MoL : Chapitre 65
MoL : Chapitre 67

Premier chapitre bonus de MoL, en remerciant bien bas Scorpio. C’est un plaisir de voir que le travail est apprécié !

Oh, wait non, c’est Thibaut et Florian 😀
Scorpio viendra pour EER 😉

 

Jour 12/31 des soldes !
Je vous rappelle les termes du contrat :

MoL : 50 € / chapitre
EER : 25 € / chapitre

Et vous souhaite une excellent lecture 🙂

Chapitres en attente :

EER : 3
MoL : 3

 

Chapitre 66 — Perfection gâchée

 

Depuis maintenant près de six ans, Zorian vivait ce même mois à répétition. Et il trouvait ça long, pour être honnête. Tant de choses s’étaient produites et sa vision du monde avait subi des changements radicaux. Si bien que sans y penser, il aurait dit que dix ou quinze ans s’étaient écoulés, voire plus. Il se demanda comment Zach, celui d’origine, diffèrerait aujourd’hui de celui qu’il avait appris à connaître – ils semblaient très similaires au premier coup d’œil, mais ce n’étaient que des ressemblances de surface, à n’en point douter. Zach n’avait pas pu rester le même pendant des décennies de solitude, Zorian ne l’avait simplement pas tant connu avant la boucle et ne pouvait pas prétendre repérer les différences.

Mais toutes choses mises à part, Zorian avait bel et bien passé plus d’une demi-décennie au sein de la boucle, et durant tout ce temps, pas une fois ne s’était-il assis avec sa mère pour discuter. Certaines personnes en auraient eu sacrément honte, mais pas lui. En effet, l’un des principaux avantages de la boucle temporelle était bien le fait qu’il pouvait éliminer la plupart des interactions qu’il pouvait avoir avec ses parents.

Maintenant, pour la première fois en tant d’années, il allait engager une conversation avec sa mère… et ç’allait être à propos de Daimen, rien que ça.

Il n’avait jamais imaginé qu’un jour, il allait réclamer à ses parents encore plus d’histoires sur son grand frère, mais la vie réserve parfois de sacrées surprises.

— En réalité, ça me rappelle quelque chose, lui dit sa mère. Ton père et moi partons pour Koth afin de lui rendre une petite visite.

Oh, parfait. Il attendait qu’elle fasse mention du voyage. Heureusement, il n’eut pas à diriger volontairement la conversation dans cette direction : malgré son choix de mots, le sujet était clairement en tête de liste de ses pensées actuelles. Elle trouvait un moyen d’aborder le sujet à chaque fois.

— Eh bien, c’est un peu soudain, commenta légèrement Zorian. C’est à quel sujet ?

Si sa mère avait été surprise par le fait que Zorian venait de montrer un quelconque intérêt pour Daimen, elle n’en laissa rien paraître.

— Il est simplement normal de lui rendre visite de temps à autre, lui dit-elle sur un ton de sermon. Cela fait presque un an que nous ne l’avons vu. La famille est une chose importante.

— Uh huh, gloussa Zorian en réponse, sur un ton affirmatif. Mais ne serait-il pas plus logique que Daimen nous rende visite, plutôt que le contraire ? Il semble bien plus facile pour lui de revenir que vous d’y aller.

— Eh bien, hésita-t-elle l’espace de quelques secondes. Tu as probablement raison. Mais tu sais comme Daimen peut être bouillant parfois. Et il est vraiment excité par ce sur quoi il travaille en ce moment, sur ce qu’il recherche. Il ne prendra jamais une pause pour venir nous rendre visite, pas même à nous.

— Je vois, comprit Zorian.

L’ancien Zorian en lui savait que sa mère n’aurait jamais été aussi compréhensive si lui avait vécu la même situation. Non, aurait-il ignoré sa famille pendant presque un an, aurait-il manqué tous les dîners, toutes les réunions, il n’aurait toujours pas fini d’en entendre parler ce jour. Mais ça ne l’aidait pas, tout ça, aussi repoussa-t-il ces pensées au loin et se concentra sur ce qui importait.

— Puisqu’il ne vient pas vous voir, vous y allez. Logique. Mais si c’est une réunion de famille, pour quelle raison le reste de la famille reste à la maison ? Même en considérant mes études, si Kirielle, Fortov et moi n’y allons pas, en quoi est-ce une réunion de famille ?

— Comment sais-tu que nous ne vous emmenons pas ? demanda-t-elle soudain.

Zorian fit une pause, l’espace d’une seconde. Merde… Elle n’avait pas encore fait mention de ce détail, hein ? Oh, bah, c’était plutôt simple à fabriquer.

— Quoi ? Tu comptes peut-être me retirer de l’Académie au tout dernier moment ? rétorqua-t-il en levant un sourcil. Et Fortov aussi ? Traîner Kirielle dans un pays complètement étranger, où elle pourrait attraper au moins dix ou douze maladie exotiques en quelques jours à peine ?

— En fait, maintenant que tu parles de Kirielle – commença-t-elle.

— C’est bon, la coupa-t-il. C’est d’accord.

— Je te demande pardon ? s’étonna-t-elle, interloquée.

— Tu voulais me demander si je voulais emmener Kirielle avec moi à Cyoria, non ? supposa Zorian. J’imagine que c’est d’ailleurs la seule raison pour laquelle tu as abordé le sujet en premier lieu. Je vais le faire. Je la prends avec moi.

— Ouiiiiiiii ! hurla celle qui espionnait depuis l’autre côté de la porte, dans le couloir.

Zorian leva les yeux au ciel suite à cet éclat, et même leur mère ressentit le besoin d’envoyer un regard exaspérer en direction de la petite curieuse. Non pas que cette dernière l’eût vu – elle était toujours cachée, et pour une raison des plus mystérieuses, prétendait toujours ne pas être en train de les épier.

— Oui, bon, maintenant que nous avons réglé ce problème, on va pouvoir revenir aux vraies raisons qui te poussent à te ruer à Koth ainsi, reprit Zorian.

Ce qui lui valut un regard désapprobateur, et en même temps… interrogateur.

— Pourquoi est-ce que ça t’intéresse ? demanda-t-elle. Non que je me plaigne que tu daignes enfin montrer de l’intérêt dans les affaires de la famille. Je pense que c’est une chose positive. Cependant, tu ne peux nier que ce n’est pas vraiment toi. Es-tu bien Zorian ?

