TheDAB : Chapitre 14
TheDAB : Chapitre 16 Bonus

Chapitre 15

La Pagode du Dao

 

Pressé par le patriarche Destinée, Shi Kun n’avait d’autre choix que de s’exécuter.

« Lorsque tu ressortiras d’ici, tu recevras une demeure et la toge officielle de la secte. Maintenant, entre. » Le patriarche lui tapota un peu dans le dos pour le faire avancer. Shi Kun sautilla en avant à contrecœur.

« Mais… Ne dois-je pas être au 1er niveau de la maîtrise du qi pour créer un Dao ? » Soudain, Shi Kun se souvint avoir entendu des disciples en parler. Puisqu’il n’était pas encore au 1er niveau de la maîtrise du qi, il espérait être dispensé d’entrer dans la Pagode du Dao… au moins pour l’instant.

Cependant, c’était sans compter sur le patriarche. Comment aurait-il pu ne pas y penser avant ? Puisqu’il voulait le faire entrer, cela signifiait bien sûr qu’il savait ce qu’il faisait.

« Shi Kun. Créer un Dao est quelque chose de spécial. Tu as déjà dépassé l’âge normal et ce sera sans doute plus difficile pour toi que pour n’importe qui d’autre. Mais c’est ton destin, alors tu y arriveras, quelles que soient les conditions ! Ce que tu dis est vrai, pas mais entièrement. Pour créer un Dao, il ne faut pas avoir déjà maîtrisé le 1er niveau du qi. C’est en créant son Dao ou en adoptant le Dao de quelqu’un d’autre qu’on entame cette longue route ! »

Shi Kun avait cessé d’écouter au milieu du monologue. Il n’avait retenu que l’essentiel, à savoir qu’il allait devoir entrer là-dedans malgré tout.

« Je ne veux pas maîtriser le 1er niveau du qi… Je ne veux pas. Ce que je veux, c’est rester dans une modeste demeure avec un jardin et une vue sur le ciel. Ce que je veux, c’est qu’on me laisse tranquille. Je ne veux pas maîtriser le 1er niveau du… » Shi Kun se répétait sans cesse ses malheurs dans sa tête. Il avait prévu de ne jamais atteindre ce niveau, pourtant il allait y être obligé. Le patriarche semblait ne pas vouloir lui laisser le choix.

Il passa donc la porte en grimaçant, sous les yeux attentifs du patriarche Destinée. Tandis qu’il disparaissait dans les ténèbres de la Pagode du Dao, il entendit une voix derrière lui, qui n’avait pas terminé de lui parler et qui résonnait comme des coups de tonnerre.

« Et n’oublie pas ! Tu dois vouer ta vie à ton Dao ! Si tu en es incapable durant les trois prochains jours, je t’apprendrai à te mettre en condition optimale ! »

Les larmes coulèrent sur les joues de Shi Kun. Il venait tout juste de mettre au point un plan parfait. Il comptait rester là le temps qu’il fallait et sortir en prétendant ne pas avoir réussi. Et voilà que le patriarche semblait avoir vu au travers de sa manigance ! S’il échouait, alors il devrait sortir et recommencer après avoir subi Dieu seul savait quel entraînement avec le patriarche.

« Pourquoi ? Ma vie… Ma vie tranquille… » Shi Kun avança en trainant les pieds comme un condamné à mort. « On dirait que je n’ai vraiment pas le choix. Dois-je faire des efforts maintenant pour être tranquille plus tard ? Après tout, une fois mon Dao créé, il me laissera tranquille. »

« Bon sang, cette Pagode du Dao est beaucoup plus grande à l’intérieur… » Tournant la tête dans tous les sens, Shi Kun se rendit compte qu’il devait probablement y avoir une magie spatiale à l’œuvre pour que l’intérieur lui semble aussi gigantesque. Il avait déjà marché depuis un long moment et il n’avait toujours pas atteint de salle.

