Jusqu’à ce que la Sainte m’aime

Poisson d’avril du 01/04/2018.

Jusqu’à ce que la Sainte m’aime

Dans un certain royaume vivait une Sainte prénommée Alicia. Elle était plus belle que quiconque d’autre. D’après les rumeurs, lorsqu’elle priait de ses petites mains blanches, les anges eux-mêmes venaient lui parler.
Alicia était constamment occupée. Lorsqu’elle entendait parler d’un conflit, elle voyageait toujours ici et là pour avertir les habitants, peu importe la distance qu’elle devait parcourir.
Pour prier Dieu, elle avait appris à chanter.
Elle maîtrisait à la perfection la danse des bonnes moissons : c’était toujours un spectacle magnifique.
Elle faisait cela tous les jours, tous les jours, tous les jours, tous les jours, tous les jours, tous les jours.
La détente, le repos, le temps libre, qu’étaient-ce donc cela ? Cela se mangeait-il ?
La merveilleuse sainte Alicia était seule au monde.
Alicia était éreintée.
Un jour, j’aimerais être seule et tranquille.
Elle portait en son cœur ce petit vœu. Non, c’était en fait un vœu immense, considérant qu’elle était l’unique Sainte de ces basses terres.

—

Alicia eut 16 ans, elle devint une adulte. Elle reçut des demandes en mariage de la part de moult hommes. Tous avaient attendu avec impatience qu’elle soit en âge de se marier.
Alicia essaya de parler comme à l’accoutumée, avec son sourire resplendissant. Toutefois, les hommes se battirent à cause de ce sourire étincelant. Chaque fois qu’un homme de toute évidence intelligent posait les yeux sur la Sainte, un désir terrible s’emparait de son cœur.
En fin de compte, Alicia prononça les phrases suivantes : « Si je reste dans ce royaume, des conflits ne cesseront d’apparaître. En tant que Sainte, je ne peux point laisser cela se produire. De ce fait, je vais aller prier Dieu toute seule dans la tour qui se trouve au milieu de la forêt. »
C’étaient les paroles d’une Sainte. Les fidèles n’eurent d’autre choix que d’acquiescer.
Enfin, le vœu d’Alicia fut exaucé.

＊

Alicia vivait dans la tour de la forêt et était heureuse.
Elle se levait avec les chants des oiseaux, faisait sa toilette dans l’eau limpide de la forêt et s’occupait de sa propre lessive.
Midi venant, elle priait Dieu.
Puisqu’Alicia était suffisamment pieuse pour devenir une Sainte, continuer de prier ne fut guère difficile. Elle priait donc assidûment d’une petite voix semblable à celle des oiseaux, fluette et inaudible.
Enfin, elle dormait bien la nuit.
Lorsqu’elle ouvrait les yeux le lendemain matin, le monde brillait. Sa vie était merveilleuse.
Plusieurs mois passèrent.

—

De temps à autre, elle chantait. Sa voix était portée par le vent aux quatre coins de la forêt.
Là-dessus, un coup se fit entendre à la fenêtre.
C’est impossible, personne ne grimperait jusqu’ici, pensa la Sainte. Restant sur ses gardes, Alicia ouvrit craintivement la fenêtre.
« Eh bien, qu’avons-nous là… ? »
Un fruit roula dans la chambre. C’était une pêche mûre. Elle regarda par la fenêtre et vit un dragon perché sur le toit de la tour.
« Est-ce pour moi ? »
Le dragon hocha la tête. Pour la première fois depuis longtemps, Alicia offrit un sourire sincère à son interlocuteur.
Puisque j’ai reçu le pouvoir de Dieu en tant que Sainte, je n’ai pas besoin de manger.
Le goût sucré de la pêche humecta la gorge d’Alicia.

＊

Les échanges entre le dragon et Alicia continuèrent. Chaque jour à une heure précise, le dragon apportait un nouveau fruit à la Sainte. Un jour, c’était une pomme. Un jour, c’était une poire. Un jour, c’était une grappe de cerise.
Alicia remerciait Dieu et le dragon de lui faire grâce de la nature, car les fruits étaient tous délicieux. Tandis que la Sainte priait en paix, les fruits se multiplièrent plus que jamais dans la forêt : elle finit par en abonder.
Un jour, Alicia demanda : « Puis-je te toucher ? »
Le dragon hocha de la tête et vola jusqu’à la fenêtre de la jeune fille. Le vent engendré par les battements d’ailes balaya les cheveux d’Alicia et le dragon plissa joliment les yeux.
« Tu es grand, n’est-ce pas ? »
Il était si grand qu’une aile suffisait à couvrir Alicia tout entière. Celle-ci caressa gentiment la tête du dragon.
« C’est froid, mais agréable. Tes écailles couleur terre sont vraiment belles. Tu es certainement aimé par ce vaste domaine. »
Le dragon émit un son joyeux.