— Et tu ne peux pas nier que ce voyage a tout d’inhabituel, la singea-t-il. Tu laisses Kirielle entre mes mains pour au moins deux mois, peut-être plus, et tu n’aimes sans doute pas ça du tout…

— Je suis certaine que vous vous en sortirez très bien, rétorqua-t-elle calmement.

— …et tu laisses ton entreprise sans vrai management en plein milieu de l’été, ce qui, j’en suis convaincu, te rend complètement folle, termina Zorian sans s’occuper de son commentaire.

Ce n’était pas que leur commerce ne pût survivre sans eux pendant quelques mois. Ce que ses parents avaient construit avait passé depuis belle lurette la phase nécessitant un investissement personnel pour chaque petit détail – tant qu’une crise ne survenait pas, ils pouvaient facilement abandonner la direction à leurs subordonnés pour quelques mois. Mais s’il en survenait une ? Zorian le savait, il n’y avait pas moyen que ses parents n’eussent pas été morts d’inquiétude. Spécialement son père, qui semblait juger la plupart de ses employés et associés soit fainéants, soit incompétents ; ou les deux à la fois. Bien sûr, Zorian ne tirait cette conclusion que de ses sempiternels grommellements au fil des années.

— Ton père était en effet un peu hésitant à laisser la compagnie rouler en autonomie pendant si longtemps, admit facilement sa mère. Mais c’est…

Elle chercha ses mots – ou peut-être d’autres mots, considérant visiblement la possibilité de lui avouer la vérité. Non pour la première fois, Zorian se demanda s’il ne devait pas simplement utiliser ses pouvoirs mentaux pour lire dans ses pensées. Il ne voulait vraiment pas ; même s’ils ne s’entendaient pas à la perfection, il y avait juste quelque chose d’immoral dans le fait de s’introduire dans les pensées de sa mère de la sorte.

— C’est quoi ? demanda-t-il lentement.

— Tu es vraiment insistant, aujourd’hui, remarqua-t-elle, une grimace mécontente sur le visage.

— Tu me critiques continuellement parce que je ne m’intéresse pas à la famille et à notre réputation, dit Zorian, incapable de camoufler un soupçon d’énervement dans sa voix. Pourtant, maintenant, tu as clairement une espèce de problème familial urgent dans les mains, et tu me laisses dans l’ombre à ce propos. Je pense que j’ai le droit de me montrer un peu direct.

— C’est n’est pas une urgence familiale, répondit-elle en se frottant le front, frustrée. Pas comme tu l’imagines. C’est juste…

Elle soupira, profondément, comme si le poids du monde qu’elle portait sur les épaules venait de lui rappeler qu’il était immensément lourd.

— Peux-tu lancer l’un de ces sorts de privatisation de la zone ? Ce n’est pas une chose que je souhaite que Kirielle entende.

Zorian acquiesça et érigea prestement une barrière à deux épaisseurs – l’une empêchant le son de quitter les lieux, l’autre interdisant à quiconque d’y pénétrer sans avoir à exercer une force physique énorme. Juste au cas où Kirielle s’imaginât se montrer un peu plus téméraire qu’à son habitude.

— Voilà qui est fait, annonça-t-il.

— Daimen va se marier, lâcha sa mère d’un seul coup, comme pour se libérer.

Zorian la fixa pendant deux secondes, tentant de digérer quatre mots simples. Quoi ? C’était ça, l’énorme secret ?

Ok, alors il pouvait comprendre pourquoi ses parents considéraient ça comme une gigantesque nouvelle. En revanche, il s’attendait à ce qu’ils fussent plus… eh bien, contents. La façon dont sa mère se comportait lui aurait fait penser que quelqu’un était mort, pas qu’on allait lui annoncer des fiançailles.

— Je ne comprends pas, reprit-il après quelques secondes. En quoi est-ce une mauvaise chose ? Si je m’en souviens bien, tu lui as même fait comprendre qu’il n’était plus si jeune et qu’il devait songer à tout ça. La fiancée est-elle problématique ?

— La fille est parfaite, soupira sa mère. Elle vient d’une puissante famille de mages, des pointures dans leur région. Elle fait partie de la noblesse.

— Alors il va se marier dans la noblesse ? comprit Zorian en fronçant les sourcils. Marrant. J’aurais imaginé que tu te montrerais plus extatique.

Ce qui lui valut, cette fois, un regard pas amusé du tout.

— Non ? Tu n’apprécies pas le fait qu’il se marie avec la noblesse ? insista Zorian, perplexe, qui ne comprenait honnêtement pas pourquoi elle désapprouvait tant ce fait.

— Ce n’est pas une bonne chose qu’elle fasse partie de la noblesse locale. Ça ne fait qu’empirer les choses, expliqua-t-elle. Il est déjà assez compliqué qu’il désire épouser une étrangère alors qu’il y a tant de filles correctes, ici. Des filles de familles influents qui seraient plus que ravies de lier des liens avec notre famille afin de s’assurer un mage de son calibre. Mais peu importe. Je pourrais l’accepter, si c’était juste une fille quelconque qu’il avait choisie à Koth, et amenée à la maison. Mais elle… elle est pratiquement une princesse. Il n’y a absolument aucune chance qu’elle déménage jusqu’ici. Je crains que lui ne reste là-bas.

— Aah… lâcha Zorian en comprenant enfin le vrai fond du problème.

Si Daimen épousait cette fille et restait à Koth de façon permanente, ses parents n’en gagneraient absolument rien. Alors même qu’il se marierait avec la noblesse locale, ce serait une noblesse distante et étrangère. Ils en tireraient la fierté de pouvoir s’en vanter, mais ça s’arrêterait là : aucune famille influente d’Eldemar ne leur donnerait plus de poids qu’ils n’en avaient déjà.

De plus, si Daimen restait à Koth, ses parents ne pourraient voir leur fils favori – et sa nouvelle famille – qu’une fois tous les cinquièmes jeudis du mois. Voyager entre Eldemar et Koth n’était pas si banal.

— Donc, dit Zorian. Je suppose que tu as déjà tenté de lui en parler par courrier ?

