Chapitre 33 – Portails

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Chapitre 33 – Portails

 

Debout dans le salon vide de la demeure de Vazen, Zorian regardait d’un œil insatisfait la flaque de liquide verdâtre qui corrodait actuellement le sol en bois dans un crépitement audible. On pouvait difficilement deviner que peu de temps auparavant, ce slime acide était une pile de documents importants conservée dans le coffre de Vazen. Le marchand ne voulait vraiment pas que quiconque y jette un œil, semblait-il.

L’opération avait très bien démarrée. Tout avait très bien démarré. Ne voyant pas l’intérêt de réinventer la roue, Zorian utilisa la méthode classique de téléportation pour pénétrer dans le bâtiment et entreprit de démonter méthodiquement les protections du coffre. Mis à part le piège explosif désormais familier, il trouva également un piège de sommeil qui avait pour but de faire tomber dans une paisible inconscience quiconque s’y laisserait prendre. Il désactiva ce piège également et tenta de retirer les documents du coffre après n’avoir pas trouvé d’autre mesure de protection.

Il déclencha immédiatement un mécanisme qui aspergea une espèce de mixture acide puissante sur le contenu du coffre. Pour bonne nouvelle, il avait réussi à éviter de s’en prendre sur les mains – en constatant ce que faisait ce truc sur le sol, il aurait sans doute terminé le mois avec des moignons à la place des avant-bras. Mais la mauvaise nouvelle se trouvait justement en train de buller devant lui : il n’avait pas réussi à retirer la moindre chose du coffre avant que l’acide dévore les documents. Il avait bien réussi à faire léviter le tout hors du coffre, oui, mais ce putain de truc était collé dessus comme de la glue ; incapable de séparer le slime acide des documents survivants, il ne put que regarder ce machin finir de bouffer le papier avant de s’attaquer joyeusement au sol.

Il frissonna. Il était vraiment, vraiment heureux d’avoir pu retirer ses mains à temps.

Une fois de plus, Zorian fut forcé de quitter la maison de Vazen les mains vides. Il était sincèrement tenté de piéger la baraque entière pour qu’elle explose à la gueule de Vazen quand il rentrerait chez lui mais ça serait bas et stupide. Le meurtre d’un homme si influent attirerait forcément beaucoup d’attention et Alanic surveillait probablement cet homme de très près. Et il avait tenté de le voler, après tout. Il n’avait pas vraiment le droit de se sentir outragé.

Pourtant… Zorian était maintenant certain que Vazen était impliqué dans une espèce de plan très obscur et tout aussi illégal. On ne parlait pas de fraude fiscale ou d’espionnage industriel. Vazen n’aurait jamais piégé son coffre à ce point-là pour détruire des contrats commerciaux ou des schémas de production. Le montant d’argent brut qu’il venait de perdre devait être exorbitant. Il devait y avoir quelque chose d’autre parmi ces papiers. Quelque chose d’incroyablement illégal et incriminant, au point que Vazen préférait le voir disparaître et de tout perdre dans la foulée plutôt qu’être découvert en sa possession.

Il reviendrait définitivement le mois suivant. Peut-être que les mauvaises actions de Vazen n’étaient pas connectées aux envahisseurs Ibasiens qui en avaient après Cyoria ou au groupe qui visait les experts en magie de l’âme aux alentours de Knyazov Dveri mais Zorian en doutait fort. Ça ne lui coûterait rien d’essayer, dans tous les cas.

Bon, à moins que Vazen ne possédât encore d’autres surprise horrifiantes une fois le deuxième niveau de sécurité passé. La prochaine fois qu’il viendrait, il serait accompagné d’un bâton de dix pieds, parce qu’il n’y avait pas moyen qu’il remette ses mains là-dedans.

 

___

 

Le lendemain, Zorian arriva à sa session de méditation suivante avec à peine plus que beaucoup d’appréhension. Et pas uniquement à cause de la possibilité d’une nouvelle embuscade – il n’avait pas apprécié l’expression du prêtre lorsque ce dernier lui avait parlé et Zorian était inquiet de ce que ça allait signifier pour lui. Cependant, la leçon du jour s’avéra totalement banale – pas de deuxième attaque, Alanic ne se montra pas énervé ou suspicieux. Ainsi, il sortit tout ça de son esprit et décida de suivre l’exemple du prêtre et de faire comme si rien n’était arrivé.

Maintenant, trois jours plus tard, Zorian pouvait dire avec assez de certitude que c’était une erreur. Se faire traîner dans la cour du temple pour y tester ses capacités de combat sonnait étrangement comme une punition à ses oreilles.

D’ailleurs, pourquoi un temple possédait-il une arène de combat dans sa cour au lieu du classique et paisible jardin ? Entre ça et le donjon dans le sous-sol, il commençait à voir le crédo religieux du bâtiment sous un œil sacrément nouveau.

— Euh… Ce n’est pas que je n’apprécie pas votre aide en jugeant mes modestes capacités de combat mais nous devrions vraiment nous concentrer sur l’entraînement de ma perception intérieure, dit Zorian en gesticulant inconfortablement sur place. Vous m’avez vous-même dit que cette compétence demande une concentration totale de ma part si je veux la maîtriser.

Alanic continua simplement à le fixer, silencieux et impassible, depuis un coin de l’arène.

Et puis il fit un geste de son bâton vers Zorian et lui balança une boule de feu, juste comme ça.

