MoL : Chapitre 66 Bonus
MoL : Chapitre 68

Premier chapitre bonus de MoL, offert par Julien. Encore un qui me fait fumer les doigts, et j’adore ça ! Cette histoire est juste fantastique, du début à la fin… et ne fait que monter en intensité à mesure des chapitres.

 

Jour 13/31 des soldes !
Je vous rappelle les termes du contrat :

MoL : 50 € / chapitre
EER : 25 € / chapitre

Et vous souhaite une excellent lecture 🙂

Chapitres en attente :

EER : 3
MoL : 2

 


 

Chapitre 67 — Convergence

 

Zorian devait bien admettre qu’il était surpris par la façon dont la famille Taramatula les traitait, Zach et lui. Ils savaient clairement que la famille de Daimen n’approuvait pas sa relation avec Orissa, et les adolescents avaient fait du grabuge lors de leur arrivée. Zorian s’était totalement attendu à ce qu’ils se montrassent méfiants, même inamicaux. Au lieu de ça, cela dit, à partir du moment où Daimen avait confirmé que Zorian était vraiment celui qu’il prétendait être, ils ne furent plus que d’honorables invités. Ce qui était probablement la moitié de la famille fut convoquée afin de les saluer, les présentèrent à bon nombre d’entre eux personnellement, leur firent faire un rapide tour des lieux et Daimen offrit même à Zorian de lui apporter à boire, au moins trois fois, avant d’accepter que son frère pût ne pas avoir soif.

Ce genre de réception mit Zorian plus que mal à l’aise. Il savait qu’ils se montraient simplement polis, et que sourires et plaisanteries n’étaient que des façades, mais il n’était simplement pas habitué à ce genre de traitement. Il n’était d’ailleurs pas aidé par le fait que peu de membres de la famille parlaient l’Ikosien, et il avait parfois un mal fou à se faire comprendre. Il ne connaissait que quelques mots de la langue locale, la plupart se trouvant être des insultes bien colorées que les simulacres avaient jugé nécessaire d’inclure dans leurs rapports. Pourtant, les gens continuaient à essayer de lui parler.

Normalement, Zorian utiliserait ce signe comme un top départ pour se mettre à se balader dans leurs pensées de surface afin de déchiffrer ce qu’ils désiraient réellement de sa part. Ce ne résoudrait pas le souci de langue, puisque les pensées d’une personne n’étaient que très peu dissociées de la façon dont il parlait, mais ça aurait pu être utile. En revanche, se montrer trop libéral avec la magie mentale en présence de tant de mages était le début de la recette du désastre. Le risque de sa faire repérer était décidément bien trop grand. Et c’était spécialement vrai dans cette famille, spécialiste du contrôle des abeilles, spécialisés dans une forme ou une autre de magie mentale.

Un des membres de la famille n’entretenait pas autant de scrupules que lui, cela dit, car il venait juste de sentir une sonde mentale s’écraser contre ses défenses.

Zorian, qui se trouvait être en train de répondre à une question posée par Ulanna, s’arrêta immédiatement de parler et se tourna dans la direction de la source de la sonde. Le mage s’était montré brut et pas du tout subtil, permettant à Zorian de le repérer à peu près dans la seconde. Il s’agissait d’une jeune adolescente, actuellement occupée à jouer l’innocente comme si elle ne venait pas de se planter en beauté.

— Quelque chose ne va pas ? demanda Ulanna en fronçant légèrement les sourcils, suivant le regard de Zorian et posant les yeux sur la jeune fille en question.

— Non, rien, répondit Zorian poliment en secouant la tête, avant de se retourner vers elle. Mon imagination me joue des tours.

Il ne voulait certainement pas créer de chaos en plein milieu de cette réunion de famille. Ce serait, de plus, sa parole contre celle de la jeune fille, et il serait probablement vu comme arrogant s’il en faisait tout un plat. D’ailleurs, la sonde s’était avérée plus amusante que menaçante. Cette fille était vraiment nulle. Il aurait pu combattre ce niveau d’attaque en dormant…

Il se demanda s’il s’était agi d’une chose qu’un dirigeant de la famille avait ordonné à la fillette de faire, ou si elle l’avait décidé de sa propre initiative. D’un côté, Zorian trouvait difficile de croire que les Taramatula confieraient une tâche comme celle-ci à quelqu’un de si peu qualifié. D’un autre côté, de cette façon, ils pouvaient échapper aux conséquences plus facilement si elle devait être confondue. Ils pourraient toujours prétendre qu’il s’agissait simplement d’une stupide enfant et demander à la victime de se montrer tolérante.

Après un moment de réflexion, il envoya une propre sonde télépathique de son cru vers la fille en question, fila droit entre ses défenses mentales archaïques et la frappa d’un choc mental amical afin de la prévenir de ne jamais recommencer ce genre de choses à l’avenir. Il s’agissait juste d’un léger uppercut, qui ne l’avait probablement même pas égratignée, mais elle fit un bond en arrière comme si elle venait de se le prendre dans la tronche physiquement, avant de trouver une excuse pour quitter les lieux.

Zorian renifla dédaigneusement. Quelle gosse.

Ulanna fronça les sourcils en assistant à son départ, mais ne le commenta point. Il était presque sûr qu’elle, au moins, ignorait tout de ce que l’adolescente avait tenté.

Il finit par être présenté à Orissa en personne, celle-là de qui son frère était apparemment fou. Il s’agissait d’une grande femme toute en formes, confiante en sa position et son mouvement. Très sombre de peau, typique des gens de Koth. Extrêmement belle bien sûr, mais Daimen ne s’intéressait pas à la médiocrité. Elle était l’une des personnes de la famille Taramatula les plus réservées que Zorian eût rencontrées jusqu’alors, mais il fut incapable de dire si elle était toujours ainsi ou si elle se trouvait simplement méfiante.

Par-dessus tout, Zorian ne voyait rien de spécial à son propos. Rien qui pourrait expliquer, au premier regard, comment elle avait réussi à capturer le cœur de Daimen si fermement. Était-elle douée ? Selon Ulanna, qui s’avéra être la tante d’Orissa, elle était l’un des membres les plus capables de la famille.

— Ton frère a bon goût, lui murmura Zach en dessinant un vague sablier dans les airs.

— Tu ne sais rien d’elle, mis à part que ses formes te plaisent et qu’elle se comporte bien en public, fit immédiatement remarquer Zorian. Comment peux-tu juger d’un bon goût ?

— Avec ce look, que veux-tu de plus ? insista Zach, tout sourire.

— Je n’arrive pas à croire que je suis en train de défendre Daimen, mais je suis sûr que ce n’est pas si superficiel. Daimen avait un paquet de belles filles à ses pieds, et il n’a jamais songé à les épouser. Je suis sûr qu’il y a plus que l’apparence.