« Ne me dis pas que cette Pagode du Dao n’est qu’un immense couloir ? »

Les instants suivants lui donnèrent tort. Il arriva dans une grande salle au milieu de laquelle se trouvait un tapis et un autel en pierre. Le reste de la pièce était vide, seuls les murs étaient ornés de gravures représentant des cultivateurs dans des milliers de situations différentes.

Instinctivement, Shi Kun sut qu’il s’agissait d’illustrations d’autant de Daos différents. S’agissait-il de tous ceux qui avaient réussi à créer leur Dao en ces lieux ?

« Un mode d’emploi… ? » Shi Kun chercha sur les mur après avoir découvert qu’il n’y avait rien sur l’autel mais nulle part ne figurait la moindre indication quant à la façon de procéder ou au rôle de cette salle.

« Peut-être faut-il que j’attende qu’on vienne me chercher. Bon sang, le patriarche aurait tout de même pu m’expliquer mieux que ça ce qu’il faut faire ici. » Shi Kun s’allongea sur le tapis, les bras croisés derrière la tête et les yeux rivés sur le plafond. Finalement, ce n’était pas si mal, ici. Confortable même.

Peu à peu et sans aucune vue sur l’extérieur, Shi Kun perdit la notion du temps. Arriva un moment où il ne sut combien de bâtons d’encens auraient eu le temps de brûler depuis qu’il était allongé là. Mais peu lui importait : il était bien et surtout, à l’abri des obligations vindicatives du patriarche Destinée.

« Ha ha… S’il savait que je reste là à ne rien faire en attendant qu’on vienne me dire ce que je suis supposé faire ici… Et dire que je suis censé créer mon Dao. » Sans trop le vouloir, ses pensées vagabondaient au hasard de ce qu’il avait entendu concernant le Dao.

« Mourir pour le Dao, hein ? Mourir pour ses convictions ? C’est stupide. Des convictions ne servent plus, si on est mort. » Shi Kun secoua la tête, parfaitement incapable de comprendre le sens profond derrière tout ça.

Il bâilla et se frotta les yeux. Dans cette obscurité permanente, dans cette ambiance tamisée, les lieux étaient à peine éclairés par une magie quelconque. À rester couché là, Shi Kun finit par s’endormir sans même s’en rendre compte.

Dans le rêve qu’il fit immédiatement, il vit un mendiant, un pauvre mendiant, qui luttait pour trouver suffisamment d’argent pour acheter un peu de pain afin de ne pas avoir faim, le soir venu et le lendemain. Il se reconnut bien sûr  mais fut surpris par ce sentiment de pitié qu’il éprouvait alors pour lui-même, comme s’il regardait quelqu’un d’autre souffrir à sa place.

« Souffrir ? Je souffrais ? Non. » Shi Kun secoua la tête dans son rêve. Bien sûr, il avait pu souffrir par le passé et surtout lors des premières années. Il avait été recueilli par un gang de la rue mais les choses avaient rapidement fait qu’il s’en était séparé et en d’assez mauvais termes par ailleurs.

Mais alors pourquoi avait-il pitié pour ce mendiant ? Il n’avait aucune raison de l’être, ça n’avait pas de sens. Pourtant, il ne pouvait pas s’empêcher de s’en rendre compte et ne pouvait pas lutter contre ce sentiment.

« Pourquoi souffrais-je ? Pourquoi aurais-je souffert ? Et pourquoi est-ce que je me vois ? » Shi Kun savait poser les bonnes questions afin de ne pas réfléchir inutilement. Pourquoi aurait-il pu souffrir ? Il eut l’impression que là gisait la vraie question, le sens de ce rêve, s’il devait y en avoir un.

« J’étais affamé ? …Oui, parfois, mais… Non, ça ne me rendait pas malheureux. »

« Je dormais dehors ? Mais oui, c’est ce que j’ai choisi et j’en suis toujours satisfait. »

« J’étais seul ? Hah, et tous ceux qui comme moi dormaient dans la rue ? Non, je n’étais pas seul, nous étions et sommes toujours une famille soudée. »

« Ma famille m’avait abandonnée ? Ma vraie famille… »

Shi Kun secoua la tête une fois de plus.

