TheDAB : Chapitre 55
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Chapitre 56

 

« Quoi ? Cette pierre ? » Shi Kun reprit ses esprits lorsque le doyen le rappela à l’ordre. « Elle a quoi, cette pierre ? »

Interloqué par le fait que ce gamin possède un objet si puissant et en même temps de plus en plus convaincu qu’il avait vu juste quant à ses origines, ce dernier secoua la tête avant de lui expliquer calmement.

« C’est un éclat d’éther. Un objet rare qui nous provient des cieux. On n’en trouve pas beaucoup dans le monde et son tranchant est si efficace qu’il permet de sectionner la réalité elle-même lorsqu’on sait comment s’en servir ! » Avant même que Shi Kun n’ait pu se défausser de l’objet en question, le doyen l’attrapa avec précaution : un faux mouvement et il risquait de perdre sa main et de se retrouver avec une blessure que les plus grands médecins auraient un mal fou à simplement faire cicatriser.

Il brandit alors la pierre devant lui et y injecta le peu de qi qu’il put rassembler. C’était néanmoins suffisant pour activer les pouvoirs intrinsèques à la pierre, qui se mit à briller de couleurs encore plus vives et brillantes que celles du monde qui les entourait.

« Tu es sûr de ce que tu fais ? » Shi Kun ne cacha pas son inquiétude. Après tout, le doyen était à court de qi et tentait malgré tout d’utiliser un objet qu’il prétendait d’une puissance inouïe. Si quelque chose devait mal se passer, il ne faisait aucun doute que ce serait pire que ce que Shi Kun imaginait.

Pour toute réponse, le doyen leva les yeux et fixa un point invisible, droit devant lui. Les couleurs qui dansaient sur le tranchant de la pierre se condensèrent en une myriade de lucioles bariolées qui voletèrent l’espace de deux souffles avant de se rassembler pour former un fil d’énergie pure qui ressemblait fortement à une immense lame, de plus de trois mètres de long. Cette lame se comporta comme l’extension directe de la pierre et le doyen esquissa l’ombre d’un mouvement vers l’avant, juste assez pour sembler vibrer légèrement.

Un bruit assourdissant retentit alors. Une ouverture se dessina dans les airs, une déchirure encore plus nette que tout ce que Shi Kun avait pu voir jusqu’à ce jour : on aurait dit qu’elle avait été sectionnée avec un fil aussi tranchant que mortel et sa section était parfaite, une véritable feuille de réalité qui se détacha lentement du monde pour flotter et finalement retomber mollement au sol.

Pendant un instant, tous deux cessèrent de bouger et observèrent ce trou carré qui s’était formé devant eux, à moitié impatients de sortir de là mais méfiants malgré tout. Nul ne savait ce que ce monde pouvait encore leur réserver comme surprises et ni l’un ni l’autre n’osa s’avancer pour faire le premier pas vers la liberté.

Finalement, ils échangèrent un regard, ce genre de regard capable de dire tout ce qui devait être dit sans avoir besoin de bouger les lèvres. Le doyen hocha la tête et se jeta en avant pour disparaître à travers l’ouverture nouvellement créée.

« Il faut sortir d’ici, peu importe où nous allons arriver ! » Juste avant d’échapper à la vue de Shi Kun, il lui adressa un dernier mot, comme s’il l’enjoignait à le suivre sans plus attendre. Shi Kun, quant à lui, se gratta la tête en se demandant si c’était vraiment une bonne idée. Après tout, il ne savait rien de ce caillou et de la façon dont il fallait s’en servir : ne risquait-il pas de les amener dans un endroit réellement dangereux ?

Shi Kun voulut peser le pour et le contre : visiblement, cette ouverture n’avait pas l’air de vouloir se refermer et elle semblait si stable, installée là comme s’il s’agissait de sa place naturelle, comme si… comme si rien au monde n’aurait pu l’en déloger même avec tous les efforts nécessaires.

« Hmm… Peut-être que si je regarde à trav… » Shi Kun commença à imaginer observer l’autre côté, qui de là où il se trouvait n’était qu’une lumière au travers de laquelle on ne pouvait rien distinguer. Cependant, alors qu’il s’apprêtait à s’en approcher calmement pour en comprendre les subtilités, l’ouverture vibra légèrement. Elle ondula telle un plan d’eau soudain perturbé par un pétale qui s’y serait déposé.

« Oh… Je crois que ça ne me dit rien qui vaille… » Shi Kun sentit un frisson parcourir son dos. Quelque chose lui criait dans sa tête, dans son âme, dans son corps. Il fallait qu’il bondisse en avant et qu’il passe à travers ce passage : il n’allait pas faire long feu et dans son dos, Shi Kun pouvait sentir une présence, le genre de sensation qui disait clairement que la mort était à deux pas.

Une mort implacable, une extermination sans aucun jugement, sans aucune réflexion et sans aucune chance d’espoir. Un quelconque miracle n’arriverait pas s’il se laissait happer ou qu’il prenait simplement le temps de se retourner.

