Chapitre 34 – Choses déraisonnables
Zorian n’amena pas les papiers dans sa chambre, bien sûr. Il était confiant en l’absence de sort de traçage sur quoi que ce fût de la pile de documents mais il était également certain que Vazen tenterait de lancer des sorts de divination pour retrouver son bien à la dure une fois qu’il aurait constaté le larcin. Il pourrait même y parvenir, auquel cas Zorian ne voulait pas se trouver près du moins indice pouvant l’impliquer automatiquement dans le crime. Il était absurde de prendre ce risque quand il pouvait simplement ranger son butin ailleurs.
Ailleurs, dans ce cas, s’avéra être hors de Knyazov Dveri – de la sorte, les papiers seraient hors de portée de virtuellement tous les sorts de divination lancés dans l’enceinte de la ville. Ainsi, après s’être téléporté un peu au hasard du vent pour brouiller toute piste et semer tout poursuivant potentiel, le dernier saut de Zorian l’amena loin dans la forêt, la forêt sauvage au nord de la ville, jusque dans un endroit près duquel se situait une petite grotte bien pratique. Il l’avait trouvée dans une boucle précédente, pendant sa recherche d’ingrédients rares pour Lac d’Argent et il avait senti à ce moment que ç’aurait pu être un bon endroit pour dresser un camp provisoire. Il y avait juste quelques finitions à faire çà et là et les lieux seraient acceptables pour ce qu’il comptait en faire.
Il conjura une lanterne brillante afin d’éclairer la voie dans la pénombre de la caverne et se mit au travail. Après un rapide sort pour effrayer les animaux et destiné à chasser rats et chauves-souris de son nouveau camp de fortune, Zorian se lança dans la magie d’altération pour nettoyer les lieux et créa quelques étagères et plans de lecture, taillés directement dans le roc. Quelques instants plus tard, après avoir testé confort et stabilité de son nouveau mobilier, il décida que les chaises de pierre n’étaient peut-être pas la meilleure idée du siècle et opta pour transformer les quelques branches mortes alentour en un mobilier plus à son goût. Voilà. Suffisant pour ce qu’il comptait en faire.
— Maintenant, la partie compliquée, dit-il tout haut.
Il était temps de mettre en place un schéma de protection pour son camp de troglodyte.
Trois heures plus tard, Zorian avait superposé chaque barrière de divination qu’il pensait utile et même certaines qu’il savait inutiles ; il avait vérifié l’intégrité des protections deux fois pour s’assurer que tout fût stable et fonctionnait correctement. Pour dire vrai… il n’était pas satisfait. Il possédait une collection insuffisante de sorts anti-divinations, insuffisante pour créer une structure vraiment solide et impassable et trop peu d’expérience pour juger proprement ce qui était essentiel et ce qui ne l’était pas. En plus de ça, s’il lui fallait autant de temps pour obtenir un résultat si moyen, combien lui en faudrait-il pour mettre en place une protection plus complexe ? Il avait vraiment besoin de devenir meilleur dans ce domaine…
Il secoua la tête pour s’éclaircir les idées. Il fallait qu’il devienne meilleur dans un paquet de choses et il y avait de priorités. La défense contre la magie de l’âme, puis les compétences de combat, et les arts mentaux Aranea. Ces trois choses étaient urgentes et ne pouvaient être repoussées. Tout le reste était secondaire pour l’heure, même le mystère entourant Vazen et les documents. Si les voler ne faisait que précipiter sa mort malgré toutes les précautions qu’il avait prises… Eh bien, il devrait simplement mettre tout ça de côté le temps d’en finir avec son but principal du moment, n’est-ce pas ?
Non, ses défenses actuelles devraient suffire pour l’instant. Il plaça les documents volés à Vazen sur la table de pierre qu’il avait créée un peu plus tôt, s’installa sur la chaise faite de débris de bois qu’il avait amassés dans les bois environnants et commença à lire…
Des heures plus tard, lorsqu’il eût finalement terminé de parcourir et d’organiser la totalité de la paperasse, il hésita sincèrement à brûler le tout avant d’en disperser les cendres aux quatre vents. C’était plus sûr ainsi, et probablement plus qu’un peu cathartique. Il s’était attendu à trouver quelque chose d’énorme, de profondément incriminant, mais il s’agissait de tout autre chose. Pourquoi ce type aurait-il gardé toutes les preuves au même endroit, après tout ? Si Zorian avait été à sa place, il aurait détruit chaque lettre aussitôt lue afin qu’elles ne fussent plus utilisées contre lui. Vazen les gardait-il comme source d’un potentiel chantage ? Mais alors, c’était sacrément couillu de sa part en considérant le genre de personne à qui il avait affaire.
Ladite personne étant Sudomir Kandrei, le maire de Knyazov Dveri. Parce que bien sûr, il fallait que ce soit le foutu maire derrière tout ça. Pas étonnant que parler des disparitions à la police ne menait nulle part – même si quelqu’un avait sérieusement enquêté, on lui aurait rapidement ordonné de laisser tomber l’affaire. Les gouverneurs locaux de zones périphériques comme celle-ci étaient techniquement de petits tyrans qui pouvaient faire ce que bon leur plaisait tant qu’ils s’assuraient de ne pas énerver la mauvaise personne.
Non que savoir qui était le responsable des disparitions pût éclairer ses motivations. Une fois tout résumé, Vazen était à peine le type qui fournissait Sudomir en divers matériaux illégaux et qui engageait de temps en temps des personnages louches à la place du maire pour que celui-ci ne fût pas impliqué dans une quelconque affaire. Le marchand n’était même pas au courant de la plupart des disparitions, pour ce que Zorian en comprenait. En fait, les transactions illégales entre Vazen et le maire semblaient avoir été bien plus bénignes jusqu’à trois mois auparavant, quand le fonctionnaire commença à monter les enjeux et demander des marchandises bien plus risquées et en plus grande quantité tout en arrangeant des assassinats comme celui perpétré contre lui et Alanic. On pouvait comprendre, d’après les lettres, que Vazen était de plus en plus contraint et ennuyé face à ce client qui faisait escalader les enchères, en particulier parce qu’il refusait d’expliquer ce qui avait poussé à ce changement soudain. Le marché que Vazen avait passé avec une entreprise de Cyoria, celui auquel s’intéressait Gurey, était techniquement un pot-de-vin que Sudomir avait arrangé pour Vazen afin de le calmer et garantir sa coopération.