— Bien entendu, acquiesça sa mère. Nous lui avons écrit à quel point c’était une mauvaise idée. Peu importe à quel point il trouve cette fille incroyable, il pourrait faire tellement mieux ici, à Eldemar.

— Et il ne vous a pas écouté, évidemment, continua Zorian, non sans se délecter un tantinet de leur malheur.

— Il a dit qu’il l’aimait, grinça-t-elle en secouant la tête. Il ne changera pas d’avis. Il ne va pas même repousser le mariage, alors l’annuler ? Il insiste, elle est parfaite, et il ne peut pas laisser l’opportunité passer, et bla et bla et bla. C’est trop soudain ! Pourquoi ne m’écoute-t-il pas ?!

Zorian fit claquer sa langue. Il ne savait pas pourquoi elle en était si surprise. L’amour avait toujours rendu les gens déraisonnables, et Daimen faisait ce qu’il voulait de leurs parents depuis aussi longtemps qu’il s’en souvenait ; pourquoi aurait-il abandonné son amour aveugle juste parce qu’ils désapprouvaient ?

Cela dit – et Zorian ne pouvait pas croire qu’il tenait ce jugement – il était d’accord avec Daimen. Quel droit ses parents prétendaient-ils avoir pour essayer de se mettre entre lui et sa fiancée ? Il s’agissait ultimement de sa propre décision.

Bien qu’évidemment, il était également du droit de leurs parents de se précipiter vers Koth pour tenter de l’en dissuader.

— Je suppose que tu penses qu’en y allant, tu auras plus de poids face à lui ? Que ce sera plus efficace que par lettre ?

— Tu ne peux être aussi convaincant par écrit que tu pourrais l’être face à la personne en question, confirma-t-elle. Mais je ne sais pas si ce sera suffisant, c’est tout. Nous devons malgré tout essayer. Je sais qu’il est jeune et amoureux, mais il commet une énorme erreur et il faut qu’il le sache.

— Hmm, souffla Zorian. Très bien. Je ne vais pas m’en mêler, et je suis sûr que tu t’attends à ce que ne le fasse pas, de toute façon. Merci de me l’avoir expliqué.

— Ne répète pas ça, le prévint-elle. Je te le dis uniquement parce que je sais que tu peux garder le secret. Il y a toujours une chance pour que nous puissions rétablir les choses.

— Très bien, accepta facilement Zorian. Une petite question, dans ce cas. Sais-tu ce sur quoi Daimen travaille à Koth ? Et où il se trouve actuellement ?

— Non… Il s’est toujours montré très secret à ce sujet. Il était inquiet que quelqu’un fût capable d’intercepter ses lettres et trouver ce qu’il cherchait avant lui. Le monde des chasseurs de trésors est extrêmement compétitif, de ce que j’ai entendu. Nous avons accepté qu’il vienne nous chercher à Jasuka une fois arrivés.

Zorian acquiesça. C’était à peu près ce à quoi il s’était attendu, en réalité. Il était logique que ses parents arrivassent à Jasuka, puisque la ville était le point d’entrée principal pour tous les navires entrant à Koth depuis le nord, et il était logique que Daimen allât les rencontrer là-bas. Malheureusement, leur rendez-vous avait lieu trop tard pour Zorian, et il lui fallait d’autres indices pour pouvoir retrouver son frère.

Comme, par exemple, disons, éventuellement, l’identité de sa fiancée.

— Comment s’appelle la fille qu’il veut épouser, d’ailleurs ? demanda-t-il innocemment. De quelle famille vient-elle ? De quel pays ? Je suis curieux, maintenant.

— Elle s’appelle Orissa Siqi Taramatula, de la famille Taramatula, déballa sa mère. Elle vient de l’état d’Haramao, où que ce soit, d’ailleurs. Apparemment, ils sont très spéciaux, la magie de leur famille tournant autour de ces… abeilles magiques qu’ils élèvent.

— Des abeilles ? s’étonna Zorian.

— Oui. Ils élèvent plusieurs espèces d’abeilles magiques et utilisent leur méthode secrète pour les contrôler, supposément de façon très versatile, expliqua sans relâche la mère de Zorian. Elles produisent un miel très exotique et luxueux, elles peuvent se montrer mortelles lors d’un combat, et sont très douées en matière de pistage. C’est d’ailleurs pour cette raison que Daimen les a initialement contactés. Il avait engagé leur meilleure pisteuse pour une mission, et la fille de la famille les a accompagnés. Une chose en entraînant une autre, eh bien… Maintenant, nous avons un problème sur les bras. J’espère que sa famille est aussi peu enthousiasmée par ce mariage que nous le sommes, et qu’elle va nous aider.

Ha. Alors Daimen allait finalement goûter à la façon dont leurs parents pouvaient agir lorsqu’ils désapprouvaient la décision de l’un de leurs enfants.

Dans tous les cas, ces informations étaient probablement déjà suffisantes pour traquer Daimen – cette famille Taramatula avait l’air facilement remarquable, et ils savaient très probablement où se trouvait son frère. Pourtant, il y avait toujours quelque chose qu’il pouvait tirer de sa mère : peut-être Daimen avait-il laissé transpirer l’un ou l’autre indice dans ses lettres.

Il ouvrit la bouche pour poser une autre question, et fut interrompu par quelqu’un qui toquait à la porte.

Oh. Ilsa.

Sa mère lui fit signe d’aller ouvrir la porte et Zorian obéit diligemment. La suite de cette conversation allait devoir attendre d’avoir réglé ses affaires avec la représentante de l’Académie.

 

___

 

La demeure de Xvim était le lieu de rencontre d’un groupe très inhabituel. Zorian, Zach, Xvim, Alanic, Karl et Taiven étaient rassemblés dans son salon, le nez dans les divers documents que Zach et Zorian avaient collectés au fil des itérations. Tout le monde était conscient de la boucle temporelle. Zorian aurait normalement laissé Kael et Taiven en-dehors de ce projet – Kael parce qu’il lui avait demandé de garder certaines choses secrètes, et Taiven parce qu’elle n’avait jamais réellement cru en cette distorsion temporelle, de toute façon – mais Xvim et Alanic avaient insisté pour les inclure. Ce n’était pas dans leurs habitudes, mais Zorian s’était attendu à ce genre de requêtes de leur part, récemment. Depuis qu’il avait commencé à laisser des messages et des notes de recherches aux deux adultes, leurs actions semblaient varier du tout au tout d’une itération à l’autre.

