Chapitre 3 : Solitude 3/3
Yu Ilhan, de retour chez lui à Séoul, se replongea aussitôt dans la lecture de romans fantastiques. L’idée n’était pas de tuer l’ennui, mais de trouver ce qui, en dehors de la force et de la connaissance, pouvait encore lui faire défaut au sein du nouveau monde. Au final, il avait le même comportement qu’un étudiant de classe préparatoire cherchant à entrer dans une grande école. Certes, sa classe à lui durait des centenaires, mais avait-il vraiment le luxe du choix ?
« Non. Je ne peux pas accepter ça ! »
Lita était revenue discrètement l’espionner dans le but de comprendre ce qui, selon elle, ne tournait pas rond chez lui. Il aurait déjà dû s’effondrer… À moins que, finalement, son entraînement l’ait aussi endurci sur ce plan. Elle se présenta finalement à lui.
« Lita, tu tombes bien. Je me demandais, est-ce qu’il vaut mieux que j’apprenne à dépecer un corps ou à forger ? » lui demanda-t-il le plus sérieusement du monde.
L’idée lui parut absurde, mais son regard ne laissait pas la moindre place au doute quant à son sérieux.
« Eh bien, l’équipement créé à partir de matériaux de monstres reste le plus efficace pour les affronter. Donc je pourrais te dire les deux, mais je pense que savoir les dépecer sera plus simple que d’apprendre à forger. En plus, c’est surtout ça qu’on recherche. »
« Ok, va pour le dépeçage alors. »
« Repose-toi un peu ! »
Les animaux s’adaptant plus rapidement au mana, eux étaient encore bien présents, et aidé de sa lance, Yu Ilhan avait une totale confiance en sa capacité à s’attaquer même à un ours. Il chercha alors rapidement sur internet où trouver une arme à sa convenance et acquit ainsi plusieurs lances avant de se mettre en route vers son nouvel objectif.
Dépecer convenablement une bête n’était pas chose si aisée que cela. Il ne s’agissait en effet pas seulement de traquer l’animal avant de réussir à le tuer sans trop le blesser, avant de découper la viande par morceaux. Bien sûr, la façon de procéder changeait en plus du tout au tout selon l’animal visé… Le temps fit pourtant son œuvre. En l’espace de quelques décennies seulement, il se sentit suffisamment à l’aise pour savoir comment aborder un animal sans même l’avoir confronté avant.
« Lita, si je tue tous les animaux, ça va empêcher les monstres d’apparaître, non ? »
« Dieu a envoyé les humains dans d’autres mondes pour leur permettre de combattre à armes égales… »
« Exception faite de ma personne, évidemment. »
« Si tu tues tous les animaux maintenant, tu vas briser l’équilibre. Je suis là pour t’aider à le maintenir, contente-toi de chasser ce que je t’autorise à tuer. Pas question que tu en fasses plus. »
Problème, sa prochaine cible était le cachalot…
« Arrête-toi, imbécile ! »
« Appelle-moi Ismaël1)C’est en référence à Moby Dick. Ismaël, seul survivant d’une expédition de chasse à la baleine, s’est en effet opposé au reste de son équipage. C’est la seule raison de son salut.… »
« Personne ne comprend tes blagues stupides ! »
« C’est à toi de ne pas dire des choses idiotes, inculte ! C’est plutôt qu’il n’y a personne pour les comprendre ! »
Les cachalots faisaient partie des espèces en danger2)Ce n’est pas le cas partout dans le monde, mais en Corée, le cachalot fait bien partie des espèces en danger. Les quotas de pêche sont limités à dix animaux par an., mais Yu Ilhan devenait de plus en plus borné, tant en raison de sa force que de ses connaissances. Il se moquait bien qu’il fut interdit de les chasser…
« De toute façon, les animaux vont recommencer à se reproduire dès le retour de l’humanité. » reprit-il après un moment.
« Contrairement à toi, ils ne peuvent pas se nourrir ni grandir. »
« Ouais, parce que le temps s’est arrêté, je commence à connaître la chanson. »
« Espèce de ! »
Certains monstres étant, conformément aux propos de Lita, vecteurs d’ingrédients d’artisanat très intéressants, Yu Ilhan patienta plus d’un mois durant sur le pont de son bateau, ponctuant les jours qui passaient de sessions d’entraînement dans le seul espoir d’enfin trouver un cachalot et d’en ramasser le précieux ambre gris3)C’est une déjection de baleine. Une espèce de caillou qui peut être vomi ou déféqué, si utilisé en parfumerie que le dernier morceau à avoir ainsi été vendu l’a été pour 400 000€..
