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Chapitre 62

 

Cela faisait déjà plusieurs semaines que Shi Kun était entré dans le Gouffre Insondable pour ne jamais en ressortir. Dans la secte de la Porte Azure, la vie coulait paisiblement au gré des percées et des bonnes fortunes, au rythme que l’on lui connaissait.

Les cultivateurs avaient déjà tous oublié ce petit tournoi sans importance, gagné de façon peu orthodoxe et non moins inintéressante par un adolescent qui avait déjà fait parler de lui auparavant lors de ce fameux duel imposé par l’ancien Xiao Jie.

De son côté, le patriarche Destinée se demandait souvent s’il avait agi de façon juste.

Bien entendu, le gamin avait gagné le tournoi et mérité de pénétrer dans le Gouffre Insondable pour y trouver bonne fortune et assurer son avenir proche ; mais à bien y réfléchir, avait-ce été la bonne chose à faire ?

« Il ne peut pas cultiver de façon classique. Le Gouffre ne présentait aucun intérêt pour lui. Les vergers spirituels ? Nous aurions pu lui procurer des fruits spirituels d’une toute autre manière si nous avions voulu le faire. »

Au départ, il s’était félicité de son choix ; mais à mesure que les jours passaient et ayant perdu toute trace de la formation de localisation.

« Il n’est pas parti trop loin. Je l’ai localisé dans la préfecture majeure la plus proche. Mais étrangement, cela n’a duré qu’un instant. J’ai voulu me mettre en route immédiatement mais c’est comme si la formation avait été détruite aussitôt Shi Kun sorti du Gouffre… »

Pourtant, il était impossible que Shi Kun ait pu faire quoi que ce fut à la formation dans la sacoche spirituelle, celle-là même qui séparait les biens que le Patriarche avait laissés à l’intérieur de ce que Shi Kun allait pouvoir y ranger.

« Je lui ai laissé assez de place pour qu’il puisse ne pas en manquer. Quoi qu’il en soit, il n’a pas la puissance nécessaire pour détruire une formation du niveau de la Naissance de l’Âme ! Pourquoi ne puis-je plus le localiser ? L’aurait-on aidé à… »

Le patriarche secoua la tête.

« Non. Il aurait fallu qu’il trouve un cultivateur aussi puissant que moi. C’est une préfecture majeure mais ça ne court pas les rues ! Et pourquoi aurait-il reçu de l’aide ? Non, en premier lieu, pourquoi un puissant cultivateur aurait-il accepté de… »

Perdu dans ses pensées, le patriarche se demandait s’il avait vraiment été judicieux de laisser Shi Kun se débrouiller. Il aurait pu accepter de ne pas l’envoyer dans le Gouffre comme le gamin l’avait expressément demandé au départ ; pourquoi avait-il fallu qu’il insiste à ce point, quitte à lui parler des vergers spirituels ?

« Et ma sacoche… » Le patriarche Destinée se mit à pâlir à vue d’œil. La disparition de Shi Kun était un problème en soi et il était totalement inacceptable de considérer la perte d’un disciple comme secondaire. Cependant, la sacoche spirituelle du patriarche lui venait directement de la Montagne Impériale et il comptait absolument la revoir un jour.

Le patriarche commençait à perdre la notion du temps tandis qu’il pensait, chaque jour, à sa sacoche.

« Je devais la localiser et aller la chercher immédiatement ! » Il se plaignait sans arrêt, seul dans sa chambre de méditation recluse. Depuis presque deux semaines, il tentait une percée ; le stade de la Naissance de l’Âme était proche du pic de ce qu’on pouvait espérer atteindre dans un endroit au qi rare comme la petite préfecture de Jiaoju mais le patriarche utilisait une méthode secrète pour rassembler le qi de façon accélérée.

