Chapitre 43
Dans le Gouffre
L’entrée du Gouffre insondable était située dans les montagnes, plus loin à l’est. Pour s’y rendre, il fallait naturellement quitter la ville et Shi Kun n’avait jusqu’à présent pas une seule fois mis les pieds hors de son enceinte. Il ignorait totalement à quoi ressemblait le monde et pour tout dire, il s’en fichait un peu.
Ceci dit, le patriarche s’apprêtait à l’emmener loin de la ville et Shi Kun était légèrement apeuré par ce qui allait l’y attendre.
« Patriarche… Pouvons-nous réellement y aller tout de suite ? N’est-ce pas dangereux ? » Pendant le vol, Shi Kun ne put s’empêcher de reposer la question encore et encore. Mais le patriarche n’y répondit pas plus d’une fois et laissa les autres interrogations flotter dans les airs. Après tout, il était là avec Shi Kun et rien ne pouvait lui arriver.
Tous deux volaient en direction de la chaine de montagne qui arriva bientôt en vue. Ils avaient parcouru un trajet si long que si Shi Kun voulait rentrer à pied, il devrait sans doute marcher pendant de longs mois sans s’arrêter. Désormais, il ne dépendait plus que du patriarche.
« Patriarche… » Finalement, après avoir posé le pied au beau milieu de la montagne, Shi Kun lui adressa à nouveau la parole. « Et si je me perds ? Si vous m’oubliez ? Comment vais-je rentrer ? »
Le patriarche lui tapota l’épaule d’un air amusé.
« Allons… Penses-tu réellement que je vais abandonner un disciple si prometteur ainsi que la sacoche spirituelle si rare que je lui ai confiée pour garantir son avenir ? »
Shi Kun se mit à réfléchir une fois de plus. Le vieux renard disait vrai. Il lui avait prêté une sacoche spirituelle dont Shi Kun ne parvenait pas à observer le fond même en l’explorant à l’aide de son sens spirituel pendant plus de temps qu’il ne fallait à un bâton d’encens pour brûler. Elle était vraiment digne d’appartenir à un patriarche et il ne la laisserait certainement pas perdue dans la nature. De plus, il y avait placé une formation lui permettant de la retrouver lorsqu’il le désirerait.
Shi Kun se rassura finalement avant de poser une autre question.
« Où est ce Gouffre insondable rempli de fruits spirituels rares qui n’attendent que moi ? »
Le patriarche leva les mains au ciel.
« Quelle impatience. Mais c’est une bonne chose. Tu as entamé le long chemin de la cultivation en retard et il faut que tu rattrapes tout ça. Tu fais preuve de détermination et j’aime ça. »
Il se tourna alors vers un petit bosquet d’arbres touffus et fit un geste de la main. Le feuillage vibra et miroita avant de s’écarter pour laisser la place à une légère fissure dans la réalité. C’était comme lorsque la Paresse était entrée dans le monde des cultivateurs : on aurait dit l’entrée vers une autre dimension.
« Voici l’entrée du Gouffre insondable. Il s’agit, comme je te l’ai expliqué, d’un royaume dimensionnel. C’est un monde miniature situé en marge du notre et dans lequel on peut entrer par cette fente. »
Shi Kun fronça les sourcils.
« Vous êtes certains que l’on ne peut pas y entrer sans avoir gagné ce tournoi ? On dirait bien que n’importe qui le peut, rien qu’en s’en approchant. Ce Gouffre ne m’a pas l’air fermé. »
Le patriarche secoua la tête.
« Il est ouvert parce qu’il a reconnu ton arrivée. Dans tous les autres cas, il serait fermé et nous ne le verrions pas. Même moi, j’en serais incapable. D’ailleurs, je ne m’approcherai pas plus que ça ou il se refermera de lui-même jusqu’à l’an prochain, lorsqu’un nouveau gagnant apparaîtra. »
« Oh… Je vois… » Shi Kun comprit immédiatement de quoi il s’agissait. Il était celui autorisé à y pénétrer et même le patriarche ne le pourrait pas s’il essayait.
« Tu as trois jours. Dès que tu auras franchi l’entrée, le compte à rebours sera lancé. Désires-tu y entrer maintenant ? »
Shi Kun secoua la tête à son tour. Il n’était pas totalement rassuré.
« Vous avez dit qu’il y avait un labyrinthe de grottes dans ce Gouffre insondable. Puis-je vraiment m’y perdre sans crainte afin d’y trouver les jardins et les vergers spirituels ? »
« Oui. Tu n’as pas à nourrir de craintes, le Gouffre te rejettera au bout de trois jours. Tu ne peux y résister. Après tout, ce royaume dimensionnel a été créé par un ancien cultivateur extrêmement puissant et même moi suis incapable de lui imposer ma volonté. Il te trouvera lorsque le moment sera venu. »
Shi Kin acquiesça.