Les schémas et recettes contenues dans les documents étaient certes intéressants mais il n’y avait rien là que Zorian trouvât réellement important ou sinistre. Les noms des trois commerces qui avaient fourni cette documentation étaient reconnaissables, cependant – ils étaient tenus par des personnes que les Aranea avaient identifiés comme membre du Culte du Dragon.
Alors… Le maire de Knyazov Dveri possédait des liens avec le Culte du Dragon du Dessous. Et un lien assez notable pour lui permettre de les forcer à fournir des documents d’une grande valeur à l’un de ses agents comme une vulgaire pitance.
Eh bien, l’idée que toute cette affaire était connectée aux envahisseurs Ibasiens était encore un peu plus crédible avec ça, même si Vazen n’était pas celui qui leur était finalement connecté comme il le suspectait. Pourtant, la question restait intacte : pourquoi en avait-il après les personnes spécialisées dans la magie de l’âme aux alentours de Knyazov Dveri ? Pourquoi en avoir quoi que ce soit à faire ? Qu’espéraient achever les Ibasians, ce faisant ? Certaines de ces bonnes gens pouvaient seulement à peine être décrits comme étant des mages, pour commencer et ne faisaient que vivre leur vie, la plupart d’entre eux ne présentant même pas la moindre menace face aux forces des nécromanciens… ou à quiconque, vraiment.
Il soupira. Comme toujours, chaque réponse trouvée semblait avoir pour fardeau deux nouvelles interrogations, sillage cruel et permanent. Il plaça les documents sur l’étagère creusée dans la paroi rocheuse et choisit de ne pas encore les détruire. Enfin, il retourna à l’auberge pour y profiter d’un peu de sommeil.
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Après avoir dormi quelque peu et s’être offert une chance de réfléchir aux choses plus posément, il décida de remettre l’enquête sur les activités du maire à une autre fois. Il était absurde de chatouiller le nid des guêpes plus qu’il ne l’avait déjà fait alors qu’il pouvait attendre une autre instance de la boucle temporelle, dans laquelle il n’aurait jamais volé les documents incriminants de Vazen et que lui comme le maire ne savaient pas qu’ils possédaient désormais une épée de Damoclès au-dessus de la tête.
Cependant, comme les jours passaient sans indicent et que personne n’avait même traqué les documents volés jusqu’à sa petite cachette au cœur de la forêt, il commença à se détendre. Il ne rouvrit pas l’enquête, ne changea pas ses plans mais songea qu’il allait enfin vivre un mois paisible sans vrai danger. Il absorba lentement les leçons d’Alanic concernant la vision personnelle de l’âme, trafiqua son golem de bois à n’en plus finir – version trois, cette fois – et s’assura de s’essayer au rituel de détection du marqueur au moins une fois par jour : aucun changement, le sort renvoya inlassablement deux marqueurs.
Et deux semaines plus tard, au milieu du mois, il s’éveilla au milieu de la nuit, ouvrant les yeux face à une silhouette noire, visage obscurci et un couteau à la main.
Plus tard, il se demanderait ce qui l’avait incité à se réveiller en lui indiquant qu’il était en danger mais à ce moment précis, il ne fit que réagir sans réfléchir. Sans se préoccuper de structurer le mana en un quelconque sort, il tendit la main et balança sa couverture sur l’assassin dans un éclat de télékinésie. L’homme – probablement, comme sa carrure le laissait croire – tomba en arrière quand ce monde blanc s’écrasa sur lui, pas blessé mais surpris au-delà de ce que sa stabilité pouvait encaisser.
Zorian se hissa sur ses pieds, parvenant à peine à se lever avant que l’assassin ne se débarrasse de ce morceau de tissu pour se jeter sur lui. Trois coups de couteau plus tard Zorian arborait une profonde coupure sur le bras et une égratignure sur la joue et il savait déjà qu’il n’avait aucune chance face à son agresseur dans une confrontation physique. Il parcourut frénétiquement la pièce des yeux à la recherche d’une quelconque aide et admit intérieurement qu’avoir insonorisé la pièce avait peut-être été une petite erreur : même s’il criait et que quelqu’un l’entendait, personne n’aurait été capable de venir le sauver avant que l’assassin eût fini sa sinistre tâche. Non, la plus grosse erreur de sa part ? Il avait choisi de ranger sa baguette de missiles et son bracelet bouclier dans le tiroir avant de dormir.
C’était officiel : après ce combat, peu en importait l’issue, il allait lancer des missiles magiques à tout va, dès que le temps et le mana le lui permettraient, afin de rendre le sort purement instinctif. Il ne pouvait pas se permettre de se retrouver à ce point sans défenses une fois séparé de ses outils.
— Si je meurs, je nous fais exploser tous les deux ! cria Zorian, et il le pensait : le collier suicidaire, au moins, était toujours à son cou.
Peut-être qu’il devrait y placer autre chose que des explosifs, pour ce genre de situations.
L’homme hésita pendant une seconde face à la provocation mais se décida à attaquer à nouveau. Cette seconde fut néanmoins suffisante – avec cette petite fenêtre de concentration, Zorian bombarda l’esprit de l’agresseur d’une cacophonie télépathique. Celui-ci trembla et son attaque fut avortée mais il ne tomba pas.
Pas encore, en tout cas. Quand Zorian tira avantage de sa confusion momentanée pour lui éclater un presse-papier sur le coin du menton, l’effet fut terminal : l’assassin tomba dans une gerbe de sang et ne se releva pas.