« Les gens pensent plutôt à fuir quand il est questions de monstres… »
« Rappelle-moi qui m’a demandé de me préparer ? Arrête de me prendre la tête. Bon, maintenant que je suis à l’aise avec le dépeçage, je vais attaquer la forge. »
« C’est ça ! T’as qu’à faire ça, fais tout ce que tu veux pendant que tu y es ! »
300 ans après sa dernière sortie de classe, il s’employa à apprendre l’art de forger. S’il avait pris le marteau sans trop y penser, il s’y affaira à son habitude avec le plus grand sérieux du monde. Toutefois, en l’absence d’un maître, il lui était complexe de réellement exercer des progrès, même si sa constitution physique l’aidait bien à endurer le travail répétitif.
« Putain… Quand – je – lis – des – romans – d’heroic – fantasy – les – héros – apprennent – tout – ce qu’ils – veulent – facilement – et moi – j’en chie ! »
Entrecoupant ses paroles de coups de marteau, c’est une réponse agacée qu’il obtint de la part de sa seule et unique compagnie, même si le voyant en sueur, elle lui envoya une légère bourrasque afin de le rafraîchir.
« Alors ne le fais pas ! »
« Apprends-moi – à – appeler – le vent ! »
« Je t’ai déjà dit qu’il fallait que tu puisses te servir du mana… »
« Merde, à la fin ! »
Si ses progrès étaient lents, ce n’était pas le temps qui viendrait à lui manquer. Aussi après cinq années à frapper, chauffer, souffler, tempérer, il parvint enfin à faire une épée dont la lame semblait aiguisée. Ce n’était pas une épée longue, ni un glaive, mais quelque chose d’assez étrange entre les deux. Il la remit à Lita, qui la reçut d’un air angélique. Avant d’exprimer son opinion, cela va de soi…
« Je me demande si ça peut même couper un radis… »
« Ce n’est pas fait pour ça. Rends-la moi, maintenant, tu m’énerves. »
« Je veux la conserver, c’est un souvenir. Je demanderai à notre seigneur Dieu de la laisser exister, même quand le monde se réinitialisera. »
« Pourquoi est-ce que tu me fais autant de mal ?! »
Finalement, il lui fallut trente ans avant de créer une épée digne d’intérêt. Elle était en effet de meilleure facture que celles produites industriellement, et cinquante ans après le début de son apprentissage, il parvint à faire une arme capable de surpasser toutes celles existant sur Terre.
C’était cependant loin de le satisfaire, sa technique méritant encore d’être améliorée. C’était comme avoir un 18 sur 20 à un examen, c’était bien, mais où étaient les 2 points manquants ? Il continua dès lors à forger, ne se limitant plus aux seules épées mais aussi aux lances, haches, masse d’armes et autres dagues, sans oublier bien sûr de forger armures et casques. Cinquante nouvelles années passèrent.
« C’est formidable, Yu Ilhan… »
« Non, c’est de la merde ! On ne peut même pas couper un piment avec ça ! »
« Tu confonds avec diamant ? »
Si le talent naturel pouvaient aider certains éléments à briller sans trop d’efforts, lui comptait sur ses seuls efforts acharnés. Certes, d’aucuns n’auraient rien accompli en une vie, mais lui en avait plusieurs à sa disposition. Lentement mais sûrement, il progressait, transformant l’erreur de Dieu en une bénédiction dont il jouissait à chaque seconde.
C’est ainsi que deux-cent ans après avoir pris ce marteau en main, Yu Ilhan parvint enfin à faire une arme digne de son intérêt. Elle aurait été sans doute plus intéressante encore en fibre de carbone ou en titane, mais il se contenta du simple acier, qu’il rendit aussi dur et tranchant qu’il le pût.
« Alors, tu en penses quoi ? »
« Je pensais que la technologie humaine était limitée par les matériaux, mais à en voir tes progrès… Ton obstination a fait des miracles. »
« Hahaha. J’ai enfin forgé une épée qui ferait même pleurer Mo Palmo4)Un NPC forgeron dans le jeu vidéo coréen Blade & Soul, développé par NC Soft, plus connu chez nous pour être l’éditeur de Guild Wars. ! »
« Euhm, c’est une lance. »
Même pour un ange, la qualité de son travail était remarquable. C’était une arme puissante, terriblement tranchante et, bien évidemment, tout aussi lourde. Personne d’autre qu’eux deux ne pouvaient espérer s’en servir de manière confortable.
