Chapitre 64
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Le doyen était à peine remis sur pieds. Pourtant, il s’installa déjà jambes croisées au milieu de cette prairie verdoyante, à peine ombragé par l’arbre contre lequel il était adossé.
« La cultivation… Je pensais qu’un digne héritier tel que vous aurait été conscient du chemin à parcourir. Mais qui suis-je pour vouloir poser des questions ? Peut-être ne vous a-t-on simplement jamais éclairé à ce sujet, vous jugeant trop immature avant que vous n’ayez découvert le monde. Mais puisque vous souhaitez l’entendre de ma bouche, je vais bien entendu m’y efforcer. »
Le doyen se racla la gorge à plusieurs reprises avant de regarder vers le ciel.
« Il faut savoir que le cultivateur cherche à faire siennes les puissances de la terre et des cieux. Vous le savez sans nul doute, mais avant toute chose, un cultivateur doit pouvoir se construire de bonnes fondations afin de poursuivre une cultivation sans heurt. »
« Des fondations ? Tu parles du stade de l’Établissement des Fondations ? Mais… » Shi Kun se mit à réfléchir sans y penser. Il n’était pas encore à ce stade ; en quoi était-ce le début ?
« Bien entendu. » Le doyen hocha la tête. « De bonnes fondations sont la base d’un avenir prometteur. Mais pour pouvoir les bâtir, il faut tout d’abord ressentir le Qi qui émane des cieux et qui imprègne la terre. Le stade de la maîtrise du Qi et ses dix niveaux sert à acquérir l’outil pour bâtir de puissantes fondations. »
« Je vois… Alors on peut dire que je ne suis même pas encore sur la véritable voie de la cultivation ? »
« C’est exact. Ce ne sont là que les prémices de ce qui sera, j’en suis certain, un chemin parsemé de bonnes fortunes. Il ne peut en être autrement pour un puissant héritier tel que votre splendeur. »
Shi Kun commençait à se lasser de se faire appeler ainsi. Après tout, il n’avait rien fait pour le mériter et n’avait toujours pas compris pourquoi il avait droit à ce genre de traitement.
« Bien, continue, dans ce cas. » Désormais intéressé par ce qui semblait être une théorie profonde, Shi Kun ne put se retenir et poussa le doyen à en dire plus.
« Lorsque les dix niveaux de la maîtrise du Qi ne sont plus que routine et familiarité, alors le cultivateur a saisi la puissance de la terre. Il est prêt à établir les fondations de sa cultivation véritable, celle qui lui permettra plus tard d’imposer sa volonté aux cieux. »
Le doyen se racla la gorge une fois de plus. Shi Kun était assis calmement mais sentaiit son propre qi tournoyer dans son dantian, danse chaotique et inarrêtable. Tant que sa base de cultivation ne serait pas stabilisée, il ne pourrait pas prendre le risque d’effectuer une nouvelle percée.
« Les Fondations sont ainsi la base de la cultivation véritable, le début du chemin. Les fondations de l’âme, voilà de quoi l’on parle ! »
« De l’âme ? Mais mon âme… » Shi Kun s’apprêtait à protester : il possédait déjà une âme.
« Votre âme est une âme de mortel ! Maîtriser le Qi ne fait pas encore de vous un vrai immortel ! Même moi, je… » Le doyen fit une pause, l’espace d’un instant. « Même moi, à mon niveau, je ne me considère pas comme un vrai immortel. Ma fondation est incomplète et je n’ai jamais réussi à former la flamme de mon âme immortelle. »
« Stop ! Je ne comprends plus rien. »
« Oh. Pardon, pardon. » Le doyen s’inclina deux fois et continua.
« Lorsque la fondation est établie, on parle du stade de l’Établissement des Fondations. Durant cette étape et pendant parfois plus d’une centaine d’années, il est essentiel pour le cultivateur de former la flamme de son âme. Il s’agit d’une âme immortelle formée de Qi flambloyant. On parle alors du stade de la Naissance de l’Âme. »
« Naissance de l’Âme ? Le patriarche… » Shi Kun se souvint avoir entendu que le patriarche Destinée se situait au pic du stade de la Naissance de l’Âme. Mais il n’en dit pas plus, avide de savoir ce qui pouvait venir après ça.
