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Chapitre 152 – Bienvenue à Zombieland (5)

 

Ainsi, j’avais pu obtenir un VM dans ma collection. Bordel, c’était un truc à marquer d’une croix sur le calendrier : ce plan avait à peine été créé quelques heures auparavant, et déjà le système avait réussi à s’y agripper et à virtualiser les caractéristiques des créatures qui le composaient.

— Je me demande une chose, cela dit, murmurai-je en reculant lentement, très lentement pour m’éloigner de la porte d’où étaient venus tous ces râles.

Oui ?

— Puisqu’il est si rapide à analyser et s’accaparer les formes de vie d’un plan, pourquoi ne le fait-il pas avec les humains qui le composent ? demandai-je. Avec moi… ? Ce serait si facile de m’attraper…

J’entrevis un mouvement de l’autre côté de la porte à moitié déchirée. La partie supérieure de la lourde porte était encore à moitié dans ses gonds, mais il semblait désormais que la masse de zombies qui poussaient dessus de l’autre côté, sans doute attirée par mon cri, et peut-être l’odeur des humains de ce côté-ci, allait la faire céder.

Une invasion de plusieurs dizaines, peut-être centaines de 20’s, ce n’était vraiment pas ce dont ce petit morceau d’humanité avait besoin. Mais que pouvais-je y faire ?

Deux VMs, l’un avec une jambe arrachée et l’autre qui n’était plus qu’un tronc avec un moignon de bras et le visage déchiqueté – lui, il avait eu son compte de son vivant – rampèrent dans la partie de la porte déjà ouverte. Ils levèrent la tête pour humer l’air et tournèrent la tête dans ma direction.

— Putain, ils peuvent me sentir d’ici ? râlai-je depuis l’autre côté de la rue, loin d’eux, près de la sortie de la zone résidentielle.

Ils semblent dotés d’un odorat fort développé suite à l’hypertrophie de la…

— C’est bon, ne perds pas ton temps. Ils veulent me bouffer, j’ai pigé.

Je ne faisais que répondre à ta question.

— Merci, mais c’est pas vraiment le moment, lui offris-je sèchement en pivotant pour fuit à toutes jambes.

Heureusement, les deux zombies qui étaient parvenus à passer la porte n’étaient pas des plus mobiles. Cela dit, en jetant un coup d’œil par-dessus mon épaule, je pus constater qu’ils ne m’avaient pas lâchée, et bien qu’incapables de gagner du terrain, ils continuaient à se hisser tant bien que mal à ma poursuite.

Ils abandonneraient bien assez tôt. J’allais arrive à l’université, et de là, ils me perdraient.

Pourquoi ne pas simplement t’en occuper ? Purifie-les.

— Je n’ai pas que ça à faire. Je peux mourir, je te rappelle. La purification fonctionne au contact, et je ne sais pas combien de centaines… Non, de milliers ? Je ne sais pas quelle armée se cache dans ce tunnel !

Il allait d’ailleurs falloir que je prévienne sérieusement les autorités pour cette porte, avant que la journée de travail ne fût terminée et que les gens ne revinssent chez eux.

— Et avant que ces rampants n’arrivent à l’université.

Attends-les. Purifie-les.

— Tu y tiens, hein ? répondis-je en courant. Non, je ne vais pas prendre le risque de rester près d’ici, les autres vont passer cette putain de porte et ils n’auront qu’à lever le nez pour me renifler.

Un dernier coup d’œil pour m’assurer que j’avais semé les deux machins décomposés.

— L’armée s’en chargera.

J’allais prévenir mon père. Lui, il saurait quoi faire et il était équipé pour ça, tant au niveau des armes que du personnel et de l’expérience. Après tout, quand on devait dépanner une navette inter secteur dans ces tunnels infernaux, les techniciens étaient envoyés avec une lourde escorte de plusieurs dizaines de militaires. Et encore, parfois, il y avait des morts, qui venaient même de temps en temps s’ajouter à la masse des zombies.

Je lui avais un jour demandé – enfin, pas moi, l’autre, mais c’était moi – pourquoi ils ne préparaient pas une opération de grande envergure pour nettoyer les tunnels inter secteurs une bonne fois pour toutes. Il ne fallait pas oublier qu’ils n’étaient pas connectés à la surface, et dès lors, les zombies ne pouvaient pas y entrer. Ceux qui s’y trouvaient étaient en nombre important, mais limité.