＊

Un autre jour encore, Alicia se réveilla aux chants des oiseaux. Ce matin-là était toutefois différent des autres ; elle avait un mauvais pressentiment.
Au loin résonnaient les pas de maintes personnes. Alicia verrouilla la porte de la tour et observa ce qu’il se passait depuis la fenêtre de la plus haute chambre.
Pour une raison qui lui échappait, une armée aux uniformes colorés avait rendu visite à Alicia.
« Pourquoi êtes-vous là ? »
« Sainte Alicia, veuillez nous pardonner cette visite soudaine. Nous avons appris qu’un dragon nichait dans cette forêt. Pour votre bien, nous allons subjuguer cette dangereuse créature. »
Alicia écarquilla les yeux. Les terribles pensées de ces soldats étaient on ne peut plus évidentes.
Si je tue le dragon, la Sainte m’aimera et nous nous marierons. Cette forêt est étonnamment fertile. Notre pays sera béni avec de bonnes moissons, devaient-ils songer.
Alors que…
Auparavant, Alicia avait visité de nombreux pays et rencontré leurs princes. L’un d’entre eux semblait être venu là « pour son bien ». Même si Alicia venait à dire que les dragons n’étaient pas dangereux, il ne l’écouterait pas.
« Restez méfiante lorsque vous offrez votre compassion aux bêtes qui n’entendent pas les mots de l’Homme, chère Sainte. Vous êtes extrêmement précieuse, ce pourquoi je souhaite vous protéger. »
Il mentait. Le dragon sans paroles était tellement sincère. Alicia se mit à pleurer.

—

Il était presque midi, l’heure à laquelle le dragon se montrait habituellement. Tous les soldats pointèrent leurs arcs et leurs flèches en direction du ciel.
Le dragon surpris laissa échapper la pêche qu’il tenait.
Alicia essuya ses larmes et pria Dieu de sa voix la plus forte et la plus pure, avec amour.
Quelque chose se produisit. Les flèches furent tirées et elles se consumèrent dans des flammes blanches. Puis le dragon fut enveloppé de lumière et se transforma en un charmant jeune homme. Il était tel un dieu drapé de vêtements en platine. Les soldats effrayés se prosternèrent, leur tête frappant le sol.
« Lorsqu’une Sainte défend ce qui lui est cher, son pouvoir se manifeste. Ce dragon m’est précieux. Dieu le reconnaît également. Il n’y a rien à craindre. Je vis en ces lieux avec cette personne. Partez, je vous prie. »
Alicia fit signe au jeune homme d’approcher. Il descendit alors du ciel et se posa à côté de la jeune fille. Il la couvrit gentiment des ailes de dragon qui avaient poussé dans son dos.
Le couple scintillant était magnifique. Aucun humain ne serait jamais leur ennemi.
Les troupes rentrèrent chez elles, abattues.
Cette aventure fut racontée par-delà montagnes et vallées, dans maints et maints pays, aussi personne ne pénétra dans la forêt.

—

Alicia observa la personne à ses côtés et sourit.
« Désolée de t’avoir transformé en humain et de t’avoir surpris. Cela dit, tu ne m’as jamais demandée en mariage, n’est-ce pas ? En pensant à moi, tu m’as apporté les fruits mûrs les plus délicieux de la forêt. Pour me courtiser, tu m’as offert tes trésors. »
Le jeune homme plissa doucement les yeux. « Oui, ton chant m’avait fasciné. Tu m’as charmé au premier regard et j’ai fini par aimer ton existence même. Maintenant, je baigne dans la béatitude. Je t’ai effectivement donné les fruits les plus délicieux de la forêt, mais tu es mon seul trésor, tu es irremplaçable. »
« Très bien. »
Alicia répondit avec un sourire radieux.

＊

Alicia vécut des jours bienheureux dans la forêt.
Toute sa vie durant et pour l’éternité, elle fut heureuse.
« J’ai toujours pensé qu’être seule était agréable, mais je suis plus heureuse avec toi. »
Ils se tenaient la main et elle se détendit à son contact.
« La vie à tes côtés est plus merveilleuse qu’avant. Kyaa ! »
Le jeune dragon avait pris Alicia dans ses bras et il frotta sa joue contre la sienne. C’était un geste très enfantin de la part de ce dragon qui n’avait vécu que 20 ans : il n’était encore qu’un enfant.
Alicia était heureuse.
« J’aime beaucoup les gestes qui expriment l’amour pur. Tu t’appelles donc Lucas. » (NdT : « Lucas » signifie « amour de la lumière »)
« Alicia. » (NdT : « Alicia » signifie « le grand amour »)
Elle répéta son prénom d’innombrables fois.
Le monde les bénit et veilla sur eux.

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