Il y avait finalement quelque chose dans cette forêt étrange et colorée, dans ce royaume miniature, et cette chose s’était réveillée. Elle avait faim, ou soif, ou peut-être désirait-elle simplement chasser et tuer. Quoi qu’il en fût, Shi Kun n’eut même pas le temps d’y penser et son instinct s’empara de lui avant qu’il ne le réalise.

Il bondit en avant, de la sueur froide dégoulinant le long de son visage, dans sa nuque et sur ses membres. Il bondit pour sa vie. Pour son âme. Pour son existence dans le passé, le présent et le futur. Voilà l’impression qu’il eut à ce moment précis. Un seul instant d’hésitation et il cesserait d’exister pour de bon.

Au moment où Shi Kun passa à travers l’ouverture découpée dans la réalité, il entendit un hurlement, juste derrière lui. Froid, bestial, furieux et irréfléchi, voilà ce que ce cri racontait. Shi Kun sentit quelque chose, une main ou un sens spirituel peut-être le frôler de si peu juste alors qu’il passait de l’autre côté de la lumière.

D’un seul coup, tout s’arrêta. Le silence s’empara des lieux, un silence si complet que Shi Kun put entendre son propre cœur battre la chamade, violemment et sans faire mine de vouloir s’arrêter.

Dans son dos, il ne sentait plus rien. La présence avait disparu, la sensation critique avec elle. Le hurlement n’était qu’un souvenir étrange et malsain et Shi Kun n’osa pas se retourner, pas même bouger ; il ne se risqua même pas à rouvrir les yeux qu’il avait fermés par réflexe lors de sa fuite désespérée.

Au bout d’un temps dont il ne put saisir la consistance, une voix le rappela à ses sens.

« Eh… Est-ce que ça va ? Ce monde dans lequel nous sommes… C’est encore plus étrange. » Shi Kun ouvrit les yeux et vit le doyen qui lui parlait. Ce dernier était particulièrement calme, comme s’il n’avait jamais rien ressenti de ce qui s’était passé un peu plus tôt. Peut-être était-ce le cas, après tout.

« Regardez, Votre splendeur. Nous sommes sur un océan de lumière. Il n’y a rien. Absolument rien d’autre que de la lumière. » Le doyen continua à décrire la situation à Shi Kun, qui osa enfin regarder ce dont il s’agissait.

Autour de lui se trouvait en effet un océan blanc comme la lumière et qui s’étendait jusqu’à perte de vue. Pas de ciel, pas de terre, tout n’était que lumière. Étrangement, Shi Kun parvenait malgré tout à distinguer l’horizon et ses yeux ne le faisaient absolument pas souffrir.

« Nous marchons sur un océan de lumière ? » Shi Kun ne s’étonna pas de l’étrangeté des lieux. Non, ce qui l’amusait et le choquait était cette sensation particulière : sous ses pieds se trouvait quelque chose de liquide mais qui lui permettait de se déplacer librement comme s’il se trouvait sur la terre ferme. « Est-ce que je peux me coucher dessus également ? Ça m’a l’air drôlement confortable. »

Le doyen esquissa une grimace en entendant Shi Kun parler ainsi mais se souvint qu’il avait affaire à un proche de l’Empereur, un jeune cultivateur issu d’une puissante famille et probablement d’une secte recluse de la Montagne Impériale. Pire que ça, il était sans doute le fils du patriarche ! Le doyen ne pouvait en aucun cas se permettre de lui manquer de respect.

Shi Kun sentit un nouveau frisson lui remonter le long de la colonne, relent tardif de ce qui lui était arrivé plus tôt. Il sentait qu’il venait vraiment de passer à côté d’une extermination la plus totale, le genre de mort qui l’aurait peut-être complètement effacé de l’histoire tant elle semblait critique.

Il trembla légèrement mais se reprit. Tout ça était passé et la présence ne les avait pas suivis. Quoi que ç’avait pu être, si la chose qui dégageait cette pression et ce sentiment d’urgence extrême avait voulu les poursuivre, Shi Kun était persuadé qu’elle l’aurait fait.

« Finalement, peut-être était-ce simplement une chose qui gardait son territoire… L’a-t-on offensée en découpant son monde ? » Shi Kun se mit à réfléchir à voix haute, provoquant la curiosité du doyen.

« Pardon ? Mais de quoi parlez-vous ? » Il s’était mis à le vouvoyer depuis un moment. Depuis l’instant où il avait réalisé sa vraie nature, en réalité. De telles origines ne pouvaient être traitées à la légère et il devait montrer le plus grand respect.

Shi Kun, de son côté, ne nota même pas le changement et s’en fichait bien royalement. Il avait été traité de toutes les façon possibles – sauf les respectueuses – depuis tant d’années qu’un léger changement dans la façon de parler d’une personne passait complètement inaperçue.

« Non. Ce… Ce n’est rien. » Il secoua malgré tout la tête pour répondre à l’interrogation du doyen. « Maintenant que nous sommes là, il faut aller où ? On va faire quoi ? »

Le doyen regarde encore une fois autour de lui avant de prendre son menton dans sa main tout en fronçant les sourcils.