« Les cultivateurs de ce stade sont peu nombreux dans nos petites préfectures. Ce sont des dragons parmi les hommes et ils doivent être respectés pour leur puissance et leur volonté. Ils ont réussi là où des millions on échoué. Mais assez parlé d’eux. »
« Après la Naissance de l’Âme, que se passe-t-il ? » Shi Kun coupa court et posa directement la question.
« Lorsque l’Âme flambe d’un feu éternel, il est temps de maîtriser ces flammes, de les réprimer grâce à la puissance du corps. Voyez-vous, une Âme forte dans un corps faible ne peut pas donner de bons résultats. Donc le corps doit pouvoir imposer sa volonté à la flamme qui brûle en soi, au point de la comprimer afin de la solidifier à tout jamais. Lorsque le cultivateur y parvient, on dit qu’il l’a cristallisée. Il a atteint le stade de l’Âme Cristalline. »
« Tout ça me paraît si lointain… » Shi Kun se rendit compte qu’il commençait à rêver de posséder lui-même une telle puissance afin d’imposer sa volonté aux autres. S’il pouvait être si puissant, encore plus que le patriarche, alors plus personne ne lui imposerait quoi que ce fut.
Mais ce n’était qu’un doux rêve. Il se rendait également compte de la quantité et de la qualité de l’alcool spirituel dont il aurait besoin pour ça ; d’autant qu’il ne pouvait appréhender le début de la quantité astronomique d’efforts qu’il devrait fournir s’il désirait atteindre cette étape lointaine.
Cependant, le doyen n’avait pas terminé et le sortit de sa rêverie.
« On peut enfin dire d’un culitvateur au stade de l’Âme Cristalline qu’il est réellement immortel. »
« Quoi ? » Shi Kun ne comprit pas.
« On ne peut tuer un cultivateur qui a cristallisé son âme. Au mieux, on peut briser le cristal et son âme va reprendre feu et le faire retomber au stade de la Naissance de l’Âme. »
« Oh… Alors… C’est la fin du voyage ? Lorsque l’on a cristallisé son âme, on a enfin terminé avec tout ça ? »
Le doyen se mit à rire malgré lui.
« Ha ha ha ! Vous dites des bêtises, vous le savez bien. Notre Empereur est bien au-delà de cette étape. »
« … » Shi Kun commençait tout doucement à en avoir assez de l’entendre tourner autour du pot. Fort heureusement, son silence poussa le doyen à reprendre son sérieux.
« Bien. Une fois le cristal figé dans l’éternité, le qi n’ayant plus de secret et l’âme étant parfaitement sous contrôle, il est temps de prendre conscience de la véritable puissance des cieux. Lorsque le cultivateur est prêt et assez puissant, le cristal de son âme sera si dense et si concentré en qi qu’il sera capable de le faire exploser en une myriade d’étoiles qui vont se répandre dans son corps. Le cristal n’était qu’un cocon, votre splendeur ! En son sein mûrissait une âme céleste ! »
« Céleste ? »
« Lorsque le cristal explose, l’âme blanche et pure, une âme céleste, est née. Cette âme est capable de se saisir de la volonté des cieux. De faire sienne la puissance de la nature. D’imposer sa volonté aux cieux et à son environnement ! Désire-t-il une tempête ? Les cieux n’auront d’autre choix que de lui offrir une tempête ! Voilà ce qu’est capable de faire un cultivateur au stade de la Fission Céleste. »
« La Fission Céleste… Je vois. Il y a encore plus puissant… » Shi Kun était fasciné par l’échelle de puissance phénoménale qui lui était présentée. Créer des tempêtes dévastatrices d’une simple technique ? C’était inimaginable.
« Et ce n’est toujours pas la fin du voyage… » Le doyen remarqua l’intérêt grandissant de Shi Kun pour ses explications et esquissa un sourire satisfait en décidant de le piquer un peu au vif.
« Pas encore la fin… ? Il y a plus puissant qu’un être capable d’imposer sa volonté aux cieux ?! »
« Bien entendu. Notre Empereur, par exemple. »
« Notre Emp… Oh. »
« L’Empereur était un Fission Céleste, jadis, lui aussi. Il est devenu si familier avec la volonté des cieux, avec leur puissance et la façon de leur imposer ses propres choix qu’il a percé au stade ultime que l’on appelle Seigneur Céleste. »
« Seigneur Céleste ! Le simple nom dégage une puissance énorme ! » Shi Kun était désemparé. Non, jamais il ne pourrait atteindre un niveau pareil même s’il le souhaitait et faisait tous les efforts possibles pour y parvenir.