Il m’avait ri au nez, en me demandant ce que j’imaginais faire, même avec plusieurs centaines ou milliers de soldats, face à une armée dont personne ne connaissait le nombre exact, peut-être des dizaines de milliers de cibles à abattre avec précision, qui n’avaient ni peur, ni mal, ni hésitation. Qui pouvaient continuer à vous tuer tant qu’elles n’étaient pas totalement anéanties. Qui pouvaient se cacher dans les coins, dans l’ombre, partout. Qui pouvaient vous renifler dans le noir le plus total et vous sauter au visage, à la gorge et vous infecter. De plus, les tunnels inter secteurs étaient si vastes et impossibles à explorer que nul ne pouvait affirmer qu’une brèche n’existait pas quelque part vers la surface, à peine trois ou quatre mètres au-dessus ; à ce moment, une hors de millions de zombies pouvait aisément être maintenue et impossible à combattre.

Non. Jamais une opération pareille ne serait organisée, les choses fonctionnant bien en l’état.

Mais s’il s’agissait uniquement de quelques spécimens sortis d’une porte brisée, les choses étaient gérables. L’armée était là pour ça et mon père savait ce qu’il y avait à faire.

Je rentrai donc chez moi en quatrième vitesse ; ce plan avait beau être une pure invention de mon esprit, la Wuyin qui y vivait et que j’étais devenue y tenait comme à son propre mode, parce que c’était son propre monde. Je ne parvenais pas à ignorer ce genre de sentiment.

— Papa ! hurlai-je en entrant dans la maison en grand fracas. Tu es encore là ?!

Il pouvait retourner travailler à n’importe quel moment. S’il était appelé, il devait faire acte de présence en tant que général. Mais peut-être était-ce un jour calme, et…

— Wuying ? marmonna-t-il en levant la tête.

Il dormait dans le canapé. Bordel, merci.

— Je… repris-je sur un ton essoufflé.

J’avais beaucoup couru. Je ne pouvais pas me permettre de me montrer en train de léviter ou d’utiliser la magie en public, et j’avais croisé quelques âmes égarées sur le chemin du retour – et dans la navette jusqu’à chez moi. Ce monde ne connaissait pas encore la magie, et je n’étais pas prête à être celle qui la leur ferait découvrir ainsi.

— Il y a… cette zone résidentielle, près de l’université… hah… hah… Une porte d’accès… éventrée…

Il se leva d’un bond, le regard vif, comprenant immédiatement où je voulais en venir.

— Quoi ? Dans la zone Z19 ? La porte… C’est une porte de tunnel inter secteurs ! C’est grave !

Il attrapa immédiatement une radio et envoya un signal à l’aide d’un bouton, avant de prendre la parole et de déverser un flot d’informations.

— Général Qian à l’appareil. Identification 28-432-Y-4. La porte IS-Z19 est compromise. Danger VM immédiat. Retrouvez-moi à l’entrée Z19 dans 5 minutes, je veux cinq escouades et une équipe de techniciens mécha. Ceci n’est pas un exercice, ceci n’est pas un exercice.

Il se tourna vers moi, l’air grave.

— Il faut que je file. Merci, ma chérie.

Sans demander son reste, il bondit hors de la maison et ne prit même pas la peine de fermer la porte, me laissant là, avec ma présence et mes interrogations. Il sauta dans son véhicule de fonction, une espèce de mini-navette capable d’emprunter des petits tunnels réservés aux militaires nécessitant des codes d’ouvertures bien gardés et permettant de se rendre en tout lieu des secteurs avec une rapidité déconcertante.

Rapidement, il disparut de ma vue et je me permis un soupir.

— Bon. Il saura gérer la suite. Il est temps d’aller faire ce donjon…

La persona sauta sur l’occasion.

Je te suggère de créer ton donjon sur une porte inter secteurs.

— Pardon ?

Il faut que les futurs explorateurs qui vont y entrer puissent donner le change.

— Je ne comprends pas bien…

Pour la première fois, je sentis la persona soupirer de dépit dans ma tête.

Tu as déjà oublié tes fondamentaux ? Les autochtones n’entreront pas dans ton donjon, parce qu’à moins de recréer un bar, ce que je te déconseille vu la tournure des évènements dans le précédent, ils n’auront aucune raison de le faire et de risquer leur vie. Par contre, des explorateurs vont rapidement renaître sur ce plan, et les choses vont changer. Il faut que tu crées un donjon de faible niv… Non… Attends…

— Quoi ?

Je commençais enfin à comprendre ce qu’elle me disait. Il n’y avait pas d’explorateurs sur ce plan, et ceux qui arriveraient bien assez tôt ne seraient que de niveau 1. Je ne pouvais pas faire n’importe quoi ; mais alors, allais-je seulement gagner de l’expérience ? C’était improbable. Ce plan était voué à être oublié. Je pouvais créer un donjon et filer.

Mais…

Pourquoi n’arrivai-je pas à me faire à cette idée ? J’avais grandi ici pendant seize ans et c’était chez moi. L’abandonner ? Certainement pas. Mon père se battait, ma mère cherchait toujours le vaccin… Je ne pouvais pas les laisser en plan, tout lâcher.

