Chapitre 27
La gnôle spirituelle !
Shi Kun revint à la secte, un alambic sous le bras. Les mortels de la ville comme les disciples de la secte le regardèrent passer avec grand étonnement : que faisait un disciple avec un alambic sous le bras, marchant fièrement ainsi ? Ce n’était pas tant l’objet en lui-même ; après tout, les alambics étaient rares mais trouvables. Il s’agissait surtout du fait qu’un disciple n’était pas le genre de personne qu’on allait trouver en train de distiller de l’alcool.
Oui, c’était bien une première, aussi loin que leur mémoire remontait.
« Bien. Installons ça dans la cabane. Il y a la place. Ainsi, personne ne me dérangera ni ne me verra faire. » Shi Kun plaça l’alambic à même le sol terreux, dans la cabane sur sa propriété. Le soleil du milieu d’après-midi brillait dans le ciel et des rais passaient à travers les interstices entre les planches vermoulues.
Shi Kun leva la tête et observa un nuage à travers l’un de ces interstices.
« Bon… Quand il faut y aller… C’est pour mon bien, pour pouvoir mieux me reposer plus tard. » Il se convainquit du bien-fondé de son idée et invoqua la Paresse, qui s’empressa d’apparaître à ses côtés.
« Oh. Un alambic. Tu en as trouvé un. » La tortue semblait satisfaite de Shi Kun. « Maintenant, je vais t’expliquer comment distiller de l’alcool spirituel. Nous allons commencer par les bases et la théorie. »
Tous deux s’installèrent confortablement par terre et la Paresse prit une profonde inspiration.
« Bon. Tu sais ce qu’est l’alcool. Je ne reviendrai pas dessus. Il s’agit d’un liquide produit par la fermentation d’un composé organique, un fruit ou un légume notamment. Il est ensuite séparé dans un alambic afin d’en purifier les composants, et on se retrouve avec un alcool plus ou moins pur. »
Shi Kun hocha la tête. Il savait comment était fabriqué l’alcool. Mais ça ne répondait pas à la question qu’il se posait : comment faire pour faire fermenter des fruits en une seule nuit ? La tortue en vint rapidement au fait.
« L’alcool spirituel est différent. Il s’agit de la distillation du résidu de la fermentation de fruits et de légumes effectué à l’aide de l’énergie spirituelle. Vois-tu, Shi Kun, tu peux te servir de ton énergie spirituelle lors de la fermentation, et le produit s’en imprègne alors. Le processus est long et inutile : de l’alcool simple a les mêmes propriétés si tu veux simplement te plonger dans l’ivresse, et le thé spirituel, concernant les effets magiques, est plus rapide à créer. »
La Paresse fixa Shi Kun afin de s’assurer qu’il écoute bien tout ce qu’elle avait à dire.
« Voilà pourquoi les cultivateurs, tu as dû l’entendre, se désintéressent de l’alcool spirituel. Mais… Je vais t’apprendre une façon de faire, qui me vient tout droit de l’un de mes frères, ha ha… Un spécialiste, lui, je te le dis. Je suis persuadé que personne ne la connait… »
« Une technique ? » Shi Kun ne comprenait pas de quoi il s’agissait et s’en montra curieux.
« Oui, une technique. » La tortue acquiesça paresseusement. « Elle permet de faire pourrir un corps organique à une vitesse folle. Grâce à elle, tu pourras créer un distillat fermenté en quelques heures alors que tu devrais avoir besoin normalement de plusieurs semaines. Voilà pourquoi je t’ai dit que tu aurais assez de temps pour le faire. »
« Ohhh » Shi Kun comprit alors parfaitement où la conversation les menait. Il allait obtenir une technique afin de créer de l’alcool spirituel à une vitesse fulgurante. Il s’apprêtait déjà à remercier la tortue lorsqu’elle rouvrit la gueule.