— Je suis sûr que l’apparence aide, fit Zach en haussant les épaules.

— Oh, clairement, abonda Zorian. Je ne pense pas avoir jamais vu Daimen courir après une fille qui n’était pas un summum de la beauté. C’est juste que je suis certain qu’elle n’aurait pas pu le séduire uniquement grâce à son physique.

Comme s’il avait senti que les deux compères parlaient de lui, le frère de Zorian parvint à s’extraire de la masse de personnes qui l’entouraient et s’en vint les voir.

— Qu’est-ce que vous faites, tous les deux, à échanger des messes basses sur le côté ? demanda-t-il directement en les approchant. Ne trouvez-vous pas ça malpoli, quand vous êtes les invités d’honneur ?

— Nous ne parlons même pas leur langue, rappela Zorian. Ça rend un peu compliqué toute discussion.

— Eh bien, tu n’apprendras pas si tu n’essayes pas de communiquer un peu.

Zorian lui offrit une grimace, une onde de contrariété naviguant le long de son dos.

— Tu es venu juste pour me faire la morale ? lui rétorqua-t-il alors, un soupçon de menace dans la voix.

— Il faut toujours te prendre avec des pincettes, hein ? soupira Daimen. Écoute, comme tu n’interagis pas vraiment avec qui que ce soit, pourquoi n’irions-nous pas nous isoler quelque part pour avoir enfin une petite discussion amicale ?

Il tourna les yeux vers Zach. En réponse, celui-ci lui offrit le sourire le plus large dont il était capable et il fit un petit geste stupide de la main, comme s’il s’agissait de la première fois qu’ils se rencontraient.

— Bien, dit Daimen, à moitié amusé, à moitié ennuyé. Je suppose que tu veux que ton ami nous accompagne ?

— C’est exact, opina Zorian. Il m’a suivi jusqu’à Koth, je serais un enfoiré si je le reléguais sur le bas-côté maintenant qu’on est là.

— Bien sûr, je comprends, fit Daimen en haussant les épaules, avant de leur faire signe de le suivre. Ce n’est pas ton petit ami, n’est-ce pas ?

Zorian fit une grimace, résistant au besoin urgent de lui balancer un éclair à la tronche.

Zach, d’un autre côté, n’était pas aussi réservé et un coup de pieds partit instantanément en direction du grand frère adoré, que ce dernier esquiva facilement, nota Zorian.

— Oh, ne soyez pas si susceptibles, vous deux, c’était juste une blague, soupira Daimen en agitant ses mains devant lui. Vous devez en savoir long sur les plaisanteries, vu ce que vous m’avez offert en arrivant, n’est-ce pas ?

Zorian fit claquer sa langue, mécontent. Ok, un point pour lui.

Daimen les conduisit à travers la propriété, vers une petite maison réservée aux invités, à proximité de la frontière nord du complexe, en prenant soin de largement contourner les bâtiments dans lesquels les abeilles étaient logées.

— Vous ne voulez pas vous en approcher, les prévint-il. Les Taramatula possèdent plusieurs types d’abeilles, et les combattantes tendent à se montrer agressives envers les étrangers. Votre odeur leur est inconnue, et les ferait probablement devenir frénétiques. Les gardiens les calmeraient, mais quand même. Elles peuvent être très effrayantes et déroutantes. Imagine, voir un nuage d’abeilles magiques tueuses voler vers toi.

— C’est l’expérience qui parle, hein ? suppos Zach.

— Ouais, elles ne m’appréciaient pas non plus, au début, confirma Daimen. Je ne sais pas pourquoi les Taramatula ne m’ont pas prévenu quand je suis arrivé pour la première fois, mais je suspecte une espèce de bizutage. Ils voulaient sans doute observer ma réaction dans ce genre de situation.

— Es-tu sûr qu’ils n’étaient pas simplement amers lorsque leur fille leur a annoncé qu’elle avait trouvé un étranger de la basse société et qu’il allait être son futur époux ? Qu’ils ne voulaient pas simplement t’effrayer ? demanda Zorian, curieux.

— Nan, je suis presque sûr qu’ils sont ravis de son choix, répondit Daimen, comme s’il parlait de quelqu’un d’autre. La politique locale me donne toujours le vertige quand j’essaye de la comprendre, mais les Taramatula ont clairement solidifié leur position sur la scène globale. Ce qu’ils veulent maintenant, ce sont des mages puissants à leurs côtés, et… Eh bien, je ne voudrais pas me vanter, mais je suis plutôt fabuleux.

— La seule chose fabuleuse que je puisse voir chez toi, c’est ton égo, commenta Zorian à voix basse.

Daimen ne l’entendit pas, ou l’ignora tout du moins.

— Bon. Je vais être honnête avec toi, ils auraient préféré que j’épouse l’une de leurs… filles moins bien placées, dirons-nous, ajouta Daimen. Quelqu’un de moins proche du tronc principal de la famille. Mais j’ai mis les choses au point immédiatement, ça n’arrivera pas. Je ne désire pas Orissa pour sa position ou son influence, mais parce que je l’aime. C’est elle ou rien.

Zorian hésita, et voulut demander à son frère ce qu’il trouvait de si incroyable à propos de sa fiancée, mais décida finalement qu’il se fichait de la réponse et garda le silence.

Peu après, ils atteignirent leur destination – un petit bâtiment, humble et qui avait plus l’air irrespectueux pour les invités qu’accommodant, surtout pour Daimen, qui n’allait pas tarder à se marier dans la famille. Cependant, Zorian savait, d’après les dires d’Ulanna, que ce n’était pas la maison officiellement assignée à Daimen, qui possédait un autre espace de vie plus spacieux, près du bâtiment principal. Et ce bâtiment était vide parce que son locataire refusait de l’utiliser. Il passait la plupart de son temps là, dans cette petite demeure sans prétention, qui n’avait été désignée que comme atelier de travail après qu’il se fût plaint que sa maison n’était pas assez sécurisée.

Il les fit entrer dans une pièce emplie de cartes, de mécanismes étranges et ce qui semblait être de vieux artefacts retrouvés dieu savait où.

— Ne touchez à rien, les prévint Daimen. Si vous cassez quelque chose, je vous tue.

Zorian savait qu’il s’agissait d’une expression stupide et rien de plus, mais il put s’empêcher d’imaginer Daimen réellement essayer de les tuer, pour ne réaliser que trop tard dans quoi il s’était fourré. Un sourire ravi naquit sur son visage. Oh, comme ce serait glorieux…

— Je n’aime pas ce sourire, nota Daimen. Sérieusement, Zorian, ne touche à rien. C’est mon travail.