Par contre… Je pouvais faire quelque chose pour les aider.

Je le pouvais sûrement !

Et pour ça, il fallait que…

Oh. Excellente idée, Wuying. Tu m’épates. Mais tu ne possèdes pas ce qu’il faut pour ça dans ta collection. Tu n’as pas le bon type de donjon.

— Je ne peux pas créer un laboratoire de recherches, hein ? réalisai-je.

Peut-être qu’avec le donjon cybernétique, j’aurais pu faire quelque chose, mais avec juste une caverne, une forêt hantée, un océan de cristal et une taverne, j’allais avoir bien du mal, effectivement.

Mais nous allons remédier à ça.

— Vraiment ? m’écriai-je. Tu as une solution ? Tu… Tu peux me créer une boutique, peut-être ?

Pas tout à fait, non. Mais tu brûles. Laisse-moi le contrôle.

Je lui accordai la possession de mon corps et la laissai me repousser dans mon esprit. Une fois de plus, je pouvais voir par mes yeux, mais comme une marionnette, je ne parvenais plus à bouger.

— Il va falloir que je t’apprenne sérieusement à utiliser cette compétence, déclara la persona. Mais ce n’est pas encore le moment. Nous avons plus urgent à faire.

Elle garda alors le silence pendant près de vingt secondes avant d’ouvrir la bouche à nouveau.

— Appropriation.

Oh ! Mais je l’ai utilisée il y a moins de vingt-quatre heures !

— Cette compétence est liée à ton âme. Ainsi qu’à la mienne. Je peux l’utiliser indépendamment de toi, ne l’avais-tu donc pas compris ?

[Appropriation vient d’être supprimée.]

[Appel vient d’être acquis.]

[Réinitialisation de la compétence dans : 23 h 59 m 59 s.]

[Appel.]

[Permet aux mages de la lignée royale d’Aberon de s’invoquer les uns les autres.]

Quoi ? C’est quoi, cette compétence ? Il faut vraiment que tu m’apprennes à faire ça !

— Bientôt, me souffla la persona. Quand nous en aurons terminé avec le donjon, nous nous y mettrons. Mais ce ne sera pas facile.

Peu importe ! Je le ferai !

— Très bien, soupira ma bouche.

Et donc, cette compétence, c’est quoi ?

— Appel ? Il s’agit de… Oh, tu verras.

Ma main se leva et la persona lança l’appel. Une vibration dans l’espace devant nous se matérialisa et se changea rapidement en ce que je reconnus être Joc.

Joc ?!

— Joc, en effet. Je l’ai appelé et il a accepté de répondre à mon appel. Dépêche-toi, le lien vers ce plan est ténu et je pense que tu disposes de quelques minutes dans le meilleur des cas.

Joc écarquilla les yeux et regarda autour de lui.

— Quoi ? Où sommes-nous ? Depuis combien de temps es-tu là ? N’étais-tu pas censée partir à la rencontre des elfes ?

La persona, qui m’avait rendu le contrôle de mon corps, s’effaça au fond de mon esprit.

— Joc ! Nous n’avons pas le temps, je t’expliquerai tout quand je rentrerai ! m’écriai-je. Vite, ouvre-moi une boutique ! Dis-moi que tu peux le faire ! Je t’en prie !

— Eh bien, oui, je… bafouilla-t-il, un peu perplexe. Je peux. Pourquoi est-ce que je ne sens pas l’influence du système, ici ? C’est si faible… Où som…

— La boutique, vite ! tranchai-je.

Il fallait que je puisse lui acheter quelque chose, un centre de recherche ou n’importe quoi de médical serait partait. Mais si je n’avais réellement que quelques minutes, il fallait le faire tout de suite.

Joc se concentra et au bout de quelques secondes, ses yeux se révulsèrent.

— Bienvenue, Qian Wuying. Que puis-je faire pour toi ?

Et voilà. Le Joc que je connaissais n’était plus, remplacé par la personnalité marchande fictive que Pythagore et lui avaient créée.

— Montre-moi ce que tu as à vendre pour niveau 62.

— Bien sûr. Voici.

Il fit un geste derrière lui, comme pour me désigner les étagères inexistantes sur lesquelles apparurent les articles que j’attendais et que je triai aussitôt par la force de ma volonté.

Il y avait là énormément de choses. Vraiment, vraiment beaucoup. Mais il me fallait un donjon. Et un capable d’être assimilé à ce plan. Je ne pouvais pas placer là n’importe quoi, et je savais ce que je voulais.

Ce qui retint mon attention fut assez limité, finalement.

