Chapitre 22
Les règles changent – 2
Shi Kun mit un temps fou à calmer ses deux vieux amis complètements dépassés par la situation actuelle. Voir un mendiant capable de devenir disciple d’une secte, c’était sans précédent. De base, parmi les mortels, ceux qui pouvaient cultiver ne devenaient pas mendiants pour commencer mais possédaient un avenir potentiellement illimité. Alors il allait sans dire que parmi les mendiants ne se trouvaient que des individus incapables et sans espoir.
Pour la première fois, l’un d’eux avait réussi à se hisser plus haut que les autres et était parvenu à cultiver pour ensuite se faire accepter dans une secte. Le temps que Shi Kun les calme, il faisait déjà presque nuit.
« Mais tu te rends compte ? Un cultivateur ! Dans une secte ! » Gu Leifei répétait ça pour la centième fois de la journée comme si la cent-unième allait posséder une signification extrêmement importante. Shi Kun l’arrêta d’un geste de la main, cette fois.
« Hé hé… Ne resteras-tu pas dormir avec nous ? Avoir un grand cultivateur à nos côtés… Je suis sûr que nous pourrions faire fortune dans ce quartier riche. »
« Bon, écoute, je te remercie pour ce que tu m’as offert à boire, mais il est temps que j’y aille, maintenant. J’ai des affaires importantes à régler à la secte. Ne vous en faites pas, vous deux. Je reviendrai vous voir. » Sur ces mots, Shi Kun se leva et partit devant le regard toujours ébahi de ses deux amis.
Comme s’il pouvait encore accepter de dormi à même le sol, dans une ruelle en compagnie de deux autres mendiants. Comme s’il pouvait le faire, maintenant qu’il possédait une maisonnette bien à lui ! Il les considérait toujours avec égalité et ne les regardait pas de haut. Shi Kun savait qu’il avait été lui aussi dans leur cas et ne pouvait pas se sentir supérieur à eux. Mais il possédait un terrain bien à lui, merde ! Bien sûr qu’il allait en profiter.
Il rentra rapidement à la secte et passa la porte à la tombée de la nuit. Shao Kang n’était pas en poste cette nuit-là et les deux gardes en fonction laissèrent entrer ce disciple qui portait la robe de leur secte sans lui poser de questions.
Une fois chez lui et allongé dans son petit jardin, les mains derrière la tête, il se mit à s’occuper de ces affaires importantes qu’il avait à régler. Il planta son nez dans les étoiles et esquissa un léger sourire béat. Le goût de l’alcool des mendiants lui titillait encore le fond de la bouche et il fit claquer sa langue.
« Hmm… Peut-être ai-je trop pris goût au luxe, mais il n’était pas fameux, hein ? Bon, ils me l’ont offert de bon cœur alors qu’ils ne possèdent rien, et voilà le goût qu’il m’en reste désormais. »
Shi Kun bâilla. Puis il fronça les sourcils, comme si une idée le dérangeait.
« C’est étrange, tout de même. Je suis en train de rêvasser. Pourtant, il me semble bien que cette simple action soit en adéquation avec mon Dao et devrait pouvoir me permettre de cultiver. Alors pourquoi est-ce que je ne ressens pas l’énergie environnante jaillir vers moi ? » Shi Kun pouvait désormais naturellement ressentir l’énergie spirituelle aussi facilement qu’il sentait une odeur. Et en tout état de cause, l’énergie spirituelle des environs n’avait pas l’air pressée de se diriger vers son dantian afin d’y être raffinée.
« Ce n’est pas plus mal. Ainsi, je ne risque pas de cultiver sans le vouloir. Si je le faisais, les nuits comme celle-ci seraient comptées. » Shi Kun était conscient qu’une petite erreur de parcours pouvait avoir de grandes répercussions sur son avenir. Après tout, au 1er niveau de la maîtrise du qi, il n’était pas excessivement difficile de percer. Il ne s’agissait que du tout début de la longue voie de la cultivation. S’il se laissait aller et que son Dao lui permettait d’absorber trop d’énergie spirituelle, alors il aurait bien du mal à ne pas la raffiner sous la pression que le patriarche ne manquerait pas de lui faire ressentir.
Shi Kun se convainquit tout d’abord qu’il avait la flemme d’y réfléchir plus que de raison. Mais plus il admirait les étoiles et la lune avant de parvenir à s’endormir, plus les pensées le rattrapaient.