Zorian ne fut pas surpris par cette attaque. Il s’attendait à un truc du genre, pour être honnête. Ce qui le perturba fut le fait que le prêtre avait choisi ce sort particulier pour débuter le combat. Les boules de feu n’étaient pas des choses qu’on jetait aux mages débutants pour les tester – c’était bien trop mortel pour ça ! Même une boule de feu mal crée pouvait tuer un être humain sur un impact direct, et un bouclier classique ne pouvait en rien l’en empêcher. Peu importait la puissance, c’était juste un disque de force devant le lanceur – la sphère d’énergie brûlante se contenterait de l’envelopper et passer derrière.

Le choc ne fut pas long, cela dit. Zorian érigea immédiatement un dôme de force autour de lui – pas uniquement un bouclier mais un aegis complet qui le protégea comme une bulle. La boule de feu frappa sa surface peu de temps après et Zorian fut momentanément aveuglé par un drap de feu.

Quand les flammes disparurent, il se trouva à nouveau face à Alanic, le prêtre aussi silencieux et immobile qu’il l’était précédemment. Son appréhension diminua légèrement. La boule de feu était très faible. Il le savait, parce que l’un des mages à la retraite qu’il avait aidés lors de ses errances sans but lui avait appris comment recevoir ce genre d’informations de la part de ses sorts défensifs et son aegis lui avait clairement annoncé la couleur en tenant bon face à ce qui aurait dû le pousser à son extrême limite. Zorian était sûr qu’Alanic aurait pu faire bien mieux s’il l’avait voulu ; le fait qu’il n’avait pas immédiatement enchaîné avec une attaque supposée l’achever renforça l’idée qu’il s’agissait vraiment d’un genre de test.

Un test vraiment mal foutu et dangereux mais il était comme qui dirait habitué à ce genre de choses à ce point de sa vie.

Il envoya un simple missile magique vers Alanic. Il put voir son adversaire grimacer en levant paresseusement le bras pour bloquer cette attaque ridicule et réprima un sourire. Même s’il avait l’air d’un missile magique, le projectile n’était rien de tel – il ne s’écraserait pas comme il aurait dû le faire mais entrerait en éruption, une sphère de force telle une boule de feu sans feu. Une boule de force, si on pouvait l’appeler ainsi. Alanic allait très certainement utiliser un bouclier standard au lieu d’un aegis plus complexe face à ce projectile et la boule de force allait –

L’espace devant Alanic se tordit et vibra soudain et la boule de force de Zorian s’évanouit, comme avalée par un autre plan d’existence. Une vague de désenchantement, s’il pouvait en juger. Merde. Alanic décida alors que c’était à nouveau son tour et Zorian se trouve trop occupé à esquiver boules de feu et rayons incinérateurs pour s’insulter intérieurement.

Il comprit rapidement que le prêtre aimait les sorts de feu. Eme après que Zorian eût changé ses boucliers multi usages pour d’autres plus spécifiquement prévus pour contrer le feu contre une perte d’efficacité concernant les autres types de dégâts, il persistait à les utiliser. Après son barrage initial de nombreux projectiles rapides qui échouèrent à phagocyter Zorian, il changea d’option pour tenter de le submerger à l’aide de sphères gigantesques et gigantesquement lentes, des projectiles qui n’explosaient pas mais étaient prévues pour envelopper la cible de leurs flammes. Zorian les dispersa d’un désenchantement banal et le prêtre y répondit par encore plus de boules de feu – cette fois, il ne se retenait plus.

Zorian tentait de contrattaquer dès qu’il voyait une opportunité mais toutes ses attaques étaient neutralisées avec une facilité déconcertante. Essayer de frapper le sol pour soulever de la poussière et des cailloux échoua également sous les coups de vents provoqués par Alanic, qu’il faisait apparaître sans le moindre mouvement. Les objets furent inutiles également parce qu’il pouvait dévier tout projectile physique par télékinésie, d’un simple geste de la main et ceux qui n’étaient pas physiques mais magiques étaient bloqués, interceptés ou désenchantés. Même les trajectoires paraboliques, en zigzag ou en spirale étaient traqués et annihilés.

Finalement, Zorian fut presque à court de mana et décida de tenter le tout pour le tout, un chant du cygne explosif. Il plaça ce qui lui restait de mana dans un rayon de force qu’il précipita vers le visage du prêtre. L’attaque l’aurait tué si elle avait touché mais Zorian savait qu’elle ne le toucherait pas. Et bien sûr, l’homme se décala simplement de côté et Zorian s’effondra au sol, épuisé, les bras levés.

— Je me rends, haleta-t-il. Quelque truc que vous vouliez me faire, c’est fait. Mais s’il s’agissait de me montrer que je ne suis pas le plus gros poisson de l’étang, il ne fallait pas vous fatiguer. Je suis bien conscient que je me trouverais en position insurmontable face à un combattant vétéran.

— Le truc que je voulais voir, c’était combien de temps tu allais tenir avant de commencer à utiliser des attaques létales, lâcha Alanic en s’approchant de lui, main offerte.

Zorian débattit intérieurement des bienfaits qu’une poigne électrisante pourrait avoir mais il décida d’être plus adulte que ça et d’accepter simplement son aide. Ça n’aurait probablement pas fonctionné, de toute façon.

— Je suis plutôt déçu que tu aies dû te trouver obligé de l’utiliser en tant que dernier recours.

— Oh, allez vous faire foutre, Alanic ! s’écria Zorian. Quel genre d’imbécile tente de tuer son adversaire dans un putain d’entraînement ?!

— Toi ? tenta Alanic, un sourire dansant sur ses lèvres. Tu as tenté de me tuer, à la fin, non ?

— C’était… Je savais que ça n’avait aucune chance d’arriver.