« Si je parviens à cristalliser le flambeau de mon âme, j’atteindrai le stade tant convoité de l’Âme Cristalline. Pourquoi, malgré tous mes efforts, ne parviens-je pas à un résultat probant ? »

Le patriarche était conscient de la difficulté de la cristallisation d’une âme. Certains cultivateurs n’y parvenaient jamais, même après des centaines d’années. Si le patriarche pouvait enfin percer, la compétition inter-sectes qui se profilait aurait pu tourner à leur avantage : il était indéniable qu’un puissant patriarche capable d’atteindre un stade que les autres patriarches ne pouvaient approcher pouvait motiver les disciples et imposer la crainte dans le cœur de leurs adversaires.

Après tout, si le patriarche était si puissant, qu’en était-il des disciples ?

Cela dit, le patriarche ne pouvait se concentrer sur le flambeau de son âme et son esprit n’était hanté que par Shi Kun et la sacoche spirituelle qu’il lui avait prêtée ; le regret et l’amertume d’un choix irréfléchi ainsi que tout l’espoir dont il pouvait faire preuve. Shi Kun reviendrait.

Le patriarche secoua la tête une fois de plus. Cultiver était inutile tant qu’il ne serait pas de retour. La concentration nécessaire était si profonde que la moindre fluctuation, le plus petit souci traversant l’esprit pouvait faire échouer la cristallisation.

« Je ne suis pourtant pas si loin d’y parvenir… »

Le patriarche referma les yeux et son esprit se perdit dans les confins de son dantian. Ce dernier était si vaste qu’un océan n’aurait pas suffi à en remplir une majeure partie ; au milieu de cet espace où tournoyait du qi à perte de vue apparut une forme humanoïde, blanche et brûlant d’un feu inextinguible. Son visage et son corps étaient ceux du patriarche ; ce denier ouvrit les yeux et se vit en train de flotter là, brûlant au-dessus d’un océan de qi en mouvement.

« Mon âme brûle d’un flambeau éternel. Que faut-il donc que je fasse pour parvenir à cristalliser ce feu ? »

D’un geste des deux mains, l’âme se mit à flamber encore plus fort l’espace de quelques souffles. Le qi à proximité s’agita et voulu remonter en un geyser en direction de l’âme du patriarche ; ce dernier tendit la main et attrapa le vide devant lui.

Le qi s’arrêta net, saisi par une puissance invisible et entreprit de changer de forme pour devenir un cocon de plusieurs centaines de mètres de long. Pendant plusieurs fois le temps qu’il faut à un bâton d’encens pour brûler, le patriarche attendit que le qi de son dantian se fasse aspirer dans sa quasi-totalité avant de déplacer ses mains à nouveau.

Le cocon, qui faisait plusieurs kilomètres d’épaisseur désormais, se contracta et rétrécit jusqu’à ne devenir qu’un œuf qui se plaça dans la paume de la main de l’âme du patriarche.

« Si je ne peux pas le faire avec autant de qi… alors… »

Il lança l’œuf de qi en l’air et ce dernier grandit jusqu’à envelopper l’âme flambante du patriarche.

L’œuf se contracta alors à nouveau pour devenir telle une seconde peau qui vint totalement étouffer les flammes infinies qui se dégageaient de l’âme ; le patriarche se concentra et sentit son feu restreint et repoussé vers son origine.

« Courage… Il ne peut y avoir qu’une issue… »

Le patriarche sentit son feu durcir sous la pression. Le flambeau de son âme commença alors à se battre pour sortir, pour exister, pour ne pas se faire réprimer. D’attaque en coup de chaleur en tentatives désespérées pour sortir de ce confinement, le feu se voyait contré par la volonté du patriarche qui cherchait à l’en empêcher.

Le cocon de qi chauffa à un point tel qu’il passa du blanc au rouge et à nouveau au blanc. De petites fissures apparurent sur son contour et le qi composant le cocon redevint liquide en fondant sous la chaleur du flambeau de l’âme du patriarche.

« Non ! Allez, mon âme ! Cesse de brûler ! » Contrôler son âme était une chose mais la forcer à changer définitivement de forme et de consistance était au-delà de toute difficulté possible. Aucune âme au monde ne pouvait être passivement réprimée à un point tel qu’elle se cristalliserait.