« On ne sait pas qui l’a créé ? Pourquoi nous appartient-il ? » Finalement, il posa encore une dernière question, poussé par un instinct de protection plus que par la curiosité. Plus il en savait, mieux il se sentait.
« On ne le sait pas, non. Mais je peux dire que celui qui l’a créé l’a fait il y a bien longtemps et peut-être n’est-il même plus en vie aujourd’hui. Il était bien plus puissant que moi, pourtant… Pourquoi en avons-nous le contrôle, demandes-tu ? Ce n’est pas un secret. Le patriarche qui a créé ce tournoi et la formation qui y est liée était lui aussi plus puissant que moi, même si ce n’était de beaucoup. Il est celui qui a découvert le Gouffre protégé par des formations servant à le cacher du monde à cette époque ; il a lié cette formation à son ouverture après avoir conclu que ce royaume était une bonne fortune pour notre secte de la Porte Azure. »
« Oh… » Shi Kun avait en revanche arrêté d’écouter quelque part entre les comparaisons de puissance dont il se fichait et les formations servant à cacher le Gouffre. Il hocha tout de même la tête et bâilla sans s’en rendre compte.
« Bon. Je crois qu’il est temps. »
« Shi Kun. Une dernière chose. » Le patriarche Destinée arrêta Shi Kun qui avait déjà fait un pas en avant. « Prends cette carte. Je sais que tu n’es jamais sorti de notre ville, et s’il devait, par le plus grand des hasards, t’arriver quelque chose… Tu sais, les formations ont parfois la mauvaise habitude de téléporter les cultivateurs un peu partout dans le monde. Si tu te retrouves vraiment trop loin, je ne pourrai pas te localiser facilement et tu devras revenir par tes propres moyens. »
Le patriarche sortit un parchemin de sa robe et le tendit à Shi Kun, qui l’attrapa et l’observa.
« Vois-tu, notre préfecture de Jiaoju se trouve ici. Il s’agit de cette petite préfecture, à l’ouest. Si tu suis les rivières qui nous viennent de la montagne impériale, tu pourras voir les deux préfectures majeures, auxquelles notre préfecture mineure doit respect et allégeance. Ils te regarderont toujours de haut, mais ne te laisse pas avoir : tout ce qu’ils cherchent en général, c’est se faire provoquer pour avoir une bonne raison de répliquer. »
Shi Kun hocha la tête. Alors comme ça, il pouvait être téléporté très loin de sa ville natale lorsque les trois jours seraient écoulés ? Il espéra de tout son cœur que ça n’allait pas être le cas. Faire un long voyage de retour serait sans doute la chose la plus exténuante qu’il aurait eu à faire dans sa vie. Et puisqu’il devait rendre cette sacoche spirituelle au patriarche, au fond de son cœur, il se sentait obligé d’y revenir même s’il réapparaissait à l’autre bout du monde.
Il fourra la carte dans sa sacoche spirituelle et n’y pensa plus. Tournant la tête en direction de l’entrée du Gouffre, il plissa les yeux pour observer ce qui se trouvait de l’autre côté de la faille.
« Il fait sombre. Ce sont des grottes ? » Aussitôt la réflexion ayant traversé son esprit, il s’avança avant de se retourner vers le patriarche une fois assez près de la faille pour la toucher de ses doigts. Il s’inclina et salua le patriarche, les mains rassemblées devant lui.
Puis il fit nonchalamment demi-tour et se laissa aspirer par la fissure dimensionnelle, qui se referma derrière lui.
De son côté, le patriarche hocha la tête, satisfait. « De toute façon, il ne maîtrise pas son qi. Il n’arrivera jamais à vider le moindre champ de fruits spirituels. Qu’il tombe en premier sur les fraises spirituelles ou sur les pommes spirituelles, il y passera trois jours et n’en aura pas récolé dix pourcent. Non, il ne lui arrivera définitivement rien. »
**
Shi Kun marchait depuis un certain temps maintenant. Un, deux ou trois bâtons d’encens auraient pu brûler et il parcourait encore cette grotte sombre et humide. À plusieurs reprises, il avait choisi de tourner à un embranchement plutôt qu’à un autre et même s’il savait qu’il sortirait trois jours plus tard quoi qu’il arrive, il ne pouvait s’empêcher de se sentir mal à l’aise.
« Je n’ai toujours pas trouvé ces jardins de fruits spirituels. Le patriarche ne m’aurait pas menti, tout de même ? »
Il lui fallut encore un long moment avant de finalement observer des changements dans la structure de la roche. Celle-ci devenait plus lisse, et sa couleur bleutée et très sombre commençait à s’éclaircir. Quelques stalactites pendaient encore au-dessus de sa tête de temps à autre, mais bientôt, il n’en vit plus aucun.