— Oui, et je suis certain que tu l’as réalisé au bout d’une minute de test à peine. Tu aurais dû cesser de te retenir à ce moment, ou au moins suivre mes directions dans ce qui se trouve être un niveau de force acceptable.

— En réalité, reconcentrons-nous sur ce problème, plutôt, dit Zorian. Et si vous aviez fini par me tuer ? Certains des sorts avec lesquels vous avez tenté de me toucher m’auraient au mieux envoyé des mois à l’hôpital si je les avais encaissés. Peut-être même serais-je mort sur le coup ! Ce que j’ai fait pour survivre à ce test, ce n’était pas des choses que vous étiez en droit d’attendre d’un gamin comme moi !

— Je peux contrôler ce que brûle mon feu, répondit Alanic de façon évidente – ce qui choqua Zorian, donc la mâchoire tomba ; était-ce seulement possible, ça ? Je possède également un artefact divin capable de soigner n’importe quelle brûlure tant que la victime est en vie. Peu importe la façon dont tout ça avait l’air à tes yeux, tu ne courais aucun vrai danger. Pourtant, tu as quand même pensé que j’étais excessivement agressif et tu t’es quand même retenu face à moi. Ce genre d’hésitation te fera tuer. Comme ce fut presque le cas il y a quelques jours.

— Je savais qu’il s’agissait de des fusilleurs que j’ai neutralisés… grommela Zorian.

— Oui. Neutralisés. Ils ont tenté de te tuer et dans une embuscade, rien que ça, et toi ? Tu as tout donné pour uniquement les assommer. Ne confonds pas pitié et stupidité.

— Êtes-vous sûr d’être un prêtre, vous ?

— Un prêtre-guerrier, clarifia Alanic. Tous les ordres religieux ne sont pas de paix et de pardon. Et même ceux-là sont habituellement enclins aux exceptions quand il s’agit de se défendre.

— Bien, bien, ok, concéda Zorian. Mais pourquoi en avez-vous quoi que ce soit à faire ? Pourquoi est-ce que cela vous énerve-t-il ?

— Question stupide. Je ne veux pas que tu meures, voilà pourquoi.

— Hm… renifla Zorian avant de faire une pause, temporairement perplexe face à cette réponse.

Qu’est-ce que c’était censé vouloir dire ? Il aurait vraiment souhaité que le prêtre ne fût pas si insensible à son empathie.

— Bon, je vais être honnête avec vous – je ne faisais pas preuve de pitié. Vous voyez les choses d’une façon biaisée. Je les ai simplement attaqués avec ce que j’avais de plus efficace sur le moment.

— S’il te plaît, grimaça Alanic, Je sais très bien à quel point il est difficile de faire tomber un groupe comme ça sans tous les tuer. Tu espères vraiment me faire croire qu’il s’agissait de la méthode la plus efficace en ta possession ?

— Eh bien, oui, continua Zorian. Je suppose qu’il serait utile de préciser que je suis un mage mental naturel. Je ressens les esprits autour de moi, peu importe les obstacles physiques, et je peux les attaques mentalement si je le souhaite. En utilisant cette compétence, je peux leur faire perdre connaissance tout en ne m’exposant pas, avant qu’ils ne puissent me localiser précisément. Les tuer pour de bon aurait nécessité d’entre dans leur fenêtre de tir pour leur lancer un sort létal. Ce que j’ai estimé suicidaire à ce moment.

Alanic le regarda d’un air curieux.

— Une capacité intéressante. Je remarque que tous les attaquants n’ont pas été neutralisés au moment où la Guilde est arrivée. N’as-tu pas eu le temps de tous les… ?

— C’était une attaque faible, expliqua Zorian. Certains y résistent plus facilement que d’autres.

Alanic hocha la tête. Zorian espérait que le prêtre ne lui posât pas de question quant au mécanisme exact de ses pouvoirs parce qu’il n’était pas sûr de pouvoir le duper. Heureusement, il n’eût pas l’air de vouloir le pousser à parler de ça.

— Qu’aurais-tu fait si aucun renfort n’était arrivé ? demanda Alanic.

— Je m’apprêtais à tenter de les attirer dans un champ de mines, fit Zorian en haussant les épaules. Alors ouais, j’étais décidé à les exploser complètement s’ils avaient continué à me courir après. Vous pouvez m’accuser de beaucoup de choses mais être dépositaire d’une pitié suicidaire, certainement pas. Vous n’avez pas à vous inquiéter pour moi.

— Je n’en suis pas certain, râla Alanic. Mais il semble que je t’ai effectivement mal jugé, d’une certaine façon. Marche avec moi.

Alanic retourna dans le temple, Zorian sur ses talons. Ils se retrouvèrent rapidement assis dans une petite cuisine que Zorian n’avait jamais vu avant, bien que cela ne signifiât pas grand-chose. Il n’avait jamais vraiment exploré le temple de peur des réactions du prêtre s’il s’aventurait dans un sanctuaire privé que seuls les membres du clergé étaient supposés voir. La plupart des temples possédaient ce genre de pièce quelque part.

— Malentendu mis à part, le test était réel, annonça Alanic une fois qu’ils furent assis. Je voulais vraiment voir de quoi tu étais capable en matière de combat.

— Et ? interrogea Zorian, l’œil curieux.

— Tu es bien meilleur que ce que je m’attendais à trouver, dit Alanic.

Zorian gonfla intérieurement le torse au compliment. Alanic ne semblait pas être du genre à les faire à la légère.

— Mais il est clair que tu n’es pas une légende. J’estime que tes réserves de mana naturelles sont au mieux dans la moyenne, peut-être en-dessous et tes sorts ont le goût d’un mage qui s’est beaucoup entraîné plutôt que d’un talentueux débutant.