Les fissures s’étendirent et tandis que le feu de l’âme était plus proche d’un état de plasma, magmatique et presque solide sous l’effet de l’énorme compression du cocon, ce dernier explosa sans crier gare.

La déflagration qui s’en suivit fut si intense que l’âme du patriarche en fut secouée jusque dans ses fondements. Une onde de choc enflammée se propagea jusque dans les tréfonds de son dantian et le corps du patriarche, jambes croisées et yeux clos, cracha du sang à plusieurs reprises.

La conscience du patriarche fut expulsée et ce dernier rouvrit les yeux. Il sentit son âme brûler aussi intensément qu’avant dans son dantian. Tous ses efforts s’étaient avérés vains.

« Je ne suis pas assez puissant pour réprimer le flambeau de mon âme… La qualité du qi de cette petite préfecture est pauvre, et le cocon n’est pas assez solide. Je suis au pic de la Naissance de l’Âme mais il m’est impossible de la cristalliser… »

Résigné pour l’heure, le patriarche se leva, essuya le filet de sang qui coulait le long de son menton et quitta la chambre de méditation recluse qui était sienne.

 

***

 

Shi Kun voyagea pendant longtemps. Il ne put dire combien de temps s’était écoulé depuis qu’il avait quitté la Montagne Impériale mais il avait vu plus de chaînes de montagnes et de forêts qu’il ne pouvait en compter. Le monde était décidément vaste, bien plus qu’il ne l’avait imaginé. Des dizaines de milliers de kilomètres, peut-être des centaines.

Au bout d’un mois de voyage sous leur forme éthérée grâce à la technique du doyen, Shi Kun finit par ressentir que la qualité du qi ambiant était si pauvre que le doyen parvenait difficilement à respirer – si tant était qu’il respirait sous cette forme de voyage dans les cieux.

Finalement, deux jours plus tard, ils se posèrent et réapparurent, deux cultivateurs dans une plaine gigantesque.

Le doyen tomba à quatre pattes et cracha du sang à plusieurs reprises, toussa, et cracha du sang à nouveau. Il tourna la tête vers Shi Kun et voulut dire quelque chose mais aussitôt que ses lèvres s’ouvrirent, il cracha du sang à nouveau.

Finalement, il parvint à parler.

« Je suis désolé, votre splendeur. Je ne peux aller plus loin… Je… Je suis épuisé. »

Shi Kun comprit en voyant l’état cadavérique du doyen que ce dernier avait puisé dans des ressources immenses afin de voyager pendant si longtemps sans s’arrêter. Il avait fait une promesse et faisait tout pour la respecter ; peut-être était-ce là son dao ? Shi Kun l’ignorait et ne désirait pas le savoir.

« Peu importe. Tu nous as mené très loin et le qi est si pauvre par ici… Je sens que nous serons bientôt arrivés. » Shi Kun pouvait presque ressentir le qi auquel il s’était habitué, celui qui était omniprésent dans sa ville, dans sa secte de la Porte Azure ; il était alors persuadé qu’ils étaient dans la bonne province et presque arrivés à destination.

« Je me demande si c’est encore loin. » Il finit par donner voix à la question qui lui trottait dans la tête.

« Nous sommes dans la bonne province, votre splendeur. J’en fais le serment. Mais je ne vais pas vous abandonner ici ! J’ai promis de vous mener à bon port et je ferai donc tout pour que vous posiez le pied dans la capitale de préfecture. Avant ça, je considère que je n’ai pas encore tenu parole. »

Shi Kun hocha la tête mais était bien conscient que les mots du doyen ne reflétaient plus ses capacités actuelles. D’ailleurs, ce dernier avait perdu connaissance juste après avoir fini sa phrase sur un ton assuré.

« Bon. Vu ses joues émaciées et son teint livide, ses cernes toutes noires et les cheveux qu’il a commencé à perdre, je suppose qu’il va mettre plusieurs jours à s’en remettre. »

Shi Kun tapota sa sacoche spirituelle et en sortit ce qu’il savait être une excellente idée.

« À nous deux, alambic ! J’ai de bonnes fraises à te faire goûter ! »

Raka
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