« N’empêche, je te l’ai déjà dit mais je vais me répéter, quand le mana se mettra à couler sur la Terre, des tonnes de nouveaux matériaux vont apparaître, pourquoi restes-tu si obsédé par l’acier ? »
« Parce que maintenant que je me suis habitué aux métaux, je n’aurai aucun mal à me débrouiller avec les autres matériaux. »
Elle lui rendit sa lance et il effectua quelques mouvements avec. Elle était parfaitement adaptée à lui et il pouvait espérer s’en servir pendant plusieurs décennies, à condition de bien l’entretenir.
« Bon, je fais quoi maintenant ? » demanda-t-il.
Elle se sentit désespérée. 507 années s’étaient écoulées et il ne lui restait, à elle aussi, plus que l’espoir que l’humanité revienne. N’était-ce vraiment qu’un décalage temporel ? Elle l’aurait bien demandé à Dieu elle-même, mais elle n’avait pas la moindre chance de le rencontrer. Ce n’était qu’un de ses aînés qui lui avait fait part de la nouvelle…
« J’imagine que l’apocalypse ne va plus trop tarder ? Je pense qu’il serait plus sage de travailler davantage les arts martiaux. »
« Oh, ça doit faire 100 ans, j’imagine qu’ils arriveront bientôt, hein ? »
Il s’était tellement immergé dans ses activités qu’il n’avait plus la moindre perception du temps. Aux yeux de Lita, que les instruments de mesure de cette unité aient cessé de fonctionner était plutôt une chance.
Ainsi, Yu Ilhan recommença à s’intéresser aux sports de combat. Fort de ses longues lectures, il était plus concentré que jamais et en parfaite maîtrise de son corps, c’était devenu un redoutable combattant.
« Pfiou… Bon, ça doit faire 3 heures, je vais m’arrêter là. Lita, j’ai faim ! »
Elle lui adressa, un très large sourire. C’était en fait plus par malaise qu’en réponse à sa parole si légère. Son entraînement avait en fait duré trois jours sans la moindre interruption… Il passait, d’ailleurs, tant de temps à s’entraîner qu’elle ne lui apporta bientôt plus ses repas qu’une fois par jour.
Malgré l’impressionnante quantité, celui-ci les engloutissait à une vitesse record avant de retourner à sa tâche. Deux-cent années supplémentaires passèrent ainsi lorsqu’il lui sembla, à juste titre, atteindre un palier infranchissable dans sa maîtrise de la lance. Il s’employa dès lors à l’utilisation de la hallebarde, de l’étoile du matin, et même des armes à feu. Lorsqu’il eut appris à tirer, il se concentra davantage sur les arts martiaux, y apprenant cette fois le taekwondo, l’aïkido, la boxe thaïlandaise et d’autres disciplines encore n’existant plus que dans de vieilles archives.
Il atteint finalement une limite bien réelle. Son corps, qui ne pouvait plus en endurer davantage, commença à se transformer. Ses muscles devinrent plus puissants encore tout en réduisant de volume tandis qu’augmenta son endurance comme jamais auparavant. Ce n’était pas seulement que ceux-ci, de par leur utilisation fréquente, étaient plus concentrés en myoglobine, c’était sa structure cellulaire même qui évoluait.
Lita elle-même s’en rendit compte et ne put étouffer une certaine amertume. Même sans mana, il était d’ores et déjà devenu un être exceptionnel.
C’est ce que tu voulais ? Était-ce là ton plan, ou bien est-ce que tu continues de le torturer en repoussant l’échéance sans arrêt pour qu’il évolue encore ? Il va craquer… Je t’en supplie, mon Dieu… Fais revenir l’humanité avant qu’un drame ne survienne…
Hélas, même à un ange, il ne répondit pas. Pire, comme si sa prière l’avait amusé, le temps continua de passer. Yu Ilhan était heureusement trop concentré pour y faire attention. L’inquiétude la gagnait.
Bon, qu’est-ce qu’il n’a pas encore expérimenté… Oh…
Ses pensées la portèrent sur un lit aux proportions infinies, à jouer dans les bras d’un homme, tous deux drapés dans les soyeux draps de la nudité. Le visage de la femme était le sien, tandis que celui de l’homme était…
« Ya ! Ya ! » cria Yu Ilhan en frappant des sacs remplis de pierre en guise d’adversaires.
Tout le visage de Lita se teinta de rouge.