« Non. Impossible. J’ai fait mon deuil et je suis bien conscient que si j’avais dû rester dans une famille capable de faire ça, j’aurais souffert d’une autre forme de malheur. Non, c’était une bonne chose qu’ils m’aient abandonné. Ils ne méritaient pas d’avoir un fils. »

Shi Kun ressentait tout de même que quelque chose n’allait pas. Ce rêve avait un sens ! Il dormait dans la Pagode du Dao, ça avait forcément un lien. Finalement, incapable de comprendre, il se réveilla, dépité.

Après avoir regardé autour de lui, Shi Kun se leva et s’étira. Il lui semblait avoir très bien dormi, peut-être pendant plusieurs heures. Mais dans la pièce, rien n’avait changé. Le tapis crissa lorsque Shi Kun se leva.

Il alla ensuite poser ses mains sur la pierre froide de l’autel en espérant que quelque chose se passe. En vain, naturellement.

« Si c’était si facile, le patriarche ne dirait pas que c’est si difficile. »

Shi Kun tourna en rond encore quelques temps avant de décider qu’il était incapable de comprendre ce qu’il était supposé faire dans cette salle.

« Retournons demander au patriarche. Il saura m’éclairer. De toute façon, il refusera que je sorte bredouille. » Shi Kun soupira et emprunta le couloir pour ressortir de la Pagode. Mais quelle ne fut pas sa surprise quand au bout de quelques instants de marche, ses pas le menèrent à nouveau dans la même salle où il put voir le tapis et l’autel de pierre.

« Quoi ? C’est une formation ? » Shi Kun savait qu’il y avait là une formation magique à l’œuvre parce que c’était toujours le cas chez les cultivateurs. Ils créaient des formations magiques un peu partout pour un oui ou pour un non à droite à gauche et il se demandait même s’ils avaient vraiment besoin de raison valable pour ça ou s’il s’agissait simplement d’une mauvaise habitude.

« Peut-être se contentent-ils de le faire juste pour montrer qu’ils sont forts. » Shi Kun ne les comprenait décidément pas. Cette Pagode du Dao n’avait aucune raison d’être protégée par une formation qui faisait tourner en rond, alors pourquoi y en avait-il visiblement une ?

Il retourna sur ses pas, persuadé qu’il y avait une sortie à cette formation et qu’il l’avait simplement manquée. Mais il revint inlassablement au même endroit, encore plusieurs fois. Au bout du compte…

« Aaah ! J’en ai assez ! » Shi Kun avait envie de s’arracher les cheveux. Il n’y avait vraiment pas de sortie à cette Pagode !

Il s’installa à nouveau sur le tapis et décida que puisqu’il n’y avait rien à faire, il n’avait qu’à attendre qu’on vienne le chercher une fois les trois jours écoulés. Fort heureusement, il avait quelques connaissances hasardeuses sur le monde de la cultivation et sans trop réaliser pourquoi, il savait qu’un dantian de cultivateur pouvait subvenir à tous les besoins biologiques du corps. Trois jours ? Il tiendrait trois jours sans boire ni manger et il était persuadé qu’il existait de toute façon des sécurités dans la Pagode du Dao : s’il devait se trouver mal en point, il serait probablement sauvé.

Shi Kun s’allongea donc à nouveau confortablement, les mains derrière la tête et le regard perdu vers les murs où étaient représentés des milliers de Daos. Au bout de quelques temps, il s’assoupit une fois de plus et à nouveau, le même rêve vint le hanter.

« Encore ? » Cependant, cette fois les choses avaient changé. Il n’était plus ce mendiant en souffrance qu’il avait vu la fois précédente. Il y avait auprès de lui un vieil homme à la robe blanche brodée de dragons azurs, un homme qui dégageait une puissance extraordinaire.

« Le patriarche ? » Shi Kun était quelque per perplexe. Pourquoi voyait-il le patriarche debout près de lui dans sa ruelle ?