Zorian ne voyait aucune raison de leur refuser la requête, aussi Kael et Taiven les avaient-ils rejoints cette fois.

Contrairement aux autres, Zorian ne se préoccupa pas de lire les documents. Il n’en avait pas besoin. Il était, après tout, celui qui avait pris leurs diverses notes et les avait transformées en rapports concis au fil du temps, ceux-là même qu’ils étaient en train de compulser. Et il avait ses simulacres, de toute façon – il avait tendance à déléguer ce genre de travail à ses copies, récemment – il devait simplement se souvenir de vérifier que le travail fût bien fait, car ils auraient la fâcheuse envie d’y glisser des protestations silencieuses pour avoir reçu ce genre de travail. Il le savait, il ferait la même chose. Mais vraiment, pour quoi avait-il appris à créer des simulacres, si ce n’était pour leur donner ces tâches autrement chronophages ?

— Eh bien, ce sont des bonnes nouvelles à propos de la porte ibasienne, dit Zach en feuilletant quelques informations. J’étais sûr que Quatach-Ichl avait collé une âme humaine quelque part à l’intérieur pour la faire fonctionner. Je veux dire, même les Portes Bakora ont besoin d’une espèce d’esprit pour fonctionner.

— Les Portes Bakora ouvrent les tunnels dimensionnels de leur propre chef, cela dit, nota Zorian. La porte des ibasiens ne le fait pas. Ils ont juste conservé le portail créé par quelqu’un d’autre ouvert indéfiniment.

— Oui, il est compliqué d’imaginer ce qu’une âme pourrait faire ici, à part peut-être alimenter l’artefact en puissance, acquiesça Alanic. Ce n’est pas comme si coller n’importe quelle âme dans l’objet lui permettrait d’ouvrir des portails juste parce qu’il en aurait envie. Je suppose que si vous y ajoutiez l’âme d’un nécromancien volontaire, comme Sudomir l’a fait avec sa femme –

Kael tira une horrible grimace à ces mots. Il n’avait pas une opinion très positive de l’acte d’amour de Sudomir envers sa femme et l’avait déjà annoncé plus tôt. Et le fait que le maire eût plus ou moins chassé et tué toutes les connaissances de Kael dans la région n’aidait en rien ; Kael il serait sans doute lui-même passé s’il n’avait pas été recruté par l’Académie juste à temps.

— – alors peut-être que vous pourriez en augmenter l’efficacité de la structure, ou… je ne sais pas, termina le prêtre. Autrement, il n’y aurait aucun intérêt à le faire.

— Ne vous méprenez pas, dit Zach. Je ne me plains pas. Je veux dire, si la porte des Ibasiens est juste une structure stabilisatrice pour un sort exotique, ça veut dire qu’on peut la copier plutôt facilement, n’est-ce pas ?

— Je ne suis pas certain qu’un artefact aussi intriqué et avancé puisse être appelé « juste » quelque chose, fit remarquer Zorian. Quant à le recréer… Eh bien, si c’était juste toi et moi, je dirais qu’il nous faudrait des années pour simplement comprendre comment faire. Mais puisque nous avons à disposition une armée d’experts… Je crois que ça va malgré tout nécessiter une bonne année, mais sans doute pas plus.

— Un an ? chouina Zach, clairement déçu. Pourquoi ?

— La courte période durant laquelle nous avons accès à la porte pour l’étudier nous paralyse, tout simplement, expliqua Zorian, en faisant claquer sa langue de frustration. Nous avons peut-être des experts, mais ils ne disposent que de quelques heures pour examiner la chose de zéro. Ils ne peuvent pas faire de miracles en si peu de temps.

— Pourquoi ne pas attaquer la base plus tôt, dans ce cas ? demanda Taiven. Ce Quatach-Ichl est-il vraiment si imbattable ?

— Oui, conclurent Zach et Zorian à l’unisson, d’un mot sec et sans hésitation.

— Ok, ok, pas besoin de me regarder avec ces yeux, marmonna-t-elle. Et il n’est jamais absent de Cyoria, par hasard ?

Zorian fut sur le point d’expliquer en quoi ça ne fonctionnerait pas lorsqu’il se souvint d’une chose. Il tendit la main vers une pile de papiers proche de lui et se mit à en parcourir rapidement le contenu. Il s’agissait d’une chronologie de l’invasion que Zach et lui avaient douloureusement remplie. Une ligne parfaite était bien entendue impossible à définir puisque les choses déviaient en fonction de ce que Zach et Zorian faisaient, mais certaines choses semblaient vraiment dures au changement, et se produisaient virtuellement quoi qu’il se passât à côté. Zorian était certain de se souvenir d’une chose en particulier… ah !

— Là, dit-il d’un air triomphant, en désignant l’un des paragraphes. Au début de la troisième semaine, la liche a tendance à retourner à Ulquaan Ibasa et y reste pour trois jours complets. Tant que nous ne mettons pas l’invasion en péril de façon trop évidente, il est certain qu’il va faire de même cette fois également. Aussi, si vous parvenions à prendre le contrôle de la base sous Cyoria au tout début de cette période, nous disposerions de trois jours entiers pour étudier la porte sans interruption.

— C’est un énorme si, nota Zach. Tu parles d’attaquer la base, complètement défendue et remplie. Fais-moi confiance, la différence avec l’attaque en fin de mois est vraiment grande. Et en plus, tu parles de les attaquer et les éradiquer sans leur laisser le temps de sonner l’alarme afin de faire revenir la liche, ou de recevoir des renforts de la part de Sudomir, d’ailleurs.

— Ouais, dit Zorian d’un air pensif. Les sodats d’Alanic seuls ne vont pas suffire, cette fois. Nous allons devoir embaucher des mercenaires Aranea si nous voulons que ça fonctionne. Je suis presque sûr que je trouverai une Toile intéressée par l’idée si le paiement est suffisant.

— Et Sudomir ? s’enquit Alanic.

— Oh, lui, c’est facile, renchérit Zorian. Il est toujours maire de Knyazov Dvera. Nous avons juste besoin de créer une émeute et attendre qu’il se montre, parce qu’il va très certainement le faire. Et on pourra tuer ses gardes du corps et l’enlever, même au milieu de la journée, croyez-moi.

