Chapitre 88 — Mystérieuses façons de faire
L’orbe entre les mains des chercheurs du centre secret à des fins d’étude et d’expérimentation, Princesse avait temporairement perdu sa niche. Ils n’allaient pas la laisser à l’intérieur pendant que les chercheurs allaient farfouiller avec la dimension miniature. La seule fin possible n’aurait été qu’une tragédie, et ils avaient en outre besoin d’elle pour intimider les Sulrothums afin de les pousser à s’allier à eux.
Bien que Princesse elle-même n’y vît pas d’inconvénient particulier, la situation était quelque peu compliquée. Comment la déplacer ? Elle ne pouvait pas vivre dans le désert. Elle tolérait les lieux secs, mais elle avait un besoin vital d’eau. Aussi, Zach et Zorian la gardèrent au frais, loin dans les jungles de Koth, où elle pouvait joyeusement terroriser les formes de vie locales, et utilisèrent des portails dimensionnels pour la déplacer là où ils avaient besoin d’elle. Heureusement, bien que Princesse fût grande, elle était également serpentine et très flexible. Elle pouvait se rétracter sur elle-même et passer par d’étonnamment petites ouvertures. Cependant, les portails dimensionnels habituels n’étant pas assez grands malgré ça, Zach et Zorian durent les agrandir… quelque peu. Le temps et le mana impliqués étaient eux aussi, quelque peu plus importants.
Princesse possédait en revanche sa propre façon de se téléporter, accordée par ses compétences divines. Ils en avaient déjà fait l’expérience, et tenté de découvrir si, peut-être, elle avait sous-utilisé ses capacités. Au bout du compte, ils s’étaient trouvés déçus. Sa téléportation fonctionnait au mieux, et était exactement ce qu’elle était supposée être : un déplacement instantané de courte distance que Princesse pouvait utiliser pour entrer et sortir de l’orbe, ainsi que se replacer de façon tactique en plein combat. Elle était incapable de se téléporter sur de plus longues distances.
La logistique de l’hydre mise à part, la création de leur nouvelle alliance n’avançait pas vite. Les Sulrothums à qui ils rendaient visite vivaient tous dans des tribus moins sécurisées et moins prospères que celle du ziggourat. Leurs campements ne possédaient pas de barrière offensives, ils ne possédaient pas de bête gardienne comme le ver géant et leur équipement était nettement plus archaïque que ce à quoi Zach et Zorian s’était attendu. Aussi, lorsqu’une paire de puissants mages vinrent les voir à dos d’hydre géante à huit têtes, pour les couvrir de cadeaux, personne n’osa simplement les moquer. Ils n’étaient pas tous enclins à travailler avec eux, mais au moins, tous acceptèrent de les écouter, au minimum.
Et ils avaient eu la bonne idée, cette fois, d’emmener avec eux un expert en langage Sulrothum. Ce type barbu qui n’avait accepté de travailler avec eux qu’après avoir utilisé Neolu et sa famille, était non seulement doué dans le dialecte utilisé par les Surothums avec les humains, mais il comprenait même certains de leurs cliquetis et autres mouvements d’ailes employés entre eux… bien qu’il ne pût pas le parler, évidemment.
Étrangement, ce n’était pas un mage. Ibak de son nom, prétendait que les sorts étaient trop peu utiles dans son travail et ne faisaient que créer méfiance et rejet de la part des insectes, tant ceux-ci se gardaient de côtoyer toute forme de mage. Les Sulrothums avaient en effet un mal fou à distinguer conversation normale et incantations, et chaque parole de mage était vue comme suspecte, dans le meilleur des cas.
Zach, Zorian et Ibak – oh, et Princesse – approchaient une autre tribu. Celle-ci était particulièrement faible, cela dit, et Zorian se demanda s’ils devaient vraiment se donner la peine. Le campement n’était qu’une série de cercles creusés à même le sol d’une colline, et il avait déjà vu suffisamment d’endroits de ce genre pour en estimer le nombre d’habitants. La tribu comptait probablement moins d’une centaine d’individus, et comme le groupe n’avait rien fait pour masquer son approche, les éclaireurs Sulrothums ayant noté un monstre géant – comment auraient-ils pu le manquer – la tribu n’était désormais qu’un fourmillement d’activité nerveuse, ce qui permit à Zorian de bien observer les décorations des armes que les guêpes arboraient désormais.
Et il n’était pas impressionné par ce qu’il voyait.
— Pourquoi toutes ces tribus sont-elles tellement moins puissantes que celle du ziggourat ? demanda Zach.
Il ne s’attendait probablement pas à recevoir de réponse, et ne désirait que se plaindre.
— À cause de l’accès au Donjon, répondit néanmoins Ibak.
Zach et Zorian se tournèrent tous deux vers lui, surpris.
— Si les humains bâtissent leurs villes au-dessus des entrées du Donjon, la plupart des autres espèces n’en font pas autant, leurs expertises magiques étant largement insuffisantes pour gérer les créatures qui pourraient sortir des souterrains, clarifia Ibak. Les Sulrothums vivant dans le Ziggourat du Soleil sont une exception, probablement due à ce ver géant que vous avez mentionné. Cette créature leur permet, selon toute probabilité, de restructurer les tunnels locaux de la même façon que le font les humains, les laissant exploiter les lieux en sécurité. Les autres tribus ne le peuvent pas, et apparaissent de fait bien plus faibles en comparaison.
— Huh, soupira Zach. Je suppose que l’asticot est encore plus important que ce qu’on avait imaginé. Les Sulrothums ont vraiment été chanceux de trouver ce truc.
Avant que quiconque pût continuer la conversation, Princesse laissa échapper un cri mélodieux et pointa l’une de ses têtes en direction d’un point particulier à l’horizon, où un groupe de Sulrothum volait vers eux.