[Donjon : Pic Céleste] [8 000 crédits]
[Donjon : Solitude] [8 000 crédits]
[Donjon : Centre secret] [45 000 crédits]
[Donjon : Spatioport] [35 000 crédits]

Les deux premiers, je les connaissais. Je les avais déjà rencontrés bien plus tôt et ils étaient réapparus, toujours vendus au même prix. Ce qui signifiait que peu importât ce que je faisais, ils ne coûteraient jamais ni plus, ni moins. Les deux suivants étaient des donjons proposés à bien plus haut niveau. Le spatioport ne pouvait pas coller avec ce que je désirais, et encore moins dans un monde souterrain, mais j’aurais potentiellement pu faire passer ça pour une relique du passé…

Par contre, le centre secret m’avait immédiatement fait de l’œil. Je ne pouvais pas le laisser passer, même s’il coûtait un prix exorbitant pour ma réserve de crédits. S’il ne s’agissait pas d’un centre de recherches top secret, alors je ne savais pas ce que ça pouvait bien être ! J’avais désiré un institut se rapprochant plus de quelque chose de médical, mais il fallait faire avec.

Je disposais pourtant de plus de 285.000 crédits. Je pouvais me permettre de tout acheter. Après tout, je ne savais pas si j’allais pouvoir retrouver ça un jour, et il fallait que j’élargisse l’univers du possible. Si je ne voulais pas, à l’avenir, me retrouver dans une situation identique, dans laquelle j’allais devoir prier pour trouver le bon type de donjon, alors les acheter en avance était la bonne idée du siècle.

— Je prends les quatre donjons que voici, annonçai-je vite à Joc, qui acquiesça avant d’effectuer l’échange et de me laisser écraser les boules lumineuses entre mes doigts.

— 96.000 crédits sont déduits des réserves, lâcha-t-il naturellement.

— Très bien… Il m’en reste donc encore presque 190.000. Vite, voyons voir ce que tu as à vendre. Des pièges ? Des articles spéciaux ?

— Voici.

Il tendit la main et aussitôt apparurent devant moi, sans que j’eus besoin de les trier, plusieurs objets particuliers.

[Labyrinthe temporel – Piège : Magique] [10.000 crédits]
[Flammes de Vif-Bleu – Piège : Physique] [25.000 crédits]
[Racines de Fou-Furieux – Piège : Physique] [19.000 crédits]

Et dans les articles dit spéciaux, une chose insensée apparut également.

[Réinitialisation absolue] [1.000.000 crédits]

— Quoi ? fis-je, parfaitement attirée par ce nom et ce coût hors du commun. C’est quoi, ça ? Qu’est-ce que ça fait ?

Joc ne répondit pas, clignant déjà des yeux et reprenant ses esprits. Il secoua la tête et tituba, pris d’un vertige soudain. Terminé, le mode marchand… Malheureusement pour moi.

— Ouah… Plus les coûts sont gros, plus c’est désagréable, avoua-t-il.

— Vraiment ? m’étonnai-je. Comment ça ?

— Je ne sais pas. Plus ma conscience doit supporter d’articles hors de prix, plus l’impact est important. Mais ne t’en fais p…

Il ne termina pas sa phrase et disparut dans un scintillement étoilé.

— Hein ? Joc ? Joc ?!

Il est retourné sur le plan des architectes. Le sort d’Appel a pris fin.

— Quoi ? Dommage… soupirai-je. Il aurait pu m’être sacrément utile ici. C’est Joc, quand même ! Ce type a passé dix mille ans dans la peau d’un type de l’administration, il sait tout un tas de trucs !

J’en sais également beaucoup.

— Mais… Ce n’est pas pareil ! Tu… Je…

Je ne savais même pas quoi dire. C’était plus qu’une sensation, c’était une conviction. Joc et la persona étaient différents, et je sentais Joc plus expérimenté. Avec moins d’informations brutes, il était néanmoins capable d’aller chercher des résultats impressionnants. Si ces deux-là pouvaient un jour coopérer… Une idée à garder sous le coude.

Quoi qu’il en fût, je venais d’acquérir quatre types de donjons. Il était hors de question de placer un donjon Solitude ; je me souvenais encore très bien de ce que ça provoquait. Le Pic Céleste était également à proscrire sur ce plan si je ne voulais pas attirer l’attention trop rapidement. Quant au spatioport, il n’avait pas lieu d’être dans un bunker souterrain.

Non, j’allais placer le Centre Secret quel qu’il fût.

— Où me conseilles-tu de le placer ? demandai-je une fois dans la rue.

Je levais la tête vers les lumières biophosphorescentes qui imitaient le cycle du jour et de la nuit en tirant leur énergie du vrai ciel, plus haut. Il ne faisait pas encore sombre. Nous étions à peine en milieu d’après-midi et j’avais encore le temps de faire ce que j’avais à faire.