« Il y a quelque chose qui ne va pas. C’est… C’est un monde inconnu, et en même temps… Je ne sais pas quoi, mais quelque chose m’a l’air… familier. »

« Familier ? » Shi Kun nota la particularité et chercha à en savoir plus. Peut-être pourrait-il trouver une solution afin de sortir de là. Après tout, ne possédait-il pas une sacoche spirituelle étrangement emplie de tout un tas de trésors laissés par le patriarche afin de faciliter son voyage de retour ?

« Ne peut-on pas encore une fois utiliser la pierre pour aller voir ailleurs ? Si l’on fait ça encore et encore, on finira par sortir pour de bon, n’est-ce pas ? »

Le doyen écouta Shi Kun rêver à voix haute et secoua la tête.

« La pierre est tombée de l’autre côté. Je… J’étais épuisé et je… l’ai lâchée. Désolé. »

Le doyen s’attendait à ce que Shi Kun décrète une mise à mort immédiate ou peut-être un bannissement mérité du monde de la cultivation par une destruction du dantian. Il était persuadé qu’il allait se faire punir pour la perte d’un fragment d’ether qu’ils ne pourraient plus jamais récupérer ; et quelque part, il estimait le mériter.

« Eh ? Dommage. » Mais Shi Kun leva simplement les sourcils et se résigna à la perte d’un objet dont il ne connaissait finalement pas du tout la valeur réelle. Un objet rare ? Les cultivateurs ne tombaient-ils pas sans arrêt sur ce genre d’objet en poursuivant leur bonne fortune ? Un de plus ou de moins, Shi Kun en trouverait d’autres. Voilà ce qu’il se disait.

Le doyen faillit défaillir en voyant Shi Kun réagit si nonchalamment. Ce dernier lui pardonnait la perte d’un trésor sans prix, juste comme ça ? C’était inconcevable. Personne, absolument personne au monde ne pourrait être si bon. Le doyen en était persuadé. Pourtant, il avait face à lui la preuve du contraire. Peut-être était-ce alors la seule âme capable d’une telle générosité ?

Le doyen tomba à genoux et se mit à sangloter légèrement.

« Je… Je vous remercie, Votre splendeur… Je ne… Je ne sais que dire. Je… » Fronçant une fois de plus les sourcils, le doyen se releva lentement après un moment d’hésitation. « Désormais, je vivrai pour vous et pour votre salut. »

Il se laissa retomber à genoux avant de s’incliner et de poser la tête au sol. Shi Kun l’observa et n’ayant jamais eu l’occasion d’assister à ce genre de scène, il ne comprit pas le sens derrière ces mots et ces paroles.

Finalement, il se contenta de hausser les épaules en voyant que le doyen ne faisait pas mine de se relever.

« Bon. Il va falloir sortir de là. Quelque chose de familier, tu disais ? Tu parviens à comprendre de quoi il s’agit ? »

 

De l’autre côté d’une ouverture dans la réalité qui s’était déjà refermée naturellement, une présence écrasante et invisible faisait vibrer et tournoyer le monde. Les couleurs et les formes elles-mêmes avaient l’air de ne plus savoir comment se tordre et scintiller afin de se plier à une volonté divine. Se retournant et hurlant sans cesse, les formes et les couleurs de la réalité laissèrent finalement place à un néant absolu, un monde blanc sans vie au milieu duquel apparut un visage géant formé de millions d’ondulations dans l’air lui-même.

Un visage ancien, aux rides aussi profondes que des canyons et à la barbe aussi taillée qu’une lame. Ses yeux, encastrés dans des orbites qui dégageaient la puissance d’une éternité, observaient le monde désormais vide comme s’il y voyait au travers du passé et du futur.

Au bout d’un temps impossible à décrire, ou peut-être un simple souffle à peine, ses vieilles lèvres dures et gercées de rides se pincèrent de mécontentement. Dans un ouragan, il se mit à murmurer tout bas.

« Des misérables insectes venus d’un artefact ? C’est donc ça qui a semé le trouble dans mon tableau… ? »

Après mille et une occasions d’y réfléchir encore, le visage finit par se tordre et disparaître dans un tourbillon. Le monde, totalement blanc un instant auparavant, se mit alors à se colorer à nouveau. D’abord par l’apparition de nuages roses et verts, qui laissèrent tomber une pluie torrentielle pendant dix jours et dix nuits. Au bout de ce temps qui ne dura finalement qu’un instant en ce monde étrange, une vaste prairie vit le jour ; des arbres et des animaux ; une lune dans un ciel multicolore.

Et loin, très loin au-dessus de cette lune, plus loin que l’esprit humain pourrait jamais voyager se dessina à nouveau ce visage vieux comme le temps. Il observa encore quelques instants ce paysage qui venait d’apparaître avant de sourire légèrement.

Enfin, il disparut pour de bon.

Raka
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