Zorian fit la moue, sa fierté précédente déjà évaporée.

— Un mage si jeune que toi ne devrait pas posséder ce genre d’expérience intensive, continua Alanic. Oh oh. Je suspectais ça depuis un moment mais j’en suis maintenant certain – tu n’es pas un récent certifié parti en quête d’aventure avant de se poser. Ou un mage errant tombé sur quelque chose qui le dépasse de loin. Non. Tu cherches les ennuis, activement. Tu les cherches depuis un bout de temps, maintenant…

Zorian ne répondit pas. Il s’apprêtait à dire que c’était plutôt le contraire : les ennuis le cherchaient… Mais quand il y réfléchit un peu, ce n’était pas vrai à ce moment. Il cherchait vraiment les ennuis. C’était l’un de ses buts principaux à Knyazov Dveri. Il avait certes une bonne raison, mais quand même…

— Je ne vais pas te demander de me dire qui tu es. Ceux qui commencent à se battre à ton âge et qui sont devenus aussi bons que toi à ton âge ne sont pas du genre à parler en toute confiance. Tu ne me le dirais jamais, et pour tout dire, je n’aurais aucune bonne raison d’insister. Non, ce que je veux connaître, c’est ton but immédiat. Je ne crois pas que tu sois tombé sur Lukav par hasard, ou que le marqueur dans ton âme est sans rapport avec nos attaquants. Considérant que Lukav et moi-même t’avons été d’une précieuse aide durant ces dernières semaines, je pense que nous avons tous deux le droit d’un minimum d’honnêteté de ta part. Que se passe-t-il vraiment, Zorian ?

— Peu importe ce que vous en pensez, la raison de ma venue ici est exactement celle que je vous ai annoncée, dit Zorian. J’ai réellement été pris dans le contrecoup d’un sort de l’âme. Je suis vraiment venu vers Lukav, et par extension vers vous, parce que je voulais comprendre ce qui m’était arrivé. Rien de tout cela n’était mensonge. Mais…

— Oui ? l’incita aussitôt Alanic.

— J’ai fait quelques recherches sur les gens qui m’ont attaqué – l’agression initiale qui a marqué mon âme, je veux dire – et j’ai découvert des choses bien trop énormes pour moi. Ils sont connectés aux dirigeants de Cyoria, d’une certaine façon et possèdent des liens avec le Culte du Dragon. Pour ce que j’en sais, ils sont d’origine Ibasienne. L’une des raisons qui m’a poussée à venir vous trouver, histoire du marqueur mise à part, était le besoin de sortir de leur territoire.

— Et tu penses que nos agresseurs font partie du même groupe ? supposa Alanic.

— Si je prends en compte à quel point le groupe Ibasien était grand et organisé, je ne serais pas surpris s’ils possédaient une branche dans les environs. Et le fait que les deux groupes utilisaient des morts-vivants et des sorts de l’âme est une indication fiable, à mes yeux au moins. Mais je n’ai aucune preuve et je suis loin de pouvoir être affirmatif.

Zorian n’était pas confortable avec le fait de tout partager avec le prêtre. Par exemple, lui parler de l’invasion ou du plan visant à invoquer un Primordial était hors de question car Alanic insisterait immédiatement sur l’obligation de prévenir les autorités de Cyoria et il pourrait alerter Robe Rouge sur sa localisation. Il lui parla néanmoins de beaucoup d’autres choses… comme les autres disparitions dans les environs. Sa propre enquête était dans une impasse alors il avait peu à perdre à lui dire tout ça.

Après plusieurs heures épuisantes de va-et-vient, Alanic le jeta littéralement hors du temple, prétendant qu’il devait réfléchir à tout ça. Zorian en fut heureux, totalement malade de la conversation qu’ils venaient d’avoir… même s’il y avait une chance que le prêtre ne veuille plus le voir désormais.

Oh, bah, même si c’était le cas, il y avait toujours le mois suivant. Il ne restait plus vraiment beaucoup de temps dans celui-ci, de toute façon.

 

___

 

Zorian était en train de fixer un bras gauche sur le golem de bois qu’il construisait quand un esprit humain apparut dans sa chambre. Il aurait aimé dire qu’il avait réagi immédiatement et de manière décisive mais la vérité était toute autre : il fut momentanément paralysé par la surprise et la peur, passa quelques secondes à échouer à décider d’une course à suivre et finit par réaliser que le mystérieux attaquant n’était autre qu’Alanic.

Il fixa le prêtre qui venait de se téléporter dans sa chambre sans avertissement, tentant de lui faire prendre feu rien qu’en le regardant si on en jugeait de son regard. Malheureusement, cette capacité ne faisait pas partie de son répertoire et le prêtre n’était pas affecté le moins du monde.

Notre à moi-même : trouver un sort qui foute le feu à ce qu’on regarde.

— Mais bordel, qu’est-ce que vous foutez, Alanic ? claqua Zorian. J’aurais pu vous tirer dessus si je n’avais pas réalisé que c’était vous juste à temps.

Alanic regarda le fusil à moitié démonté sur le lit de Zorian et leva un sourcil.

— Pas avec ça, évidemment, grogna Zorian.

— Tu n’es pas venu à la leçon, ce soir, le sermonna Alanic. J’ai jugé prudent de vérifier si tout allait bien.

— Je pensais que je devais vous laisser du temps, se défendit Zorian. Vous aviez l’air plutôt contrarié, hier.