Une minute plus tard, après s’être calmé un peu et avoir confirmé que l’assassin, bien que toujours en vie, n’allait pas se relever de sitôt, Zorian décida qu’il ne pouvait pas aller voir la police comme ça. Ils étaient de façon légale les employés du maire et Sudomir était probablement derrière cette tentative de meurtre. Ou alors il avait fait arranger ça par quelqu’un d’autre, plus probablement, considérant son comportement décrit dans les lettres de Vazen. Le fait que l’assassin possédait apparemment une clé de sa chambre, clé qui lui avait permis de ne pas se faire prendre par l’alarme anti-intrusion mise en place par Zorian lui-même, n’aidait pas à calmer sa paranoïa. Mais peu importait, il ne connaissait qu’une seule personne qu’il pouvait contacter, désormais.
Déjà dégoûté par le sermon qu’il allait recevoir pour avoir laissé le bougre en vie, Zorian ramassa ledit bougre et se téléporta directement au temple d’Alanic.
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Comme l’espérait Zorian, Alanic accepta son explication : l’homme qu’il transportait était un assassin envoyé pour le tuer et le prêtre accepta de s’en occuper. Il donna même à Zorian une potion de soin rapide pour guérir ces coupures et contusions que l’homme lui avait infligées pendant leur lutte mortelle, et elles n’étaient pas exactement bon marché.
Malheureusement, il décida également que Zorian devait désormais venir vivre au temple, avec lui, de façon permanente. Selon Alanic, il s’était attendu à quelque chose comme ça depuis que Zorian avait mis un terme aux tentatives d’assassinat sur Lukav et lui-même, plus tôt dans le mois. C’était la seule preuve dont il avait besoin pour décréter que Zorian n’était pas en sécurité dehors. Qui pouvait dire que ça n’arriverait pas à nouveau, avec succès cette fois ? Non, pour autant que le prêtre était concerné, Zorian devait désormais rester sous sa protection constante jusqu’à résolution de la situation.
Zorian détestait vraiment cette idée, qui signifiait de façon effective rester en prison pour le reste du mois. Cela dit, Alanic avait été clair à ce sujet : s’il sortait, il perdrait son aide pour l’acquisition de la compétence permettant de percevoir son âme. Alors voilà.
Malgré ses défauts, cette situation s’avéra être une bénédiction déguisée. Comme il n’y avait rien à faire dans ce petit temple ennuyant, Zorian se retrouva à passer la plupart de son temps à lancer des missiles magiques afin de les rendre plus instantanés, plus automatiques. Il s’était fait une promesse, après tout. Dans tous les cas, ces efforts attirèrent l’attention du prêtre et il accepta de donner des conseils à Zorian sur la façon d’améliorer sa magie de combat. Bien sûr, Alanic ne pouvait pas l’aider plus que ça à le faire atteindre un but qu’il s’était lui-même imposé – ce n’était qu’un problème de répétition, encore et encore et encore… et encore. Au lieu de ça, son aide ciblait les sorts de feu, sa spécialité.
Aussi, quand Zorian en avait assez de lancer des missiles magiques à répétition, il travailla sur la maîtrise d’une pléthore de sorts mineurs de feu ; leur parfait contrôle, prétendant Alanic, lui permettrait d’améliorer sa capacité à manipuler le feu en plein combat. L’un créait un fin anneau de feu autour du lanceur, le rendant compliqué à atteindre au corps-à-corps à moins de vouloir s’y brûler. Alanic prétendait qu’un lanceur talentueux pouvait contrôler le diamètre de cette protection à volonté, la diviser en plusieurs anneaux plus petits pour mieux le couvrir ainsi que faire monter et descendre ce bouclier enflammé le long de son corps. L’autre sort conjurait une petite volée d’oiseaux de feu autocontrôlés qui devaient harceler l’ennemi ; celui-là était supposé lui permettre d’apprendre à intégrer une animation dans les sorts de feu, et l’utilité réelle du sort dépendait entièrement de la qualité du mouvement des oiseaux. Etc, etc, etc. Alanic connaissait au moins autant de sorts mineurs de feu qu’il existait de variations aux trois bases.
— Vingt, seulement ? demanda Alanic. Allez, gamin, je sais que tu peux faire mieux…
Zorian l’ignora, rassemblant les vingt orbes de feu de la taille de billes autour de lui. Lancer le sort était super facile. Contrôler les vingt orbes en même temps ne l’était pas.
— Je ne veux pas m’épuiser trop rapidement, expliqua Zorian en testant son contrôle sur les orbes en en détachant deux pour les faire voler hors de la formation.
Il s’était accordé une sacrée brûlure la dernière fois qu’il avait lancé le sort en percutant accidentellement une des boules enflammées du dos de la main et il n’avait pas l’intention de répéter l’erreur. La capacité de diriger les orbes à volonté était un superbe avantage mais qui signifiait également qu’il ne possédait pas grand-chose en terme de mesure de sécurité.
— Je vais arriver à court de mana trop vite si me mets à invoquer 50 orbes d’un coup.
— Tu ne devrais pas lancer le sort énormément, de toute façon, dit Alanic. Alimenter les orbes est bien moins coûteux que les recréer constamment. L’intérêt de la chose est de te pousser à les contrôler, et lancer le sort ne taide pas pour ça. Tu laisses ta peur de la brûlure te contrôler, toi.
— Eh bien, oui, je ne veux pas m’aveugler par accident… entre autres.
— Tu es trop tendu, soupira Alanic. Prends une pause et on continue demain.
Zorian abandonna immédiatement le sort, soulagé. Peu importait ce qu’en disais Alanic, il n’aimait pas ce sort. Pourtant, Alanic était l’expert, là.
— Puis-je vous demander quelque chose ? demanda Zorian, ce à quoi Alanic répondit par un geste de la main lui signifiant de se lancer. Est-ce vrai que vous pouvez brûler des cibles choisies ? C’est dire éviter à des personnes particulières de subir des dégâts de feu de vos sorts.