Zorian grimaça. Il n’était pas surpris que l’hydre pût remarquer leur arrivée avant eux – elle possédait huit paires d’yeux et se trouvait être vigilante par nature – mais la direction de laquelle ils venaient n’était pas très logique. Ils arrivaient par la gauche, alors que le campement se situait juste en face d’eux. Ainsi, douze guêpes volaient à leur rencontre.
— Un émissaire d’une tribu différente ? supposa Zorian, qui doutait que le petit camp qu’ils avaient sous les yeux aurait pu envoyer un groupe de chasse si peuplé, et s’ils l’avaient fait, celui-ci serait d’abord rentré à la maison pour consulter les dirigeants avant de tenter un contact.
— Probablement, estima Zach. J’espère que ça devient une habitude à l’avenir. Ça irait tellement mieux si les tribus environnantes se mettaient à venir nous voir, et non le contraire.
Comme ils approchaient de Princesse et des humains qui la chevauchaient, les Sulrothums ralentirent et atterrirent devant eux. Ils choisirent un endroit suffisamment éloigné pour leur propre sécurité, tentant de paraître moins menaçants également, mais au bout du compte, ils bloquaient bel et bien la route et Princesse fut instantanément outragée par ces nouveaux arrivants insolents. Si Zach ne l’avait pas aussitôt calmée, elle les aurait déjà piétinés, tous autant qu’ils étaient, et ne se serait pas arrêtée.
Finalement, les deux groupes acceptèrent de se voir au milieu pour négocier. Zach, Zorian et Ibak laissèrent Princesse à l’arrière afin de surplomber la rencontre d’un air menaçant, tandis que les Sulrothums envoyèrent leur chef et deux gardes du corps, laissant eux aussi les autres en retrait.
Zorian était sans doute de parti pris, mais il avait l’impression que Princesse gagnait haut la main ce duel d’intimidation.
Pendant près de dix minutes, Ibak et le chef Sulrothum échangèrent des mots que Zorian ignora pour étudier leur groupe. Ils étaient plutôt impressionnants selon les standards de leur espèce, réalisa-t-il. Tous armés de lances de fer et décorés de peintures de guerre, de joaillerie et autres charmes magiques de grand-mère qui ne fonctionnaient évidemment pas. La seule personne qui n’était pas armée était ce chef, qui portait une pléthore d’anneaux métalliques et de chaînes, mais aucune arme. Il laissait également voir une grande quantité de ces babioles inutiles censées repousser les mages, certaines d’entre elles peut-être même moins inutiles que Zorian l’eût imaginé. Il fut immédiatement catalogué prêtre.
Au bout d’un moment, la conversation prit fin et Ibak se tourna vers eux. Zorian comprit immédiatement qu’il n’était pas porteur de bonnes nouvelles pour leur cause, bien que leurs interlocuteurs ne semblassent pas se montrer agressifs pour autant. Curieux.
— Qu’y a-t-il ? lui demanda Zach.
— Ce groupe vient du ziggourat, expliqua Ibak.
Oh.
Il s’était bien dit que ces lances avaient quelque chose de familier. Cependant, de telles armes étaient loin d’être uniques au sein de leur espèce, et il n’avait pas fait le rapprochement.
— Ils savent que nous voulons les attaques ? supposa Zorian.
Ce n’était pas inattendu, supposa Zorian. Ce n’était pas comme s’ils se montraient discrets en cherchant à bâtir une alliance. Plutôt le contraire, même. En gardant ça à l’esprit, il était inévitable que la tribu du ziggourat finît par détecter leurs plans. Puisque leur but était d’attirer le haut-prêtre hors de sa tanière et pas de prendre leurs ennemis par surprise, ce n’était pas un détail dont ils se souciaient réellement.
Pourtant, ils n’avaient pas imaginé que ces Sulrothums-là allaient leur envoyer une délégation amicale. Tenter de les attaquer par surprise ou de leur tendre une embuscade, peut-être, mais ça ?
— Oui, confirma Ibak. Ils veulent savoir ce que vous désirez pour accepter de mettre un terme à cette attaque.
— Quoi ? Pas de menaces ? s’étonna Zach.
— Non, confirma Ibak en secouant la tête. Juste des questions à propos de ce qui vous motive. Non que je le sache moi-même, d’ailleurs.
Zach ignora le ton accusateur de cette dernière remarque. Il ne les trahirait probablement pas en faveur des insectes, mais raconter au traducteur qu’ils faisaient tout ça juste pour un anneau magique n’allait pas les aider à paraître plus sains d’esprit.
— Comment savent-ils que nous ne désirons pas simplement leur ziggourat ? questionna Zach. Pose-leur la question.
— C’est… Tentez-vous d’initier une rixe ici-même ? renvoya Ibak, incrédule – on ne se montrait que rarement aussi direct et arrogant envers les Sulrothums, spécialement ceux-là.
— Je veux voir leur réaction, expliqua Zach. Fais-le.
Ibak marmonna ce qui sembla être des jurons dans sa langue natale et se remit à converser avec le prêtre des Sulrothums. Il fut intéressant de noter que celui-ci ne réagit pas du tout à la question. Ibak revint bien vite.
— Il dit que nous trois ne sommes pas suffisants pour ça. Que nous aurions amené une armée si tel était le cas. On n’occuper pas un tel bâtiment à trois, voilà sa conclusion.
Le prêtre fit une série de geste, qu’Ibak remarqua.
— Ils pensent que vous désirez quelque chose de plus petit, plus abordable. Quelque chose que vous pourrez transporter. Ils reconnaissent votre puissance, mais se demandent si un marché ne serait pas préférable à un bain de sang.