— J’étais perturbé, pas fâché, dit le prêtre. J’avais besoin de temps pour réfléchir. Si j’avais voulu que tu manques une session, je l’aurais dit.

Il jeta un œil au golem à moitié terminé et leva une fois de plus un sourcil – l’autre, cette fois.

— Curieux choix de matériau, pour un golem.

— C’est un prototype, expliqua Zorian. Je ne m’attends pas à grand-chose de mon premier golem et je voulais quelque chose de peu cher et facile à travailler.

— Aucuns importance, fit Alanic en secouant la tête. Je suppose que je peux te laisser une soirée de libre. Dis-moi plutôt, y a-t-il quelque chose que tu as oublié de me dire, hier ?

— Pas vraiment, non, répondit Zorian – rien qu’il n’ait décidé de garder pour lui-même en tout cas. Bien que j’aimerais vous poser une question. En tant qu’expert en magie de l’âme, est-il possible de détruire une âme ?

— Non, trancha immédiatement Alanic d’un geste de la main. Quel genre de question est-ce donc ? Ai-je besoin de te réciter des passages du Livre de Zikiel une fois de plus ?

— Non ! s’alarma Zorian. Non, ça ne sera pas nécessaire. Oui, je sais ce que dit le livre mais… le nécromancien dont je vous ai parlé, celui qui a tué mes informateurs…

Alanic hocha la tête, indiquant qu’il savait de quoi parlait Zorian. En vérité, il n’en connaissait qu’une surface trouble. D’une part, Zorian n’avait jamais expliqué qu’il s’agissait d’araignées télépathes géantes. Et puis, Zorian en avait dit assez pour que le prêtre put suivre ce qu’il racontait.

— Il prétendait qu’il avait fait plus que les tuer. Il a affirmé avoir détruit leur âme pour s’assurer qu’ils ne reviennent jamais.

— Une vantardise vide. Il tentait juste de te démoraliser, grimaça Alanic. Les âmes sont immortelles. Corruptibles, certainement, mais on ne peut pas les détruire.

— Même s’il disposait d’un temps infini pour apprendre à le faire ? insista Zorian. Il a dit qu’il avait eu des dizaines d’années au sein d’une dilatation temporelle.

— Les nécromanciens tentent de détruire une âme depuis un millénaire et n’y arrivent toujours pas, expliqua Alanic. Trouver un moyen de briser la coque indestructible de l’âme pour comprendre ce qui la fait fonctionner et comment la manipuler plus efficacement, la dupliquer si besoin, a été le but de nombreux nécromanciens au travers des époques. Et nombre d’entre eux ont passé des siècles à poursuivre leur travail sinistre sans attention pour la morale et sans pitié pour leurs sujets d’expérimentations. Je doute sincèrement que ce mage peut faire ce qu’un millénaire de traditions et de recherches en tout genre ne peut, juste parce qu’il a passé quelques mois dans une chambre de dilatation. Si on admet qu’il a eu accès à ce genre de structure, pour commencer. Personnellement, je pense qu’il invente des choses.

— Et si ce ne sont pas des mois, mais des années ? Des années, ou même des dizaines d’années ?

— Tu veux dire, comme dans cette vieille histoire de Chambres Noires possédées par certaines organisations ? demanda Alanic. Ces rumeurs sont très certainement fausses. Pas impossibles en théorie mais bien plus impossibles en pratique. La logistique de la dilatation temporelle appliquée à une chambre est très complexe et demande bien plus que la capacité d’accélérer le temps dans une zone. C’est spécialement vrai pour des choses comme les expériences de nécromancie, qui demandent un flux constant de victimes… À moins que ton nécromancien prétentieux n’ait accès à un Portail du Souverain ou quelque chose du genre, ce qu’il dit est risible.

— Un Portail du Souverain ? s’étonna Zorian.

— Jamais entendu parler de ça ? demanda Alanic, ce à quoi Zorian secoua la tête. Eh bien, sais-tu au moins qui était Shutur-Tarana Ihilkush ?

— Comment pourrais-je l’ignorer ? râla Zorian. Mon professeur d’histoire nous a fait mémoriser les trois premiers paragraphes des 13 Cités de Salaw par cœur… Il était le dernier roi d’Ikos, n’est-ce pas ? Celui qui a conquis toutes les cités-états autour de la rivière Umami-Re et qui a créé l’empire Ikosien. Qu’a-t-il à voir avec… Avec quoi, d’ailleurs ?

— Le Portail du Souverain est un artefact qui date supposément de son temps, dit Alanic. Comme beaucoup de grands dirigeants, Shutur-Tarana est associé à des histoires grandioses et des prétentions extraordinaires et celle-ci en particulier raconte qu’il a trouvé ou fabriqué un portail, une arche de porte menant à un autre monde. Ayant découvert qu’il ne vieillissait pas du tout de l’autre côté, il y passa 11 vies, apprenant les secrets de ce monde et peaufinant ses compétences. Un jour, il eut le mal de la maison et décida de rentrer. Une fois de retour dans son monde natal, cependant, il fut incapable de passer le portail une nouvelle fois. Il rangea le Portail du Souverain dans le coffre royal, en attente d’un successeur digne de ce nom qui répèterait le miracle et mènerait son empire vers une nouvelle prospérité grâce à la sagesse obtenue de l’autre côté. Ou, eh bien… le ressusciter, parce que l’empire est un peu mort aujourd’hui.

— Une histoire intéressante, conclut Zorian.

— Mais probablement que ça – une histoire, le prévint Alanic. Histoire qui serait sans doute restée à moitié ignorée dans un vieux livre poussiéreux comme l’une des nombreuses légendes entourant le premier empereur mais la famille royale d’Eldemar en est plutôt friande et prétendent posséder le Portail du Souverain.