Aussi me rendis-je en tout hâte en direction de la zone résidentielle reculée que je connaissais désormais plutôt bien. Je choisis d’y aller à pied plutôt qu’en navette pour découvrir un peu autre chose de ce monde que ce que je connaissais – et perdre un peu de temps.

En arrivant, je vis les bandes de sécurité, comme dans les vieux films policiers, jaunes et noires avec écrit en grand dessus danger, ne pas franchir.

Il y avait beaucoup de sang. De liquide vert aussi. La rue en était pleine. Quelques cadavres de VMs jonchaient encore le sol çà et là, et tandis qu’une équipe de techniciens remballaient leur outillage autour d’une porte neuve et bien scellée, d’autres hommes – ou femmes – habillés tout de blanc en tenue hermétique avec casque et gants transportaient les carcasses de VMs jusque dans un véhicule militaire.

— Jeune fille, veuillez vous éloigner, s’il vous plaît, m’alpagua une voix dans mon dos tandis que j’observais la scène. Il s’agit d’une scène d’opérations militaires et les civils ne sont pas autorisés à approcher.

Je me retournai et aperçus mon père qui me souriait d’un air malicieux.

— Alors ? L’opération s’est bien passée ? soupirai-je pour donner le change.

Il haussa les épaules.

— Il n’y avait pas énormément de VMs, à vrai dire. Moins d’une dizaine avaient réussi à passer la porte. Finalement, elle a tenu bon, et ils sont trop idiots pour ramper quand ils ne sont pas obligés de le faire.

La porte avait tenu bon. C’était bon à savoir. Finalement, c’était du solide.

— Nous avons ouvert ce qu’il restait de la porte, abattu en silence les quelques VMs attroupés là et surveillé les techniciens pendant qu’ils installaient la nouvelle porte. Rien d’anormal, du début à la fin. Bien que…

Il grimaça légèrement en tournant les yeux vers la porte flambant neuve.

— …je me demande bien comment elle a pu se retrouver dans cet état. Les VMs ont des dents et des ongles acérés mais ils sont parfaitement incapables de faire ça. Je vais demander l’ouverture d’une enquête.

S’il le voulait, pourquoi pas ? Ils ne découvriraient jamais le Skaagh, qui était d’ailleurs probablement déjà mort depuis belle lurette dans cette masse de zombies.

— Que fais-tu là, d’ailleurs ? Tu savais que cet endroit était dangereux, et tu es venue malgré ça ? C’est de la curiosité déplacée. Je sais que tu es ainsi, mais…

— Tu es là, non ? Toi et tes hommes, répliquai-je avec décontraction. Je ne risquais rien.

— On ne sait jamais ce qu’il peut se passer. Tu le sais bien. Si un VM plus coriace que les autres s’échappe, tu risques de te faire infecter, ou pire, tuer, avant qu’on ne puisse l’abattre.

— Ne te moque pas de moi, me mis-je à rire. Pas moyen que vous autres spécialistes loupiez une cible qui se fait la malle.

— Tu prends tout ça à la légère.

Il m’attrapa par les épaules et me regarda droit dans les yeux.

— Tu as changé, ma fille.

— Pardon ? paniquai-je.

Après tout, qui de mieux placé qu’un parent pour remarquer que sa fille avait… disons, fusionné avec sa version d’un autre plan ?

— Tes yeux ne me racontent plus ce que je voyais quand tu avais dix ans. Je sais que je ne suis pas énormément à la maison et que je loupe des choses, mais je réalise malgré tout… que tu changes. Peu à peu, tu deviens une adulte, tu vas même à l’université, maintenant !

Ah, c’était donc ça. Le truc du papa modèle et nostalgique, ce qui me rassura un peu.

— Tout le monde change, tu sais ? lui répondis-je, un peu mal à l’aise malgré tout. On grandit. On trouve des buts. On surmonte ses peurs.

— C’est une bonne chose, acquiesça-t-il avec un sourire, avant de reprendre un visage dur. Mais tu ne dois pas pour autant te présenter sur un lieu d’opérations comme ça, ça peut être dangereux de mille façons ! Et je ne parle pas que des VMs !

Bien sûr. Des dommages collatéraux étaient toujours envisageables.

— Allez, jeune fille. Rentre à la maison. Tout de suite. J’ai encore du travail ici.

Résignée, je pus voir dans son regard qu’il ne me laisserait pas le choix, quitte à me faire escorter par ses hommes. Le plan allait devoir changer. Si je ne pouvais pas créer mon donjon ici, alors…

À la maison ? Hors de question.

L’université ? Trop dangereux et peuplé. Je ne voulais pas prendre le risque de voir les étudiants se faire bouffer.