— Ah. Je suppose que Lukav t’en a parlé, supposa le prêtre – ouais, suppose donc ça. Oui, c’est une chose que je peux faire. Plus que ça, en fait. Ce n’est rien que tu prendrais la peine d’apprendre, de toute façon – c’est une compétence particulière qui demande énormément d’entraînement. Des années. À moins de vouloir te spécialiser en magie du feu – et tu m’as plus l’air d’un mage généraliste, pour être honnête – je ne te recommanderais pas de perdre ton temps à t’en inquiéter.
Il sourit.
— D’ailleurs, le temps que tu maîtrises quelque chose comme ça, le sorts Météores de poche que tu travailles actuellement sera un jeu d’enfant pour toi. Donc non, ce ne sera pas un raccourci pour ne pas te brûler.
— …m’en doutais, marmonna Zorian. Mais vous savez, une simple protection contre le feu rendrait ce sort bien plus praticable pour un entraînement. Pourquoi ne puis-je pas l’utiliser sur moi-même ?
— Le danger aiguise l’esprit, lâcha Alanic nonchalamment. Tu apprendras plus rapidement si tu prends les choses au sérieux sous la menace d’horribles brûlures. Mais essentiellement, je voulais voir combien de temps il te faudrait pour te souvenir que tu pouvais le faire.
— Ugh, grogna Zorian. Vous êtes diabolique.
Il n’y eut plus aucune attaque pour le reste du mois et cette boucle particulière prit fin comme prévu plutôt que coupée court comme la précédente.
Le sort de détection du marqueur ne rendit jamais plus de deux résultats dans son rayon de recherche, quand bien même Zorian le lança plusieurs fois par jour, jusqu’à la toute fin.
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Pendant les trois mois suivants, Zorian évita de faire la moindre vague de façon délibérée et se concentra sur sa croissance personnelle. Pas une période très excitante mais au bout du compte, il fut finalement capable de lancer des missiles magiques rapidement et sans aide extérieure. Il avait également maîtrisé la vision personnelle de l’âme, suffisamment en tout cas pour qu’Alanic commençât à lui transmettre son arsenal de sorts de protection de l’âme. En plus de ça, il apprit une pléthore de nouveaux sorts de feu, effectua des avancées notables sur son golem de bois pendant qu’il explorait, et peaufina le reste de ses capacités de combat face à la vie sauvage et monstrueuse qui peuplait la forêt.
Malheureusement, Alanic devint de plus en plus suspicieux d’un Zorian qui devenait peu à peu trop puissant à chaque boucle qui passait – et sans aucun doute, le prêtre avait reconnu certains sorts comme étant les siens – et avait failli refuser d’enseigner quoi que ce fût à Zorian à la dernière occasion. Zorian était finalement parvenu à le convaincre de l’aider en lui promettant de tout lui raconter après le festival d’été mais il était persuadé que même cette astuce allait s’avérer inutile bientôt. Selon son estimation, il disposait de deux mois supplémentaires avant qu’Alanic refuse de lui apprendre le moindre fragment de sort sans une très bonne explication, et il n’en avait pas à lui offrir.
Mais c’était bien. Lorsque ça arriverait, Zorian ne serait plus sans défense face à un nécromancien hostile et le premier but était atteint ; il ne s’était jamais attendu à ce qu’Alanic lui apprenne tout.
Une réinitialisation plus tard, Zorian décida de lever son interdiction personnelle de se mêler des affaires de Sudomir. Aussi prudemment que possible, il tenta de découvrir ce qu’il pouvait à son propos. Sudomir était une personnalité connue et il n’était pas compliqué d’obtenir des informations à son sujet… mais la plupart étaient soit inutiles soit très suspectes. Ce qu’il entendit de plus intéressant était l’absence récurrente de l’homme, qui quittait la ville régulièrement pour des voyages officiels. Ces voyages étaient devenus particulièrement fréquents depuis quelques mois. C’était en accord avec les lettres de Vazen, qui montraient également que le maire avait changé sa façon d’agir de façon assez radicale durant cette période.
Quand les questions simples échouèrent à lui fournir des résultats supplémentaires, Zorian décida de se montrer un peu plus effronté et d’enquêter sur le lien entre Vazen et le maire. Il ne voulait pas avoir à affronter Vazen en personne et heureusement, il n’en eu pas besoin. Vazen n’était pas le patron et unique employé d’une entreprise comme l’était Guery mais possédait de la main-d’œuvre – et ces personnes ne possédaient pas le même niveau de paranoïa que leur patron. Ils ramenaient des choses chez eux pour y jeter un œil au calme, laissaient leurs clés stupidement cachées sous des pots de fleurs et n’érigeaient que trop rarement des défenses magiques à leur domicile. L’un d’eux tenait même un journal détaillé contenant toutes sortes de remarques et d’habitudes. Probablement la chose la plus intéressante qu’il découvrit de la part des employés de Vazen – il y apprit qu’il envoyait régulièrement des paquets mystérieux à un endroit appelé Maison Iasku : un endroit qui, pour ses employés, n’existait probablement pas. Le lieu n’était présent sur aucune carte, et pour cause, il se situait dans une section perdue de la forêt, au nord. Zorian n’était jamais allé aussi loin, pour tout dire.
Après avoir consulté quelques cartes, Zorian réalisa qu’i n’avait aucune idée du temps qu’il lui faudrait pour atteindre l’endroit en question. Des semaines ? Des mois ? Merde, ces enfoirés avaient vraiment choisi un lieu hors de portée pour leurs échanges ! Ça allait s’avérer être une sacrée corvée…
Il alla voir Lukav afin de lui demander de l’aide. Le spécialiste de la transformation était réputé pour être un homme d’extérieur et il devrait être capable de lui donner des conseils sur le moyen d’atteindre des lieux aussi distants que celui-ci. Peut-être existait-il une potion d’amélioration qui pourrait aider ?
— Non, je ne pense pas que ça pourrait être utile, pour un cas comme ça, lui dit Lukav tout en regardant la carte que Zorian venait de lui déplier sous le nez. Elles ne durent pas assez longtemps et il te faudrait au moins deux semaines pour atteindre cet endroit à pied. Difficile. Peut-être qu’il s’agit d’une déformation professionnelle mais as-tu pensé à simplement te transformer en oiseau pour t’y rendre en volant ?