— Oh ?

— Oui, même si en toute honnêteté, je ne suis pas la meilleure personne pour t’en parler. Je pense que tout n’est qu’un tissu de racontars fabriqué de toutes pièces par la famille royale pour se donner de la légitimité. Ils n’ont jamais fait mention de ce Portail ou de n’importe quel autre artefact Ikosien jusqu’à ce que leur réputation et leur pouvoir fût écrasé dans les Guerres de Fractionnement. Ils ont probablement volé un Portail de Bakora quelque part et tentent de le faire passer pour un artefact Ikosien original, possédant une histoire exceptionnelle. Tu devrais trouver un véritable historien si tu veux discuter de ça.

— C’est juste, admit Zorian. J’étais juste curieux. Que sont les Portails de Bakora, d’ailleurs ?

— Une autre chose dont tu devrais parler avec un historien, répondit Alanic. Pour faire simple, c’est une espèce d’ancien réseau de téléportation qui précède la civilisation Ikosienne de loin. Personne n’en sait beaucoup au sujet du peuple Bakora, car ils n’ont laissé derrière eux qu’une poignée d’artefacts, dont ces portails ; mais leur portée était énorme, on pouvait trouver ces arches sur Miasina, Altazia et même Blantyrre. Malheureusement l’art de l’activation de ces portes s’est perdu dans les limbes du temps… ou peut-être que leur magie a simplement cessé d’exister il y a longtemps. Peu importe le cas, ce sont simplement des curiosités historiques désormais – les mages modernes possèdent leur propre réseau de téléportation, fonctionnel et pratique alors l’intérêt porté aux Bakora s’est tari.

Après avoir rappelé à Zorian de ne pas manquer la leçon du lendemain, Alanic décida de quitter les lieux de la même manière qu’il était arrivé – en se téléportant. Zorian secoua la tête pour en faire sortir ces histoires d’anciens artefacts et continua à travailler sur son prototype de golem. Il irait demander à Vani ce qu’il savait au sujet du Portail du Souverain et des Portails Bakora le lendemain, même s’il ne s’attendait pas à ce que ça l’amène où que ce fût. L’histoire du premier empereur d’Ikosia pourrait être interprétée comme un homme enfermé dans une boucle temporelle, le fait qu’un artefact stocké quelque part à la capitale eût un effet sur Zach et Zorian à Cyoria n’avait aucun sens. Cependant, il ne lui coûtait rien de poser la question.

Zorian ne réalisa qu’une demi-heure plus tard que le prêtre s’était téléporté dans et depuis la chambre malgré la barrière anti-téléportation qu’il avait érigée.

Il fronça les sourcils et coucha par écrit une note afin de se rappeler de désenchanter sa protection dans les jours à venir pour la remplacer par quelque chose de plus puissant. Et une seconde note pour se souvenir de demander à Alanic comme bordel il avait fait ça.

 

___

 

Zorian s’était inquiété que Vani ne l’accueillât pas comme il l’avait fait la fois précédente. Après tout, il n’avait pas passé le mois à trancher dans la population de loups hivernaux, cette fois, et c’était ce qui semblait avoir eu le plus d’influence.

Il s’avéta qu’il n’avait pas besoin de s’en faire. L’homme était aussi amical et aidant qu’il pouvait l’être, bien que tout aussi bavard et enclin à la digression.

— Ah, Ulquaan Ibasa, l’île des exilés, dit-il. Un endroit fascinant et un sujet qui l’est tout autant. J’ai écrit un livre sur la Guerre des Nécromanciens, vous savez ? Pas un sujet facile à aborder d’une manière objective car tant de gens sont tout prêts à les considérer comme des monstres et des criminels sans espoir de rédemption.

Zorian émit un son qui pouvait être entendu comme un accord même si en réalité, son opinion sur les Ibasiens ne pouvait pas être plus basse. Peut-être que s’il n’avait pas assisté à répétition au massacre et à la destruction de Cyoria, il aurait pu éprouver une pitié quelconque pour eux mais maintenant ? Ce n’était qu’un amassis d’ordures, tous plus dangeureux les uns que les autres.

Inconscient des opinions de Zorian, Vani se lança dans une explication à rallonge des causes derrière la Guerre des Nécromanciens. Il parla de plusieurs disputes entre différentes maisons proéminentes et des familles royales qui sont arrivées lorsque leurs dirigeants s’étaient converties en liches et en vampires et que leurs héritiers avaient réalisé qu’ils n’hériteraient jamais de leur droit de naissance parce que leurs ancêtres n’avaient pas prévu de mourir. Il parla du petit peuple, qui détestait avec passion les nécromanciens dans leur ensemble et éprouvait un profond ressentiment du fait d’un gouvernement mort-vivant. Et finalement, il aborda le désir d’Eldemar pour la suprématie, comment ils furent heureux d’asseoir leur autorité sur Altazia en s’impliquant dans chaque dispute qu’ils pouvaient trouver afin de placer les gens qui leur étaient plus sympathiques à des postes plus importants.

Pour tout dire, le point culminant de toute cette histoire arriva quand le royaume de Sulamnon, alors allié à Eldemar, se souleva contre son roi avec l’aide de Reya et Namassar. Lorsque ladite rébellion échoua, ils furent forcés par le roi d’Eldemar de cesser toute activité en lien avec la nécromancie ou de céder leurs terres à la couronne. Le bannissement de la nécromancie, lorsqu’il prit forme, affaiblit l’armée entière de Sulamnon qui utilisait des morts-vivants comme force de base tout en forçant un nombre d’aristocrates importants à céder terres et titres à leurs descendants pour partir en exil.

