MoL : Chapitre 26
MoL : Chapitre 28

Chapitre 27 –  À la dérive.

 

Zorian ouvrit les yeux d’un seul coup, une douleur aiguë dans l’estomac. Son corps tout entier se convulsa en réaction à l’objet qui venait de lui tomber dessus ; ce fut ce qui l’éveilla brusquement, la moindre trace de somnolence parfaitement dissipée.

— Bonjour, mon frère ! Résonna une voix désespérément joyeuse quelque part au-dessus de lui. Bonjour, bonjour, bonjour !

Le soulagement submergea immédiatement l’esprit de Zorian, aussitôt suivi par une vague de désespoir. Il l’avait fait – il avait sauvé son âme du troisième voyageur temporel et avait survécu, si on pouvait parler ainsi, à la rencontre sans aucune égratignure. Mais ses alliées…

— Zorian ? Tu vas bien ?

Zorian fixa sa petite sœur pendant plusieurs longues secondes, un million de pensées lui traversant la tête. Elle avait l’air gênée par son regard vide et son absence de réponse mais Zorian ne parvenait pas à trouver la force de s’en soucier à cet instant. Son esprit était toujours riveté à sa course poursuite avec Robe Rouge, sa fuite désespérée en direction d’une mort salvatrice. Au fait qu’il avait failli se faire capturer par un psychopathe meurtrier de masse qui possédait l’expérience d’une durée inconnue dans la boucle. Au fait que ce nécromancien savait désormais qu’il existait d’autres humains qui couraient le long du temps, au sein de ladite boucle en sa compagnie, et qu’il pourrait tout à fait venir à n’importe quel moment.

Au fait que les Aranea étaient mortes. Mortes pour ne jamais revenir.

Il poussa Kirielle d’un air absent, enfila ses lunettes et se mit à faire les cent pas dans sa chambre.

Tuer une âme était impossible. Elles ne pouvaient pas avoir été détruites, seulement modifiées, altérées. Tout le monde le disait – les professeurs, les livres qu’il avait lus, Kael le nécromancien amateur… Merde, même cette putain de liche l’avait dit lors de son combat contre Zach la toute première fois que Zorian l’avait vue ! Alors comment Robe Roge avait-il réussi à tuer les âmes des Aranea ?

La plus simple explication voulait que Robe Rouge eût découvert un secret que les autres mages n’avaient jamais effleuré. Il était nécromancien et avait une vaste quantité d’expérience, possédant un moyen facile de contourner les conséquences usuelles de tout un tas d’expériences glauques. Peut-être qu’il avait réussi là où d’autres avait échoué. Zorian ne parvint pas à s’en persuader, cela dit – la liche semblait être un meilleur mage que tous ceux qu’il avait rencontré jusqu’alors, Robe Rouge compris ; et cette même liche considérait la destruction d’une âme impossible – bien que cela pût être un fourvoiement de sa part. Il ne voulait pas quel les Aranea fussent parties pour de bon. Putain, il avait fini par les apprécier, ces stupides araignées ! Bien sûr, ils avaient leurs désaccords mais elles ne lui avaient jamais souhaité de mal et c’était réciproque. Nouveauté spécialement, elle ne savait pas mentir, elle n’aurait pas su si sa vie en avait dépendu. Si… S’il devait être parfaitement honnête avec lui-même, Zorian considérait presque Nouveauté comme une deuxième petite sœur. Maintenant… Elle était partie, comme le reste des Aranea en-dessous de Cyoria.

Et le pire dans tout ça ? Il l’avait laissé arriver. Il avait passé la soirée entière à rassembler le message de la matriarche, inconscient et insouciant de ce qui se passait réellement tandis que Robe rouge chassait les Aranea à travers la ville. Il savait qu’il avait affaire à un voyageur temporel et n’avait pas une seule fois imaginé que celui-ci pourrait posséder des contremesures développées contre d’autres voyageurs. Grands dieux, il se sentait si… stupide !

Bien que ce fût étrange… Tout d’abord, si Robe Rouge pouvait se débarrasser de façon permanente de tous ceux qui le dérangeaient à l’aide d’un tel sort, pourquoi ne l’avait-il pas utilisé plus souvent ? Assurément, l’invasion aurait été bien plus facile s’il s’était débarrassé d’une paire de blocs clés. Pourtant, Zorian n’avait jamais entendu parler de personnes notables s’étant éveillées mortes au début de chaque boucle et il avait accès à un réseau d’informations immense tenu par les Aranea. Il y avait une réponse évidente à ça, bien sûr : le sort allait de pair avec un coût exorbitant que Robe Rouge n’était pas désireux de payer. Mais le fait qu’il eût fait une exception pour se débarrasser de chaque Aranea de Cyoria faisait douter Zorian de cette possibilité. S’il y avait vraiment un coût significatif associé au sort en question, il se serait assuré d’enquêter plus proprement et de détruire l’âme de ceux pour qui c’était nécessaire uniquement.