— Je me fiche de toi, c’est tout, rétorqua Zorian en secouant la tête. On va laisser tes trucs en paix, pas besoin de t’inquiéter. D’ailleurs, comment se passe ton expédition ?

Daimen s’effondra sur une chaise en laissant entendre un soupir douloureux, avant d’attraper une figurine d’argile. Un homme barbu, qu’il dévisagea pendant quelques secondes.

— Ça… va, finit-il par s’arracher – très instructif, comme réponse. Je suis près de trouver. Je sais que je le suis, mais je ne peux simplement pas foutre une putain de localisation exacte sur l’endroit. Je ne comprends pas. Nous avons écumé la région entière – et je sais que c’est ici – mais tout est juste…

Il secoua la tête et reposa la figurine sur la table.

— Quoi qu’il en soit, je fais une pause en ce moment, admit-il. Je me suis dit qu’il fallait que je m’éclaircisse les idées, me laisser voir les choses sous un autre angle, avec une perspective nouvelle. Mais assez parlé de moi. Je me demandais… Comment vous deux avez-vous fait pour arriver ici si rapidement ? Je ne sais pas à propos de Zach, mais toi, Zorian, tu n’aurais pas pu possiblement disparaître de la maison avant que les parents n’entament leur voyage. Ce qui ne laisse… pas beaucoup de temps pour arriver jusqu’ici.

Zach et Zorian échangèrent un regard entendu. Tous deux avaient longuement discuté quant à la possibilité de parler à Daimen de leurs buts et de leur situation, et tandis que la conclusion générale voulait qu’ils n’eussent pas beaucoup le choix, comment lui dire ce qu’il se passait de but en blanc ? Cela dit, Zorian n’appréciait pas Daimen, mais il savait que ce dernier était loin d’être idiot, et il connaissait personnellement son frère. Pas très bien, mais quand même. Il savait que Daimen verrait clair à travers n’importe quelle histoire cousue que Zorian pourrait lui inventer. Et Daimen n’était pas du genre à accepter froidement qu’on lui mente ouvertement.

Ils avaient besoin de son support total, et la seule façon d’imprimer la gravité de la situation dans sa tête, c’était de tout lui dire concernant la boucle temporelle et les clés. Il fallait alors espérer que Daimen serait moins compliqué à convaincre que, disons, les Adeptes de la Porte Silencieuse.

— Nous avons ouvert un portail, et l’avons simplement traversé, avoua enfin Zorian.

Daimen le regarda comme s’il venait de lui pousser un troisième bras.

— Un portail ? Comme dans portail dimensionnel ? demanda-t-il.

— Oui, confirma Zorian. Comme dans portail dimensionnel entre Eldemar et Koth.

— Tu racontes des absurdités. Tu as l’air totalement sérieux, mais… nota Daimen. Soit ton jeu d’acteur est devenu sacrément bon, ou tu me prends vraiment pour un imbécile. Ou les deux ? Zorian, si tu comptes me mentir, au moins, vérifie que ce que tu inventes est plausible. As-tu la moindre idée de la difficulté que représente le lancement d’un simple sort de portail dimensionnel ?

— Oh, merde, oui, j’en ai une petite idée, acquiesça Zorian, le plus sérieusement du monde. Ne me rappelle pas à quel point il a été compliqué à maîtriser. Il m’a fallu un sacré bout de temps.

— J’en suis sûr, soupira Daimen en levant les yeux au ciel. Je veux dire, tu l’as si bien maîtrisé que tu as apparemment ouvert un passage aussi long que depuis Altazia jusqu’au sud de Miasina. Comment est-ce que ça peut simplement fonctionner, d’ailleurs ?

— Eh bien… Tout d’abord, j’ai créé un simulacre, et je l’ai envoyé à Koth… commença Zorian.

— Oh, alors tu peux créer des simulacres, également ? Fonce, frangin, t’es un prodige, le félicita Daimen sur un ton moqueur.

— Donc, quand ma copie est arrivée, nous nous sommes coordonnés pour ouvrir un passage entre les deux endroits, continua Zorian en l’ignorant. Lorsque deux lanceurs travaillent ensemble, la distance n’est pas un problème.

— C’est… balbutia Daimen avant de s’arrêter not et de prendre une profonde inspiration. Ok, je pense que ça pourrait effectivement fonctionner. Félicitations, je suppose. Au moins une partie de ton histoire a du sens. C’est toujours stupide, cela dit, parce que tu ne peux lancer aucun de ces deux sorts. Merde, JE ne peux pas les lancer, alors comment pourrais-tu ?

Zorian faillit répondre, mais Zach fut plus rapide.

— Et si on te le prouve ?

— Me le prouver ? faillit éclater de rire Daimen. Et comment exactement proposez-vous de faire ça ? En ouvrant un autre portail vers Eldemar ?

— Ben… Oui ? répondit Zorian tout naturellement. Le voir, c’est le croire, non ? Rien de ce que nous pourrions te dire ne te convaincra, donc on va te montrer la vérité et tu vas la voir de tes yeux. Heureusement, j’ai laissé un autre simulacre à la maison, alors on peut rouvrir un portail quand bon nous semble.

— Un autre… Zorian, la plaisanterie va trop loin. Stop, dit Daimen sur un ton plus sérieux.

— Il ne te coûte rien de tenter le coup, fit remarquer Zach. Au pire, tu regardes ton petit frère se couvrir de honte. Je suis certain que ça ne te dérangerait pas.

Daimen le fixa pendant quelques secondes, et gloussa.

— Ouais, tu marques un point, là, dit-il en souriant de toutes ses dents.

Putain, des enfoirés, tous les deux. Zorian colla sa main sur son front et la fit lentement descendre le long de son visage, comme pour en essuyer une fatigue accumulée depuis trop longtemps.

— Alors, je dois ouvrir un portail ici et maintenant ? reprit-il innocemment. Puisque je ne peux pas le faire, ça ne devrait pas être un souci, n’est-ce pas ?

— Pas moyen, rétorqua son frère. Je ne vais pas risquer mon atelier juste pour que tu puisses prouver quoi que ce soit. Et si tu lançais un sort et en perdais le contrôle ?

Zorian sourit lui aussi de toutes ses dents.

— Tu es un gamin enquiquinant, tu le sais ? grommela Daimen. Bon. Peu importe. Je n’ai aucune idée de ce que vous manigancez, mais je vais jouer le jeu, rien que pour honorer nos retrouvailles. En revanche, j’exige qu’en retour, vous me promettez de me dire toute la vérité sur ce que vous faites ici. Pourquoi vous êtes réellement là, bien sûr, et pas une autre histoire abracadabrante.