Il me fallait un coin isolé ; fouillant ma mémoire, je me souvins d’une chose que m’avait raconté Xiaolong un jour. Finalement, l’université n’était peut-être pas impossible à envisager.

J’offrir un hochement de tête à mon père et fis demi-tour. L’université était proche et j’y arrivai rapidement. Il n’y avait plus cours et les portes étaient fermées, aussi fus-je obligée de pester et de me faire à l’idée que j’allais devoir faire autrement.

Les cours ne reprendraient que trois jours plus tard, et je ne voulais pas me permettre d’attendre : chaque seconde qui passait pouvait aussi bien être celle qui rendrait Friderik totalement fou.

— Nous allons devoir jouer le tout pour le tout, il semble bien.

Parce que je ne pouvais pas me permettre d’attendre, il fallait que je crée un donjon. Et lorsque le système aurait la main mise sur le plan avec suffisamment d’autorité, je pourrais alors en sortir.

— On va attendre la nuit et retourner près de cette porte. Je ne vois pas d’autre solution envisageable.

C’est une bonne idée. Cet endroit est idéal pour y établir un donjon. Il vaut bien quelques heures d’attente.

La nuit tombée, je me glissai à l’extérieur de la maison.

— Lévitation, murmurai-je une fois suffisamment loin.

Et ainsi filai-je à travers la faible lueur des tunnels qui voulait représenter le clair de lune parfois parsemé de nuages. Ces lampes prenaient-elles réellement appui sur le ciel extérieur pour fonctionner ? C’était fort possible.

Je filai comme le vent, plus rapidement que la navette qui m’avait ramenée à l’université. Ce sort était décidément un don des cieux. Si je pouvais un jour retourner au marchand de la secte, je me ferais une joie de lui soutirer d’autres merveilles du genre.

Dans la petite zone résidentielle, tout était lugubre. L’absence totale de bruit me faisait frissonner, et pas de froid : la température était apparemment régulée et égale à toute heure du jour et de la nuit, il faisait très bon. Mais il n’y avait pas de vent. Pas de bruissement de feuilles dans les arbres. Pas d’animaux nocturnes. Rien. Un mutisme parfait et glaçant.

Je m’approchai de la porte à pas de loups, ne prenant même plus le risque de léviter.

De l’autre côté, je pouvais clairement discerner des murmures plaintifs, des râles d’agonie, sans doute de famine. Le métal avait beau être épais, je possédais des sens d’architecte et mon ouïe était meilleure que celle d’un humain normal – merci aux statistiques qui étaient montées en même temps que mon niveau.

Les lieux avaient été totalement nettoyés. Plus la moindre trace de sang, de liquide vert, rien. C’était comme si rien ne s’était passé là.

— Il est temps de s’y mettre. J’espère que les quelques personnes qui vivent par ici ne sont pas en train de regarder par la fenêtre.

Mais les lumières étaient toutes éteintes dans les maisons. Je commençais à me demander si des gens vivaient réellement dans cette zone résidentielle…

— Je me fais des idées. Ils sont crevés de leur journée de travail, voilà tout. Allez, on s’y met.

Je pris quelques minutes pour visualiser mentalement ce que je désirais faire et l’ordre dans lequel j’allais devoir organiser la création du donjon. Une fois sûre de moi, je hochai la tête et fronçai légèrement les sourcils. Concentration oblige, comme on dit.

Le métal de la porte ondula sous la volonté de l’architecte que j’étais. Comme s’il n’était rien de plus qu’un énorme morceau de pâte crue, il s’écroula. Rapidement, ce n’était plus qu’un morceau de métal informe étalé au sol ; ouais, je pouvais même faire ça, apparemment. Mais je ne pouvais pas en abuser, c’était un pouvoir qui était limité à la création de donjons.

Pour preuve, je voyais des VMs dans l’obscurité de l’autre côté de la porte désormais inexistante, mais ils étaient bloqués par une barrière invisible. La porte n’était plus là, mais ils ne pouvaient pas passer. Je savais que ce que j’avais sous les yeux n’était en réalité qu’une illusion. Si je m’en allais, tout reprendrait sa forme d’origine. Si je finissais mon donjon, les changements deviendraient réels.

Un centre de recherche. Il fallait que je crée un centre de recherche. Je disposais de ce qu’il fallait : un couloir tout d’abord, qui apparut en repoussant les VM. Puis une énorme salle et d’autres couloirs. D’autres salles, le tout organisé de façon semi-circulaire.

La création architecturale elle-même fut rapide. Une fois terminée, je sentis que tout ce qui s’était passé devenait désormais réel. Je ne savais pas si mon donjon était construit sur le chemin d’une navette inter secteurs, mais j’espérais que la magie ferait son œuvre si c’était le cas. Le donjon était indestructible – enfin, à quelques exceptions près, me souvins-je d’Orc’Grogar – et la navette ne ferait probablement que s’écraser dessus.