Deuxièmement, les Aranea n’étaient pas réellement des voyageuses et le sort n’aurait pas dû fonctionner ! Zorian était plutôt sûr que la boucle ne ramenait pas toutes les âmes dans le temps. Si ça avait été le cas, chaque mage aurait pu constater une nette amélioration de leurs capacités à façonner le mana, miraculeusement, d’un jour à l’autre. De plus, il existait des sorts nécromantiques normaux servant à tuer des gens qui bannissaient l’âme d’un corps et Zorian en avait été témoin à quelques occasions durant l’invasion. Si chaque personne dont l’âme avait été bannie de son corps recommençait morte au début de la boucle, le nombre de cadavres inexpliqués aurait commencé à s’empiler rapidement et tout le monde aurait réalisé que quelque chose n’allait pas, déjà bien avant que Zorian n’entre dans le système. L’un dans l’autre, les âmes des personnes lambda n’étaient pas affectées par ce qui leur arrivait d’une boucle sur l’autre. Le fait que le sort de Robe Rouge pût affecter les âmes d’un bond sur l’autre était étrange, pour le moins.

Zorian cessa de faire les cent pas et fronça les sourcils, remarquant que Kirielle avait quitté la chambre un peu plus tôt. Il commençait à avoir le sentiment que Robe Rouge exploitait la nature même de la boucle temporelle pour obtenir, d’une certaine façon, l’effet désiré. Zorian lui-même n’avait pas idée de la façon dont elle fonctionnait mais Robe Rouge le savait sans doute, lui. Sans cette connaissance, il n’allait sans doute jamais le deviner. Comme toujours, il avait besoin de plus d’informations.

…Sauf que sa principale source d’informations, les Aranea, avait été proprement éradiquée par l’ennemi, ne le laissant qu’avec un message posthume et incomplet.

Putain.

 

___

 

Durant les heures qui suivirent, Zorian se laissa porter par le courant en tentant de cacher sa frustration, sa honte et sa panique afin de paraître le plus normal possible. Il avait échoué à garder son bouillonnement interne pour lui seul si les questions de sa mère étaient d’une quelconque indication, mais au bout du compte, elle finit par accepter l’explication banale du cauchemar troublant qui l’avait laissé dans cet état et cessa de l’ennuyer. Il prit donc ça pour une victoire méritée.

Un cauchemar, en effet. Et quel cauchemar ç’avait été ! Mis à part la perte des Aranea, il y avait une chance non négligeable que Robe Rouge eut pu deviner son identité et s’apprêtait à attaquer sa maison à ce moment précis. Oui, il avait réussi à conserver son visage derrière le foulard et n’avait pas prononcé le moindre mot mais il y avait toujours des moyens, malgré tout…

Il ne songea même pas à quitter immédiatement la maison, en proie à la panique. La raison principale ? Si Robe Rouge avait réussi à identifier qu’il venait de Cirin, alors sa famille était en danger de mort permanente, comme les Aranea, et il ne voulait pas laisser ce destin-là se produire. Il s’était attaché à Kiri durant la boucle et même s’il n’aimait pas sa mère autant qu’il l’aurait dû, il n’allait pas non plus laisser un psychopathe s’en prendre à elle. Non, le prix ultime que les Aranea avaient payé pour ses erreurs était suffisant – il aurait préféré être damné que laisser sa famille mourir pour sauver sa peau.

La deuxième raison était plus pragmatique. Il était possible que son identité eût été révélée, mais voilà, ce n’était que ça. Une possibilité. Oui, il était possible de le traquer en notant quels étudiants de la classe de Zach étaient absents avant de les vérifier un à un, mais il était plus que possible que Robe Rouge n’y pense pas. Après tout, pour autant qu’il était concerné, ce mystérieux voyageur temporel humain était associé aux Aranea, pas à Zach, et n’avait de fait aucune raison de le chercher dans l’entourage de ce dernier. Et tandis que Zach était désormais plus que sûrement conscient que Zorian était dans la boucle lui aussi, Zorian suspectait fortement qu’il ne serait pas à Cyoria quand Robe Rouge viendrait frapper à sa porte. Si Zach possédait un soupçon de bon sens – ce qui n’était pas certain, il était vrai – il fuirait la ville en premier lieu au début de chaque boucle. En prenant en compte que Robe Rouge avait consciencieusement massacré Zach en amenant la liche comme soutien et que cette fois Zach s’en souvenait, Zorian sentait que même lui ne serait pas assez fou pour rester dans une ville ou le cherchait un ennemi clairement supérieur.