Les nécormanciens de Sulamnon refusèrent d’accepter le traité et levèrent une armée de leur propre chef, poussés d’un côté par la partie de l’armée officielle qui s’imaginait avoir toujours une chance de gagner s’ils continuaient à se battre. Bientôt, ils furent rejoints par des forces qui craignaient la montée en puissance récente d’Eldemar – les tribus Khusky restantes et détenant toujours quelque puissance militaire, les restes de tribus de sorcières, l’aristocratie morte-vivante d’autres pays qui voyaient un vent mauvais souffler sur l’avenir et voulaient simplement dominer ceux qui désiraient les voir disparaître ainsi qu’un nombre d’acteur opportunistes qui sentaient qu’ils avaient plus à gagner dans le camp des nécromanciens que dans celui du roi d’Eldemar.

La Guerre des Nécromanciens avait débuté.

Les nécromanciens se montrèrent rapidement des adversaires cruels et sans pitié et les atrocités qu’ils commirent contre les villages capturés et les soldats vaincus choquèrent le continent. Toute sympathie, tout support qu’ils avaient réussi à rassembler des parties neutres qui souhaitaient voir Eldemar plier le genou s’évaporèrent rapidement. Au lieu de servir de pivot de rassemblement contre le royaume d’Eldemar, ils lui donnèrent exactement ce dont il avait besoin pour cimenter son autorité et sa légitimité. Quand le général d’Eldemar Fert Oroklo vainquit les nécromanciens conduits par Quatach-Ichl, détruisant de fait leur cohérence profonde, le continent soupira de soulagement. Le royaume d’Eldemar redessina la carte en sa faveur et ses combattants furent rapidement vus comme des héros au lieu d’agresseurs tyranniques ; quant à ce qui restait de l’armée de nécromanciens… Eh bien, ils détalèrent jusqu’à cette île glacée, au nord, qui serait désormais connue comme était l’ile des exilés – Ulquaan Ibasa.

Le roi d’Eldemar accepta gracieusement de ne pas poursuivre les fuyards jusque dans leur nouvelle maison. Sans aucun doute grâce à son immense mansuétude et non parce qu’il était réticent à envoyer des soldats sur une île gelée à la poursuite d’ennemis déjà brisés.

Mais encore, en considérant qu’il fallut plus d’un siècle pour que les exilés fassent parler d’eux à nouveau, Zorian supposa qu’il ne pouvait le blâmer pour ce raisonnement. Merde, il n’était même pas certain de ce que les Ibasiens espéraient gagner avec la destruction de Cyoria. Peut-être que les dirigeants étaient des immortels qui avaient participé personnellement à la Guerre des Nécromanciens et qui en gardaient toujours un goût amer.

— Eh bien, j’ai horreur d’interrompre une histoire si fascinante mais j’espérais vraiment pouvoir vous demander votre avis sur certains artefacts historiques, plaça Zorian lorsqu’il remarqua un léger battement dans le discours de Vani.

— Oh ? s’émoustilla Vani.

— Oui, j’aimerais savoir si vous aviez des sources concernant les Portails Bakora et le Portail du Souverain.

— Le Portail du Souverain, ce n’est rien, lâcha Vani d’un air dédaigneux. La famille royale ne laissera personne le voir, encore moins l’examiner. J’ai même des doutes sur son existence. Les Portails Bakora, par contre…

Vani se mit aussitôt à fouiller au travers de piles de livres et continua pendant presque quinze minutes. Finalement, il trouva ce qu’il cherchait dans un coin oublié. Il feuilleta rapidement les pages du livre en question jusqu’à trouver l’endroit exact avant de le tendre à Zorian, le doigt pointé sur une illustration.

Les Portails Bakora n’avaient l’air de rien de ce qu’imaginait Zorian. Quand Alanic les lui avait décrits, il s’était mis en tête une image ressemblant à des espèces d’arches, ou des anneaux, quelque chose comme ça. Au lieu de ça, ils avaient l’air d’icosaèdres creux faits de… barres noires ? Ils ne ressemblaient pas vraiment à des portails, selon Zorian.

— Il est difficile d’étudier les Portails parce que personne n’en a jamais vu un fonctionner. Pas depuis très, très longtemps en tout cas. Mais les écrits découverts gravés sur les socles et les archives préservées d’un temps révolu nous ont certifié que ce sont des plateformes de téléportation, expliqua Vani en secouant ses doigts sur l’illustration pour… pour une raison quelconque. Nous savons seulement qu’ils permettent d’ouvrir un trou dimensionnel qui connecte une porte à une autre au lieu de purement téléporter les gens. Aussi créent-ils un tunnel que l’on peut franchir. Ce n’est certainement pas une bonne idée de se tenir à l’intérieur pendant l’activation.

Zorian le regarda d’un air incrédule.

— Eh bien, je veux dire, il pourrait exister un certain mécanisme de sécurité pour annuler l’activation si quelqu’un se tient à l’intérieur, se défendit-il aussitôt. De toute façon, les barres noires sont très probablement des stabilisateurs afin d’assurer que le tunnel reste ouvert assez longtemps pour qu’on puisse le traverser.

— Hmm… Ils m’ont l’air vraiment puissants et exotiques. Je suis surpris de ce manque d’intérêt les concernant, avoua Zorian.