Un bref silence survola le groupe, tandis qu’ils se regardaient les uns les autres.

— Quoi ? lança Zorian pour sa défense. Vous avez une meilleure idée ?

— Tu es devenu une personne effrayante, Zorian, fit remarquer Taiven.

— Elle a raison, appuya Alanic. L’enlever, alors que nous pourrions simplement le tuer ? C’est effrayant d’imaginer qu’il pourrait nous jouer un sale tour.

— Ce n’est pas ce que je voul… commença Taiven, la main sur le front.

— Il a clairement insinué qu’il était extrêmement difficile de le tuer, lorsque je lui ai parlé, la coupa Zorian. Je ne sais pas quelle magie il utilise pour ça, mais il est possible qu’on ne puisse simplement pas le mettre à mort. Alors je m’imaginais qu’il serait plus facile de simplement le priver de sa liberté, et le garder entravé aussi longtemps que nécessaire.

— Bon. Très bien. Dans tous les cas, j’approuve ce plan d’action, fit le prêtre en hochant la tête. Au moins, ça nous donnera une chance de l’interroger une fois capturé. Je remarque que nous ne l’avons pas fait de façon très pertinente lors d’une itération précédente.

— Ouais, ça n’a jamais vraiment été une priorité, et ses plans étaient tous complètement fous, fit Zorian en haussant les épaules.

— Fous ou pas, il a clairement un sacré talent en matière de magie, nota Kael. Tu ne devrais pas simplement te limiter à l’interroger sur ses crimes et ses liens avec les envahisseurs. Tu devrais lui demander tout ce qu’il sait à propos de la nécromancie en générale, et des autres formes de magie.

De manière peu surprenante, il devint la nouvelle cible des regards étranges du groupe, un peu comme Zorian, plus tôt.

— Écoutez, reprit Kael en tendant de paraître le plus calme possible. Je déteste probablement ce monstre plus que quiconque ici. Il y a toutes les chances pour que ses connaissances viennent de toutes ces personnes que je connaissais. Des gens qu’il a assurément tués, dont les âmes ont forcément été interrogées afin qu’elles révèlent leurs secrets, magiques ou non. Mais c’est précisément pour cette raison qu’il faut lui faire subir le même sort ! C’est…

Il lutta un instant afin de trouver le bon mot.

— Juste, lui offrir calmement le prêtre.

— Approprié, corrigea le Morloc. Il est approprié de le faire souffrir les mêmes peines.

Il leur fallut deux heures de plus afin de créer la structure basique d’un plan d’attaque sur la base ibasienne. La plus grosse surprise vint de Taiven, qui désirait participer au combat. Spécifiquement, elle voulait rejoindre les soldats et mages de combat qu’Alanic allait diriger. Celui-ci accepta provisoirement, bien qu’il lui précisât qu’il l’exclurait du groupe si elle se montrait incapable de suivre la chaîne du commandement.

Le léger frémissement que Zorian capta de sa part lui apprit qu’elle avait très probablement eu quelques problèmes à ce sujet par le passé… mais elle accepta malgré ça.

Au bout du compte, tout le monde finit par repartir… sauf Zorian, qui resta pour parler de quelque chose avec son mentor.

— Bien, commença Xvim. Nous sommes seuls, monsieur Kazinski. De quoi désiriez-vous me parler en secret ?

— Tout d’abord, répondit Zorian en sortant un petit calepin de sa poche, jetez un œil à ceci.

C’était, bien entendu, la liste des personnes qu’il était supposé interroger afin de leur arracher leurs secrets, de gré ou de force, que Xvim lui avait donnée lors d’une itération précédente. Celle-là même qui l’avait tant fait douter de lui et de ses intentions. Xvim la lut avec prudence, ses sourcils se fronçant à mesure qu’il avançait. Zorian attendit patiemment qu’il terminât sans dire un mot.

— Je suppose que je vous ai donné ceci, conclut Xvim en levant des yeux interrogateurs vers Zorian. Je vois. Alors… dois-je assumer que vous êtes là parce que vous avez déjà balayé la liste et avez besoin de plus de noms ?

Non, lança Zorian, un peu plus fort que prévu. Non, je n’ai rien fait de tel. Je… J’ai réussi à convaincre certaines personnes de la liste de coopérer avec moi, malgré le fait que vous m’avez assuré qu’elles refuseraient. J’ai tenté de persuader les autres de faire de même, mais lorsqu’elles ont refusé… j’ai simplement passé mon chemin. Je n’ai pas envahi leurs esprits… bon, à l’exception de quelques pensées de surface.

Xvim se contenta d’observer Zorian, puis le calepin, silencieux. Finalement, il lui tendit à nouveau la liste.

— C’est… décida-t-il. C’est… un soulagement d’entendre ça.

Zorian cligna plusieurs fois des yeux, parfaitement pris au dépourvu.

— Je ne sais pas si mon moi du passé serait d’accord. Probablement pas, puisqu’il vous a donné cette liste en premier lieu, continua-t-il. Et je peux clairement comprendre la logique derrière ce geste, même si je ne l’apprécie pas. Toutes choses considérées, je ne comprends pas pourquoi nous avons cette discussion. Pourquoi m’avoir montré ces notes ?

— J’ai décidé que je ne poursuivrai pas ces gens, expliqua Zorian – et quel poids fut alors délesté de sa poitrine ! Pas de la façon dont vous… Pas de la façon dont votre entité passée m’a intimé de le faire.

— Hm. Je ne sais pas si je dois vous féliciter ou vous réprimander pour être trop doux alors que vous avez des choses à faire, grommela malgré tout Xvim en secouant un peu la tête. Mais une fois encore, la façon dont vous le dites me fait penser que vous entretenez toujours des plans pour les gens de cette liste. Je suppose que c’est là que nous allons n’est-ce pas ?

— Vous voyez, l’idée, c’est que… Je veux que vous alliez leur parler et que vous tentiez d’obtenir leurs secrets, lui annonça Zorian sans honte, avant de faire une courte pause, et de reprendre. Et puis vous partagerez ces secrets avec moi, bien entendu.

Xvim lui offrit le regard le plus stupide du monde, avant de glousser, parfaitement amusé.

— Monsieur Kazinski, répondit-il avec le sourire. Si je pouvais convaincre ces personnes de partager leurs secrets avec moi, je l’aurais déjà fait, ne le pensez-vous pas ?