C’étaient beaucoup de présomptions sur lesquelles se baser mais qu’avait-il d’autre ? Il était aculé dans un coin. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était attendre et espérer que Robe Rouge n’était pas un maître détective en plus d’être un effroyablement bon nécromancien et dieu savait quoi d’autre.

Dans tous les cas, son plan était simple à ce moment. Prendre le train de manière naturelle et débarquer une fois Cirin hors de vue. Il n’avait aucune intention de retourner à Cyoria dans un futur proche. Robe rouge allait assurément prêter attention à la ville pendant un bout de temps, tentant d’attraper tout voyageur temporel que les Aranea pourraient avoir mis au parfum. Y retourner était stupide et suicidaire : le moindre faux pas pouvait l’exposer et il ne se faisait pas assez confiance pour se croire capable de faire profil bas à ce point pendant plusieurs mois d’affilée. Non, il était mieux d’éviter Cyoria pour quelque temps… Il devrait y retourner un jour, évidemment, mais il devait d’abord devenir bien plus puissant et mieux informé avant de pouvoir s’y montrer à nouveau.

À part une détermination évidente d’éviter Cyoria à tout prix, ses plans étaient virtuellement inexistants. Il se sentait plutôt perdu, en réalité. Tout attachement émotionnel mis à part, les Aranea étaient également ses meilleures alliées face aux évènements à venir et les avoir perdues lui coupait l’herbe sous le pied. Merde, que devait-il faire maintenant ?

La conclusion qu’il en tira était relativement simple : il avait besoin de temps pour se calmer et accepter ce qui s’était passé. Penser à une nouvelle façon d’aller de l’avant… Il errerait probablement à travers le pays pendant un ou deux mois, ou peut-être une dizaine. Oui, maintenant qu’il y songeait, la boucle temporelle était l’opportunité parfaite pour partir en voyage et visiter le monde, alors peut-être même le continent l’attendait-il… Une simple… exploration touristique. Très reposante. Bien sûr, le dernier message de la matriarche mentionnait quelque chose au sujet de la boucle qui se dégradait progressivement mais elle n’avait posé aucun compte à rebours concret et les fragments qu’il avait réussi à assembler ne semblaient pas montrer qu’elle avait mis une importance capitale sur ce point particulier. Non, elle le prévenait juste qu’il n’avait pas un délai infini pour travailler et s’améliorer – il avait un certain temps pour le faire, long sans doute mais fini en l’état. Et les aiguilles tournaient.

Au moins, il l’espérait. Il était plus ou moins condamné dans le cas contraire. Long mais fini, il pouvait accepter ça. Mais s’il ne lui restait qu’une poignée de recommencements ? Il n’osait même pas l’envisager.

— Monsieur Kazinski ? l’interrompit Ilsa en le sortant de ses pensées, noires à nouveau, déprimantes à nouveau – et il en avait marre qu’elles le fussent. Vous m’écoutez ?

— Je vous écoute, mentit Zorian, qui ne prêtait même pas la moitié d’une oreille attentive à une conversation qu’il avait déjà eue un million de fois.

— Bien, répondit Ilsa d’un air douteux. Comme je le disais, vous pourrez récupérer votre badge lorsque vous aurez fini votre cursus, car il n’est pas peu onéreux et…

— Et si je le veux maintenant ? la coupa Zorian, dont les économies devaient être suffisantes pour lui assurer un mois d’errance sans but et lui permettaient de ne pas avoir besoin du recours à la magie pour survivre.

Cela dit, il n’aimait pas l’idée de garder ses capacités secrètes de peur qu’on policier un peu trop zélé fasse un rapport à la guilde des mages et que l’académie finisse par s’en mêler. Avec un badge, il prouverait sa certification et son appartenance à la guilde et pourrait faire ce qui lui plaît, pour la plupart.

— Vous pourrez en récupérer un à n’importe quel bureau de la Guilde des Mages au travers d’Eldemar, répondit nonchalamment Ilsa. La plupart des grandes villes et des centres régionaux en possèdent un.

Oh, parfait. Il avait eu peur, l’espace d’un instant, de devoir le récupérer à l’académie.

Ilsa finit par partir en lui disant pour tout mot d’adieu qu’elle le reverrait en classe. Huh, voilà qui était nouveau. Avait-elle suspecté son envie de faire sauter un mois d’école pour partir de son côté ? Eh bien, peu importait même si c’était le cas, ça n’avait pas beaucoup d’importance – l’académie offrait toujours une réponse plutôt anémique aux étudiants qui ne se montraient pas en cours. Ils envoyaient une lettre aux parents pour les informer que leur progéniture ne suivait pas l’emploi du temps prévu et c’était tout. Heureusement pour Zorian, personne ne serait à la maison pour recevoir une telle lettre, ses parents déjà en route pour rendre visite à leur précieux Daimen.

