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Chapitre 71

 

 

En vérité, le patriarche ne laissa pas à Shi Kun le temps de répondre. Se moquant bien de la présence de Shao Kang, qui ne participait pas au tournoi, il attrapa Shi Kun par le épaules et s’envola immédiatement sans lui demander son avis.

Shi Kun ouvrit de grands yeux face à une scène qu’il n’avait pas vue depuis longtemps maintenant. Les nuages blancs qui flottaient paresseusement devant lui, peinant à masquer un soleil tiède de printemps. Incapable de dire un mot et conscient que ç’aurait été parfaitement inutile, il se contenta de soupirer intérieurement.

Il était proche de percer au cinquième niveau de la maîtrise du Qi. Plus le temps passait, plus il se rapprochait de son but et sans rencontrer tous les problèmes qu’il s’attendait à trouver sur son chemin : le monde de la cultivation était réputé pour être cruel et meurtrier, spécialement pour les disciples ne sachant pas se battre. Et Shi Kun correspondait particulièrement à cette définition, aussi était-il heureux, jour après jour, que tout se passe paisiblement.

Ses combats précédents ne pouvaient pas réellement être considérés comme tel et il le savait – dans les égouts, il s’était contenté de frapper son adversaire dans ce qui ressemblait plus à un combat de rue entre ivrognes qu’à un combat entre disciples et durant le tournoi qui avait suivi, il ne se souvenait même plus exactement comment il avait fait pour gagner mais ce n’était certainement pas en se battant correctement.

De toute façon, se battre ne l’intéressait pas. Se battre, c’était risquer de se blesser et si on devait le traiter de lâche parce qu’il tenait à la vie, alors parfait !

Mais voilà.

Il existait des situations dans lesquelles toute la bonne volonté du monde ne pesait pas plus qu’un grain de riz face au monstre qu’était le patriarche. Et ce patriarche avait décidé que Shi Kun participerait à ce tournoi inter-sectes qui se déroulait le jour-même, au sein d’une autre secte qui plus était.

Le voyage fut de très courte durée. Quelques minutes à peine avant que tous deux ne posent les pieds devant la porte extérieure de la secte de la Porte Verte, en tous points semblable à celle de sa secte de la Porte Azure de l’est mais située au nord de la ville. Ce jour-là, les quatre sectes gardiennes de la ville allaient envoyer des disciples qui devaient s’affronter amicalement : nul n’était en guerre et si la rivalité était de mise, la haine ne l’était pas. Tous étaient membres de sectes préservant la paix dans la capitale de la préfecture mineure de Jiaoju.

Les deux disciples gardant la porte hochèrent la tête en voyant arriver le patriarche et rassemblèrent leurs mains en guise de salutations. Shi Kun regretta de ne pas avoir eu un peu de temps supplémentaire afin de percer au cinquième niveau de la maîtrise du Qi. Deux, peut-être trois jours auraient suffi à lui permettre de renforcer son corps de manière idéale.

Il avait cependant prévu ce tournoi depuis longtemps. Dans sa sacoche spirituelle, il avait déjà préparé des bouteilles d’alcool spirituel, parfaitement conscient de l’importance que ça avait revêtu dans sa victoire au tournoi précédent.

Il aurait très bien pu se laisser battre et abandonner directement mais si sa logique personnelle lui intimait de suivre cette option par pure paresse, la raison et la crainte du patriarche le forçaient à agir tout autrement.

Paresseux mais pas idiot.

Shi Kun savait que le patriarche ne serait pas dupe, en tant que vieux renard qu’il était. Il verrait si Shi Kun ne se battait pas de son mieux et alors qu’un petit tournoi amical n’avait rien d’impossible à surmonter, ce que le patriarche pourrait lui imposer une fois de retour dans leur secte était suffisamment effrayant pour surpasser toute envie de ne pas faire d’efforts.

« Si je ne fais pas ça sérieusement, il va me trouver un autre tournoi et me forcer à y participer, je le sens. » Shi Kun en était arrivé à ce stade mais n’osait pas donner voix à son opinion face au patriarche Destinée. D’ailleurs, autre chose lui vint à l’esprit.

« Patriarche. » Shi Kun ouvrit enfin la bouche en brisant le silence qui durait depuis leur départ, tandis qu’ils marchaient tous deux en direction de l’arène – nul n’avait le droit de prendre son envol dans une secte à laquelle il n’appartenait pas, même un patriarche. « Si jamais… Si jamais je… cough… je gagne… »

« Si tu gagnes ? Oh, mais j’espère bien que tu vas gagner, mon garçon ! » Le patriarche éclata de rire, balayant simplement l’idée que Shi Kun puisse perdre d’un revers de la manche.