« Le Seigneur Céleste n’a plus besoin d’imposer sa volonté aux cieux. Les cieux se plient de leur propre chef face à sa puissance afin d’exaucer ses volontés. Il n’a qu’à souhaiter et les cieux agissent. Et il n’existe qu’une seule personne au monde qui y soit parvenu. L’Empereur. »
« Incroyable. Les cieux sont donc en esclavage devant lui ? »
« On peut dire ça ainsi. Mais il n’y a aucune soumission ; les cieux reconnaissent la puissance de cet homme et se plient à sa volonté par leur propre choix. »
« …Qu’y a-t-il après le stade du Seigneur Céleste ? » Toujours plus. Shi Kun voulait en savoir toujours plus. Il s’était découvert une soif de connaissances que la paresse avait toujours submergée auparavant. Pour une raison obscure, entendre ces histoires était désormais devenu plus important que tout. Il fallait qu’il sache. Il se rendit compte qu’écouter le doyen parler de cette échelle de puissance de la cultivation était telle une obsession. La fin, la fin, la fin, il fallait qu’il sache où tout ça s’arrêtait.
« Au-delà du Seigneur Céleste ? Il n’y a rien. En tout cas, il est impossible de l’atteindre. » Le doyen secoua la tête, désemparé et désolé.
« Rien ? Alors… Tu me dis que ça s’arrête, comme ça ? Le bout du voyage n’est-il pas la véritable immortalité ? L’Empereur est-il immortel ? » Shi Kun comprenait que malgré tout, quelque chose ne collait pas. Comme un trou dans l’explication, un chaînon manquant.
« On ne sait simplement pas ce qui se trouve après ça. » Le doyen insista et haussa les épaules en secouant la tête. « On dit qu’un jour, l’Empereur a fait sien tout le Qi du monde afin de tenter d’apercevoir, rien que l’espace d’un souffle, ce qui se trouvait au-delà. »
Shi Kun s’avança de quelques centimètres et le regarda droit dans les yeux.
« Et ? Et il s’est passé quoi, alors ? Qu’a-t-il vu ? »
« On raconte qu’il a ressenti une puissance extravagante, capable non seulement de mettre les cieux à sa botte, mais… plus que ça, toute la création. Comme si cette puissance était celle d’un dieu. L’Empereur sentit que la volonté des cieux lui avait échappée d’un seul coup, sans prévenir, rien que pour ne pas contrarier cette puissance hors-norme. »
« C’est si étrange ! » Shi Kun adorait ces histoires, tout compte fait. Il espérait que peut-être, le patriarche en saurait plus. Il se promit de lui poser la question dès qu’il le verrait.
« Et ça n’a duré que l’espace d’un souffle. L’Empereur a consommé le Qi du monde entier rien que pour apercevoir fugacement cette puissance qui aurait pu l’écraser comme on écrase un insecte. Tu comprends maintenant qu’il lui est impossible de percer, même s’il existe quelque chose au-delà. S’il y a quelque chose, alors cette chose doit être divine. Un dieu, oui. Et il ne faut pas contrarier les dieux. Il ne faut pas essayer de devenir leurs égaux. »
« C’est en effet une sacrément mauvaise idée… » Shi Kun dut bien avouer que s’il existait une puissance pareille, tenter de s’en approcher serait sans doute suicidaire. Il se prit malgré tout à rêver encore une fois de cette puissance dans le creux de sa main et se mit à sourire bêtement.
« On dit que pour un humain, qu’il soit mortel ou qu’il ait réussi à se frayer un chemin sur la longue route de la cultivation, le stade du Seigneur Céleste est la limite qu’on ne peut franchir même si on le désirait. Parce qu’au-delà existe une puissance qui nous détruirait sans doute, et parce que ce monde n’en offre pas la possibilité quoi qu’il arrive. »
Sur ces mots, tous deux gardèrent le silence pendant le temps qu’il faut à un bâton d’encens pour brûler. Puis Shi Kun finit par reprendre la parole.
« Je veux rentrer chez moi. »
Le qi rageant au sein de son dantian le perturbait ; malgré tout, il savait que ça finirait par se calmer lorsque sa base de cultivation serait stabilisée. Alors, il pourrait continuer ce qu’il avait douloureusement commencé, arpentant une route sur laquelle il était impossible de faire marche arrière.
Il allait vite l’apprendre à ses dépens.
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Merci pour le chapitre !
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