— Je n’y ai pas songé, avoua Zorian, surpris. L’idée ne m’a jamais traversé l’esprit. Est-ce compliqué ?
— Pas compliqué du tout, mais peut-être un peu cher, admit Lukav. Tu aurais probablement besoin de gaspiller une potion ou deux pour t’habituer au vol et au déplacement sous ta nouvelle forme. Peut-être plus, selon ta capacité d’apprentissage. Les oiseaux sont vraiment différents des humains.
Il tendit à Zorian une liste indiquant les prix de ses potions et en désigna rapidement une, dans la section oiseaux.
— Je te conseille l’aigle, personnellement, dit-il. Il vole bien, possède une excellente vue et est suffisamment gros pour dissuader de nombreux prédateurs d’attaquer. Et puis c’est une aigle, qu’y a-t-il qu’on ne puisse pas apprécier dans un aigle ? Ce n’est pas comme si tu avais besoin d’être discret, là où tu vas.
Zorian regarda le prix affiché à côté de la potion de transformation en aigle. C’était… faisable. Il pouvait en acheter trois s’il le devait, bien qu’il détestât utiliser la majeure partie de son argent de la sorte. Même s’il savait qu’il serait de retour au début de la prochaine session du même mois, il lui semblait juste mal de les dilapider de la sorte. Il avait passé des années à économiser cet argent, bordel ! D’ailleurs, que se passerait-il s’il avait besoin de sa bourse plus tard dans le mois ?
— Je suppose que je pourrais essayer ça, dit Zorian. Au passage, achetez-vous les animaux rares que l’on pourrait trouver, loin dans la forêt ?
— Ha, non. S’ils sont trouvables dans les forêts aux alentours, alors je suis plus que capable d’aller les chercher moi-même, répondit Lukav. Bien que si tu désires risquer ta vie dans le donjon local, il y a là plusieurs choses pour lesquelles je serais prêt à payer un bon prix…
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Se laissant glisser sur un courant ascendant d’air chaud, Zorian surveilla les terres, loin sous lui, de ses yeux perçants. L’expérience était impossible à décrire – tout n’était qu’une explosion de couleurs et de détails, comme si on lui avait retiré de devant les yeux un voile dont il ignorait l’existence. Cela lui rappelait l’époque où ses parents l’avaient amené chez le médecin pour un examen de la vue et qu’il lui avait annoncé qu’il allait devoir porter des lunettes. Son pète avait été si déçu à ce propos… mais au moment où Zorian avait posé les petits morceaux de verre sur son nez, il avait su qu’il ne voudrait plus jamais s’en passer. C’était un peu la même chose cette fois, en encore plus extrême. S’il tentait, il pourrait discerner les feuilles individuelles des arbres situés à des kilomètres. Les maisons, au loin, n’auraient été que des blocs flous pour ses yeux d’humains ; elles étaient alors rendues avec une netteté parfaite, jusqu’à ce vieux matou qui se cachait dans l’ombre d’une cheminée.
Être un aigle était fantastiques, décida Zorian. Étrange mais fantastique.
Il battit des ailes à plusieurs reprises afin de changer de direction, tanguant dangereusement l’espace d’un instant. Il n’avait toujours pas l’habitude de voler, pour être honnête, et le moins il pouvait parler de ses capacités d’atterrissage, le mieux il se porterait. Heureusement, les oiseaux de ce gabarit passaient le plus clair de leur temps dans les airs, glissant de courant d’air chaud en courant d’air chaud et il pouvait s’y faire. Zorian fixa l’horizon, en direction de l’endroit où était supposée se trouver la Maison Iasku et prit le départ vers la forêt sauvage.
Voler au-dessus des arbres s’avéra rapidement lassant, cela dit, même équipé d’une acuité visuelle ridiculement élevée. La canopée obscurcissait le sol et l’empêchait de le scruter comme il le désirait, alors il n’y avait pas énormément de choses à voir. Il put voir des montagnes au loin – les sinistres Montagnes Hivernales qui dominaient le territoire central d’Altazia, prétendue source de toute glace et neige – un cœur de l’hiver qui s’éveillait une fois l’année pour couvrir les terres de gel jusqu’à se faire inévitablement repousser par la puissance de l’été et donnant entre temps naissance au printemps.
Zorian aurait aimé croire qu’il s’agissait là d’une superstition mais pour autant qu’il le sût, il pouvait bien y avoir une part de vérité, comme un élémentaire de glace ultra puissant qui pourrait vivre là-bas, ou autre chose du même genre. On en savait vraiment très peu à propos de ces montagnes, largement à cause de leur niveau de dangerosité – les explorer revenait au même que tenter de cartographier les niveaux inférieurs du donjon, et pas aussi bénéfiques.
Enfin, Zorian approcha de sa destination. Il s’était inquiété du risque de louper l’endroit à cause du manque de carte sous sa forme aviaire et que tout se ressemblait vu de là-haut mais il n’avait finalement pas besoin de s’en faire. La Maison Iasku était très facile à repérer. Ce n’était pas, comme il le suspectait, une clairière suspecte ou une pierre levée que Vazen et Sudomir utilisaient comme pount de rendez-vous. C’était, en fait, une vraie maison.
Zorian tourna en rond au-dessus du bâtiment à plusieurs reprises en tentant de comprendre ce qu’il était en train d’observer. La maison était un éclat blanc dans un océan de vert, quelque peu ravagée par le temps et la nature mais toujours clairement habitable et entretenue. Mis à part la maison, il y avait là un petit entrepôt, qui apparaissait comme bien plus récent – pas de mousse sur le toit, pas de fissures dans les murs que son œil amélioré pût détecter et bien plus massif et utilitaire dans sa construction.
Il n’avait aucune idée de la raison pour laquelle quelqu’un construirait un truc pareil juste là, au milieu de nulle part. S’il s’était agi d’un fort ou d’une tour d’observation, il aurait pu comprendre… mais qui voudrait construire une habitation de luxe isolée à ce point et exposée aux dangers du nord ? Malheureusement, ses réflexions furent interrompues lorsque les corbeaux qui parsemaient les arbres autour de la maison prirent note de sa présence et qu’une centaine de croassements colériques emplirent l’air.