J’entrai dans le donjon et sentis dans mon dos cette barrière qui empêchait normalement les architectes de sortir. Bien sûr, cela ne s’appliquait plus à moi, ou en tout cas, j’espérais que ce fût toujours le cas.

L’intérieur du donjon était propre. Lumineux mais pas éblouissant, des rangées de néons éclairaient le couloir principal tandis que les murs étaient composés de métal froid et noir. Le sol, une grille sous laquelle filaient des tuyaux et des câbles en tous genres, parsemés de lumières clignotantes colorées.

— Ouais, je suis vraiment dans un truc top secret défense, hein ? On dirait… Je ne sais même pas ce qu’on dirait, réalisai-je.

Tu voulais créer un vrai centre de recherches, n’est-ce pas ? Grâce à la magie, tu peux donner naissance à une technologie bien supérieure à tout ce que ce plan peut posséder.

— Il faut que j’arrive à faire ça, et à convaincre… ma mère… de venir y travailler. Avec un peu de chance, elle parviendra…

Mais avant ça, il fallait que je fasse les choses dans les règles, je n’avais pas le choix.

Une dalle de sortie dans un couloir, au milieu du donjon. Bien sûr, elle refusa de s’activer. Le système ne me signala même pas que je devais d’abord placer un boss et nommer le donjon. Non, la sortie n’était pas encore d’actualité.

— Un boss, hein ? me mis-je à réfléchir. Il me faut quelque chose qui soit facile à… Non, ma mère ne se battra pas. Peut-être que si mon père l’accompagne, ils pourront nettoyer le donjon avant de l’utiliser à des fins médicales ? Je ne suis même pas sûre qu’il accepte. Il doit suivre le protocole, il lui interdira d’entrer. Non… Il faut quelque chose…

Et pourquoi pas un truc que personne n’aurait besoin de tuer, ou que ma mère pourrait tuer n’importe quand ?

— Je crois que je sais.

Raka
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12 thoughts on “DMS : Chapitre 152

  1. Je ne l’avais pas vu venir le coup de donjon utile pour résoudre la crise. Bravo!!
    J’attend la suite avec impatience.
    Pour info
    « J’offrir un hochement de tête à mon père et fis demi-tour »

  2. Yeees ! Merci pour le chapitre !

    Raka petite question que je ne voulais pas poser, mais finalement qui me turlupine trop :
    L’éraflure faite par la cuisinière il y a deux chapitres de ça, on en entend plus parler alors que dans un tel monde ça semble cohérent que la moindre égratignure venant d’un MV provoquerait probablement une psychose démesurée. C’est volontaire de ta part ou c’est un mini oubli ?

    1. Volontaire.
      L’infection n’est pas si rapide à progresser suite à une éraflure.
      Il ne choque personne que les gens se fassent injecter un sérum 4 ou 5 jours plus tard dans un tel cas.
      Surtout quand on voit ses effets directs…

      1. Du coup c’est quoi le plan avec ton MC ? Elle sait qu’elle est imunisée ou elle est aussi stupide qu’un VM ?

        Ha et sa salle de recherche n’est pas sensée se limiter aux explorateurs ?

        Ne peut elle pas soigner les infectés et tuer les VM avec sa magie ? Si c’est le cas le systeme va sauver ce monde avec les explorateurs : Suffira de monter des esquades de paladins.

        Et ton MC me donne l’impression d’être un peu écervelée tout en manquant pas mal de morale, c’est voulu ?

        J’aime bien ce que tu écris globalement, même si l’histoire me semble un peu plus décousue depuis quelques temps. La zone qui était la mieux construite avec le plus de potentiel pour ton histoire et l’évolution de ton personnage, ça restait la ville de départ. J’aurai aimé la voir évoluer naturellement dedans plus longtemps. Ça me fait un peu comme si Voldemort brulait poudlard a la moitié du premier livre.

        1. Normal que ce soit décousu, on est dans une période où elle est en cavale et je veux faire ressortir qu’elle subit les choses plus qu’elle ne les vit ; donc certaines avortent sans qu’elles ne puisse les finir, d’autres ne fonctionnent pas comme elle l’entend.

          Pour tes autres interrogations, tout est voulu et tout a une raison bien précise (d’ailleurs toutes les choses mineures sont souvent expliquées un à deux chapitres plus loin.)
          Son donjon limité aux explorateurs, non. Elle s’est rendu compte avec sa taverne que les civils étaient capables d’entrer – et elle compte réitérer. Fais confiance à sa version corrompue du système (système qui, d’ailleurs, petit indice, a utilisé la plus grande partie de ses capacités pour créer un univers autonome et auto-suffisant et n’a plus des masses de pouvoirs en personne, d’où le fait que tout fonctionne mais qu’il ne soit plus capable d’agir énormément.)