« Mais fais attention. Même si cette technique n’est pas puissante, il s’agit tout de même d’activer rapidement les bactéries et autres organismes responsables de la fermentation. En quelques sortes, c’est une maladie. Et si ta distillation se passe mal, cette maladie se retrouvera dans ton alcool. »
Shi Kun resta bouche bée. La Paresse quant à elle ferma les yeux, fière d’elle. Elle attendait que Shi Kun se décide à lui demander de lui enseigner cette fameuse technique. Finalement, il reprit la parole.
« Est-ce que cela signifie que je vais créer un alcool contaminé ? »
La Paresse secoua la tête. Elle s’attendait un peu à cette question et avait déjà une réponse toute prête.
« Ce n’est pas si simple. L’alcool spirituel fonctionne comme le thé spirituel. Lors de la distillation ou de l’infusion, il faut être vigilant et maîtriser le processus à la perfection. Cela nécessite un degré de connaissance incroyable, tu sais. La plupart des thés spirituels que tu trouveras, surtout dans une secte comme celle-ci, seront très impurs. Ils seront contaminés par des éléments inutiles ou néfastes des plantes. Par exemple, un thé spirituel classique, que tu peux te procurer facilement, aura un taux d’impureté avoisinant les 80%. Ces impuretés sont alors stockées dans le corps et évacuées lors des percées futures. »
Shi Kun fronça les sourcils.
« Alors c’est pareil pour l’alcool spirituel ? S’il reste des impuretés, il sera un alcool bas de gamme ? Mon corps va stocker des éléments contaminés et s’en débarrasser lorsque j’effectuerai une percée ? »
« C’est tout à fait ça. Tu as bien saisi la chose. Tu ne sais rien de l’alcool spirituel ni de la façon dont il faut manipuler l’alambic lors de la distillation, alors ne t’attends pas à faire des merveilles. Mais comme je te l’ai dit, tu auras de l’alcool spirituel. »
Shi Kun hocha la tête, déterminé. S’il fallait en passer par là, alors il le ferait. Mais quelle était donc cette technique et d’où venait-elle ?
« Je vais le faire. Quelle est cette technique ? » Shi Kun tenta de paraître le plus assuré possible – et pour cause, il l’était vraiment. Il allait tout miser sur cet alcool spirituel, toute sa vie paisible future.
« Viens par ici. Devant l’alambic. Oui, voilà. Installe-toi juste ici. » La tortue plaça sa patte sur la tête de Shi Kun et continua de lui expliquer la chose tandis qu’une lumière émanait de son contact.
« Utilise cette technique après avoir placé les fruits dans le bac de fermentation. Ah, il faut que ces fruits soient des fruits spirituels, naturellement, sans quoi ils ne s’imprègneront pas de l’énergie spirituelle que tu vas utiliser. »
Shi Kun enregistrait la technique dans son esprit. Elle s’y déversait comme un torrent d’informations qu’il ne pourrait plus jamais oublier.
« Alors c’est donc ça… Je vois. » Naturellement, lorsque Shi Kun avait percé au 1er niveau de la maîtrise du qi, il avait appris de façon automatique comment malaxer son qi, le faire circuler et l’utiliser. C’était devenu aussi naturel que la respiration. Son emprise sur son qi n’était cependant pas parfaite mais elle le deviendrait à mesure de sa progression vers le 10ème niveau de la maîtrise du qi.
Shi Kun attrapa quelques pêches spirituelles qui lui restaient de son dernier achat et les plaça dans le bac a fermentation. S’il avait voulu créer de l’alcool, avec de simples fruits ou des fruits spirituels, la façon de faire aurait été la même : patienter pendant plusieurs semaines. Il en serait alors sorti un alcool de pêche, prisé des gourmets.
Mais ce n’est pas ce qu’il voulait faire à ce moment.