Zorian se concentra sur eux l’espace d’un instant. Même s’ils étaient petits et lointains, les yeux qu’il possédait actuellement n’eurent aucun problème à en discerner la moindre plume. Ce n’étaient pas des corbeaux… Ils étaient plus larges et leurs plumes d’un noir de nuit possédaient de petites décorations rouges et un étrange reflet métallique.
Des Becs de Fer. Les oiseaux démoniaques du nord. Zorian ne surestima pas ses chances faces à l’un d’entre eux sous sa forme actuelle, encore moins face à une nuée entière stationnée autour de la maison. Même si maintenant qu’il y pensait, il aurait très bien pu lancer des missiles magiques sous sa forme d’oiseau, n’est-ce pas ? Il aurait pu être capable d’en dégommer quelques-uns avant que le reste ne le réduise en bouillie. Ça ne lui aurait rien apporté, aussi s’arrêta-t-il de tourner en rond et prit de la distance jusqu’à ce que ces maudits oiseaux arrêtassent de lui hurler dessus.
Il se demanda ce qu’il avait fait pour les énerver à ce point. Sans doute n’appréciaient-ils simplement pas la présence d’un grand prédateur tournant mécaniquement au-dessus de leurs têtes.
Eh bien, peu importait. Atterrir tout près de ce manoir aurait été une mauvaise idée de toute façon. Il aurait été très exposé et les lieux étaient sûrement protégés magiquement.
Il chercha dans la zone alentour un endroit dégagé où atterrir sans se briser le cou – les transferts de dégâts d’une forme à l’autre étaient souvent étranges et pas très corrects même si se faire tuer sous une forme signifiait la mort dans l’autre – et trouva finalement son bonheur à quelque distance à l’ouest. Un peu plus loin que ce qu’il aurait aimé trouvé mais nécessité fait loi, comme on dit.
Après un atterrissage qui se termina le bec dans la terre, Zorian se changea à nouveau en humain et passa plusieurs minutes à mémoriser les lieux afin de s’en servir pour ses téléportations futures.
Ceci fait, il se mit en route vers le manoir en espérant pouvoir y jeter un œil de plus près. Il regrettait déjà la vision extraordinaire de l’aigle mais certaines choses étaient plus efficaces depuis le sol et de cette fois, il serait capable de se téléporter hors de danger ou se rendre invisible. Pour autant qu’il le savait, les Becs de Fer ne possédaient pas de sens magiques et un simple camouflage optique devait suffire à les tromper.
Il avait raison – les Becs de Fer ne remarquèrent pas sa présence tandis qu’il approchait du bâtiment, enveloppé dans une cape d’invisibilité et une aura de silence. Avant qu’il puisse repérer les lieux, cela dit, une meute de loups hivernaux apparut dans toute sa splendeur, dirigée par un spécimen particulièrement énorme. Contrairement au reste de la meute, cet alpha ne possédait pas une fourrure blanche. Il était argenté et brillant et son esprit était différent des autres. Plus puissant, plus profond, plus complexe. Intelligent.
Zorian resta immobile comme un pic à glace et observa le groupe avec effroi. Vingt-deux loup hivernaux conduits par une variante super-spéciale et intelligente. Putain, il fallait qu’il pousse sa chance, hein ?! Il n’espérait pas une seule seconde que les animaux se laissassent berner par ses illusions, en considérant la sensibilité de leur odorat…
Sauf que… Ils furent, en réalité, bernés. À un moment, l’Argenté s’arrêta brusquement et se mit à analyser l’orée qui délimitait clairière et forêt et le cœur de Zorian oublia de battre, sans doute deux ou trois fois au moins, quand le regard du monstre balaya l’endroit où il se tenait. Mais le moment passa et la meute bougea pour disparaître quelque part de l’autre côté de la maison.
Une minute plus tard, étant sûr qu’ils avaient disparus pour de bon, Zorian se retira lentement dans la forêt environnante et se téléporta.
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Zorian décida de laisser la Maison Iasku à son destin pour un moment. Il était virtuellement certain que quiconque vivait là était connecté aux envahisseurs Ibasiens désormais, et il comptait définitivement mettre cet endroit à sac s’il le fallait dans un avenir plus ou moins lointain. Néanmoins, il ressentait ce sentiment lancinant, enquêter sur le manoir avec sa puissance et ses capacités actuelles impliquerait probablement mourir à de nombreuses reprises. En plus, il était plus ou moins certain que le maire était un nécromancien et en avait un sous ses ordres même s’il n’en était pas un lui-même, alors perdre une bataille pourrait avoir des répercussions bien plus dramatiques qu’une fin de boucle prématurée. Non, s’il voulait s’y rendre, il devait en finir avec les leçons d’Alanic en premier lieu et grandement améliorer ses compétences de combat, au minimum.
Au lieu de ça, maintenant que ses sessions avec le prêtre touchaient à leur fin, il devait redoubler d’efforts afin d’améliorer sa magie de combat pour pouvoir ensuite aller parler aux autres tribus Aranea et apprendre le secret de leur art. C’était important pour… pour un paquet de raisons mais celle qui le poussait à agir au plus vite était la possibilité de déverrouiller les souvenirs que la matriarche avait stockés dans son esprit.
Ils ne dureraient pas éternellement, il le savait. Stables pour l’heure grâce à la matriarche qui avait tout donné pour les rendre résistants et durables mais ils allaient se délier au fil du temps et seraient alors perdus à jamais. Si Zorian voulait remplir les blancs qui restaient dans le dernier message de la matriarche et comprendre ce qui l’avait fait prendre la décision qu’elle avait prise, il devait gagner l’accès aux connaissances enfermées dans sa tête.