— Ce que nous désirons, ils ne nous le donneront pas, lâcha Zorian, sûr de lui.
Devaient-ils lui dire qu’ils étaient après l’anneau ? Non, cela rendrait encore plus difficile d’attirer leur cible hors de son trou… Mais peut-être accepterait-il simplement de le leur donner s’il prévoyait une attaque catastrophique sur sa tribu ? L’anneau était important, mais ce n’était pas comme s’ils lui demandaient de céder la dague de contrôle du ver des sables.
— Dis-leur qu’ils ne sont pas qualifiés pour négocier à ce propos, dit soudain Zach. Nous ne parlerons de tout ça plus en détail qu’avec le haut-prêtre.
Zorian leva un sourcil. Zach s’imaginait-il vraiment que ç’allait être si facile ?
Un furieux échange eut lieu entre Ibak et le prêtre, après quoi le traducteur soupira.
— Il dit qu’ils ne sont pas non plus qualifiés pour amener des étrangers devant les anciens. Ils ne sont là que pour découvrir si le conflit peut être évité. Après ça, ils doivent rendre des comptes à leur tribu, avant de recevoir de nouveaux ordres. Il ne semble pas impossible de rencontrer les dirigeants du ziggourat, mais ils veulent quelque chose en retour si vous souhaitez que ça arrive.
Zach et Zorian échangèrent un regard – et une rapide conversation télépathique.
— Je suppose que c’est logique, admit Zach.
Zorian attrapa une montre a gousset dans sa poche intérieure. Grâce à un sort d’altération, il fit fondre une partie de la coque métallique pour en faire une réplique exacte de l’anneau impérial, qu’il tendit à Ibak.
— Dis-lui de donner ça au haut-prêtre, c’est notre réponse, conclut Zorian.
— Il comprendra, ajouta Zach.
Ibak leva un sourcil mais fit ce qui lui était commandé. Le Sulrothum attrapa l’objet d’une main chitineuse hésitante, le tournant et le retournant afin de l’étudier. Il semblait dubitatif d’avoir reçu cette instruction, et observait Zach et Zorian d’un œil multifacettes scrutateur. Ses antennes vibraient dans toutes les directions.
Après un instant, il plaça l’anneau dans l’une des nombreuses poches qui pendaient à sa taille et acquiesça d’un air très humain. Il fit alors signe aux gardes du corps, leur faisant comprendre qu’ils en avaient terminé. Apparemment il avait réalisé qu’il n’obtiendrait rien de plus de leur part. Quelques minutes plus tard, le groupe entier s’éleva dans les airs et repartit là d’où ils étaient venus.
Les humains les observèrent disparaître. Ibak décida de briser le silence.
— Vous deux gamins êtes bien trop mystérieux à propos de tout ça, dit-il.
— Tu seras lourdement payé pour ça, ne t’en fais pas, fit remarquer Zach.
— Et pourtant, je le regrette déjà, soupira Ibak, qui tourna les yeux vers le petit campement Sulrothum. Tiens, il y a un autre groupe en approche. Cette fois, ce sont ceux qui habitent ici.
Zorian tourna lui aussi la tête et constata que le traducteur avait raison. Les Sulrothums locaux n’avaient pas osé les interrompre, mais maintenant que les émissaires du ziggourat étaient partis, ils se hâtaient de venir eux aussi pour s’enquérir de la situation.
— Leur proposons-nous toujours une alliance contre le ziggourat ? demanda Ibak.
— Je ne vois pas pourquoi, répliqua Zach en haussant les épaules. Nous n’avons aucune garantie que le haut-prêtre acceptera notre message en toute bonne foi. Si nous imaginions que ce serait si facile d’obtenir ce que nous voulons, nous n’aurions pas commencé toute cette mascarade. Nous continuons à rassembler des forces, afin de ne pas faire diminuer la pression pendant qu’il réfléchit à notre offre.
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Ni Zach, ni Zorian n’imaginaient que le grand-prêtre capitulât. Au contraire, ils étaient certains que cette demande allait rendre l’obtention de l’anneau encore plus compliquée pour cette fois-là. Cependant, s’il y avait la moindre chance, ça valait le coup d’essayer d’obtenir cette solution idéale pour l’avenir. Aussi, ils avaient décidé de tenter.
Ils ne s’attendaient en revanche pas à être approchés par le même groupe d’émissaires le lendemain, et encore moins à se faire inviter dans leur demeure sacrée afin de s’entretenir avec le grand-prêtre.
Ibak leur conseilla de ne pas accepter l’offre. C’était un piège évident, disait-il. Mais Zach et Zorian s’en fichaient. Même si cette rencontre n’était qu’une excuse pour leur tendre une embuscade, ils devaient y aller. Ils étaient bien plus puissants que ce que Ibak ou les Sulrothums pouvaient concevoir, et n’allaient très certainement pas mourir là-dedans. Tant qu’ils rencontraient ce dirigeant face à face et qu’il portait l’anneau au doigt, ils auraient ce qu’ils désiraient, d’une façon ou d’une autre.
Malheureusement, Ibak refusa catégoriquement de les accompagner à l’intérieur, les appelant même fous suicidaires. Zorian comprenait bien cette attitude, Ibak ne pouvant réaliser à quel point ces deux étaient puissants, et il parlait sagement, sachant ce qu’il savait. Cependant, cela ne rendait pas les choses moins frustrantes, et leur conversation s’embrasa rapidement.
L’émissaire les observa calmement pendant quelques minutes avant de lancer une espèce de sort. Zach et Zorian se méfièrent instantanément, mais il devint rapidement évident qu’il lançait un sort sur lui-même.