— Marché conclu, accepta aussitôt Zorian – il comptait le faire de toute façon, alors il ne lui coûtait rien de le promettre. Alors, quand auras-tu le temps ?

— Je ne fais rien, là, tout de suite, répondit Daimen en se levant. Allons-y. Le plus tôt nous en aurons fini avec ça, le plus tôt je pourrai retourner à mon travail et à ma fiancée.

Zorian se sentit presque mal pour son frère. La démonstration qu’il allait lui offrir n’était que le début de ses souffrances. Il n’y aurait pas de routine paisible lors de cette itération pour Daimen, pas si Zorian parvenait à le convaincre qu’il lui disait la vérité.

Presque mal. Mais pas tout à fait.

— Je pensais que tu faisais une pause dans ton travail ? avança Zorian.

— La ferme, lui répondit Daimen. Tu sais ce que je veux dire.

— Il travaille avec sa fiancée, renchérit Zach, un sourire pervers placardé de long en large. Je suis sûr que c’est un travail très physique.

Daimen murmura quelque chose sur les adolescents mais n’offrit aucun commentaire de plus à Zach.

— Devons-nous quitter la propriété Taramatula pour faire ça ? s’enquit Daimen. Si vous provoquez une autre scène en activant les barrières défensives, je vais me fâcher, et pas qu’un peu.

Zorian y réfléchit.

La plupart des barrières n’étaient pas créées avec un but de détection, mais on ne pouvait jamais être sûr de ce à quoi réagissait une défense inconnue. Pas sans lancer une analyse étendue de la barrière en question avant ça, ce qui pourrait également déclencher une alarme. Sans savoir comment celle-ci avait été érigée et quel était leur seuil de sensibilité, Zorian ne pouvait que plaider la prudence. Aussi, le groupe quitte le domaine, laissant un message aux gardes : ils seraient de retour sous peu.

De façon peut surprenante, il allait s’agir d’une vaste sous-estimation. Mais ça allait – Zorian avait vu le regard des gardes quand Daimen leur avait dit qu’il serait de retour avant qu’ils n’aient le temps de dire ouf, et il avait le sentiment que ce n’était pas la première fois qu’il leur chantait cette chanson.

Peut-être que demander à Daimen ce qu’il trouvait à Orissa était la mauvaise question. Il devrait plutôt demander à Orissa ce qu’elle pouvait bien trouver à son frère.

 

___

 

Zorian était assis sur l’une des collines entourant Cyoria, et observait la ville. Ou en tout cas, prétendait le faire – en réalité, son attention était concentrée sur Daimen, debout à ses côtés, qui regardait lui aussi la ville dans le silence le plus total. Zach était couché dans l’herbe, juste à côté, sifflotant un quelconque air joyeux et dessinant la silhouette des nuages du bout du doigt, ne faisant pas même mine de baisser les yeux vers Cyoria. La situation était des plus étranges aux yeux de Zorian : ce n’était pas du tout ce à quoi il s’était attendu en ramenant son frère à Eldemar.

Lorsque le groupe était encore à Koth, et que Zorian avait lancé le sort de portail avec succès, il s’était attendu à ce que Daimen fasse… eh bien, quelque chose. S’offusquer, être choqué, ou au moins surpris. Peut-être même devenir un peu agressif envers eux, leur demander une explication ou douter à nouveau de leur identité. Au minimum, il s’était attendu à voir de l’incrédulité sur le visage de son frère, et du doute, à devoir attendre une réponse que celui-ci ne saurait formuler. Mais au lieu de ça, Daimen était simplement resté des plus sérieux, âme silencieuse et observatrice. Il avait lancé une variété de sorts exotiques que Zorian ne put reconnaître, mais très certainement amenés à lui dénoncer une quelconque illusion, à détecter si son esprit été affecté, et à révéler des présences cachées autour d’eux. Ceci fait, il avait lancé le sort de l’Esprit Vide sur lui-même, suivi de trois différentes barrières de protection autour de la zone. Pour finir, il sortit une boule de métal et la lança à travers le portail. Absolument une espèce de détecteur magique, évidemment. Seulement après que la sphère lui eût dit qu’il n’y avait pas de piège de l’autre côté avait-il accepté de traverser en personne.

Voir le simulacre de Zorian lors de son arrivée lui avait fait froncer les sourcils, mais il n’en avait fait aucun commentaire. En fait, il n’avait même pas pris la parole une seule fois, se contentant de scruter tout autour de lui. Zach et Zorian l’avaient téléporté çà et là en Eldemar pour lui montrer qu’il s’agissait bien de son pays natal et pas d’une illusion d’une grandeur farfelue, avant de ramener Daimen sur la colline, pour réaliser qu’il ne faisait que suivre passivement, sans réagir aux choses.

Franchement, Zorian commençait à se sentir un peu inquiet. Ils se tenaient là depuis une heure désormais, et Daimen posait, telle une statue imperturbable, fixant la ville de son expression de verre. Avaient-il… brisé quelque chose en lui ?

— Dis quelque chose, finit par lâcher Zorian, incapable de se retenir plus longtemps, ce qui fit stopper Zach également.

Et il le fit. Comme s’il s’éveillait d’un rêve étrange, Daimen prit une profonde inspiration et se tourna lentement vers Zorian.

— Qui es-tu réellement ? lui demanda-t-il calmement.

Sa voix était plate et peu pressée, mais Zorian pouvait entendre cette frustration sous-jacente qu’il ne parvenait pas à masquer, cette colère lancinante, tout au fond de lui. Il avait peut-être masqué son esprit, mais Zorian avait des années d’expérience dans la lecture corporelle pour comprendre les émotions sans avoir besoin de les ressentir directement.

— Je suis Zorian, bien sûr, dit-il tout aussi calmement.

Il s’était attendu à ce que ça arrivât. Si une personne que vous connaissiez très bien devenait soudain un maître dans des domaines qu’il lui était impossible de maîtriser, il était raisonnable de décider qu’il était possédé, ou peut-être un très bon imposteur.

— Non, tu n’es pas Zorian, répondit légèrement Daimen en secouant la tête. Zorian est… trop jeune pour être capable de ça. Mon frère travaille dur et il est presque aussi intelligent que moi. Avec le temps, il deviendra sans doute meilleur que moi… mais il n’en a simplement pas encore eu suffisamment pour évoluer à ce point. Alors tu n’es pas lui, parce que tu ne peux pas être lui. Qui es-tu, et pourquoi t’es-tu tant ennuyé à mettre toute cette mascarade en place ?

Zorian avait à moitié envie de disputer le fait qu’il fût presque aussi intelligent que son frère, mais devait admettre que Daimen était, à défaut d’autre chose, généreux en le disant de la sorte. Les choses ne venaient jamais aussi naturellement à Zorian qu’elles ne venaient à son frère.