Il ne se leurrait pas : ça n’allait pas être simple. D’une part, les autres tribus Aranea n’allaient peut-être pas être amicales et même si elles l’étaient, elles n’avaient aucune raison d’enseigner leurs secrets à un humain lambda. S’il parvenait à s’assurer leur coopération malgré ça, les souvenirs d’un esprit aussi étranger que celui d’une Aranea était condamné à être une plaie à décrypter. Et même s’il parvenait à maîtriser la lecture d’un fatras d’images sans queue ni tête, il ne disposait que d’une chance lorsqu’il ouvrirait le paquet mémoriel contenant les souvenirs, après quoi il en ruinerait le contenu ou activerait les défenses potentielles que la matriarche avait placées dessus pour l’empêcher de faire… ça, justement.
Mais c’était un problème à régler dans le futur – dans l’immédiat, il ne se sentait pas de rencontrer une tribu Aranea potentiellement inamicale. Comme il ne se berçait pas d’illusion sur l’utilité de ses pouvoirs mentaux contre les créatrices de cette spécialité, son plan actuel pour gérer des Aranea menaçantes ou hostiles se réduisait à lancer rapidement une succession du sort de bouclier mental en foutant le feu à tout ce qui bougeait dans son champ de vision grâce à une magie plus conventionnelle. De meilleures capacités de combat étaient une obligation pour que ça ait une chance de fonctionner.
Et il s’avérait qu’il possédait une chose qui pouvait l’aider en ce sens ainsi que compenser la perte financière due à l’achat de ces deux potions de transformation à Lukav – l’exploration de donjon ! Il avait techniquement ignoré l’entrée du donjon de Knyazov Dveri à cause de ses enquêtes sur les mages disparus et des leçons d’Alanic mais il n’avait plus aucune raison de continuer à fermer les yeux. La plupart de la vie sauvage autour de la ville avait depuis longtemps cessé de présenter le moindre défi, de toute façon.
Aussi, deux jours après sa retraite précipitée de la Maison Iasku, Zorian se dirigea vers l’entrée officielle du donjon sous la ville et demanda un permis pour aller en explorer les profondeurs. Il ne lui en coûta rien, grâce aux dieux, et ce n’était vraiment rien de plus qu’une formalité destinée à s’assurer que vous étiez sûr de ce dans quoi vous vous engagiez.
— Souvenez-vous simplement que cette partie du donjon n’a jamais été proprement pacifiée, lui dit l’homme derrière le comptoir en lui tendant la carte qu’il allait devoir montrer aux gardes pour pouvoir descendre. Cela signifie qu’il y a de grandes richesses à découvrir en bas mais également que des choses dangereuses y rôdent. Des gens disparaissent là en-dessous sans arrêt. Personne ne va partir à votre recherche à moins de rejoindre l’une des guildes d’explorateurs locales. Ce que je recommande personnellement à de jeunes mages comme vous.
Zorian soupira face au sermon à rallonge de l’homme et quitta les lieux pour descendre le long d’un escalier en colimaçon qui déboucha dans une caverne naturelle au sein de laquelle était bâti un petit village. Les habitants du dessus l’appelaient le village des explorateurs, bien qu’officiellement, il ne s’agissait que d’une extension de Knyazov Dveri. Peu de gens y vivaient – les bâtiments consistaient surtout en un rassemblement de maisons de guilde et de commerces relatifs à l’exploration du donjon.
Il n’avait aucunement l’intention de rejoindre l’une de ces guildes. La dernière fois qu’il avait vérifié, ils ne permettaient pas aux nouveaux membres tel que lui de s’aventurer sur le terrain avant des mois, ce qui rendait tout ça parfaitement inutile pour quelqu’un dans sa position. Il comprenait la logique de ce choix – on ne voulait pas qu’une nouvelle recrue inexpérimentée se fasse horriblement massacrer dans les tunnels et très peu de mages étaient aussi capables que Zorian à cet âge – ce qui ne rendait pas les guildes moins inutiles à ses yeux. Il ne possédait d’ailleurs plus d’argent pour acheter quoi que ce fût des boutiques et il ne resta pas dans ce village bien longtemps. Les gens y étaient des ordures de toute façon, toujours à demander de l’argent pour répondre à des questions basiques quand ils ne tentaient pas de lui forcer la main pour lui faire rejoindre l’une ou l’autre guilde s’il désirait connaître leurs secrets. Grâce aux dieux, il pouvait simplement lire les réponses dans leurs esprits quoi qu’il arrivât.
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Zorian observait l’étendue de champignons brillants qui luisait dans un coin et qu’il avait croisé lors de ses pérégrinations au travers du réseau de tunnels sous la ville. Il ressemblait à une étendue tout à fait normale de champignons brillants, peu différent de tous les autres qu’il avait rencontrés aux alentours mais il savait. Il n’était pas dupe. Son sens spirituel lui disait clairement qu’il y avait un esprit animal derrière ces champignons… Non, attends. Les champignons eux-mêmes possédaient un esprit ? Une illusion ? Ou… une espèce de champignon intelligent ?
Décidant que ça n’avait pas d’importance, Zorian leva le bâton de combat qu’il s’était fabriqué et lança un rayon d’incinération vers le champignon. S’il avait appris quelque chose durant les deux semaines qu’il avait passées dans ces tunnels, c’était bien que tout ce qu’il croisait voulait le tuer et le bouffer – et pas forcément dans cet ordre. Les mites de roche, par exemple, cherchaient à vous paralyser avant de pondre leurs œufs dans votre corps encore vivant pour permettre aux larves de vous dévorer de l’intérieur. De toute façon, frapper le premier était une preuve de bon sens avec ces choses, et il n’avait aucune intention de s’approcher de ces pseudo-champignons.
Bien sûr, au moment où il fut touché par le rayon brûlant, le parterre de champignons se déplia immédiatement en une grande forme tentaculaire, celle de la pieuvre des tunnels. Ben voyons. La capacité de ces choses à copier l’apparence, la couleur et la texture de leur environnement était aussi impressionnante qu’ennuyeuse. Celui-là avait manqué de chance, par contre. Pris au dépourvu par l’attaque enflammée dévastatrice, il fit jaillir ses tentacules dans un bred sursaut de panique avant de s’étaler au sol, tout plat.