Satisfait que tout commençait à se planifier pour l’instant, il ramassa ses affaires et partir pour la gare.

 

___

 

Tandis que le train démarrant de Cirin et entamait sa sempiternelle route vers Cyoria, Zorian commença à se détendre quelque peu. En partie parce que le cahotement répétitif d’un voyage en train avait toujours eu tendance à l’assoupir et donc à apaiser ses tensions mais surtout parce que Robe Rouge n’était pas là. Des heures s’étaient écoulées – suffisamment pour attaquer plusieurs fois la maison Kazinski pour quelqu’un de sa trempe – et rien ne l’avait frappé, ni lui ni sa famille aussi les chances pour que l’ennemi se montre devenaient de plus en plus faibles. Ce qui signifiait que son anonymat était plus ou moins assuré pour l’heure, et c’était ça qui le soulageait le plus. Si Robe Rouge n’avais pas découvert l’identité de Zorian dans la boucle précédente, il était probable qu’il ne la découvre jamais tout court – mais un mois était amplement suffisant pour le traquer en sachant où regarder alors il ne se détendrait pas totalement tant que plusieurs boucles ne se seraient pas écoulées.

Cela dit, les choses étaient encourageantes. Il devrait juste se montrer moins stupide à l’avenir et ne plus commettre ce genre d’erreurs.

Le train s’arrêta un instant avant de reprendre sa route. Zorian prit le parti de rester à l’intérieur encore un peu malgré son intention initiale d’en descendre à la toute première gare passée. Mais celle-ci desservait un village encore plus petit qui gravitait autour de Cirin et ne possédait rien d’attirant. S’il avait posé le pied là, on l’aurait remarqué et il y avait un risque que quelqu’un le reconnaisse et le dénonce à sa famille avant que celle-ci n’ait prit départ pour Koth. C’était le genre de scénario dont il n’avait vraiment pas besoin à ce moment précis. D’ailleurs, qu’est-ce qu’il irait foutre dans un petit village comme celui-là ? Non, il valait mieux attendre jusqu’à Nigelvar et voyager à pied jusqu’à Teshingrad. Nigelvar était elle aussi de petite stature mais suffisamment importante pour être un point de jonction et personne ne prêterait attention à un voyageur qui y débarquerait. Teshingrad était une capitale régionale. Bien sûr, elle ne pouvait égaler Eldemar, Korsa ou Cyoria mais restait grosse et influente et les nouveaux-venus y étaient monnaie courante.

Et surtout, Teshingrad possédait un bureau de la Guilde des Mages.

Zorian débarqua à Nigelvar sans complications et se mit immédiatement en route pour Teshingrad. Malheureusement pour lui, la tempêta qui touchait Cyoria le premier jour du mois était apparemment un phénomène de bien plus large ampleur que ce qu’il s’était imaginé parce qu’il se retrouva sous une pluie torrentielle en plein milieu du chemin. Sa barrière anti-pluie tint bon pour son plus grand soulagement et lui permit d’atteindre l’une des auberges qui se situaient le long de la route et y trouva refuge. Finalement, il y passa la nuit, légèrement contrarié par le retard qu’il venait de prendre malgré l’absence de plan concret pour la suite du voyage. La nourriture fade et les gens qui le regardaient de travers ne l’aidèrent pas spécialement… Ils remarquaient sans doute ses vêtements, ceux-là même que lui avait fait porter sa mère étaient un peu trop propres et arrangés, et légèrement hors de portée de la bourse de ces voyageurs de l’auberge. Il n’avait bien sûr pas pu en changer avant d’entrer, et voilà. Il s’assura de placer une barrière basique sur sa chambre pour empêcher voleurs et agresseurs d’y entrer ; ce qui s’avéra inutile, la nuit fut parfaitement calme.

Ayant survécu à la nuit à l’auberge sans incident, Zorian quitta l’endroit tôt le matin et arriva à Teshingrad quelques heures plus tard… pour se trouver face à une très déplaisante surprise lorsqu’il tenta de récupérer son badge. Il s’avéra qu’Ilsa n’avait pas exagéré en lui disant qu’il coûtait beaucoup d’argent. Il allait lui demander la moitié de ses économies ! C’était du vol pur et éhonté à son avis mais l’homme avec qui il parlait au bureau de la Guilde des Mages ne voulait rien savoir quant à une quelconque ristourne. Au lieu de ça, il désigna un mur sur lequel était accroché un panneau des quêtes. Il était similaire à celui de l’académie, les jobs y étant seulement bien plus raisonnablement évalués, la ville ne possédait pas la même base de mages amateurs que Cyoria. Le badge de Zorian serait prêt en deux jours, aussi décida-t-il qu’il pouvait aussi bien trouver un moyen de gagner un peu d’argent en attendant afin de remplir un peu sa bourse. Ce n’était pas comme s’il avait grand-chose d’autre à faire.