Shi Kun se concentra et fit un geste d’incantation des deux mains et une légère brume noire vint se concentrer sur les pêches. La technique nécessitait qu’il reste ainsi, concentré sur sa tâche, jusqu’à fermentation complète. Cela devait prendre la majeure partie de la journée et de la nuit mais Shi Kun avait de l’expérience dans l’inaction. Il s’installa donc jambes croisées et resta concentré sur son travail.
« Je suis paresseux, pas incapable. » Il chercha à se justifier à qui voulait bien l’entendre ; évidemment, même la Paresse n’était plus là. Il avait besoin de toute son énergie pour la préparation de l’alcool spirituel et ne pouvait pas se permettre d’en dépenser plus que nécessaire. De fait, il avait donc renvoyé son invocation après lui avoir soutiré toutes les informations nécessaires à son œuvre.
Le brouillard noir concentré sur les pêches spirituelles les rendait invisibles aux yeux de Shi Kun. Mais il savait quel était son effet réel : sa technique avait donné naissance à une énergie capable d’activer le processus naturel de fermentation puis de l’accélérer plusieurs dizaines de fois.
Au bout de deux heures, Shi Kun calcula la quantité d’énergie dont il disposait dans son dantian. Comme la Paresse l’avait prédit, il pourrait tenir ainsi jusqu’au lever du soleil, après quoi il devrait récupérer, en dormant ou en consommant un thé spirituel capable de restaurer son énergie.
Lorsque la moitié de la nuit fut passée, il avait déjà les yeux injectés de sang. Il rêvait de pouvoir arrêter et aller dormir. À ce moment, il aurait pu tuer pour ça. Mais à chaque fois qu’il était sur le point de craquer, il repensait à tous ces disciples qui le regardaient avec violence et haine.
« Il faut que je continue, il faut que je continue ! J’ai besoin de cet alcool spirituel ! » Voilà ce que Shi Kun se répéta au moins une centaine de fois durant la nuit et ce fut la seule raison qui le poussa à continuer sans lâcher prise malgré l’envie extravagante de tout abandonner. C’était sa seule porte de sortie.
Il s’était engagé dans une mission durant laquelle il craignait pour sa vie et il s’agissait là du seul moyen mis à sa disposition pour survivre à une horde de disciples enragés pour une raison inconnue.
« Cet alcool est à moi. » Mais même alors, il n’était pas certain que de l’alcool spirituel allait être capable de créer l’énergie nécessaire à sa cultivation. Cela dit… Il était obligé de parier sur cette possibilité.
« L’alcool normal m’a permis de cultiver jusqu’à un stade où mon corps n’est déjà plus celui d’un mortel. Maintenant que je ne suis plus un simple mortel, l’alcool n’est plus suffisant. Il faut que ça fonctionne… » Shi Kun passa autant de temps à espérer et prier pour la réussite de son œuvre qu’à insulter le patriarche dans son cœur.
Finalement, le soleil se leva et Shi Kun arriva à bout de souffle. Son énergie spirituelle était épuisée et il ne parvint pas à maintenir plus longtemps la pression nécessaire sur le brouillard noir, qui se dissipa rapidement comme s’il n’avait jamais existé.
Dans le bac à fermentation, les fruits étaient si pourris comparés à la veille qu’on aurait pu croire qu’ils avaient passé plusieurs mois à l’intérieur.
« Alors ça a vraiment marché… » Shi Kun était sidéré. Jusqu’au bout, il avait craint que la technique que lui avait enseignée la Paresse ne fonctionnerait pas comme prévu ; mais ce qu’il avait sous les yeux était une preuve suffisante.
« Bien. Maintenant, si je me fie à ce dont on a discuté, il faut que je lance la distillation. » Shi Kun alluma un feu sous l’alambic et rapidement, le verre chauffa en rougeoyant légèrement. Le liquide issu de la fermentation des pêches spirituelles se mit peu à peu à frémir, et Shi Kun dut ajuster la température des flammes afin de ne pas faire bouillir la mixture. Il ne fallait en tirer que l’alcool, et un minimum d’impuretés.