Zorian lança une pierre dans sa direction pour s’assurer qu’il ne feignait pas la mort et se détendit un peu. Il aurait sans doute déjà terminé dans l’estomac de l’une de ces pieuvres s’il ne possédait pas son sens spirituel. C’était sans doute son plus grand avantage comparé à tous les autres explorateurs. Grâce à lui, il était capable d’esquiver les sites d’embuscade des vers javelot, les pieuvres des tunnels et les autres dangers masqués et il put atteindre les zones inférieures, plus riches et bien moins fréquentées comme celle-ci. Pas étonnant que Taiven fût si excitée d’avoir quelqu’un dans son équipe capable de faire ça.
Il ordonna aux sphères lumineuses flottantes autour de lui de se disperser autour de la caverne et inspecta lentement les murs pour tout étrange cristal ou minéral rare. En général, le mana cristallisé semblait être une bien meilleure source de profit que les abats de créatures, en tout cas si vous parveniez à découvrir des zones vierges telles que celle-ci. Le mana cristallisé avec cet avantage d’être… eh bien, immobile. S’il en trouvait dans un endroit particulier, il saurait qu’il pourrait l’y trouver dans chacune des réinitialisations. En gardant ça à l’esprit, il s’imaginait déjà capable de cartographier leurs emplacements afin de pouvoir pratiquer ce qu’il définissait comme une ruée éclair en quelques heures pour s’approprier tout ça au commencement de chaque mois. Spécialement s’il apprenait à filtrer les interférences du Donjon et qu’il parvenait à s’y téléporter.
Malheureusement, son inspection ne révéla rien dans cette caverne. Il regarda le corps calciné de la pieuvre des tunnels en considérant la possibilité de simplement récolter son cerveau et son bec, les deux parties les plus précieuses avant de retourner à la surface. Il avait déjà découvert deux grosses veines de mana cristallisé et plusieurs petites alors son voyage était déjà un succès détonnant ; continuer plus loin demanderait de s’enfoncer plus profondément dans le Donjon, avec tous les dangers inhérents à la chose.
Il continua – ce n’était pas comme s’il avait vraiment été en danger jusqu’alors, et tant que le danger lui-même ne lui sautait pas dessus d’un seul coup, il devrait… être…
Zorian tourna au coin d’un tunnel et se retrouva face à face, pour ainsi dire, avec une espèce d’ooze rose flottant couvert d’yeux. Il luisait, des filins de lumière dansant au travers de son corps fumeux et translucide, sa forme vibrant et se tortillant chaotiquement, des vagues et des pseudopodes se formant et disparaissant aléatoirement. Pendant un instant, il sembla à Zorian que le monstre ne l’avait pas vu, ses innombrables yeux – chacun d’une couleur et d’un ton différents – clignant et pivotant dans leurs poches sans rythme ni raison. Mais cet instant passa très vite et ces nombreux yeux qui ne l’avaient pas remarqué se tournèrent vers lui, certains sortant abruptement, se tendant au bout d’appendices qui les approchèrent de Zorian pour pouvoir mieux le scruter…
Zorian ouvrit les yeux d’un seul coup, une douleur aiguë dans l’estomac. Son corps tout entier se convulsa en réaction à l’objet qui venait de lui tomber dessus ; ce fut ce qui l’éveilla brusquement, la moindre trace de somnolence parfaitement dissipée.
— Bonjour, mon frère ! Résonna une voix désespérément joyeuse quelque part au-dessus de lui. Bonjour, bonjour, bonjour !
Zorian regarda sa petite sœur souriante sans y croire. Quoi ? Mais il était juste –
— Oh, allez ! grogna Zorian en enfonçant son visage dans ses mains. C’est tout ?! Il m’a regardé et je suis mort ?! Mais quelle compétence absurde est-ce là ?!
— Hmmm… hésita Kirielle.
— Oublie ce que j’ai dit, continua Zorian en serrant rapidement Kirielle dans ses bras avant de se lever.
Kirielle refusa de le lâcher, s’agrippant à lui comme un singe à sa mère et il se contenta de la transporter en s’avançant vers sa bibliothèque pour en sortir le Compendium des habitants du Donjon, volume quatre, avant d’en feuilleter rapidement les pages.
— J’ai fait un mauvais rêve, c’est tout.
— Quel genre de rêve ? demanda Kirielle, l’air curieux.
— J’allais être riche et je me suis fait tuer par une… un Œil Bestial ? lu Zorian avant de se pencher sur la description.
Même le nom était stupide, ugh…
— Oh, dit Kirielle. Un joli rêve qui se termine en cauchemar. J’ai horreur de ceux-là.
— Moi aussi, Kiki, moi aussi, soupira Zorian en refermant brusquement le livre avant de le remettre en place.
La description du livre ne lui apprenait rien de spécial sur la bête. Attention à ses yeux mortels. Hmm, en effet, merci.
Il songea à lancer le sort de détection de marqueur une fois encore mais quel en aurait été l’intérêt ? Il n’avait jamais détecté plus de deux marqueurs. Parfois moins, pour ce que ça voulait dire. À ce moment, il était devenu évident que c’était tout ce qu’il allait voir. Quelle que fût la raison pour laquelle Robe Rouge était un voyageur temporel, ce n’était pas la même que pour Zach et lui.
Quant à Zach, d’ailleurs, ses mouvements indiquaient qu’il commençait toujours la boucle en fuyant Cyoria à une vitesse folle. La direction n’était pas constante et il semblait plus errer au hasard autour d’Eldemar qu’avoir une destinatin précise. Il se demandait pourquoi Zach agissait de la sorte. Clairement, il évitait Cyoria tout comme Zorian, mais à part ça, son but était parfaitement obscur – zorian avait tenté de placer les endroits où il avait trouvé Zach sur une carte et rien n’en était sorti.
Peu importait. Zach serait toujours Zach. Zorian avait ses propres problèmes pressants pour ne pas encore s’inquiéter du sort de son ami.
— Bon, Kiri. Tu pourrais peut-être me lâcher, maintenant ?
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