La liste des jobs était… plutôt éclectique par rapport à ce qu’il attendait. Il était sûr que deux poulets et un sac de farine était un prix plutôt correct pour la réparation d’un mur cassé mais un tel paiement ne lui était d’aucune utilité. Et les quelques jobs qui ne définissaient pas de salaire fixe lui semblèrent très suspects, pour ainsi dire. Quand bien même, il trouva des choses à faire pour s’occuper et pendant les trois jours qui suivirent, Zorian offrit son aide pour un bon nombre de réparations, partit à la recherche d’une chèvre disparue, transporta un chargement de pierres d’un bout à l’autre de la ville sur ses disques flottants, aida l’alchimiste local à récolter ses plantes et éradique une invasion de rats particulièrement néfaste dans un grenier privé en périphérie de la ville. Rien de tout ça n’était particulièrement difficile mais Zorian aurait menti en disant qu’il n’avait rien appris pendant ce temps. Connaître un sort de manière académique et savoir l’utiliser en condition réelle étaient deux choses bien différentes.

— Eh bien, voici, dit l’homme derrière le comptoir en tendant le badge à Zorian.

Il était plutôt banal d’apparence bien que Zorian put sentir une formation complexe de formules gravées à sa surface aussitôt les doigts dessus. Il allait devoir décortiquer ce truc un jour pour voir comment il était fait.

— Vous pouvez officiellement accepter n’importe quel job avec ça, y compris les officiels, et plus uniquement ceux sur le tableau. Beau boulot, d’ailleurs. Ça fait longtemps que personne n’a parcouru la ville pour aider ses habitants comme ça.

— Je ne l’ai pas vraiment fait par charité, grogna Zorian.

— Oh, je sais, répondit l’homme. Mais beaucoup de mages considèrent ce genre de tâche largement indignes d’eux et refusent de les mener à bien par principe.

— Parce que nombre d’entre elles ont l’air de choses que les civils peuvent faire eux-mêmes, admit Zorian. Et sans vouloir offenser personne, mais pourquoi n’aidez-vous pas vous-même s’il s’agit de choses nécessitant si désespérément une intervention ? Je doute un peu que la Guilde placerait un civil à votre poste.

— Ha ! se mit à rire son interlocuteur, pas du tout insulté par l’accusation. J’aide, en réalité… quand j’en trouve le temps. Ce poste est bien plus accaparant qu’il n’y paraît, croyez-moi. Et tandis que ces jobs ne sont soi-disant pas des demandes vitales, la plupart nécessitent des efforts importants et beaucoup de temps, si l’on n’a pas de magie à disposition alors que même un mage débutant comme vous peut résoudre tout ça en un tournemain. Alors ouais, vous n’avez peut-être pas sauvé le monde durant ces derniers jours mais ceux que vous avez aidés sont certainement heureux que vous leur ayez rendu la vie plus facile. Ils ont gagné du temps, vous avez gagné de l’argent facile et je me suis débarrassé de quelques obligation contraignantes. Tout le monde y gagne, n’est-ce pas ?

— Hmm, soupira Zorian de façon neutre.

— Alors… Y a-t-il un job spécifique qui vous attend déjà ou en cherchez-vous un ?

— Rien de spécial, répondit Zorian en secouant la tête. Je m’apprêtais à voir un peu de pays et m’approcher de ce qui attirerait mon regard.

— Ah, je vois. Eh bien, je peux vous recommander quelques sites touristiques proches si vous souhaitez aller y jeter un œil.

— Bien sûr, fit Zorian en haussant les épaules. Je peux toujours aller voir, je suppose.

— Pour parler d’autre chose, si vous souhaitez trouver de meilleures version des jobs que vous avez effectués les jours passés, je vous conseille de vous rendre vers le nord, en direction des Highlands Sarokian. Il y a toujours plein de travail à la frontière, que ce soit pour construire des infrastructures ou chasser des monstres ou que sais-je. Bien plus dangereux que l’extermination de rats, bien évidemment mais également bien mieux payé.

— Une idée intéressante, commenta Zorian.

Le seul problème était que Cyoria était le principal tremplin d’expansion vers les Highlands. Des cartes que Zorian avait pu consulter, il en avait retenu qu’il était compliqué d’esquiver Cyoria en se rendant dans le grand nord et il ne voulait pas se rendre à proximité de la ville avant longtemps.