Cette incantation s’avéra bien plus longue et ritualisée que ce que Zorian avait l’habitude de voir chez les humains et les Aranea, demandant presque une minute complète de mouvements et de battements d’ailes, suivi par une espèce de danse en brandissant des ressources aux odeurs variées, qui n’impactèrent pas le sort en lui-même, Zorian en était persuadé.
Ceci fait, le Sulrothum se redressa quelque peu et leur fit face à nouveau.
— Guerre : pas nécessaire, déclara-t-il d’une voix quelque peu distordue mais compréhensible par un humain. Discussion : toujours possible. Pas besoin pousser compagnon.
Zach et Zorian fixèrent cet énergumène pendant un instant.
— Tu aurais pu faire ça dès le départ, demanda Zach, et tu nous as laissé utiliser un traducteur pendant tout ce temps ?
Les antennes de l’insecte vibrèrent nerveusement tandis qu’il déchiffrait les mots de Zach.
— Il ne possède clairement qu’une connaissance rudimentaire de la langue ikosienne, intervint Ibak, un peu exaspéré. Il est parfaitement logique pour lui de préférer converser avec moi à l’aide de méthodes plus familières.
— Mon vocabulaire : pauvre, ajouta l’émissaire. Haut-prêtre : beaucoup mieux. Sera suffisant jusqu’à temple.
Après quelques arguments de plus, Zach et Zorian décidèrent d’accepter de laisser Ibak derrière eux et suivirent le Sulrothum vers le ziggourat. Malgré leurs inquiétudes, ils ne furent pas attaqués pendant leur voyage, pas même lorsqu’ils pénétrèrent dans le bâtiment. Au lieu de ça, l’émissaire les conduisit avec soin à travers les couloirs vides, directement vers le cœur du temple, où le grand-prêtre et sa garde d’honneur les attendaient.
Zorian était honnêtement un peu surpris. Ils l’avaient réellement mené devant celui qu’ils désiraient voir, comme promis. Bien sûr, la pièce était emplie à ras bord de gardes lourdement armés et plusieurs prêtres de niveau plus modeste, mais il ne semblait pas qu’il s’agît là d’une embuscade de quelque sorte. Les Sulrothum étaient tendus et agités, mais n’esquissèrent pas le moindre mouvement agressif.
Le grand-prêtre se tenait fièrement face à l’énorme feu sacré qui brûlait au cœur du temple. Situé au sommet d’une grosse dalle de pierre, il illuminait la pièce entière d’une lueur orange douce. L’air était plutôt sec et inconfortablement chaud, alors même que Zach et Zorian sortaient d’un long voyage dans le désert… Depuis sa position surélevée, l’hôte des lieux les observa en silence, ses yeux multifacettes étudiant chacun de leurs mouvements sans ciller.
Un silence de mort, très malsain, s’abattit. Pendant plusieurs minutes, l’un et l’autre camp se contentèrent de s’étudier mutuellement sans bouger. Même Zach resta patient et immobile, peu enclin à agir le premier.
Finalement, le prêtre sembla avoir décidé. Il retira l’anneau de son doigt, et le plaça dans la paume de sa main, avant de le leur tendre sans hésiter.
— Prenez-le, dit-il, la voix profonde et résonnant dans la salle, son écho se répétant sur un ton dramatique.
— Juste comme ça ? s’étonna Zach.
— Ne le désirez-vous pas ? renchérit le prêtre.
— Nous le désirons, répliqua Zach. Je suis simplement un peu surpris par votre comportement.
— Je vous renvoie vos sentiments, humain, déclara le Sulrothum. Moi aussi, je suis… quelque peu surpris par votre comportement. Si vous désiriez l’anneau, pourquoi n’être pas simplement venu me voir pour le demander ? Pourquoi perdre votre temps à lancer des hostilités ?
Zach le regarda, visiblement choqué.
— De quoi parlez-vous ? demanda Zorian. Affirmez-vous que si nous étions venus tranquillement vous le demander, vous nous l’auriez donné ?
— Bien entendu, assura le prêtre. Nous sommes des enfants des Anges. Quel enfant ose défier ses parents ?
— Les Anges ? répéta Zorian, confus.
Ce qui lui valut un regard profond, de plusieurs secondes.
— Comme je l’imaginais, continua le prêtre, en baissant la main qui tenait l’anneau. Vous ne savez pas.
— Non… ? En effet, je pense que nous ne savons pas, admit librement Zach. Que ne savons-nous donc pas, d’ailleurs ?
— Avez-vous tenté de contacter les Anges, récemment ? demanda le grand-prêtre.
Zorian leva un sourcil. Quelle idée ridicule. Comme si n’importe qui pouvait simplement lever la main et lancer un Hey, on discute ? aux Anges. D’ailleurs…
— Le monde spirituel ne peut pas être contacté pour l’instant, expliqua Zorian.
— Ah, alors vous en savez au moins autant… réalisa leur interlocuteur, les antennes vibrant paresseusement. Bien. Juste avant leur silence, les Anges nous ont fait la grâce de leur présence et nous ont gratifié d’un avertissement. Ils ont dit qu’au cours du mois à venir, un puissant mage humain pourrait venir et demander à recevoir l’anneau. Et que si cela devait se produire… nous devions simplement le lui donner sans hésiter.
Zach et Zorian ne surent que dire, et digérèrent l’explication. Les Anges avaient spécifiquement demandé aux Sulrothums de donner l’anneau au Contrôleur ? À Zach, bien sûr. Ils n’étaient pas censés être deux. Mais cela signifiait-il que les Anges étaient à l’origine du marqueur de Zach ? Avaient-il enfin un nouveau début de piste, là, dans un temple Sulrothum au milieu du désert de Xlotic, entre tous les endroits possibles ?!