« Merde ! Je ne peux même plus paresser en paix ! » Finalement, il frappa du poing au sol, excédé par ces pensées parasites et inutiles. « Pourquoi, depuis que je suis un cultivateur, ne puis-je pas avoir cinq minutes à moi ?! »
« Tout d’abord, il me faut des conseils. Je pense que le mieux placé pour ça dans l’immédiat… Le patriarche ? Hmmm, non. Je serais obligé de bouger… Incarnation de la Paresse… » Shi Kun fit un geste de la main et invoqua cette craquelure dans l’air. La tête du démon-tortue apparut comme elle l’avait fait plus tôt dans la journée ; cette fois, Shi Kun le prit d’avance.
« Eh, Paresse. Je peux t’appeler Paresse, hein ? Viens voir. La nuit est belle. On est bien, là, couché sous les étoiles. »
Les yeux de la tortue brillèrent et elle passa ses mains par l’ouverture pour l’écarter et en sortir totalement. « Heh. Tu sais parler à la Paresse, hein ? »
« D’ailleurs, ça me fait penser. Tu es supposé être devenu une invocation, non ? » Shi Kun fronça les sourcils, peu convaincu.
« Oui, oui. Afin de rester dans ce monde humain, j’ai dû passer par là. Mais ne t’en fais pas, ce n’est pas important. C’est un état comme un autre. Après tout, lorsque tu ne m’invoques pas, je suis chez moi, sur le plan des démons. » La tortue haussa les épaules et lui expliqua tout ça comme si l’invocation n’était qu’une invitation à un club de vacances.
« Oh… Et tu peux décider si tu acceptes l’invocation ? N’est-ce pas outrepasser les règles d’une invocation ? » Shi Kun creusa encore un peu le sujet, peu sûr de la façon dont tout ça fonctionnait finalement.
« Ha ha ha ! » La tortue se claqua le côté de la carapace où se trouvaient ses côtes en riant aux éclats. Puis, elle tourna la tête vers Shi Kun. « Je reconnais ton Dao, Shi Kun. Je le reconnais réellement, si tu veux tout savoir. Mais me forcer à répondre à ton appel ? Ha ha… Quand tu auras cultivé deux ou trois cents ans, peut-être, ha ha ha… »
Le démon insinuait par là que Shi Kun n’était définitivement pas assez puissant pour ça. Shi Kun le comprit rapidement et haussa les épaules en acceptant cette conclusion. Après tout, il n’avait jamais demandé à posséder cette technique alors la tortue pouvait bien faire ce qu’elle voulait. En revanche, ce n’était pas pour parler de ça qu’il l’avait fait venir.
Shi Kun tourna la tête vers la tortue tranquillement allongée sur l’herbe à ses côtés.
« Dis-moi, lorsqu’on cultive un Dao, peut-on empêcher l’énergie spirituelle d’affluer vers le Dantian ? »
« Oh ? Voilà une question bien particulière et marginale. Pourquoi voudrait-on cultiver et empêcher l’énergie de… ? » La Paresse se gratta le menton en y réfléchissant avant de secouer la tête. « Non, non. Je ne crois pas. L’énergie suit le principe du Dao. Si tu le respectes, elle arrivera. »
« Alors pourquoi n’est-ce pas mon cas ? Regarde-moi ! Je suis là, à paresser comme j’aime le faire et vois-tu une quelconque énergie spirituelle venir vers moi ? »
Tournant la tête dans tous les sens, la tortue ne put que confirmer que ce qu’il disait n’était pas dénué de sens. « Je ne comprends pas, moi non plus. Mais considère ça comme une bénédiction. Tu n’auras pas besoin de te fatiguer à raffiner l’énergie qui vient à toi puisqu’elle ne vient pas à toi, ha ha. »
« … »
Shi Kun hésita. Il ne sut que penser du comportement de la tortue, encore plus nonchalant que le sien. Mais après tout, n’était-ce pas l’incarnation même de la paresse ?