— Pourquoi es-tu si calme si tu penses que je suis quelqu’un d’autre ? demanda Zorian avec curiosité. Si je pensais que Kirielle avait été remplacée par un imposteur pendant que j’avais le dos tourné, je ne serais sacrément pas aussi calme que toi.

Daimen grimaça à la mention de sa sœur. Peut-être ne savait-il pas que Zorian était supposé la surveiller pendant que les parents voyageaient vers Koth ? Il n’aurait effectivement jamais accepté une chose pareille, alors peut-être que leur mère ne le lui avait tout bonnement pas dit.

— Je suis calme parce que me mettre en colère contre toi ne résoudra rien, expliqua Daimen. J’ai besoin de réponses, et je doute pouvoir les forcer hors de ta bouche. Tu es un mage capable de créer des simulacres et ouvrir des portails entre deux continents, te téléporter à travers le pays comme si tu n’effectuais qu’un pas. Ton ami est certes un peu plus discret, mais ses manières détendues me laissent penser qu’il est en réalité le plus dangereux de vous deux.

— En effet, admit Zorian en hochant la tête comme s’il venait de le réaliser lui-même.

— Je ne sais pas, Zorian, intervint Zach nonchalamment. Je pense que beaucoup de gens seraient bien plus terrifiés par toi que par moi.

— Aussi ne puis-je pas faire grand-chose de plus que vous demander ce que vous voulez, et espérer que Zorian est toujours en vie, conclut Daimen en ignorant ce commentaire.

— Je vois, soupira Zorian. Je suppose qu’il n’est pas très surprenant de te voir atteindre cette conclusion, de ton point de vue. Cependant, tu as tort. Je suis Zorian. Ta logique a du poids, mais seulement si tu assumes certaines choses à propos du temps qui passe.

— Qu’est-ce que c’est seulement censé vouloir dire ?! s’emporta légèrement Daimen. Arrête de jouer les mystérieux, et explique-toi.

— Très bien, opina Zorian. En vérité, nous ne nous sommes pas vus depuis un sacré bout de temps, mon frère. Il peut te sembler que je sois parfaitement incapable de lancer ces sorts, mais ça fait six ans… Pendant six ans, j’ai suivi l’instruction d’experts que la plupart des gens ne peuvent toucher en rêve, et je me suis fait assez d’argent pour financer un petit pays pendant toute une année. C’est ainsi que je suis devenu ce que je suis. Je suis six ans plus âgé que je le devrais, mais je suis toujours Zorian.

— C’est… ridicule, lâcha Daimen sur un ton sec, un soupçon de doute malgré tout au fond de la voix – ou était-ce de l’espoir ?

Il ne désirait certainement pas croire que Zorian avait été remplacé.

— Tout aussi ridicule que nous prétention d’ouvrir un portail entre deux continents, fit remarquer Zach. Et où sommes-nous ?

— C’est différent, protesta Daimen. Au moins, c’est théoriquement possible. Cette histoire d’années… Je ne vois pas comment ça pourrait l’être. On ne peut pas ajouter six ans à la vie d’une personne sans rien en remarquer. Même les meilleures chambres de dilatation ne le peuvent pas. D’ailleurs, en insinuant avoir eu des contacts avec le monde extérieur, ce n’est de toute façon pas une option. Et tu aurais vieilli, dans les chambres. Et donc, il nous reste quoi ?

— Il nous reste un monde dans lequel le temps se répète à l’infini, lui annonça brutalement le petit frère. La veille du festival d’été, tout est retourné dans son état d’origine, un mois plus tôt. Tout ce que tu as fait durant ce mois est effacé, y compris ta mémoire, tes progrès, tout. La vie et la mort ne signifient rien dans ce monde qui se répète. Tu as vécu ce même mois tant de fois, les mêmes gestes, les mêmes décisions, inconscient de cette… boucle temporelle dans laquelle le monde est coincé.

Eh bien, au moins Zorian le pensait. Tout changement dans une itération pouvait être remonté jusqu’à Zach et lui, et il était certain que leurs décisions n’avaient aucun impact sur Koth. N’est-ce paS ?

— Nous nous souvenons, en revanche, continua Zorian. Nous pouvons progresser et devenir meilleurs au fil des mois qui se répètent, et apprendre de nos erreurs. Ceci explique pourquoi je suis si doué alors que moins d’un mois s’est écoulé, de ton point de vue.

— Tu me dis que je n’ai rien fait pendant les six dernières années ? lui demanda Daimen.

— Essaye la même avec plusieurs décennies, objecta Zach. Six ans, c’est uniquement lorsque Zorian est entré dans la boucle, mais elle existait déjà avant. Bien avant.

Daimen avait l’air de vouloir dire quelque chose, mais il commença tout à coup à faire les cent pas dans l’herbe, grommelant et grognant tout bas.

Et voyant qu’ils en étaient revenus à attendre que Daimen daignât réagir à nouveau, Zorian haussa les épaules et se mit à dessiner les nuages à son tour.

Après moins de cinq minutes, Daimen s’arrêta net et s’approcha.

— Je ne dis pas que je te crois, commença-t-il en hésitant. Parce que ce n’est pas le cas. C’est dingue. Mais j’entends entendre plus de cette histoire, dans le détail.

— C’est équitable, acquiesça Zorian solennellement.

Il mit ses mains en coupe devant lui et y créa l’image illusoire d’une planète. Au-dessus de la planète se trouvait un simple triangle inversé, en équilibre sur une ligne horizontale.

— Au début, il n’y avait que ce monde, et un ancien artefact appelé la Porte du Seigneur…

 

___

 

Les illusions gentillettes et l’histoire détaillée ne convainquirent pas Daimen. Pas totalement, du moins. Il fut forcé d’admettre que Zorian était bien celui qu’il prétendait être, rien qu’à cause de tous les détails particuliers dont il se souvenait à propos de leur jeunesse, mais trouvait malgré tout l’idée de la boucle temporelle totalement folle. Zorian ne pouvait pas trouver d’autres réponses pour le lui expliquer, cela dit, et il espéra qu’il ne lui faudrait pas des lustres pour accepter la réalité de la chose. Qu’il eût présenté Daimen à Xvim et Alanix aidait bien, car ils se trouvèrent bien plus convaincants que le petit frère. Si Zorian comprenait correctement, Daimen le trouvait plutôt énervant désormais, ce qui était à la fois ennuyeux et flatteur.