Cela expliquerait néanmoins certainement comment Zach avait pu obtenir une bénédiction divine alors que toutes ces choses étaient supposées ne plus exister en ces temps modernes…
— Pourquoi les Anges vous ordonneraient-ils de faire une telle chose ? grimaça Zach.
— Je ne sais pas, avoua le prêtre en penchant sa tête sur le côté comme un oiseau curieux. Vous devriez me le dire.
— Eh bien, vous ont-ils seulement donné une description de ce puissant mage humain ? s’agita Zach. Ont-ils laissé un quelconque message à son attention ?
— Pas de description, pas de message, répondit courtoisement le grand-prêtre. Cependant, ils nous ont assurés qu’il ne fallait pas s’inquiéter de la perte de l’anneau. Ils ont dit… qu’à la fin, ce ne serait que temporaire.
Avant que les adolescents n’eussent pu ajouter quoi que ce fût, il leur lança l’anneau. Zach l’attrapa et l’inspecta immédiatement. Cependant, son geste fut largement inutile. Zorian put immédiatement dire que l’artefact était le bon, et Zach en était capable également.
— Les cieux ordonnent ; les enfants obéissent, commenta le prêtre comme un état de fait. Vous avez ce pourquoi vous êtes venus. Vous pouvez partir, maintenant.
Il s’agissait là de la fin de leur rencontre, parce qu’il garda alors le silence, et plusieurs prêtres mineurs les rejoignirent, pour insister poliment qu’il était l’heure de quitter le ziggourat.
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Quelque part dans les jungles de Blantyrre, non loin de la côte, se trouvait un banal chemin de terre créé par le passage des hommes-lézards locaux. Cette route était habituellement rarement empruntée, et se trouvait être discrète et relativement calme, mais ce n’était pas le cas ce jour-là. Cette paix silencieuse était dérangée par un groupe d’humains qui avançait dans la région sans vraiment prendre de gants. Par de puissantes magies et grâce à des hommes capables, ils se frayaient un chemin dans la végétation dense, qui menaçait d’engloutir le sentier à chaque pas, et continuaient inexorablement vers leur destination.
Il s’agissait naturellement de Daimen et son équipe, à la recherche de rumeurs concernant le bâton impérial. Zach et Zorian avaient cette fois décidé de les accompagner pendant un certain temps. Cela faisait quatre jours qu’ils avaient réussi à obtenir l’anneau impérial, et ils étaient toujours un peu secoués par ce qu’ils avaient entendu de la bouche du prêtre. Ils ne savaient pas trop que penser de cet incident. Clairement, les Anges étaient impliqués. Ils avaient su que la boucle allait démarrer, et avaient pris quelques précautions à ce sujet… Cela signifiait-il qu’ils étaient réellement derrière tout ça ?
Zach ne se souvenait pas avoir jamais parlé à un Ange, dans tous les cas, et encore moins avoir reçu aucune instruction de leur part. Bien sûr, il était possible que Robe Rouge fût derrière cet oubli, mais on ne pouvait alors s’empêcher de se demander pourquoi ils n’avaient pas prévu cette éventualité et laissé un message à un autre de leurs agents divins. La situation des Sulrothum et de l’anneau prouvait bien qu’ils ne mettaient pas de telles possibilités de côté, et qu’ils étaient capable de faire des compromis quand ça les arrangeait, alors pourquoi pas pour la mémoire de Zach également ?
Il n’y avait pas de réponse évidente à cette question. Même Alanic avait admis que ce genre de comportement n’était pas logique à ses yeux, bien qu’il ne semblât pas être trop dérangé non plus. Les Anges agissent selon des voies étranges et mystérieuses, disait-il, travaillant sous de nombreuses restrictions et limitations placées par les dieux. Ils ne pouvaient pas faire de nombreuses choses autrement logiques, ou vous dire pourquoi ils faisaient ce qu’ils faisaient de la façon dont ils le faisaient. Il fallait simplement avoir la foi, et se dire qu’ils savaient ce qu’ils avaient entre les mains, tout en ne comptant pas trop sur eux.
Bon. Au moins, ils avaient désormais un moyen rapide et facile de récupérer l’anneau impérial. Pour une fois…
— Tu vois ! Je t’avais dit que Princesse était la solution, lâcha Zach en faisant tourner l’anneau autour de son doigt.
— Ce n’est pas la façon dont tu voyais les choses se dérouler, et nous le savons tous les deux, lui assura fermement Zorian, avant de regarder de l’autre côté, où se trouvait Kirma, en train de manipuler la toute nouvelle boussole de divination que lui avait donnée Zorian. Alors ? Qu’en penses-tu ?
Elle ne répondit d’abord rien, et continua sur sa lancée : elle était au milieu d’une série d’incantations. Puis, elle tourna l’appareil dans ses mains à plusieurs reprises. Comme l’ancien, il était en forme de fleur et fait de métal, mais possédant une gravure bien plus détaillée de formules magiques. Zorian était certain que son travail allait s’en trouver immensément facilité, mais les devins de haut niveau étaient si pointilleux, et ce qui fonctionnait pour lui ne ferait pas forcément l’affaire pour elle.
— Très impressionnant, conclut-elle finalement. Un peu plus lourd et gros que ce dont j’ai l’habitude, mais je peux travailler avec ça. Je me sens un peu bizarre d’accepter un tel cadeau sans rien donner en retour, par contre.
— Rien ? pouffa Torum, de l’autre côté.
L’un des yeux flottants qui le suivaient se tourna légèrement vers eux tandis qu’un autre examinait la canopée pour une raison qui leur échappait. Il avait la mauvaise habitude de ne pas regarder les gens dans les yeux lorsqu’il leur parlait, tout en laissant ses yeux volants le faire à sa place.