« Es-tu une espèce de dieu ? »
« Moi ? » La tortue sembla choquée par la question. « Absolument p… Oh. De ton point de vue, ça y ressemble un peu, en effet. Je suis l’un des démons les plus puissants. Sans doute peux-tu me comparer à un dieu. Ha ha ha, je suis certain que l’Orgueil aurait validé en moins de temps qu’il ne faut à une goutte d’eau pour se fondre dans l’océan ! »
« L’Orgueil ? » Shi Kun resta perplexe face à cette allusion. La tortue n’en donna pas suite et se contenta de secouer un peu sa patte griffue comme pour chasser le sujet. « Oh, un de mes six frères, ne t’en fais pas pour lui. Il est bien où il est. »
« … » Par flemme de la questionner encore sur ses frères, Shi Kun abandonna la conversation. Ils ne prononcèrent plus un mot jusqu’à l’aube. Shi Kun dormait profondément et la Paresse regardait le soleil se lever.
« Bon. Ton énergie spirituelle n’est pas illimitée… Je ne peux pas rester plus longtemps. C’était une belle nuit. Je répondrai à ton appel plus souvent si tu m’offres de telles nuits étoilées de temps en temps. » Sur ces mots adressés à un Shi Kun endormi, la Paresse s’effaça comme par magie, esquissant un sourire juste avant de laisser sa place à l’air tiède du matin.
Pendant la semaine qui suivit, Shi Kun passa le plus clair de son temps allongé là ou à se promener aux alentours de chez lui, dans la secte. Il ne sortit plus pour aller en ville que pour se procurer de l’alcool quotidiennement. Son Dao ne montrait toujours pas de signe tendant vers la cultivation normale et Shi Kun commençait à se dire que tout ce qu’il avait vécu n’avait peut-être été qu’un accident. Peu lui importait au bout du compte, il avait obtenu gain de cause face aux cieux : il pouvait vivre sur un terrain bien à lui dans une secte qui assurait sa protection.
« La vie est parfaite désormais. »
Il se répétait cette petite phrase chaque jour, pour toujours se souvenir d’où il venait et l’ampleur du changement qu’avait connu sa vie. Il souhaitait que ça dure pour le restant de ses jours.
Cela dit, c’était sans compter sur les rumeurs.
Au bout de quelques jours à peine, une rumeur, née dans la ville et involontairement issue d’un certain mendiant bien particulier, vieux et édenté, commença à se propager. On racontait qu’il existait un mendiant qui avait réussi à se hisser jusqu’au stade où on lui avait permis de rejoindre une secte, et naturellement, ce fait représentait la fierté de tout mendiant qui se respectait. Si les choses s’étaient arrêtées là, peut-être n’auraient-elles pas été si graves ; mais la rumeur atteignit la secte en question au bout d’une semaine.
Déformée, elle racontait déjà qu’un mendiant vivait dans la secte tout en se trouvant incapable de cultiver, comme tous les autres mendiants. Il avait trouvé un moyen de berner tout le monde et de couler des jours paisibles dans une retraite de luxe, au nez et à la barbe de tous les disciples et les anciens de la secte, et même le patriarche.
Presque une semaine après que la rumeur eut atteint la secte, presque tous les disciples pouvaient être entendus en train de se plaindre de Shi Kun, y compris et surtout ceux qui ne l’avaient jamais vu. En quelques jours, la rumeur avait atteint un tel point que certains disciples étaient presque prêts à aller le voir en personne pour lui donner une bonne leçon et le tuer s’il résistait, pour lui apprendre à manquer de respect ainsi à leur secte.
Shao Kang tenta bien de calmer la rumeur, persuadé qu’il s’agissait réellement là d’une erreur. Il avait vu de quoi Shi Kun était capable et ne pouvait absolument pas s’imaginer une quelconque astuce malhonnête derrière ses actions. Mais la rumeur gagna et ses tentatives ne furent qu’autant de coups d’épée dans l’eau.
Un beau matin, le patriarche décida qu’il était temps de s’occuper personnellement de ce qui était devenu chaotique.
« Mon garçon, les cieux ne mentent pas. Ton Dao parle pour toi. Peu importe ce qui se dit, tu as été capable d’être reconnu digne par les cieux, donc tu mérites ta place. Bon. Il est temps de constater tes progrès aujourd’hui. »
Content de son raisonnement, le patriarche Destinée hocha la tête avec un sourire satisfait et se rendit chez Shi Kun, se posant directement dans son petit jardin après plus de deux semaines d’absence. Il avait volontairement pris du recul pour ne pas trop l’influencer, parce que son rôle de patriarche le lui imposait et parce qu’il ne voulait pas créer de deuxième Bai Liuxian. Mais il décida ce jour qu’il pouvait bien rendre une petite visite de courtoisie à celui qui avait créé, presque anonymement, un Dao légendaire.