— Vous savez, je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer que la Guilde pousse le campement des Highlands de façon plutôt agressive. Que se passe-t-il donc ?

— Ah, eh bien, oui, c’est une retombée des Guerres de Fractionnement, vous voyez ? Les états successeurs sont toujours remontés les uns contre les autres et se surveillent constamment tout en cherchant le moindre avantage qu’ils pourraient dénicher pour surpasser leurs ennemis. Eldemar a un grand accès à une nature indomptée dans le grand nord alors il serait un peu idiot de ne pas en tirer profit. C’est un endroit riche, à la fois en terme de magie et de matériaux.

Zorian discuta encore pendant deux heures avec cet homme qui en savait beaucoup, parlant de la région, de ses options et réfléchissant à ses prochaines actions. Il ne voulait pas s’installer à un endroit en particulier dans la boucle actuelle mais il supposa qu’il pourrait bien vouloir tester certaines des options présentées dans un avenir plus ou moins proche et il s’agissait d’une bonne occasion de visiter des endroits variés afin de pouvoir s’y téléporter si besoin.

Ainsi, pendant deux semaines, Zorian erra à travers la région en s’arrêtant dans de nombreux ateliers d’artisans, des librairies, chez des alchimistes et herboristes et tout un tas d’autres personnes plus ou moins intéressantes. Ou simplement pour profiter d’une jolie vue et effectuer des jobs pour les villageois qu’il croisait par-ci, par-là. Il ne cessa jamais de pratiquer sa magie afin de s’entraîner mais en s’absence de toute sorte de but clair ou d’un ensemble de ressources comme la librairie de l’académie, il pratiqua les plus basiques des exercices – le façonnage du mana. Il fut aidé par de nombreux mages ruraux qui possédaient de nombreux exercices de façonnage personnels et qui acceptaient de les partager avec lui… et contrairement à Xvim, qui lui demandait simplement un résultat sans lui expliquer la marche à suivre, ils détaillaient les instructions et l’ordre dans lequel faire les choses.

À la fin du mois, Zorian avait appris comment peler la surface d’une plaque en marbre, couche par couche ; comment éplucher une pomme et d’autres fruits ; comment couper du papier en laissant glisser ses doigts le long de la ligne à trancher ; comment créer une douce ondulation dans une flaque d’eau sans la toucher ; comment faire léviter une sphère parfaite de la même eau ; comment congeler cette sphère ; et finalement, comment dessiner des formes géométriques dans la poussière par télékinésie. Rien de tout ça n’était vraiment maîtrisé au sens Xvim du terme mais heureusement, ce fou n’était nulle part à la ronde et Zorian pouvait simplement changer d’exercice lorsqu’il considérait le précédent terminé. Les exercices de mise en forme du mana étaient bien moins contraignants quand il n’avait pas besoin de les pratiquer jusqu’à les maîtriser à la perfection absolue, remarqua-t-il.

Il continua également à entraîner ses pouvoirs mentaux. Il sentait qu’ils étaient extrêmement importants – si ce n’était pas pour eux, il n’aurait jamais survécu à l’altercation avec Robe Rouge. À un certain moment, il planifia la visite d’autres colonies Aranea afin d’exécuter son plan exploite la boucle pour lentement leur soutirer tous leurs secrets mais il ne pouvait pas encore le faire. Il était trop tôt, ses souvenirs des Aranea et de leur destin (et le rôle qu’avaient joué son inconscience et sa nonchalance) étaient trop frais. Alors, au lieu de ça, il utilisa simplement son empathie sur chaque personne qu’il croisait et s’entraîna à connecter son esprit à celui de nombreux animaux. Il aimait particulièrement marcher près des rivières et des plans d’eau pour prendre le contrôle des libellules qui s’y trouvaient afin de leur faire exécuter des acrobaties saisissantes autour de lui. Les insectes possédaient un esprit si rudimentaire qu’en obtenir le contrôle total était excessivement facile, bien que comprendre comment les manipuler correctement lui demandât plus d’efforts et qu’il ne pouvait pas en contrôler plus de trois à la fois.

Le temps passa. La plupart du temps, il parvenait à rester occupé suffisamment longtemps et il n’avait pas le temps de déprimer mais toutes ses inquiétudes et son sentiment d’impuissance le rattrapaient à pleine puissance chaque fois que la nuit tombait, alors qu’il se préparait à dormir. Tous les plans qu’il pouvait formuler semblaient vides et destinés à l’échec. Il n’était pas assez puissant. Il ne possédait pas assez de connaissances. Robe Rouge avait des années d’expérience derrière lui il ça n’allait jamais changer.