« Qu… Quelle est la récompense ? » Il finit par cracher le morceau, apeuré de paraître cupide alors que c’était tout le contraire. Il était hors de question qu’il se fasse avoir encore une fois et gagne une chose qu’on allait le pousser à faire alors qu’il n’en avait pas envie. La dernière fois, ça lui avait coûté des mois de voyage, une attaque par un aigle géant, un kidnapping, un passage dans des mondes plus qu’étranges et Shi Kun ne voulait plus revivre ça, quand bien même ça lui avait été profitable en fin de compte. Non, pouvoir rester adossé à sa cabane était largement plus enviable que tout ce qu’il avait gagné, s’il devait en calculer le coût en énergie dépensée.

« Ah… » Le patriarche se lissa la barbe en esquissant un léger sourire. « Bien sûr, tu t’intéresses à la récompense. Cela va de soi. Tu es ambitieux et j’aime ça. Je ne pensais pas que tu avais changé à ce point, Shi Kun. »

Shi Kun se retint de lui avouer qu’il n’avait pas du tout changé. Il se voyait toujours comme un disciple intéressé par un but différent des autres et qui allait s’arrêter de cultiver une fois ce but atteint. Si le patriarche pensait qu’il avait changé, peut-être allait-il lui lâcher un peu la bride ? C’était la meilleure chose à espérer.

« Bien sûr, bien sûr, patriarche. La récompense. »

« Il s’agit de quelque chose de moins concret qu’un voyage dans le Gouffre Insondable, mon garçon. C’est quelque chose de plus impalpable mais également peut-être bien plus important. »

« Plus important ? »

« Oui, plus important. Tu sais, notre ville est composée de quatre sectes, aux quatre points cardinaux. Nous sommes tous égaux et responsables de la sécurité générale des habitants mais… » Le patriarche se lissa une nouvelle fois la barbe, cherchant les mots qu’il allait employer. « …mais nous ne pouvons pas faire comme bon nous semble, le chaos règnerait bien trop vite. »

Shi Kun ne voyait pas où il voulait en venir et garda le silence en attendant la suite.

« Ce tournoi permet, chaque année, de désigner l’une des quatre sectes comme étant supérieure aux autres en matière de décisions importantes en cas d’urgence. Les trois autres sectes se plient alors à tous les ordres donnés afin de garantir une coordination et une structure sans faille face à une invasion de monstres ou une éventuelle attaque ennemie. »

Shi Kun comprit à peu près les notions abordées mais ne retenu réellement qu’une seule chose.

« …Attaque ennemie ? Qui pourraient bien être les ennemis qui voudraient attaquer la ville ? »

« Oh, d’autres villes, tout simplement. » Le patriarche haussa les épaules comme si Shi Kun était idiot de poser la question.

Avant qu’il pussent continuer cette conversation, l’arène apparut devant eux. Une immense foule était rassemblée là et un panneau d’affichage gigantesque parsemé de noms en tous genres et colorés de quatre façons différentes. Shi Kun comprit immédiatement en voyant son nom écrit en bleu qu’il s’agissait de la liste des adversaires qui allaient s’affronter.

Les spectateurs discutaient sur des tons aux intentions aussi variés que les différents volumes. Un brouhaha général qui fit légèrement bourdonner la tête de Shi Kun pendant quelques instants.

« Il semble bien que nous sommes les derniers. » Le patriarche leva les yeux vers le panneau d’affichage dont le nom de Shi Kun venait de s’illuminer d’une couleur azure profonde. Il s’agissait du dernier nom encore sombre, tous les autres étant déjà sur les lieux.

« Ce panneau a repéré mon arrivée ? » Shi Kun s’en étonna mais garda sa réflexion pour lui afin de ne pas avoir à traiter encore une fois avec des explications à rallonge de la part du patriarche. Après tout, peu importait quelle magie était à l’œuvre derrière tout ça.

La compétition inter-secte n’était pas un évènement majeur comme on pouvait le voir une fois par siècle ; essentiellement une façon chaque année de décider qui allait devenir la secte principale au sein de la ville. Mais en même temps, elle permettait aux sectes de faire étalage de leurs jeunes disciples prometteurs et beaucoup parmi eux avaient déjà entre 12 et 14 ans. Shi Kun restait encore une fois le plus âgé de tous mais avec une différence moindre que lors de son tournoi précédent. Il avait rattrapé son retard plus rapidement qu’il s’y était attendu lui-même et dépassant même les expectations du patriarche et de Shao Kang.

« Shi Kun. Je sais que tu seras capable de vaincre la plupart des adversaires durant ce tournoi. Ils ne te connaissent pas et la manière dont tu te bats est… tout sauf conventionnelle. » Le patriarche commença à l’encourager tout bas sur un ton qui relevait plus de l’explication formelle que de l’enthousiasme. « Ils ne s’attendent pas à combattre un adversaire aux mouvements et techniques si… marginaux. Tu pourras les prendre de vitesse tandis qu’ils seront incapables de réagir. »

Le patriarche soupira.