Mais peu lui importait ; tandis que Daimen était occupé à faire la paix avec la vérité du monde, les préparations des autres préparations suivaient leur cours sans s’arrêter. Les Adeptes de la Porte Silencieuse furent également convaincues dans cette itération également, et Zorian entreprit d’aider les Aranea à comprendre la Porte Bakora. Il y avait également ce plan relativement vague consistant à transporter leurs mages vers une Porte Bakora distante afin d’obtenir la clé pour le futur, mais ça, c’était pour un peu plus tard.

Le jour de la chambre noire de Cyoria arriva et passa, et cette fois, Zach et Zorian ne furent plus les seuls à l’intérieur. Kael et Xvim les accompagnaient. Kael ne pouvait pas exactement pratiquer son alchimie dans la chambre noire, mais il désirait prendre ce temps pour réécrire et réorganiser ses notes de recherche, car leur taille et la façon chaotique dont elles étaient écrites devenaient de plus en plus difficiles à gérer. Il prétendait désormais qu’il lui fallait presque un mois entier pour comprendre ce qu’il avait fait par le passé afin d’en tirer quelque chose. Quant à l’archimage, il alternait entre les coups de fouet virtuels à Zach et Zorian lorsqu’il estimait qu’ils paressaient et diverses expériences sur la mise en forme du mana. Comme Kael, il possédait une montagne de notes, mais prétendait ne pas avoir besoin de réécrire quoi que ce fût. Peut-être parce qu’il était plus vieux, plus expérimenté dans la prise de notes, ou peut-être lisait-il juste plus rapidement et comme il possédait une mémoire absurde – un peu comme Zorian – il n’avait aucun souci avec l’intégration de le Xvim du passé avait écrit.

Alanic et Taiven refusèrent de participer. Le premier parce qu’il disait n’avoir aucun intérêt à s’enfermer là, la deuxième parce qu’elle ne voulait pas se retrouver enfermée dans une petite chambre avec quatre hommes pour un mois entier. Ce qui était… compréhensible, pour le moins. Zorian aurait vraiment dû considérer l’idée avant de la lui proposer.

Zach avait commenté, avec un sourire suggestif, qu’il ne refuserait pas de céder sa place lors d’une itération future afin que Zach et Taiven puissent avoir la chambre noire pour eux seuls, pour leurs expériences. Heureusement, Taiven le prit pour de l’humour et se contenta de lever les yeux au ciel.

Peu après être sorti de là, Zorian parvint enfin à achever une chose qui le tourmentait depuis longtemps.

— Je l’ai fait ! s’exclama-t-il en faisant irruption dans la chambre de Zach, un beau jour. J’ai enfin réussi !

Il fut accueilli par Zach, assis au sol face à l’Aranea présente à Cyoria en tant que représentante des Adeptes. Zorian avait placé des relais télépathiques entre ici et là, rendant ce genre d’arrangement moins problématique qu’il n’aurait autrement dû l’être. Normalement, trouver Zach en pleine discussion avec une Aranea sans la présence de Zorian aurait été plutôt inhabituel. Elles ne respectaient en général pas les non-psychiques, et Zach ne faisait pas exception. Zach, d’ailleurs, ne tolérait pas leur condescendance. Cependant, Zorian put identifier l’Aranea en question au premier coup d’œil, grâce à l’une de ses pattes, couverte d’une membrane blanchâtre suite à un accident dans sa jeunesse. Pensées Figées Par-delà les Gouffres Sans Fond était marginale, et déviait des standards Aranea ; celle-ci entretenait une fascination sans bornes pour les non-Ouverts, et la façon dont ils percevaient le monde. Zorian suspecta sa cécité, autre conséquence de sa jeunesse, d’y être pour quelque chose : les Aranea considéraient en général les non-psychiques comme handicapés. Mais quoi qu’il en fût, Pensées Figées était l’une des rares araignées que Zorian avait rencontrées au fil des itérations et qui préférait interagir avec Zach qu’avec lui, et il n’était pas si étonnant de la voir chercher à le contacter pour n’importe quelle raison, valable ou non.

Zorian n’était pas vraiment certains que Zach fût si enclin à répondre à la curiosité de l’Aranea, alors qu’il ne considérait pas plus que ça l’espèce entière. Peut-être qu’il trouvait simplement la situation nouvelle et intéressante, ou peut-être voulait-il simplement se montrer poli par mesure de bon sens, mais il la traitait avec de surprenantes doses de compréhension et de patience.

— Eh bien, répondit Zach. Félicitations ? Qu’as-tu réussi, exactement ?

— J’ai trouvé un moyen d’ouvrir la salle du trésor secrète cachée dans le plafond de la Toile Cyorienne, répondit Zorian, sans se préoccuper de leur invitée. Sans en détruire le contenu, je veux dire.

— Oh ? comprit Zach, en se redressant légèrement. Des choses intéressantes ?

— Je suis toujours en train de tout parcourir, mais à première vue, la plupart de ce qu’on y trouve semble tourner autour de leurs efforts pour transcrire la magie humaine en quelque chose de compatible avec les Aranea.

— C’est logique, répliqua leur invitée. N’est-ce pas le principal intérêt que de vivre sous Cyoria ? En tout cas, pour nous Aranea.

— C’est juste, admit Zorian. Ce qui signifie que ça ne m’est que très peu utile… mais j’ai peut-être touché le gros lot malgré tout. Je pense que les autres Toiles Aranea vont se montrer extrêmement intéressées par tout ça. Avec le genre de connaissances que je possède, je pourrais arranger de plus lourdes concessions de leur part. Peut-être pourrais-je même les convaincre de m’enseigner quelques trucs super intéressants, et utiliser ça afin d’obtenir des choses encore plus intéressantes de la part des autres Toiles…

— Je suis amusée que tu ne voies pas de souci à expliquer ça devant moi, gloussa l’Aranea – comme pouvait glousser une Aranea. Mais je ne peux vraiment me fâcher. Ma Toile aurait sans doute été encore plus dure si elle avait pu tirer un quelconque profit de ce genre.

— C’est intéressant à entendre, spécula Zach. Peut-être devrions-nous déléguer certaines de nos compétences à ta Toile, alors ? Zorian, il faut le comprendre, a des remords lorsqu’il s’agit d’agir ainsi envers votre peuple, mais si nous vous offrions quelques secrets bien gardés, des techniques Aranea et de l’équipement, aussi… et qu’on vous laissait le soin de l’utiliser pour en acquérir davantage… Eh bien, je suis sûr que Zorian ne vous demanderait pas plus que ça comment vous l’avez eu.

— Je suis juste là, Zach, rappela le principal intéressé.

— Tout comme l’était notre invitée quand tu as expliqué ton plan de maître, mais ça ne t’a pas arrêté, ricana Zach. D’ailleurs, je pense que la plupart des Aranea que nous avons croisées ont une opinion un peu trop haute d’elles-mêmes, et pourraient vraiment avoir besoin d’un peu d’humilité.

