Quoi ? C’est sur Terre, bien sûr.

 Ah ! La Terre ! s’écria-t-il d’un air satisfait, il y a un moment qu’on n’a pas eu de nouvel arrivant de la Terre ! Attends, je vais te présenter à FeiLong, tu te sentiras peut-être plus à l’aise avec lui ! »

Le type rouge partit. Baissant les yeux par réflexe, je constatais qu’il n’avait pas de petite queue fourchue. Décidément, ce n’était que les cornes et sa couleur. J’étais perdue dans mes pensées quand il revint avec un autre mec aussi rouge que lui.

 La voilà. Occupe-t’en bien, FeiLong, mets-la à l’aise.

Et il fit simplement demi-tour, juste comme ça.

Le nouvel arrivant m’adressa directement la parole.

 Salut. Comment tu t’appelles ?

 J… Je m’appelle Qian Wuying. Tu es FeiLong, c’est ça ?

 Haha, oui. Je suis FeiLong. Sur Terre, je m’appelais Cheng FeiLong, il y a quelques centaines d’années.

 Pardon ?

Je ne pus retenir ma surprise. Mais après tout, à bien y réfléchir, j’étais morte aussi. Pourquoi est-ce que cela me choquait ? D’ailleurs, est-ce que… Je regardais ma main, et je ne fus même pas surprise quand je vis qu’elle était aussi rouge que l’était ce FeiLong et tous les autres types excités.

— Alors moi aussi… Je suis un démon ? On est en enfer ?

 Enfer ? Non ! C’est quoi cette histoire ? Assis-toi là, je vais te raconter ce qu’il se passe, de toute façon, maintenant que tu es là, tu n’as plus trop le choix.

Raka
Les derniers articles par Raka (tout voir)
DMS : Chapitre 2

Related Posts

18 thoughts on “DMS : Chapitre 1

  1. Je me demandais quand est-ce que tu sortirais le premier chapitre… Eh bien me voilà servi x)

    Merci pour le chapitre et hâte de lire la suite x)

  2. Merci pour ce chapitre

    Maintenant je sais ce que ça donne quand on mélange « Rémi sans famille » et « Les orphelins Baudelaire ».

  3. il a du potentiel et puis c’est le seul light novel ( japonais ou chinois) que je connais ou le personnage principal est une fille

  4. Il y en a d’autres, pourtant… Quelques-uns.

    Et puis, celui-là n’est ni japonaus ni chinois. Pas même coréen. 

    C’est du 100% français.

  5. Maintenant que j’ai fini de rattraper OG en VA, je m’attelle sur ton LN. Première fois que je poste un commentaire sur le premier chapitre d’un LN alors que je le fais toujours sur le dernier chapitre publié. Faut bien un première fois à tous ^^.

    Bref, que dire ? Ben comme pour « Osumba », ça donne déjà envie de suivre ! Et comme pour « La légende de Fuyao », ça fait plaisir de suivre une fille comme personnage principal. Ça change un peu ^^ ! Par contre, ça a déjà été dit mais elle a vraiment une vie de merde la pauvre ^^ »… En espérant que ça deuxième vie soit meilleur que sa précédente.

    Sur ce, je me hâte de regarder la suite.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Social Media Auto Publish Powered By : XYZScripts.com