« Mais il y a quelques disciples desquels j’ai pu obtenir des informations sommaires. Fais attention à eux : ils te donneront du fil à retordre et je les imagine parfaitement capables de t’opposer une résistance farouche avant de s’adapter à ta façon de combattre. »

Shi Kun soupira à son tour. Alors maintenant, il possédait une ‘façon de combattre’. Le terme en lui-même ne l’enchantait guère, le plaçant directement dans la philosophie des cultivateurs, celle-là même qu’il cherchait à éviter à tout prix. Il impliquait que Shi Kun était en train de développer son propre style de combat, ce qui était encore pire que de simplement se battre et aimer ça ou suivre les enseignements classiques d’un autre. Non, Shi Kun ne voulait décidément pas de ça !

Il garda le silence, en pleine réflexion profonde sur ce qu’il devait et ne devait pas faire pour éviter de devenir ce qu’il craignait par-dessus tout de devenir : une référence. Shi Kun n’était pas stupide : un disciple ayant gagné un tournoi et possédant un style de combat unique ne pouvait que finir par attirer les regards et les envies. Combien de disciples allaient, à l’avenir, se laisser berner par une fausse impression de puissance en entendant parler de Shi Kun ? Combien tenteraient de suivre son Dao pour se retrouver perdus ou incapables de l’appliquer dans sa totalité ? Shi Kun ne faisait pas que ça pour avoir la paix : il le faisait également pour préserver le futur d’autres disciples après lui.

Le patriarche prit ce silence pour ce qu’il n’était pas. Persuadé que Shi Kun attendait la suite de l’explication, il reprit la parole.

« Je t’en parlerai un peu plus si tu dois les affronter, Shi Kun. Pour l’heure, si je ne te dis rien alors considère que les adversaires qui te seront présentés n’ont pas la moindre chance contre tes techniques… de… d’ivrogne. » Le patriarche hésita pour trouver le mot convenable mais à défaut d’autre chose, il décrivit la façon de se battre de Shi Kun comme il le put.

Shi Kun n’en prit pas ombrage et, pour être parfaitement honnête, ne le pouvait pas parce qu’il n’écoutait plus le patriarche.

Perdu dans ses pensées et très peu soucieux de la secte qui deviendrait plus puissante que les autres pour l’année, Shi Kun essayait tant bien que mal d’élaborer un plan afin de perdre le plus rapidement possible sans pour autant éveiller les soupçons du patriarche.

Finalement, un excès de variable rendait toute planification impossible mais une chose avait retenu l’attention de Shi Kun : le patriarche avait parlé de disciples plus compétents que les autres. Peut-être était-ce là sa porte de sortie.

Alors qu’il s’apprêtait à esquisser un sourire, Shi Kun entendit une puissante voix, portée par une technique quelconque, souhaiter la bienvenue à tout le monde.

Raka
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8 thoughts on “TheDAB : Chapitre 71

  1. Merci pour le chapitre !
    Hâte d’avoir la suite !

    Mais j’ai toujours du mal à comprendre comment c’est possible qu’il puisse apporter des armes au combat. Je suis sûr qu’il existe des espèces de bombes magiques ou des armes utilisant l’impureté donc ça m’étonnerait qu’il puisse utiliser ses bouteilles…

    1. Qui, si tu réfléchis, ne devraient même pas être en la possession de disciple du 3e ou 4e niveau donc de telles règles ont-elles vraiment leur place dans ce genre de tournoi ?
      Il faudrait des millions de règles dans ce cas, pour autant d’armes qui existent. Si tu dis simplement « armes interdites », le flou est trop grand. Quid de ceux qui suivent un tel dao ?

      Le fait est que c’est un monde de cultivation, où le fort a toujours raison au final. Ce qui importe, c’est de se frayer un chemin, souvent sanglant et violent, sur la longue route égoïste de la cultivation. C’est toujours comme ça. Si tu n’es pas capable de te défendre face à une arme, tu n’est pas digne de continuer. Si tu pleures parce que ton adversaire a injustement eu droit à un héritage parce qu’il vient d’une famille riche, tu n’est pas digne.

      Le but de la cultivation, le but primaire et inaliénable, c’est de surmonter les épreuves de la vie pour élever son âme. Les surmonter, c’est y faire face, pas demander une égalité juste.

      1. Wow, tu as l’air sûr de toi on dirait que tu y es déjà allé dans ce monde O.o

        Moi ça m’irait si la récompense revenait juste au disciple, mais pourquoi faire ça avec quelque chose qui avantage toute la secte ? Si toute la secte reçoit un avantage le patriarche aura tendance à donner des armes surpuissantes aux disciples participant non ?

        1. Bah, c’est comme ça dans tous les mondes de cultivation, LN après LN. Les règles morales viennent directement de la philosophie taoïste, en réalité.

          Et donner des armes surpuissantes oui, mais s’ils ne sont pas assez puissants pour s’en servir ?

          Je te rappelle Shi Kun qui a lui-même défoncé quelques objets hors de prix du patriarche juste en les utilisant.

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