« Le liquide est déjà empli de mon énergie spirituelle… Je suis si fatigué. » C’était la première fois que Shi Kun était aussi épuisé. Il aurait tout donné pour pouvoir dormir mais il devait veiller sur la distillation. Si quelque chose se passait mal, tout ce qu’il avait fait serait vain.
Petit à petit, les minutes puis les heures s’écoulèrent lentement. La fiole en sortie de l’alambic se remplit, une goutte après l’autre, d’un liquide trouble et incolore. Lorsque finalement plus rien n’en sortit, le soir tombait. Shi Kun avait réussi à veiller sur le feu toute la journée et son cerveau était sur le point de lâcher prise.
Lorsque Shi Kun se rendit compte que la distillation était terminée pour de bon, il éteignit le feu, et puisqu’il fallait de toute façon laisser refroidir l’alcool spirituel, il s’effondra sur place et s’endormit à même le sol.
La journée était passée tandis qu’il avait veillé sur le feu et le soleil se couchait déjà. Shi Kun ouvrit les yeux peu de temps après. Son énergie spirituelle n’était pas encore revenue et à défaut d’avoir pratiqué quelques exercices de respiration, seule une petite partie de son dantian avait vu l’énergie spirituelle se régénérer de façon naturelle.
Il leva immédiatement les yeux en direction de la fiole d’alcool spirituel.
« Je pense que c’est froid, maintenant. » Il tendit la main et comme il s’y attendait, elle était parfaitement refroidie. « Le moment de vérité, mon pote. »
Il porta la fiole à son nez et en huma l’arôme. Une forte odeur d’alcool et des effluves de pêche se mélangeaient divinement dans ses narines. Il se surprit à saliver plus que de raison.
« Mon propre alcool… J’ai fabriqué mon propre alcool… » Shi Kun n’en revenait toujours pas. Il y avait mis une quantité d’efforts considérable mais il avait créé son alcool bien à lui ! « Je vais lui donner mon nom. Non, attends. Plutôt, un nom divin. Ou un nom grandiose, rappelant les grandes batailles passées et à venir, comme celle que j’ai menée durant toute la nuit… »
Finalement, par manque d’inspiration et par flemme de chercher plus que de raison, il invoqua la Paresse pour lui demander son avis.
« Eh, qu’en penses-tu ? Comment devrais-je appeler cet alcool ? »
La tortue observa la fiole posée sur la table, en renifla l’odeur, tourna autour afin d’en observer les reflets et se saisit même de la fiole pour faire tournoyer l’alcool spirituel à l’intérieur et en comprendre la composition. Pour une fois, elle avait vraiment l’air sérieuse.
« Cet alcool spirituel… Shi Kun… Tu l’as distillé toi-même, n’est-ce pas ? As-tu bien utilisé la technique de fermentation accélérée que je t’ai apprise ? »
« Oui. » Shi Kun hocha la tête, fier de lui. Il avait tout fait tout seul. « C’est mon œuvre. Une vraie réussite, n’est-ce pas ? »
La tortue tourna la tête, incrédule. Elle finit par la secouer, lentement.
« Cet alcool spirituel est vraiment horrible. C’est un vrai déchet. Je constate plus de 98% d’impuretés. Même lorsque j’étais un débutant en la matière, j’ai fait mieux que ça. »
« Un… déchet ? » Shi Kun prit une immense claque dans la face. Il avait un niveau inférieur à celui d’un débutant ? « C’est un déchet… ? Mais c’est la toute première fois que je distille de l’alcool spirituel ! Je m’améliorerai ! Et puis, on ne va pas gâcher de l’alcool, même si uniquement 2% de son contenu me sera utile. »
« … » La Paresse ne sut que répondre à ça. Elle haussa les épaules. « Je t’ai prévenu. »
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