— Je vais… reporter ce sujet pour l’instant, décida Zorian. Quoi qu’il en soit, j’ai trouvé une chose dans cette pièce secrète. La Toile avait en réalité un projet complet dédié à l’adaptation de leurs techniques mentales aux psychiques humains. L’idée, pour autant que je puisse le dire, était de créer une espèce de set de compétences pour un… vassal humain. Ce n’est pas sa dénomination, bien sûr, mais c’est grosso modo ça. Le psychique recevrait une instruction de leur part, du genre qu’ils ne pourraient pas avoir ailleurs, afin de développer leurs compétences mentales, et en retour, il leur servirait de porte-parole, et, d’après leurs propres mots, de résolveur de problèmes. Aucune coercition, pas de manipulation mentale, les documents étaient clairs à ce propos, car la dirigeante de l’opération voulait que tout soit clair si jamais le sujet devait être soumis à un examen mental. Il serait gardé dans le rang en étant simplement menacé de se voir abandonné s’il ne coopérait pas. Plus d’assistance, plus de leçons de magie mentale. Et possiblement une persécution légale, car elles ne comptaient faire ça qu’après un marché formel avec l’administration de la ville.

— Presque exactement la même chose que les mages qui jurent fidélité aux Maisons Nobles établies, nota Zach.

— Oui, c’est d’ailleurs probablement de là que vient leur idée, confirma Zorian. C’est pourquoi je les appelle vassaux. Quoi qu’il en soit, la plupart de ces compétences sont trop rudimentaires pour moi. Je suis déjà trop avancé en télépathie, en lecture de pensées, en combat mental et tout ce qui s’ensuit pour espérer tirer un bénéfice du gros du programme. Par contre, la Toile menait également des expériences visant à récompenser les plus loyaux de leurs vassaux par l’apprentissage de techniques mentales… Les mêmes qu’utilisent les doyennes pour améliorer leur système de pensée. Je suis toujours en train de digérer ces informations, mais les notes de recherches semblent complètes. La Toile Cyorienne était bien documentée sur les dangers et les pièges inhérents à l’adaptation de leurs techniques à l’esprit humain. Avec l’accès à ces informations, je pourrais commencer à explorer ce domaine sans me faire quelque chose d’irréversible.

— Ils doivent avoir laissé un sillage de folie, derrière leurs expériences, spécula Pensées Figées. Explorer ce genre de choses inconnues crée des complications, même au sein de nos communautés. Tenter d’adapter ces techniques à l’esprit humain a probablement impliqué un grand nombre d’échecs.

— Les documents ne font pas mention de ce qui est arrivé aux sujets-tests, mais je suis certain que tu as raison, acquiesça Zorian.

— Si tu me permets de te donner un conseil, je te suggère de te rendre auprès des Artisans du Phantasme Parfait, si tu souhaites commencer à explorer ce terrain, ajouta Pensées Figées.

— Cette Toile ? s’étonna Zorian. Je ne savais pas qu’elles étaient des experts dans ce genre de techniques.

— Elles ne le sont pas, rectifia l’Aranea. Mais presque toutes les Toiles one un certain degré d’expertise dans ce domaine, et les Artisans font parties de celles possédant la meilleure compréhension entre l’esprit Aranea et l’esprit humain. De plus, leur catégorie de techniques est plutôt sûre et peu dangereuse. Elles se concentrent sur les illusions autocontrôlées. Des techniques qui laissent la plupart de tes pensées intactes, altérant à peine ta perception du monde – illuminant certaines choses, bloquant des sons, etc. En face de ça, l’idée de délibérément tromper tes sens peut sembler plutôt ridicule, mais ça peut être vraiment pratique, et rapidement défait. Si tu veux te lancer sans risquer de sombrer dans la démence, les Artisans sont probablement le meilleur point de départ.

Après quelques questions de plus, Zorian quitta Zach et Pensées Figées et les laissa à la discussion qu’ils partageaient, quelle qu’elle fût. Il avait trop de choses à penser au courant de ce mois pour commencer à imaginer un nouveau projet comme celui-là, mais c’était une chose qu’il allait garder à l’esprit pour l’avenir.

 

___

— Alors, que penses-tu de la famille Taramatula ? demanda Daimen.

Zorian jeta un coup d’œil vers son frère, tentant de comprendre pourquoi il lui avait soudain posé cette question. Comme à son habitude, Daimen était sous l’emprise d’un sort de l’Esprit Vide dès qu’il savait que Zorian se trouvait alentour – au début, il avait laissé tomber, une fois certain que son frère était bel et bien son frère, mais dès qu’il eût appris que Zorian était un maître en magie mentale non structurée, chose rare même parmi les meilleurs experts connus, il l’avait appliqué à nouveau avec zèle à chaque fois qu’ils se voyaient.

Comme Daimen était clairement paranoïaque à propos de la magie mentale, Zorian avait évité de lui faire remarquer que lui aussi était un psychique, et qu’il le savait. D’ailleurs, Daimen était toujours en train de réaliser avec peine qu’il n’était qu’une copie de lui-même dans un monde qui se répétait sans cesse dans un univers miniature, aussi Zorian jugeait-il qu’il aurait été un peu brusque de lui balancer trop de vérités d’un seul coup. Il avait le temps. Cette question particulière n’était en rien critique.

Actuellement, tous deux marchaient lentement le long de la limite de la propriété Taramatula, ostensiblement pour profiter de la vue, mais en réalité pour avoir une chance de discuter en paix. Zach était absent, Daimen ayant demandé à parler à son frère en privé d’une affaire de famille, et était resté dans le bâtiment principal du domaine, à échanger des histoires avec le tuteur que la famille leur avait fourni gratuitement – après leur minable prestation lors de leur cérémonie d’accueil, les dirigeants de la famille avaient décidé qu’ils avaient besoin de cours de langue de toute urgence. Puisqu’il était devenu évident qu’ils allaient visiter leur demeure assez fréquemment à cause de leurs rencontres régulières avec Daimen, il leur fallait connaître la langue et les coutumes locales.

Le domaine lui-même était gigantesque, flanqué d’un imposant bâtiment central auréolé d’une multitude de plus petits. Au moins un quart de ces derniers hébergeaient des ruches, et non des gens, et toutes les structures étaient d’un blanc étincelant – non parce qu’ils étaient peints ainsi, mais parce qu’ils étaient fabriqués dans une pierre blanche perle qui semblait ne pouvoir se salir. Le bâtiment principal arborait plus de couleurs, cela dit, avec l’intention évidente d’attirer l’œil. Des tresses géométriques bariolées et complexes en entouraient toutes les portes et fenêtres, et zigzaguaient au travers des murs partout ailleurs. Elles n’étaient pas non plus peintes, mais étaient faites de ce qui ressemblait à des pierres semi-précieuses incrustées directement dans la structure du mur. Zorian n’en était pas sûr, mais ces pierres pouvaient bien servir de catalyseurs pour les structures défensives du domaine, et ne pas être uniquement ornementales.