— Ce n’est pas vrai pour tous, fit remarquer Zorian. Certains sont clairement sur la liste parce que vous pensiez qu’ils pourraient être intéressés par ce que j’ai à offrir, et vous ne vous préoccupez sans doute pas de leurs spécialités. Je doute que vous ayez seulement tenté de commercer avec certains d’entre eux.

— C’est bien vrai, avoua Xvim.

— Quant au reste… combien leur avez-vous réellement proposé contre le travail de leur vie ? demanda Zorian.

— Je suis toujours juste dans mes propositions, monsieur Kazinski, lui répondit son mentor en fronçant les sourcils.

— Oui, mais si vous leur faisiez une offre outrageuse ? répondit Zorian en souriant. Les secrets collectés de dizaines de mages. Plus d’argent qu’ils ne pourraient en voir dans leur vie. Des matériaux rares qu’ils ne pourraient pas même trouver au marché noir. Une chance d’engager une armée d’archimage pour effectuer une tâche. Ce genre de choses.

Xvim leva un sourcil.

— Si vous pouvez leur offrir tout ça, pourquoi avoir besoin de moi ?

— Vous voyez ? rétorqua Zorian en pointant un doigt droit vers le visage de son mentor. Cette réaction, là. Vous savez que je voyage dans le temps, et malgré ça, vous ne pouvez pas me prendre au sérieux quand je vous dis que je peux vous offrir tout ça. Comment pensez-vous que les autres gens réagissent ? Ce genre de prétentions, qu’elles viennent de moi ou de Zach, sont rarement outrageuses. Elles sont ridicules. Elles sont risibles. Nous sommes des adolescents dont personne ne connait les hauts-faits. Vous, en revanche, être un archimage hautement respecté. Ils vous connaissent. Vous êtes amis, ou pas loin, avec certains d’entre eux. Ces personnes ne trouveront pas si ridicule de se voir offrir tout ça si c’était vous.

— Ça semblerait malgré tout bien ridicule, nota Xvim. Les gens vont penser que je suis devenu fou. Enfin, encore plus qu’ils ne le pensent déjà, je veux dire.

— Ne vous en faites pas, votre réputation sera restaurée dès la fin du mois, lui rappela Zorian.

— Comme c’est rassurant, soupira Xvim.

Ils restèrent silencieux pendant un long moment, tandis que Xvim considérait l’idée.

— Il y a du mérite à ce que vous proposez, admit-il enfin. Je dois bien l’avouer. Certaines de ces personnes… Je ne pense pas pouvoir leur offrir quoi que ce soit pour les convaincre de partager leurs secrets avec moi. La plupart, cela dit, ont sans doute leur prix, si l’on accepte de faire monter les enchères. À ce propos, êtes-vous sûr de pouvoir leur fournir ce que vous leur promettez ? L’argent, par exemple – je ne suis pas certain que vous compreniez la somme de laquelle nous parlons avec des mages de ce niveau. Ce qui vous paraît outrageux leur semblera sans doute une somme gentillette, voire de l’argent de poche.

Zorian ne tenta pas d’expliquer avec des mots. Il se contenta de plonger sa main dans sa poche et en sortit un chèque préparé pour l’occasion. Xvim laissa son regard glisser sur le bout de papier et leva les yeux vers la somme qu’il pouvait y lire.

— C’est un sacré nombre de zéros, monsieur Kazinski, dit-il après une courte pause.

— Non, monsieur Chao, répondit Zorian d’un air assuré. Ça, c’est de l’argent de poche.

 

___

 

La semaine qui suivit fut plutôt remplie, et de nombreuses choses s’y superposèrent. L’invasion de la base sous Cyoria fut proprement organisée, les Adeptes de la Porte Silencieuse furent persuadées que le voyage temporel était une réalité et qu’elles devaient accorder à Zach et Zorian l’accès à leur Porte Bakora, accompagnés d’une poignée d’experts. Quelques changements s’imposèrent concernant leur tour d’Altazia et de ses chambres noires, et le plan consistant à convaincre les divers experts de partager leurs secrets avançait de façon stable. Heureusement, Zorian n’y travaillait plus seul, et avec l’aide de son groupe, tout ça prenait une dimension nettement plus facile.

Cela dit, c’était plus ou moins sans importance pour simulacre numéro deux, dont le boulot consistait à se rendre en classe et de disparaître à la fin de la journée. Étrangement, numéro deux s’en fichait un peu. Il savait que ses prédécesseurs ne s’étaient pas montrés enthousiasmés par la tâche, mais il trouvait ça juste à son goût. Peut-être parce que l’original l’avait créé juste à la fin d’une négociation avec les Aranea, mais il sentait qu’aller en cours était juste ce qu’il lui fallait pour se détendre.

Pourtant, faire attention à ce qu’il se passait du côté des professeurs était hors de question, et il attrapa une paire de livres de maîtrise avancée afin de passer le temps.

Et pendant l’une des pauses, alors qu’il était en train de lire, il surprit Neolu en train d’observer par-dessus son épaule.

— Oui ? demanda-t-il, plutôt surpris, en réalité – ce n’était pas comme dans l’itération précédente, lorsque le simulacre d’avant avait cherché à s’en faire une amie, il en était certain, alors pourquoi lui prêtait-elle de l’intérêt ?

— Pourquoi lis-tu des ouvrages sur les langues de Xlotic ? s’enquit-elle.

Oh. Bien sûr qu’elle allait s’intéresser à ça. Elle était de là-bas, après tout.

Il avait découvert pas mal de choses à propos de Neolu lors du mois passé, partiellement parce qu’elle avait ressenti le besoin de parler d’elle, et partiellement grâce au comportement des simulacres venus avant lui. Neoluma-Manu Iljatir était la fille d’une Maison régulière mais très riche de Kontemar, l’un des états successeurs les plus importants de la côte Xlotic. Sa peau de bronze en donnait une appréciation en premier lieu, mais ce genre de couleur était également commun au sud d’Altaiza et dans l’archipel Shivan, et ainsi n’était pas une preuve parfaite. Les marques bleues sur ses joues et son front étaient par contre la signature de sa Maison, et personne ne savait s’il s’agissait purement de cosmétique ou si un secret magique y était caché.