Mais plus que tout, au-delà de la puissance incomparable qui émanait de lui, Shi Kun pouvait ressentir un sentiment agréable. Le patriarche ne faisait pas que l’observer, il veillait sur lui et lui souriait, le regard plein d’anticipation.

« Il… Il croit en moi ? Il croit en moi. Oui ! » Shi Kun comprit finalement pourquoi ce sentiment de malheur l’avait submergé auparavant. Il avait été abandonné par sa famille, il possédait certes des amis et une nouvelle famille dans la rue mais ce n’était que superficiel ; ce qui l’avait rendu malheureux, ce qui lui manquait, c’était la confiance qu’on pouvait lui porter !

« Je ne suis plus un pauvre mortel sans importance. Même si ce n’est qu’une seule personne, le patriarche croit sincèrement que je vais y arriver. En ce moment, il place tous ses espoirs en moi, ma réussite revêt une importance pour lui. Mais pourquoi… ? Il ne me connaît pas. Ce ne peut pas être son délire du destin. Il aurait pu choisir n’importe qui. Pourquoi un mendiant comme moi ? »

Plus il réfléchissait, plus il comprenait et autant de nouvelles questions suivaient. Mais quelque part au milieu de cette perplexité chaotique, Shi Kun savait maintenant qu’il ne faisait pas ça pour lui uniquement. Quelqu’un comptait sur lui, peut-être pour la première fois depuis qu’il avait été livré à la rue.

Soudain, il se rappela des derniers mots de son père, alors qu’il n’avait à l’époque pas plus de cinq ans. Les mots qu’il avait prononcés juste avant de l’abandonner.

« Kun’er, je ne t’appellerai plus jamais ainsi désormais. Tu ne fais plus partie de la famille. J’avais placé d’immenses espoirs en toi, j’attendais de toi que tu fasses quelque chose d’immense. Et voilà que ton état m’a déçu au plus haut point. Oui, je te regarde froidement aujourd’hui mais il faut que tu comprennes que dans ma famille, ne pas être à la hauteur des attentes est la plus grande honte. Maintenant, pars. Et ne reviens plus. Je ne suis plus ton père. »

Je ne suis plus ton père. Shi Kun entendait ces quelques mots depuis des années, sans arrêt. Comment un enfant de cinq ans aurait-il pu ne pas être traumatisé par de telles paroles ? Shi Kun savait qu’il trainait ce poids derrière lui depuis tout ce temps et pourtant, il avait toujours tout fait pour enfouir ce sentiment et voilà qu’il venait à nouveau de le frapper de plein fouet.

« Mon Dao est-il lié à ce traumatisme ? » Shi Kun secoua rapidement la tête. « Non. Je ne vis pas pour lui ou pour surmonter cet abandon. Je vis pour moi. »

Il fut cependant incapable de mettre de côté cette fierté et cette chaleur qu’il pouvait ressentir en pensant au patriarche qui attendait sa réussite. Après tout ce temps, quelqu’un croyait enfin en lui à la place de son père !

« Le bonheur, hein ? C’est pour ça que je dois créer mon Dao ? Pour être heureux de satisfaire les attentes du patriarche ? »

Shi Kun se réveilla en sueur mais souriant.

Il venait de comprendre quelque chose d’important.

« Alors c’est pour ça… que je dois créer mon Dao ? Non. Que je veux le créer ! Mon Dao, ma voie ! »

Tandis qu’il réalisait toute l’importance que revêtait ce simple fait, répondre aux attentes de la seule personne qui avait fait pour lui ce qui aurait dû être le rôle d’un père, Shi Kun se leva. Sur l’autel de pierre se trouvait désormais une clé de bronze.

Shi Kun s’en saisit et disparut un instant plus tard. Lorsqu’il réapparut, il se trouvait dans une autre salle, presque identique à la première.

« Quoi ? » Shi Kun regarda la clé qu’il tenait dans ses mains et les mots qui y étaient gravés.

La Raison du Dao.

« La raison ? J’ai compris pourquoi je désirais le créer… Et maintenant ? »

Raka
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