Taramatula était un domaine qui possédait également un bon nombre de statues, la plupart représentant des personnages sombres et stricts, probablement des ancêtres importants de la famille. D’autres, plus petites, étaient des odes aux créatures magiques. Et des abeilles géantes, bien sûr. Que serait une famille spécialisée dans l’élevage d’abeilles sans statues les représentant ? Toutes étaient sculptées et peintes pour paraître le plus vivant possible. Les gens de Koth étaient vraiment des adorateurs du réalisme, et Taramatula ne faisait pas exception.

— Ils sont étonnamment hospitaliers et amicaux, répondit Zorian après avoir étudié la question. Je m’attendais à ce qu’il se montrent bien plus arrogants et secs, en considérant leur statut.

— C’est en réalité typique de la façon dont les petits nobles se comportent, lui expliqua Daimen. J’ai côtoyé un certain nombre d’entre eux au fil des années, et ils sont rarement déplaisants. Même s’ils considèrent quelqu’un inférieur, ils vont rarement les montrer, à moins que cette personne ne les pousse vraiment à bout.

— Je t’accord ton expertise sur le sujet, fit Zorian en haussant les épaules. Peu importe. Je les aime bien.

— J’en suis heureux, lui sourit Daimen. Je suppose que tu n’auras pas d’objections à prendre mon parti face aux parents, dans ce cas ?

Zorian le regarda, totalement ébahi.

— Quoi ? renchérit aussitôt Daimen, sur la défensive.

— Tu penses que mon opinion leur importe le moins du monde ? demanda Zorian de façon rhétorique en levant les sourcils.

Pour ce que ça valait, il était même surpris que son frère s’inquiétait de son opinion.

— Mais bien sûr, balance mon support dans leurs tronches s’ils demandent. Ce n’est pas comme s’ils pouvaient avoir une opinion encore plus basse de moi, de toute façon.

— Zorian, c’est… un peu trop dur envers eux, tu ne penses pas ? tenta Daimen.

— Nope, répondit aussitôt Zorian, pas repentant pour un sou. Je n’ai jamais compté à leurs yeux. Pas jusqu’à ce que tu leur aies clairement annoncé que tu n’avais aucunement l’intention de reprendre le commerce familial et que Fortov prouve son inutilité. Ils ont alors seulement compté sur moi pour que j’abandonne tous mes rêves afin de me changer en ce qu’ils avaient besoin que je sois.

Daimen garda le silence pendant un moment.

— Je vois, dit-il enfin. Tu étais si raisonnable et calme pendant nos rencontres que j’ai presque oublié à quel point tu es en réalité une boule concentrée de colère et de rancune envers eux.

— Je t’emmerde, Daimen, lui lâcha sèchement Zorian. Pourquoi m’as-tu amené ici ?

— Eh bien, tout d’abord, je voulais te dire que j’étais très impressionné par tout ce que tu as fait jusqu’à présent, lui dit-il honnêtement.

Zorian leva un œil vers lui, en coin. Daimen le félicitait ? Qu’est-ce que c’était que ce bordel ? Qui était l’imposteur, ici ?

— Ne me regarde pas ainsi, protesta le grand frère. Je le suis vraiment. Six ans, ce n’est pas long dans le grand schéma des choses. Tu as toujours d’un an mon cadet, et tu as déjà tant accompli. Je pense que la plupart des gens, même s’ils se voyaient offrir cette opportunité, n’aurais jamais atteint le niveau que tu as aujourd’hui.

Zorian garda le silence, incapable de trouver quoi – et sur quel ton – lui répondre.

— Merci, je suppose, fit-il au bout d’un moment. Est-ce que ça veut dire que tu acceptes la réalité de la boucle temporelle ?

— Oui, acquiesça Daimen. Je suppose que oui.

— Dans ce cas, je vais être franc avec toi, continua Zorian. Nous sommes venus te voir parce que nous avons besoin de ton aide.

— Bien entendu, lui répondit Daimen comme s’il s’était agi d’une évidence. Une chasse au trésor, je suppose ?

— Exact. Souviens-toi de ce que je t’ai dit à propos du troisième voyageur, et la façon dont il nous a abandonné ici. Eh bien, il y a potentiellement un moyen de sortir de la boucle malgré ça. Cependant, nous avons pour ça besoin de rassembler cinq morceaux de clé. La clé qui détient l’autorité de la Porte du Souverain. Et l’un de ces pièces est quelque part à Koth.

Daimen écouta l’explication très calmement au début, hochant simplement la tête de temps en temps pour indiquer qu’il comprenait bien où allait l’histoire et qu’il y prêtait attention. Mais tout à coup, il frémit et se redressa, comme frappé par une réalisation.

— Attends… La Porte du Souverain est un ancien artefact impérial ! s’exclama-t-il.

— Eh bien… oui ? répondit lentement Zorian après l’avoir regardé de travers.

— Ce qui veut dire que les clés que tu cherches le sont très probablement aussi, conclut Daimen.

— Oui, répéta Zorian, ne comprenant toujours pas où il voulait en venir, ni pourquoi il semblait si agité par cette révélation. L’anneau, la couronne, la dague, l’orbe et le bâton, tous ayant appartenu au premier Empereur d’Ikosia. Supposément, l’orbe est perdu quelque part à Koth. L’un des Empereurs a même personnellement conduit une invasion afin de conquérir la région mais l’armée qu’il menait s’est faite dérouter dans la jungle, ou tous ont péri. Y compris l’Empereur, dont le corps et les possessions n’ont jamais été retrouvées. Et on dit qu’il transportait l’orbe, alors…

Zorian s’arrêta de parler, Daimen ayant éclaté de rire, d’abord tout bas, et puis comme un fou furieux. Sérieusement, qu’est-ce qui n’allait pas, chez lui ?

— Daimen ? demanda-t-il.

— Bien sûr. Bien sûr ! gloussa Daimen, comme si ça expliquait tout. Tout revient à ça, à la fin, hein ? Bien sûr que oui.

— Je suppose que tu ne vas pas me dire ce qui est si drôle ? s’impatienta Zorian.

— Mon très cher petit frère, lui annonça Daimen. Cet orbe, c’est exactement ce après quoi je cours, moi aussi.

Raka
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