Que Neolu fasse le voyage de Xlotic jusqu’à Eldemar afin d’y étudier la magie était plutôt inhabituel, pour en dire le moins. Ce n’était pas comme si Xlotic ne possédait pas de prestigieuses académies : il s’était un jour agi du cœur de l’Empire Ikosien, après tout, et même si le Cataclysme avait sévèrement blessé la région, ça comptait toujours. Quoi qu’il en fût, le père de Neolu avait décidé de l’envoyer jusque-là pour parfaire son éducation. Officiellement, parce que l’académie de Cyoria était la plus renommée du monde et qu’il désirait ce qu’il se faisait de mieux pour sa fille, mais la rumeur voulait qu’un scandale l’avait poussé à l’envoyer loin de la vue des gens pendant un temps. Il s’agissait donc d’une solution toute trouvée.

Mais ce n’était qu’une rumeur, et même si Neolu était présente à cause de ça, on ne pouvait rien en dire si l’on en jugeait son comportement. Elle semblait heureuse d’être à Cyoria, et n’avait jamais laissé paraître la moindre amertume. Il était possible que les rumeurs fussent uniquement des rumeurs, et qu’elle avait réellement voulu se rendre dans un pays étranger pour y étudier, tout simplement.

Mais peu importait ; ce n’étaient pas ses affaires. Quand à lire des dictionnaires de Xlotic… Eh bien, il essayait de se rendre utile, pour que simulacre numéro un, qui se rendait actuellement à Koth, pût avoir la vie un peu plus facile. Il était en contact avec lui depuis un moment maintenant, et tandis que les ouvrages qu’il lisait étaient quelque peu obsolètes, c’était mieux que rien.

Bien sûr, il ne pouvait pas vraiment dire ça à Neolu.

— Je pensais visiter Xlotic une fois sorti de l’Académie, lui dit-il.

— Vraiment ? répondit-elle, la bouche ouverte. Oh, c’est merveilleux ! Crois-moi, c’est un endroit magnifique. Tu devrais me rendre visite lorsque tu y seras – je peux te faire faire un tour de la ville et te dire où aller si tu veux voir des choses intéressantes.

Hmm. Là, elle avait eu une idée intéressante. Zach n’avait-il pas dit qu’il avait été plus facile de convaincre Neolu à propos du voyage temporel ? Peut-être qu’il devrait la recruter en tant que guide lorsqu’ils tenteraient de chercher la clé perdue à Xlotic. Elle ne serait probablement pas capable de les aider énormément, mais elle pouvait au moins s’assurer de traduire pour eux, afin qu’ils ne passent pas pour des étrangers idiots. Et peut-être placer un mot ou deux à leur sujet afin que sa Maison tente de demander à ses contacts tout ce qu’elle pouvait à propos de leur quête.

— Je vais garder ça à l’esprit, lui pomit-il. Dis, tu penses que tu pourrais m’aider à traduire certaines choses ? J’ai une liste de phrases qu’un ami m’a donnée, mais je ne semble pas les trouver dans ces livres…

 

___

 

Une fois simulacre numéro un à Koth, traquer Daimen s’avéra plutôt facile. Bien sûr, ça l’était parce qu’il avait réussi à obtenir l’identité de la fiancée. En réalité, Diamen n’était pas aussi passionné par sa quête que leur mère le prétendait – au lieu de poursuivre ce trésor après lequel il en avait sans relâche, il prenait du bon temps avec sa future femme sur la propriété Taramatula. Bon, en considérant qu’il faisait ça depuis plusieurs semaines déjà, du bon temps était probablement une métaphore, à ce point. Tout ce que Zorian eût à faire fut de parler à un membre haut-placé de la Maison, lui demander où se trouvait son frère, piocher l’information directement dans son esprit, et s’y rendre, Zach sur les talons.

Aussi se trouvaient-ils actuellement en face de l’entrée du domaine Taramatula, insistant sans relâche afin de rencontrer Daimen et ignorant les gardes qui juraient sur leurs vies que les gosses ne verraient jamais Daimen.

En toute honnêteté, Zorian était plutôt fasciné qu’ils n’eussent pas encore tenté de se débarrasser de ces gamins inopportuns par la force. Il savait que les Maisons d’Eldemar tendaient à n’être pas très heureuses de recevoir des visiteurs insistants et se montraient enclines à les chasser plus violemment. Bien que s’ils eussent tenté le coup, Zach et Zorian étaient largement capables de les abattre et de faire de même pour tout renfort qui pourraient arriver. Peut-être ces gardes pouvaient-ils le sentir ?

Au bout d’un moment, une femme d’une cinquantaine d’année et au regard sévère fit son apparition, vêtue d’un ensemble orange plutôt chic, afin de comprendre quel était le problème. Elle prétendit se nommer Ulanna, mais elle ne fit aucune mention de sa position au sein de la Maison, ni de l’autorité dont elle pouvait faire preuve.

— Vous dites être le jeune frère de Daimen ? demanda-t-elle, un sourcil levé.

Elle parlait en réalité un Ikosien parfait, contrairement à la plupart des gens qu’ils avaient rencontrés à Koth.

— Oui, Zorian Kazinski. Vous pouvez lui montrer ceci pour le lui prouver, dit-il en lui tendant une peinture enroulée qu’il avait sans honte volé dans la chambre de Daimen à Cirin.

La peinture dépeignait trois étudiantes qui avaient partagé les années d’Académie de Daimen, vêtues et posant de manière suggestive. Il avait supposément reçu ce cadeau de leur part, et l’avait toujours conservé haut sur le mur de sa chambre, ignorant toutes les remarques de leur mère.

La femme déroula la peinture de manière dramatique, en scruta le contenu de façon stoïque, le sourcil toujours levé, avant de lui accorder un air à moitié amusé.

— Je vois, dit-elle. Au moins, vous semblez partager son sens de l’humour… Je vais m’assurer de lui remettre ceci. Je suis sûr qu’il y a une histoire très intéressante derrière cette illustration.

— Oh, absolument, lui avoua Zorin avec un sourire sadique. Je suis sûr qu’il adorerait vous en parler.

Quinze minutes plus tard, Ulanna s’en revint, Daimen à ses trousses.