Comme la fin du mois approchait, son humeur s’assombrit encore d’avantage. Il avait évité une confrontation dans cette boucle mais qu’en serait-il de la suivante ? Se réveillerait-il dans un silence glauque pour se rendre compte que Robe Rouge avait attendu son départ pour éradiquer sa famille, les laissant là telles des coquilles sans âmes ?

La dernière nuit, Zorian ne dormit pas du tout et observa le ciel étoilé depuis une petite colline isolée qu’il avait trouvée lors de ses voyages, utilisant ses pouvoirs de façon paresseuse pour détecter et repousser les moustiques tout en se perdant dans ses pensées.

 

___

 

Zorian ouvrit les yeux d’un seul coup, une douleur aiguë dans l’estomac. Son corps tout entier se convulsa en réaction à l’objet qui venait de lui tomber dessus ; ce fut ce qui l’éveilla brusquement, la moindre trace de somnolence parfaitement dissipée.

— Bonj – Eh ! glapit Kirielle tandis que Zorian l’enveloppait de ses bras. Qu’est-ce qu’il y a, Zorian ?! Lâche-moi, espèce de brute !

— Toujours la même Kirielle qu’avant, soupira dramatiquement Zorian, un léger sourire sur le visage. Maintenant descends de mon ventre avant que je te serre encore dans mes bras.

Sa famille allait parfaitement bien et comme dans la boucle précédente, Robe Rouge n’avait pas montré le bout de sa cape. Aussi, un Zorian bien plus heureux monta dans le train pour en sortir à Nigelvar. Il ne s’embêta pas à récupérer son badge, cette fois – il coûtait vraiment cher et personne n’avait demandé à le voir de toute façon. Au lieu de ça, il se contenta de se téléporter au dernier endroit qu’il avait visité lors du mois précédent et décida de continuer à partir de là.

Être un mage dans ces contrées périphériques était bien différent que de l’être à Cyoria, il l’avait déjà réalisé. Sans la quantité massive de mana ambiant crachée par le Trou, conserver son mana était en réalité un problème non-négligeable – même les exercices de façonnage tendaient à vider ses réserves après quelques heures alors qu’à Cyoria, sa seule limitation était la patience et les obligations annexes qui dévoraient son temps libre. Il s’agissait d’une autre raison pour laquelle Zorian se concentrait sur ces exercices plutôt que sur n’importe quel sort pendant son voyage.

La bibliothèque de l’académie commençait à lui manquer, elle aussi. Il avait jugé assez rapidement que sa réputation était largement surestimée mais maintenant qu’il ne pouvait plus parcourir à volonté ses longues allées de livres à chaque fois qu’il rencontrait un problème, il pouvait se rendre compte à quel point elle était pratique, en fin de compte. De nombreux sujets exotiques étaient encore lacunaires mais sa sélection de sorts basiques et de livres traitant de sujets communs étaient sans égaux. Ici, en rase campagne, trouver un grimoire qui contenait le sort exact dont vous aviez besoin était une corvée éreintante. Ils existaient mais ils comprenaient uniquement le contenu le plus basique et si vous en vouliez plus, vous étiez invariablement dirigé vers un autre endroit, souvent une collection privée.

Il découvrit également que les sorts de détection magique étaient bien plus utiles qu’il l’avait d’abord imaginé. En-dehors de Cyoria, les objets et créatures magiques sortaient du lot lorsqu’ils étaient exposés à un tel sort. À Cyoria, la plupart des sorts de détection retournaient des faux positifs la plupart du temps – il fallait réduire les critères du sort de divination à quelque chose de précis pour avoir de résultats corrects.

L’un dans l’autre, il commençait à comprendre pourquoi les mages tendaient à migrer vers Cyoria et d’autres grandes villes situées au-dessus des puits de mana. Ce genre d’endroit apportait beaucoup de ressources difficiles à avoir autrement dans une seule et même ville.

Mais le voyage de Zorian continua. Il était déterminé à visiter chaque grande ville du pays, et s’il n’y gagnait rien d’autre, il pourrait au moins s’y téléporter à loisir à l’avenir. Il songeait à un voyage autour du continent également, de plus en plus. Tout ce qu’il l’arrêtait encore, c’était le fait que le voyage international allait être contraignant et il faisait tout ça pour se détendre, par pour devoir polémiquer avec des garde-frontière au sujet de ses autorisations.

Lorsqu’une autre boucle passa sans trace de Robe Rouge, Zorian se permit finalement de décompresser un peu plus pleinement. Cela faisait trois boucles, trois mois que Robe Rouge ne l’avait pas traqué – il était maintenant plutôt certain qu’il ne le ferait jamais, lui qui était du genre direct et immédiat plutôt que comploteur et planificateur. Ce n’était donc pas un maître détective, c’était bon à savoir. Porté par la certitude qu’il avait évité la grande faucheuse de près cette fois, Zorian se mit à réfléchir sérieusement à ce qu’il allait pouvoir faire ensuite.