Il fallait savoir que les disciples regardaient peu la stèle du Dao. Seuls les plus jeunes le faisaient afin de choisir un Dao qui leur correspondait s’ils ne parvenaient pas à créer le leur. Et perdu parmi cette foule de noms, celui de Shi Kun était passé relativement inaperçu durant les deux semaines écoulées.
Le patriarche venait de se poser calmement dans l’herbe et tomba nez à nez avec Shi Kun, paisiblement endormi sous le soleil matinal. Souriant tout d’abord, il s’imagina à quel point Shi Kun devait être exténué avant de froncer les sourcils. Le visage du patriarche se crispa.
« 1er niveau de la maîtrise du qi ? Dantian totalement vide ? Il n’a pas progressé du tout ?! » Le patriarche s’exclama à voix haute, d’abord incrédule. Il vérifia à plusieurs reprises qu’il ne se trompait pas et une fois durement frappé par la réalité, il comprit.
« Il poursuit un Dao de l’inaction, de la paresse… Bien sûr, j’ai compris. Il dort afin de suivre les enseignements de son Dao. » Le patriarche hocha la tête.
« Mais… Non, ça ne va pas ! Pourquoi n’a-t-il pas encore attiré l’énergie spirituelle à lui, dans ce cas ? » Il se mit à se gratter la barbe, plongé en pleine réflexion.
« …Il peut cultiver en absorbant de l’alcool. Je vois. J’en ai été témoin. Son corps est spécial, peut-être ne peut-il tout simplement pas attirer l’énergie spirituelle à lui. Bloqué, il ne saura pas comment faire pour progresser. » Une nouvelle fois content de sa conclusion, le patriarche fronça les sourcils une fois de plus.
« Non, ça ne va pas ! Pourquoi n’a-t-il pas été demander conseil en plus de deux semaines ? Il s’en fiche royalement, voilà la seule vérité ! »
Le patriarche comprit alors réellement ce qu’il se passait. La discussion qu’ils avaient eue concernant la secte extérieure et les missions lui revint en mémoire comme un éclair divin.
« C’est pour ça qu’il a insisté ? Il veut vivre aux dépens de la secte tout en n’étant pas obligé d’effectuer la moindre mission ! »
Furieux, le patriarche ne prit pas la peine de réveiller Shi Kun, qui ronflait doucement. Il se retourna et s’envola, bien décidé à convoquer le conseil des anciens, seul moyen de changer certaines règles de la secte. Mais cette fois, c’était nécessaire.
« Ah, créer un Dao légendaire t’a fait enfler les chevilles, c’est ça ? Hah ! Hors de question que je me débarrasse d’un Dao légendaire ! Il faut que tu deviennes la fierté de notre secte et pour ça, nous allons devoir te forcer la main ! »
Bientôt, les disciples allaient découvrir à leur grande stupeur que la fameuse règle les dispensant de mission aux 1er et 2ème niveaux de la maîtrise du qi n’allait plus être qu’un excellent souvenir.
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Merci pour le chapitre
Hâte de rencontrer les 6 autres péchés capitaux
Merci pour ce chapitre.
Bon ben baille baille la vie insouciante de Shi Kun. Les choses sérieuses vont commencer au détriment de ce dernier, lui qui aspirait à une vie paisible au sein de cette secte. C’est ballot ^^ !
Merci pour le chapitre.
Il a joué et il a perdu.
Bon bah RIP shi kun et son rève de retraite dorée^^ Merci pour le chap
Mais si on le force a cultiver ,il va a l’encontre de son dao qui est basé sur la liberté,du coups sa culture stagne.Enfin si j’ai bien compris le principe du truc ?
Merci pour le chapitre
Si t’as bien compris le truc, son Dao ne lui permet pas de cultiver (dantian spécial, tout ça…), du coup il est obligé de passer pas l’alcool.
Donc son super Dao légendaire ne lui sert qu’a avoir la sympathie de son invocation.
Pas tout à fait. Tu comprendras par la suite.
Ah oui le Dao sert aussi a créer les techniques.
D’où le titre de ce LN ^^.
Pourtant il a bu avec les mendiants et son dantian était complètement vide donc il lui faut en plus de l’alcool de bonne qualité ? sa commence a être galère tout ça à force il aura pt pas tant de mâle à progresser lentement au final.
Merci pour le chapitre
Merci pour le chapitre !
Merci pour le chapitre