Zorian n’avait pas vu son frère depuis si longtemps, mais il n’avait pas changé. Il était toujours le même grand garçon plutôt bien bâti et pas si moche que ça qu’il avait connu. Zorian aurait pu le reconnaître de dos, n’importe où.

Mais Zorian avait grandement changé depuis leur dernière rencontre. Il était devenu suffisamment doué pour remarquer le sort de divination lancé par son frère afin d’obtenir confirmation de son identité. Non, ce n’était pas un imposteur déguisé. Il était également devenu assez bon pour pouvoir dire sur-le-champ lorsqu’il était en présence d’un autre psychique.

Il ferma les yeux. Oui, son frère était un psychique. Bien sûr. La seule chose qui rendait Zorian spécial, il fallait que Daimen la possède, lui aussi. Pour dire vrai, cela dit, il s’y attendait. C’était une explication plus que potable pour son sens social exceptionnel – même gamins, il avait toujours été capable de se tirer de situations qui auraient même donné du mal à un adulte. À quel point Daimen était-il doué pour contrôler son don, en revanche, était une autre question. Zorian sentit le besoin immédiat de lui envoyer une sonde télépathique pour le vérifier, mais se retint. Peut-être plus tard. La situation était toujours quelque peu tendue, et il ne pouvait pas se permettre de se rendre encore plus suspect qu’il ne l’était déjà.

Et puis, si Daimen était Ouvert et possédait des mesures de contrôle sur ses pouvoirs, alors il avait sans doute lui aussi remarqué l’était particulier de Zorian. Pourquoi n’avait-il rien dit, rien qu’aux parents ?

Oui. Il allait clairement devoir le confronter à ce sujet.

— Zorian ? furent ses premiers mots. C’est vraiment toi ?

— Et qui d’autre est-ce que ça pourrait être ? lui renvoya Zorian. Je sais qu’on ne sait pas vu depuis un moment, mais tu as vraiment oublié ce à quoi ressemble ton petit frère ?

Daimen se mit à rire d’un air gêné.

— Non, bien sûr que non. C’est juste très inattendu. Ne devrais-tu pas être à l’école ?

— Je devrais, admit-il. Mais j’ai décidé de venir à Koth au lieu de ça. Puis, je me suis souvenu que tu y étais déjà, et qu’il ne serait que poli que de venir te saluer.

— Uh huh, gloussa Daimen, qui observa son frère avec mesure. Dis-moi honnêtement – n’es-tu pas là sur demande des parents ?

— Non, répondit franchement Zorian en secouant la tête.

— Alors, tu ne comptes pas te mettre entre moi et Orissa ? insista-t-il.

— Non, pourquoi le ferais-je ? répliqua Zorian. Je suis heureux pour toi, et pour elle, pour ce que ça vaut. Tu te débrouilles seul pour gérer papa et maman, par contre.

— Espèce de petit con, grogna Daimen. Alors pourquoi est-ce que tu as ramené ça en particulier, comme preuve de ton identité ?

— C’est une adorable peinture, commenta Ulanna calmement, à l’arrière. Tu devais être très populaire, lors de tes années d’école.

Daimen l’ignora et se concentra sur Zorian.

— On dirait vraiment que tu es là pour te créer des problèmes, c’est ce que je veux dire.

— Tout ce que je sais sur la façon de traiter un frère, je l’ai appris de toi, mon frère adoré, lui répliqua Zorian avec un sourire narquois.

— Oh ? intervint une fois de plus Ulanna. On dirait bien que vous avez des histoires fascinantes derrière vous.

— Ouais, quelques belles histoires, confirma Zorian. Ma préférée, c’est celle qui raconte à quel point il trouvait marrant d’enfermer son petit frère hors de la maison pendant des heures.

— En fait, je voulais juste la maison pour moi seul, et tu ne voulais pas en sortir comme un gosse normal, fit remarquer Daimen. D’ailleurs, j’ai payé le prix pour ça.

— Oui, c’est justement pour ça que c’est ma préférée.

— Qu’est-il arrivé, exactement ? les coupa Zach.

Daimen et Ulanna tournèrent la tête dans sa direction, remarquant enfin ce type calme qui n’avait rien dit depuis leur arrivée.

— Zorian a appris comment crocheter une serrure pour pouvoir entrer dans la maison, voilà ce qui est arrivé, expliqua Daimen, ennuyé. Je veux dire, quel genre de gosse fait ça ? Et puis ce stupide officier de police qui n’avait aucune idée qu’il tentait de rentrer dans sa propre maison l’a arrêté pour tentative d’intrusion. Mec, notre mère était si remontée quand elle l’a découvert. Envers lui et moi, vraiment, et spécialement moi, parce que je suis son grand frère et que j’étais supposé le surveiller, et pas l’enfermer dehors.

— Parfaitement compréhensible, commenta Ulanna.

— Ouais, ouais, ok, j’étais un peu con, plus jeune, admit Daimen. Mais qui ne l’était pas ? De toute façon, entrez, vous deux. Je dois dire qu’il est plutôt impressionnant que vous ayez pu voyager jusqu’ici d’Eldemar…

— Plutôt irresponsable, également, ajouta toujours la même Ulanna.

— Ben, ouais, ok, mais je suis la dernière personne qui puisse les engueuler pour ça, avoua Daimen. Comparé à certaines choses que j’ai faites à leur âge, ha ha, ça, ce n’est rien.

Ulanna leva enfin son deuxième sourcil.

— Euh… hésita Daimen avant de revenir vers Zach et Zorian. Et qu’est-ce que vous attendez, tous les deux ? Une invitation écrite ? Entrez avant que je ne me creuse un trou encore plus profond ! Je te jure, c’est vraiment pas mon jour…

Et avec ça, Daimen se tourna vers le bâtiment et s’y dirigea, leur faisant entière confiance quant au fait qu’ils allaient le suivre. Zorian haussa les épaules en direction de Zach et lui emboîta le pas.

Raka
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8 thoughts on “MoL : Chapitre 66 Bonus

  1. Merci pour le chapitre. Et pour le reste en général aussi MOL c’est quand même juste un truc de fou. Tu es au top Raka 

  2. Oooh, je sens qu’on va bien s’amuser !!
    Zorian + Daimen = encore +de plaisir dans MoL !!
    Merci à Thibaut et Florian pour le chapitre bonus !!!
    Et merci Raka pour le chapitre tout court

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