— Il nous fait fouiller un continent entier, continua-t-il en ricanant, entièrement couvert de jungles tropicales, à la recherche d’un bout de bois, sans nous payer un seul centime. Il était temps qu’ils commence à nous abreuver de cadeaux.
— Ce n’est pas très juste, protesta Kirma. Nous faisons également ça pour nous-mêmes, et pas uniquement pour lui.
— Et je paye une quantité phénoménale d’argent pour ce faire, fit remarquer Zorian.
— De la fausse monnaie de boucle temporelle, ajouta Torum avec dédain. Ça ne compte pas.
— Et puis, pourquoi je n’ai pas de cadeau, moi ? demanda soudain Taiven, après s’être incrustée dans leur conversation sans rien dire. Sérieusement, Zorian… Tu fais un cadeau étrange et hors de prix à une femme étrange, mais tu n’as rien pour ta bonne vieille copine Taiven ? Honte sur toi !
Zorian la regarda, amusé. Il s’était dit qu’elle allait être occupée à admirer le paysage, elle qui mettait les pieds dans une jungle pour la première fois, mais apparemment, elle s’était déjà calmée et avait décidé de venir le trouver pour se plaindre.
Kirma accorda à Taiven un regard bien moins amical. Elle n’appréciait apparemment pas être catégorisée femme étrange par une inconnue.
— Mon cadeau pour toi, c’est de t’emmener à Blantyrre, alors que tu n’as aucune compétence évidemment utile pour cette mission, et aucune expérience de survie dans la nature sauvage, dit-il franchement.
— Hé, je suppose que c’est bien vrai, se mit-elle à rire. J’apprécie vraiment, cela dit. Voyager vers des endroits exotiques à la recherche d’artefacts anciens… Ce genre d’expéditions est exactement ce que je désirais vivre un jour. C’est géant ! C’est juste dommage que je ne puisse pas foutre ça sur mon CV.
Elle était vraiment trop à cheval sur la situation. D’un côté, il était plutôt dérangeant de l’avoir là, à danser autour du groupe comme une fillette excitée, mais d’un autre côté, il était heureux de l’avoir à ses côtés, rien que parce que ça signifiait beaucoup pour elle.
Au moins, elle n’était pas sans défenses. La fois où elle avait posé le pied dans un buisson de plantes carnivores, elle les réduisit en cendres sans se poser de questions, et avant que quiconque eût réalisé ce qu’il s’était passé. Son expérience exceptée, elle était talentueuse en magie de combat.
Le groupe finit par atteindre sa destination – un petit village d’hommes-lézards dans lequel ils trouveraient apparemment un sage reclus qui savait tout sur l’histoire de la région. Alors que ce tout était très certainement une exagération, il devait bien y avoir un petit quelque chose de vrai dans sa réputation. Non ?
Le village était humble, bâti de petites maisons de boue et de paille à proximité d’une rivière. La plupart des adultes étaient actuellement occupés à travaille auprès de leurs bateaux, qu’ils tiraient sur la berge afin de mieux les manipuler. Les enfants se trouvaient soit à distribuer matériaux et outils entre plusieurs groupes, soit ils jouaient à se battre tandis que les quelques parents leur lançaient de vagues menaces, leur ordonnant sans doute de cesser de s’amuser ainsi et leur intimer de ne pas les gêner si déjà ils ne les aidaient pas.
Leur arrivée provoqua une commotion dans le groupe, mais qui était plus curieux que méfiant. La majeure partie des hommes-lézard vivant là n’avaient jamais vu d’humain de leur vie, apprit Zorian, et ne savaient pas qu’en attendre. Et comme ceux-là étaient accompagnés de guides de leur espèce engagés dans la cité-état proche et que personne n’arborait d’arme évidente, les villageois ne se sentirent pas particulièrement effrayés.
Mais cela signifiait en revanche que certains des plus braves enfants tentèrent de les examiner de plus près et de les toucher. L’un d’eux cibla Zorian en particulier, peut-être parce qu’il était l’un des plus petits spécimens du groupe, et lui posait une question à répétition en le tapotant.
La langue des hommes-lézards n’avait rien de commun avec le sifflement normal d’un lézard. Elle était plus proche d’un gazouillement d’oiseau haut perché dans les aigus. Zorian n’en comprenait absolument rien, mais en jetant un œil à l’esprit de ce jeune reptile et en écoutant l’explication grossière des guides, il parvint à déduire que le gamin lui demandait s’il était une fée.
Il détestait déjà ce village, bordel.
Dans tous les cas, ils établirent finalement un petit camp juste à l’extérieur du village, la plupart de leur groupe vaquant simplement à des occupations banales en attendant que Daimen finît d’échanger des cadeaux avec les chefs du village, qui en allaient à grands coups de gestes cérémoniaux. La procédure était bougrement longue, mais apparemment nécessaire : le sage avec qui ils désiraient s’entretenir était… eh bien, un ermite. Il ne daignerait pas les voir en temps normal, mais peut-être qu’en parvenant à convaincre les dirigeants du village de placer un mot ou deux en leur faveur, ils pourraient avoir une chance.
Zorian était assis sur une souche d’arbre en périphérie du village, observant quelques enfants reptiliens combattre le golem de boue qu’il avait animé afin de détourner leur attention de sa personne. Bien que la construction boueuse eût une taille et une force comparable à un humain adulte, en vérité, ceux-ci étaient bien plus petits et plus faibles que les hommes-lézards. La structure vaguement crocodilienne de ces derniers était plus large que l’ossature humaine, et leur peau était recouverte de grandes et solides écailles. Aussi, bien que ces combattants ne fussent que des enfants, ils écrasaient petit à petit ce golem de boue. Il s’agissait exactement du scénario prévu par Zorian, en réalité. Il ne voulait pas vraiment blesses les gosses, même s’ils étaient bruyants, énervants et généralement oppressants.