« Cette grotte est vraiment étrange. Oh, une salle ? » Alors qu’il commençait à perdre patience, il arriva dans une immense salle, une pièce naturelle circulaire dont le sommet du plafond en dôme était percé d’une ouverture qui laissait passer la lumière du jour.
« Il y a un soleil dans cette dimension ? N’était-ce pas une dimension miniature ? » Shi Kun ne comprenait pas quelle magie était à l’œuvre et s’en désintéressa aussitôt la question posée. Ce qu’il voyait devant lui suffisait à lui faire oublier tous ses autres tracas.
« Un jardin spirituel ! » Aussi loin que son regard pouvait percer, un parterre de ce qui ressemblait à des fraises spirituelles s’étendait dans toutes les directions. Il y en avait sans doute des dizaines de milliers à ramasser. Jamais il ne pourrait en faire le tour en trois petits jours !
« Il faut que j’essaye ! » Shi Kun prit une forte résolution et inspira un grand coup. Il commença à se baisser pour ramasser quelques fraises spirituelles et se rendit compte au bout de quelques instants que sa méthode n’était pas bonne.
« Je n’aurai jamais fini et je vais me faire mal au dos. » Il se souvint alors de choses que faisaient les cultivateurs et qui leur permettaient d’attirer à eux des objets lointains. « Puis-je faire comme eux, désormais ? »
Shi Kun balaya l’air de sa main mais rien ne se passa. Il se concentra alors légèrement, imaginant les fraises spirituelles venir à lui et répéta le mouvement en vain. « Quel est le problème ? Ne suis-je pas assez puissant pour faire venir à moi de vulgaires fruits spirituels ? »
Il tenta encore plusieurs fois mais finit par devoir se résoudre à accepter la dure réalité : il n’y arriverait pas. Seulement, il ne fallait jamais sous-estimer la ruse d’un flemmard.
« Incarnation de la Paresse… »
La réalité se déchira et la tête de la Paresse sortit de son trou. Après un léger tour d’horizon, elle comprit sans un mot où voulait en venir Shi Kun.
« Oh, tu souhaites ramasser toutes ces fraises spirituelles mais tu ne sais pas comment faire, n’est-ce pas ? Non, ne réponds pas, je m’en doutais. »
Shi Kun hocha tout de même la tête en silence.
« Bien. J’ai une sieste à terminer alors on va faire ça vite. Je sens que tu ne me laisseras pas tranquille sinon. » La Paresse effectua un geste de son énorme patte et un gigantesque vortex invisible, que Shi Kun pouvait sentir uniquement par le déplacement de l’énergie spirituelle tout autour de lui, fit vibrer l’espace.
Rapidement, les fraises spirituelles se détachèrent du sol et telle une vague vivante, l’effet se propagea jusqu’à perte de vue. C’était la méthode la plus efficace qu’avait pu voir Shi Kun jusqu’à présent pour récolter les produits de la terre.
« Les fermiers mortels devraient embaucher des cultivateurs pour faire ça… » Shi Kun se perdit quelques secondes dans ses pensées mais constata rapidement que toutes les fraises spirituelles arrivaient vers lui à une vitesse folle. Il se hâta alors d’ouvrir sa sacoche spirituelle et elles furent toutes attirées en son sein, tel un flot continu, une cascade rouge et aux arômes fruités.
En à peine autant de temps qu’il en fallait pour respirer dix fois, l’ensemble de tous les fruits spirituels qui se trouvaient dans la pièce juste avant se déplacèrent tous vers la sacoche spirituelle de Shi Kun.
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Haha ce cheat de l’espace. Vu l’attitude du patriarche je sens qu’à force de récolter les fruits il va déclencher quelque chose de néfaste. On parle de Shi Kun tout de même, impossible que tout se passe correctement 🙂
Merci pour le chapitre Raka 🙂
Merci pour ce chapitre.
Merci pour le chapitre
Merci pour le chapitre
Merci pour le chapitre
Merci pour le chapitre
Hahahahahaha
En effet la sacoche ne risque rien dans la grotte. Mais si la dimension s’est téléporté pendant ce temps, je ne donne pas cher de la sacoche quand il va sortir x)
Merci pour le chapitre !
On avait déjà une nouvelle mesure d’unité de temps : le baton d’encens, maintenant on a sa subdivision : la respiration. 🙂
Ce qui est fou, c’est que ça devient des jours et des semaines. Je me suis toujours demandé à quel moment ces mesures chinoises médiévales rattrapaient nos mesures contractuelles.
« Il n’arrivera jamais à vider le moindre champ de fruits spirituels » Raté et dès le premiers champ. Hahaha la créatures qui détient ce champ ne va pas être contente ^^
Merci pour le chapitre !
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Merci pour ce chapitre