Il avait besoin de contacter Zach mais ce n’était pas une priorité. Zach ne possédait sans doute aucune information qui permettrait d’aider Zorian à comprendre le fonctionnement de la boucle et il ne savait pas où le trouver de toutes manières. Ils étaient destinés à se revoir un jour et Zorian allait cesser de jouer à l’imbécile lorsque ce serait enfin le cas mais il ne voyait pas de bonne raison de précipiter le destin en cherchant Zach, qui ne voulait sans doute pas être trouvé de toute façon. Ce n’était pas comme s’il n’avait rien à faire pendant ce temps : il lui fallait absolument maîtriser un certain nombre de compétences avant d’imaginer retourner à Cyoria à la recherche de Zach : il devait approfondir ses connaissances en magie de l’âme, aiguiser sa magie mentale en un outil et une arme, quelque chose de fiable comme les Aranea le lui avaient expliqué et il fallait qu’il améliore ses compétences de combat à un niveau auquel il pourrait contrer Robe Rouge en combat ouvert.

Sa première priorité était de fait évidente : il devait apprendre à contrer la magie de l’âme s’il ne voulait pas se faire oppresser à sens unique par Robe rouge une fois de plus. De préférence, il désirait également découvrir ce que Robe Rouge avait réellement fait aux Aranea et si possible… si possible… l’annuler. Il avait toujours en tête la liste des gens que Kael lui avait fournie, des personnes qui pourraient l’aider sur ce point et toutes se trouvaient en-dehors de Cyoria.

La deuxième nécessité était tout aussi cruciale. Quelque fut l’information sur la boucle que la matriarche avait découverte dans son dos, elle l’avait, presque certainement, fait en l’extrayant de l’esprit de quelqu’un. Quelqu’un qui n’était pas Robe Rouge – probablement un nombre de personnes inconscientes de la boucle mais détenant de petites pièce du puzzle. S’il pouvait identifier ces personnes et lire leur esprit, il pourrait découvrir ce qu’était cet immense secret. Autrement dit il avait besoin de développer ses pouvoirs mentaux et au diable l’éthique et les lois. Il savait qu’il ne pourrait pas le faire seul, néanmoins ; il allait être forcé de dénicher les Toiles des Aranea.

Enfin, il était crucialement impuissant face à Robe Rouge, leur dernière rencontre le lui avait prouvé. Si l’autre mage n’avait pas fait une énorme erreur – qu’il ne referait pas maintenant qu’il savait que son attaque mentale pouvait être contrée – Zorian aurait perdu lamentablement. Il lui fallait de meilleurs pièges, de meilleures compétences de combat si lesdits pièges échouaient à s’avérer utiles, et de meilleures magies de mouvement afin de s’échapper si lesdites compétences de combat se montraient insuffisantes. Pour ce qu’il pouvait en juger, le seul moyen efficace de s’améliorer dans ces domaines était la pratique – en d’autres termes, se balader et chercher les ennuis. Le seul souci de ce raisonnement, c’est que ça allait contre à peu près chacun de ses instincts.

Il devrait le faire, cela dit. S’aventurer dans le donjon et passer quelques boucles pour visiter la nature indomptée du nord seraient deux bonnes idées pour démarrer et il déciderait de la suite plus tard.

Ces buts en tête, il décréta que la troisième boucle post-Aranea allait être un peu plus systématique que ses deux mois d’errance précédents. Après avoir situé sur une carte les lieux où se trouvaient les associés de Kael, il choisit une ville de taille moyenne nommée Knyazov Dveri comme destination suivante. La ville était assez proche de la frontière du nord et possédait un accès remarquable au donjon : les opportunités pour affiner ses compétences de combats ne manqueraient pas ; située au-dessus d’un puits de mana de niveau 2, relativement anémique comparé à beaucoup d’autres… mais toujours mieux que rien ; finalement, elle était plus ou moins au centre d’un cercle contenant tous les endroits où se situaient les amis de Kael dans la région et il aurait un accès plus aisé au reste d’entre eux si celui se trouvant en ville s’avérant être une impasse. C’était l’endroit idéal pour commencer.

Le lendemain, il se téléporta vers la ville la plus proche de Knyazov Dveri et se mit en route.

Raka
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12 thoughts on “MoL : Chapitre 27

  1. Merci pour le chapitre mes il manque la fin je pense que se doit être la dernière partie où il commence à chasser des loups hivernaux et à se faire une réputation lol car le chapitre suivant y fait référence mes à la fin de se chapitre il y a un grand espace vide donc je présume que sa doit être la partie manquante voilà et merci pour votre dure labeur.

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