Non loin de lui, une femelle avait approché pour tenter les humains avec ses babioles artisanales et cherchait à échanger poteries et colliers faites de pierres colorées contre des outils métalliques et du tissu. Elle était actuellement en train de négocier avec l’une des femmes du groupe, toute deux se parlant sans restriction de volume, alors que l’une ne comprenait pas l’autre, et vice versa.
Zorian retira ses lunettes et se mit à les nettoyer avec obsession. Merde, quand ce satané truc allait-il fini —
— Pourquoi es-tu si impatient ? demanda soudain une voix derrière lui. Il est parfois bon de s’asseoir et de prendre le temps d’apprécier les plus petites choses de la vie.
Son cœur loupa un battement. Il se tourna vers la voix, choqué de découvrir qu’il y avait soudain là un homme-lézard, assis à côté de lui. Et par soudain, il voulait dire soudain. L’homme-lézard ne s’était absolument pas fait connaître aux sens psychiques de Zorian, comme s’il s’était matérialisé comme par magie exactement là où il se trouvait.
Il était également très, très bizarre. Un schéma complexe de lignes bleues et blanches couvrait son corps entier, et il portait au sommet de la tête ce qui ressemblait à un crâne de cerf massif. De nombreuses bandes décoratives et de colliers couvraient ses quatre membres et son cou. Sur ses cuisses se trouvait un bâton de bois noueux surmonté d’une perle.
Sa posture et son apparence renvoyaient l’impression d’une vieille personne – les yeux à moitié fermés, les écailles craquelées et ternies à certains endroits, sa tenue plus très droite. Malgré ça, il inspirait une légère terreur insidieuse à Zorian, qui ne pouvait comprendre comment ce type avait fait pour se faufiler là sans qu’il le remarquât.
— J’ai entendu que vous me cherchiez, dit le nouvel arrivant, qui parlait un excellent Ikosien, intéressant, mais un sujet bien bas de la liste de questions que Zorian désirait lui poser.
— Quoi ? Oh, vous êtes le sage qu’on est venus voir, réalisa ce dernier.
— En effet, acquiesça le vieil homme-lézard, jouant avec l’une des bandes d’os qui entourait son poignet, en observant les enfants jouer avec le golem de boue. Je n’aime pas ce genre d’attention, alors j’ai décidé de simplement rencontre l’un d’entre vous et en avoir terminé avec tout ceci.
Zorian regarda autour de lui et compris et personne ne semblait prêter attention à cette conversation, pas plus qu’à cet étrange homme-lézard, apparu de nulle part.
— Seul toi peux me voir et m’entendre, annonça nonchalamment le sage.
Mais quelles conneries.
— Pourquoi m’avoir choisi, parmi tous les membres du groupe ? demanda Zorian avec une petite grimace.
— Je t’aime bien, répondit le sage en haussant les épaules. Tu prends le temps de jouer avec les enfants. Ne te souviens-tu pas de ce que j’ai dit, plus tôt ? Il est bon de s’asseoir et de prendre le temps d’apprécier les choses simples de la vie.
Zorian lui lança un regard incrédule, peu sûr de niveau de sérieux de ce type. Il n’avait créé ce golem qu’afin que les gosses eussent envie de le laisser tranquille en trouvant quelque chose de plus intéressant à faire.
— Comment êtes-vous arrivé sans que je le remarque ? ne put finalement s’empêcher de s’enquérir Zorian.
— Je suis vieux, proposa le sage en tapotant le bâton sur ses cuisses de sa main reptilienne, du bout de ses griffes. Ancien, même. Il est naturel de posséder quelques secrets.
Il n’offrit pas d’expliquer quoi que ce fût plus avant, et Zorian ne l’y poussa pas.
Le bâton se trouvait probablement être un quelconque artefact divin. Zorian vérifia à l’aide de son marqueur, juste au cas où il fût le bon. Et il ne l’était apparemment pas.
— Pourquoi avez-vous fait tout ce chemin pour moi ? demanda alors l’homme-lézard, ses yeux mi-clos fixés sur Zorian avec attention.
Celui-ci décrivit rapidement l’origine et l’apparence présumée de l’artefact qu’ils cherchaient. Le sage écouta patiemment toute l’explication en silence. Il le garda encore pour une quinzaine de minutes, perdu dans ses pensées. Occasionnellement, il sifflotait pour lui-même dans sa langue natale, tapotait l’un ou l’autre ornement qui lui pendait çà ou là, et dessinait de simples diagrammes géométriques dans la terre.
Zorian attendit avec autant de patience que l’homme-lézard vînt à lui de son propre chef, n’osant pas interrompre ses pensées. Malheureusement, lorsque ce moment arriva, ce ne fut pas pour entendre une réponse favorable.
— Je ne parviens pas à me souvenir quoi que ce soit qui pourrait t’aider dans ta quête, fit-il en secouant lentement la tête, les quelques colliers d’os et de pierres carillonnant contre son torse dans un mouvement doux.
Zorian soupira. Tout ça pour ça.
— Cependant… continua le sage, j’ai une idée quant à l’endroit où tu pourrais continuer à chercher plus de connaissances à ce sujet, si tu te sens suffisamment brave. Ce bâton… C’est une chose très, très précieuse, n’est-ce pas ?
— En effet, confirma Zorian.
— Il existe un Dragon mage particulièrement détestable, qui terrorise notre peuple dans toute la région et au-delà, enchaîna alors aussitôt le vieux reptile. Je ne connais pas son nom, mais les gens le nomment habituellement le Désastre aux yeux violets, le Cupide ou Typhon. Depuis des siècles, elle –c’est une femelle – a chassé nos communautés, nous volant le moindre objet qui attirait son attention et tuant tout ceux osant se trouver sur son chemin. De nombreux et importants artefacts ont été perdus de ce fait. Si ce bâton est si précieux qu’il semble, alors elle a sans doute tenté de le trouver, et elle est probablement au courant de deux ou trois choses le concernant. Peut-être… qu’il est même en sa possession, qui sait ?