Hmpf, je me laisse emporter à des frivolités… Je suis l’envoyée de Dieu, je dois accomplir son ordre. Je croyais pourtant avoir été libérée du désir…
Elle ne parvint toutefois pas à se convaincre de faire autrement. Plus elle pensait à cet être capable de s’immerger des siècles durant dans la lecture et l’art de la guerre, plus elle se sentait fascinée. Un ange rougissant pour un être humain… Elle-même n’y aurait jamais cru.
Je ne suis là que pour accomplir l’ordre de Dieu… Mais oui, c’est ça ! Si Yu Ilhan meurt, Dieu passera pour abject. Ce n’est pas satisfaire mon désir que d’aller vers lui, c’est ce que Dieu attend de moi !
La dissonance cognitive faisait son œuvre même chez les anges. Toutes ses pensées trouvaient maintenant justification, elle devait offrir une nouvelle stimulation à cet humain. Malgré tout, elle eut peine à se décider. Yu Ilhan était si concentré sur son entraînement qu’il ne lui portait pas la moindre attention. Il cherchait avant tout à tuer l’ennui, mais il lui restait encore bien de quoi s’occuper, que ce soit en termes de sports ou même de jeux…
Ainsi, Lita finit par se l’admettre, elle aimait Yu Ilhan, ce qui n’avait rien d’étonnant après autant d’années passées à l’observer. Pourtant, elle ne lui confessa jamais son amour.
Et très précisément mille ans après son abandon, le monde se réinitialisa. L’humanité était revenue.
Notes de l’auteur :
Je fais rentrer l’humanité, je suis prêt à tout pour conserver la virginité de Yu Ilhan ! Non, je plaisante. J’avais déjà prévu qu’il en soit ainsi passé mille ans. (NdT : l’auteur précise ensuite qu’il a ajouté des explications sur les raisons pour lesquelles Yu Ilhan ne doit pas tuer tous les animaux, mais comme on n’a pas vu l’ancienne version, je me permets d’ôter ce passage.)
- Quelques nouvelles du Nostra - 3 juin 2019
- EER Chapitre 83 - 10 mars 2019
- EER : Changement de programme - 7 mars 2019
References
↩1 | C’est en référence à Moby Dick. Ismaël, seul survivant d’une expédition de chasse à la baleine, s’est en effet opposé au reste de son équipage. C’est la seule raison de son salut. |
---|---|
↩2 | Ce n’est pas le cas partout dans le monde, mais en Corée, le cachalot fait bien partie des espèces en danger. Les quotas de pêche sont limités à dix animaux par an. |
↩3 | C’est une déjection de baleine. Une espèce de caillou qui peut être vomi ou déféqué, si utilisé en parfumerie que le dernier morceau à avoir ainsi été vendu l’a été pour 400 000€. |
↩4 | Un NPC forgeron dans le jeu vidéo coréen Blade & Soul, développé par NC Soft, plus connu chez nous pour être l’éditeur de Guild Wars. |
Merci pour ce chapitre
Ps:Bonne chance pour ses exam
Je ne comprends pas pourquoi Morningstar est toujours traduit alors que c’est un type d’arme.
Ça vient de l’allemand Morgenstern, c’est peut-être pour ça que le terme n’est jamais utilisé en anglais. Ensuite, l’étoile du matin EST une masse d’arme, le terme est en effet traduit ainsi depuis le moyen âge, et par delà cet aspect, le terme « étoile du matin » est beaucoup plus évocateur quant à ce que représente cette arme, son histoire. En espérant que ça aura répondu à ta question. 😉
Moi j’ai toujours entendu morgentern, mais va pour le plus poétique et moins guttural étoile du matin ^^
Merci pour le chapitre
Merci pour le chapitre,
Si tu arrive vraiment a faire 2 chapitre par semaine je serai l’homme le plus heureux
Je ne connaissais pas ce Novel, j’ai dévoré les trois chapitres et le prologue
en une heures a peine.
Vivement la suite !
Merci pour ce chapitre!!
Excellent!!
Un entrainement de un millénaire ^^ pas dégueux même Saitama ne fais pas le poids là
Merci
Merci pour le chapitre !!
L’histoire va enfin commencer ! Et il est déjà super balèze j’ai hâte de le voir dans un vrai combat ^^ !
Merci pour ce chapitre
Imaginez vous après tous ça que le monde redevient comme il était avant et vous avec (sans vos nouvelles connaissance ni votre corps que vous avez passé 1000 ans à sculter)