          Quant à Imperos, elle va y revenir. Sans regarder mes notes, si je ne me trompe pas, d’ici une trentaine de chapitres. Elle est loin d’en avoir fini, et ce, avec TOUTES les zones qu’elle a visitées. Elle va revenir à Imperos, sur Albion, sur son plan… À plusieurs reprises, bien que de façon éphémère à chaque fois.

          Pour l’instant, on en est encore dans les prémices de l’histoire, on a découvert 2 mondes sur les 5 qu’elle doit visiter dans la première moitié de l’histoire… Et elle n’en a fini avec aucun d’eux.

          J’aime à rendre une histoire plus probable qu’attendue. Ce n’est pas parce qu’elle va entrer dans un monde qu’elle va tout terminer et ne plus rien avoir à y faire. Elle ne vit pas dans un RPG où toutes les quêtes secondaires vont s’afficher sur la map, où une fois une zone terminée, il n’y a plus rien à y faire. Ce sont des lieux vivants, qui évoluent avec le temps, et où il se passera toujours des choses 🙂 Les choses s’enchaînent et s’entrecroisent.

          1. Je comprend ton intention et ça me fait encore plus chier de te répondre ça quand tu prend ton temps à me répondre de manière agréable.

            Ce que tu essaie de faire ne donne pas l’effet voulu.

            J’avais commencé à t’écrire une these sur smartphone, mais je vais synthétiser ça comme ça pour nous épargner tous les deux :

            Si l’on compare ton histoire à une musique, à partir d’un moment des notes discordentes sont de plus en plus nombreuse, puis le rythme devient incohérant. On passe d’un début prometeur à un rappeur amateur.

            Je suis un très grand lecteur du genre et je sais que des gens seront toujours satisfait du médiocre. Ce qui n’était pas le cas de ton histoire.

            Sache juste qu’une histoire se juge dans son ensemble, comme une peinture. Si certains morceau sont trop différents en qualité du reste, la valeur de l’oeuvre devient vite inférieur à son pire élément.

    1. Je réponds de manière agréable quand on me parle de manière constructive et agréable. Tu auras noté la différence de ton entre ce commentaire et celui du chapitre suivant. Soit on est courtois, soit non, les deux me vont.

      Faut quand même se souvenir que je ne suis pas gentil et tout doux, je suis le vilain petit canard de la bande, caustique et sarcastique, peu effrayé par la violence verbale quand le besoin s’en fait sentir.

      Ce que j’essaye de faire donne l’effet voulu selon l’avis de bien plus de personnes que tu n’imagines…(On parle de presque 2000 ici et sans doute bien plus, impossibles à compter, parmi ceux dont j’ai eu vent et qui la Gtrad en anglais.) Et pour celle-ci en tout cas, une histoire se juge par la quantité de personnes qui l’apprécient. Je n’écris pas ça pour créer un chef-d’oeuvre apprécié d’une minorité apte à en saisir les nuances, mais pour faire plaisir au plus grand monde.

      Et tu sais quoi ? Mission accomplie ! 🙂

      Si je voulais vraiment faire de la qualité irréprochable, je publierais le livre que j’ai actuellement en écriture et dont je travaille chaque chapitre, chaque mouvement et chaque bémol pendant parfois plusieurs mois. Seulement, lui, c’est pas un LN et il est destiné à la vente, c’est pas du bénévolat. Je vendrais chaque chapitre de DMS, l’oeuvre aurait la qualité que tu lui demandes. C’est là que le bât blesse.

      Pour le reste, tu ne peux pas comparer une histoire écrite à une symphonie. Dans une musique, éphémère par définition, les notes sont à intention immédiate et meurent une fois éteintes. Une note qui sonne faux dans son environnement immédiat est simplement fausse et ne sera jamais rattrapée. Dans un texte, eh bien, la dissonance est la base de bien des choses, le lecteur sachant qu’une histoire n’est pas liée à son environnement immédiat. Ce serait idiot de s’imaginer le contraire, en tant que lecteur. 80% de la masse littéraire mondiale depuis la nuit des temps serait à revoir, dans ce cas. Pour n’en citer qu’un exemple simple histoire d’appuyer ça, le thème policier en fait usuellement la base de son écriture, de ces « fausses notes ». Et loin d’en être limité par le génie à sa « fausse note » la plus évidente, comme tu le dis, c’en devient des points forts. Parce que l’écriture, ce n’est pas de la musique.

      Sache juste qu’ici, ce n’est pas l’histoire qui cloche, c’est juste toi qui attend bien trop de ce qu’elle prétend donner.

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