Zorian le regarda d’un air contrarié. Un Dragon mage à la mauvaise réputation ? Il y avait peu de choses au monde plus dangereuses que ça… Il fallait se sentir brave en effet.
Pourtant, la logique était parfaite. Zach n’avait-il pas déjà démontré ses capacités à tuer Oganj, qui bénéficiait également du même genre de réputation ? Et il était alors nettement moins puissant.
— Alors, que voulez-vous — commença Zorian, réalisant soudain que le vieux lézard avait disparu.
Il agita la main là où il s’était trouvé quelques secondes auparavant, et il n’y avait là que de l’air.
Grognant bien fort, Zorian se leva et alla trouver Zach et Daimen afin de les informer qu’organiser une rencontre avec le sage n’était plus nécessaire.
___
Zorian s’éveilla dans un cri paniqué lorsqu’un déluge soudain d’eau glacée s’abattit sur sa tête pendant son sommeil. Titubant – même couché – et reculant sous le coup de l’incompréhension, il tenta de sauter du lit, pour se coincer dans les draps et tomber par terre, face la première. Il se leva sans vrai équilibre, essayant de frénétiquement essuyer l’eau qu’il avait dans les yeux tout en cherchant ses lunettes.
Lorsqu’il revint à lui et regarda alentour, il découvrit Kirielle, prostrée dans un coin de la pièce, près de la porte, un grand s’eau vide dans les mains.
Et de l’eau s’en écoulait encore au goutte à goutte.
— Kirielle… Que diable fais-tu ?! s’écria Zorian, sans même y croire.
— Je, eh bien je… Euh… paniqua-t-elle alors, elle aussi, en serrant encore plus fort l’objet entre ses petits bras. J’essayais de… de te faire reprendre ta vraie forme !
Zorian plissa les yeux d’un air sidéré, abattu, incrédule et las. Tout à la fois. Comme si elle était folle et qu’il avait juste envie de lui répondre Sérieusement, là ?
En fait, non. Elle était folle !
— Ma vraie… forme ?! lui demanda-t-il en bégayant d’incrédulité. Mais quelle mouche intersidérale t’a piquée ? Tu m’as juste balancé un plein seau d’eau glacée à la tronche au milieu de la nuit !
— J’ai lu dans un livre que les changeformes reprennent leur vraie forme s’ils sont surpris pendant leur sommeil, dit-elle. Alors, euh… Si on leur jette de l’eau comme ça au milieu de la nuit, ils vont perdre leur déguisement et reprendre leur vraie forme.
Zorian l’observa encore, incapable de croire qu’elle fût sérieuse.
— Tu penses que je suis un… changeforme ? Une mimique ? continua-t-il d’une voix plus calme.
— T… Tu n’agis pas du tout comme le Zorian que je connais, expliqua-t-elle tout en fixant le sol droit dans les yeux, refusant de lever les siens pour croiser le regard de son frère. Tu as tous ces amis d’un seul coup, tu ne t’énerves pas quand Imaya te pose des questions sur Daimen et… tu es beaucoup trop gentil avec moi.
Zorian soupira et fit courir sa main dans ses cheveux mouillés afin de les relever et les retirer de ses yeux. Il jeta un œil à la porte fermée, confus par le fait que la maison entière n’eût pas encore été alertée par tous ces cris, mais il se souvint immédiatement que la chambre possédait de très bonne barrières.
— Si tu pensais que j’étais un changeforme, tu aurais dû au moins trouver quelqu’un pour t’aider à m’affronter, non ? lui dit Zorian.
Il fit quelques gestes et pressa sa main contre son torse, évaporant l’eau de son pyjama.
— Tu es bien trop doué en magie, aussi, ajouta sa sœur. C’est encore une chose de plus que je trouve étrange. Mais, hmm… Tu n’as pas changé de forme, alors je suppose que tu es bien Zorian.
Zorian disputa intérieurement les mérites d’utiliser un sort d’illusion pour se transformer en monstre hideux à ce moment précis, mais rejeta l’idée en toute hâte, la jugeant bien trop cruelle. Autant il voulait rager et s’en prendre à elle, autant elle possédait de très bonnes raisons pour agir ainsi. De plus, les lier en une telle théorie et oser mettre en pratique un plan pareil à son âge ? Il ne voulait clairement pas la dissuader de se montrer si intelligente à l’avenir.
Il lui sembla en tous les cas qu’il se montrât bien trop imprudent autour d’elle.
— Oui, je suis Zorian, pour de vrai, lui dit-il sur un ton exaspéré, avant de prendre le seau de ses mains et de la soulever avant de la jeter sur le lit toujours trempé.
Pile sur la grosse flaque, oui.
— Pourquoi ?! protesta-t-elle, sautant immédiatement au bas du lit et inspectant ses fesses humides.
— Punition, lui dit Zorian sans pitié. Tu as bien dit que j’étais trop gentil avec toi, non ?
Elle lui rendit un regard colérique, mais choisit de se taire.
— Bref, finit-il. Je suppose que je peux t’expliquer ce qu’il se passe et pourquoi les choses se semblent si bizarres…
___
Le temps passa. La recherche du bâton à Blantyrre, la progression en dimension miniatures et dans d’autres sujets intéressants, l’entraînement des personnes à l’aide des Chambres Noires et des ressources presque illimitées… Et comme les mois s’accumulaient, les résultats commençaient à en faire tout autant.
Juste comme ça, cinq mois s’écoulèrent.
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