— La plupart des gens pensent qu’ils ne sont pas plus efficaces que les plateformes de téléportation modernes et ils sont fatalement destinés à être très compliqués à créer. Le sort de Portail est certainement une rétro-ingénierie venue directement de la magie Bakora, quand les gens savaient encore comment les activer, et se trouve probablement être le pinacle de ce que les mages peuvent lancer en toute sécurité. La magie de téléportation, d’un autre côté, est assez accessible et peu chère. Au bout du compte, tout se résume au fait qu’ils sont actuellement inertes et que personne ne sait les utiliser. Si toutefois ils peuvent toujours l’être, bien sûr. Ce sont les plus vieux artefacts magiques que nous connaissons – il est possible qu’ils aient cessé de fonctionner pour de bon il y a très longtemps.

— Combien en existe-t-il ? demanda Zorian.

— On en connait des centaines, répondit Vani. Seuls les dieux savent combien d’autres n’ont pas encore été découverts dans une distante jungle ou au sommet d’une montagne enneigée. Les Bakora aimaient vraiment placer leurs Portails partout, semble-t-il. Hmm… Je pense que j’ai une carte des Portails connus à Altazia.

Il lui fallut plus d’une demi-heure pour trouver la carte en question dans ce foutoir qui lui servait de maison mais il mit la main dessus pour finir. Zorian l’étudia avec curiosité, remarquant immédiatement un endroit particulier.

— Cyoria possède un Portail Bakora ? se rendit-il compte sans trop y croire. Comment ? Où ? Je n’ai jamais rien entendu de tel.

— Oh, ça, renifla Vani. J’avais presque oublié. Ce Portail se situe loin dans les niveaux inférieurs du donjon sous Cyoria, au sein de couches vraiment dangereuses. Ce serait du suicide de s’y rendre pour la plupart des mages et personne n’a étudié celui-là à ma connaissance. Les chercheurs intéressés par les Portails les étudient dans des endroits plus accessibles.

Après avoir étudié la carte pendant un moment et échoué à trouver quoi que ce fût de notable, Zorian remercia Vani pour le temps accordé et le quitta. Les Portails Bakora étaient plutôt intéressants mais Zorian ne voyait pas en quoi ils pourraient être connectés à la boucle temporelle.

Une autre impasse pour autant qu’il était concerné mais au moins, il n’avait pas perdu énormément de temps, cette fois.

 

___

 

Zorian ouvrit les yeux d’un seul coup, une douleur aiguë dans l’estomac. Son corps tout entier se convulsa en réaction à l’objet qui venait de lui tomber dessus ; ce fut ce qui l’éveilla brusquement, la moindre trace de somnolence parfaitement dissipée.

— Bonjour, mon frère ! Résonna une voix désespérément joyeuse quelque part au-dessus de lui. Bonjour, bonjour, bonjour !

Zorian regarda Kirielle sans y croire. Quoi ? Pourquoi était-il là ? Le festival d’été était encore distant de plusieurs jours et la dernière chose dont il se souvenait était la paisible étreinte du sommeil. Zach avait-il succombé prématurément une fois de plus où Zorian avait-il été tué pendant son sommeil sans même le réaliser ?

Il fut violemment sorti de ses pensées quand Kirielle lui cala un coup de pied, apparemment peu satisfaite de se voir ignorée. Il lui cala le doigt entre les côtes de façon experte pour lui faire lâcher prise dans un gémissement indigne avant de profiter de l’avantage pour la balancer du lit et bondir lui-même sur ses pieds.

— Il faut que je lance un sort, dit-il en la regardant. Laisse-moi seul un moment, s’il te plaît.

— Je peux regarder ? demanda-t-elle.

Zorian leva un soucil.

— Tu crois que tu peux rester silencieuse pendant dix minutes ?

Elle plaça sa paume sur sa bouche, mimant le tout parfaitement cousu et clos.

— Bien. Verrouille la porte pour que Mère ne nous interrompe pas, ordonna-t-il. Il me faut la plus grande concentration pour ça.

Et puis, leur mère deviendrait cinglée si elle le trouvait en train de répandre sel et poudre de quartz à même le sol alors il était plus sage de l’empêcher d’entrer jusqu’à ce qu’il eût terminé. Heureusement, il possédait les ingrédients nécessaires en quantité suffisante et il pouvait pratiquer le rituel de recherche du marqueur immédiatement.

Dix minutes plus tard, Zorian ressentit une fois de plus où les individus marqués se situaient. Deux, à nouveau. L’un le représentait lui et l’autre en direction de Cyoria. Moins d’une minute plus tard, l’autre marqueur disparut et se retrouva instantanément au sud-est de sa position initiale avant de repartir d’un seul coup encore plus au sud juste après. De la téléportation. Le propriétaire de ce marqueur semblait sacrément pressé de fuir Cyoria.

Il n’y avait pas de troisième marqueur.

Le deuxième était donc très certainement Zach, Zorian pouvait le sentir – son camarade de classe commençait clairement la boucle à Cyoria et il était logique qu’il possédât un marqueur : Zorian l’avait bien eu de quelque part. Ce qui laissait de côté Robe Rouge, dans ce cas – soit il ne commençait pas le mois dans le rayon de recherche, soit il parvenait à se téléporter hors de ce rayon dans les 15 minutes du début de la boucle, soit… il n’avait simplement pas de marqueur.

Il répèterait le rituel de détection tous les quelques jours pour voir si un troisième marqueur apparaîtrait.

— Ce sort est nul, se plaignit Kirielle en le tapotant sur le flanc, lui faisant perdre sa concentration – apparemment, c’était la limite de sa patience. Il n’y a rien à voir du tout !

— Tiens, voilà un essaim de papillons, soupira Zorian en conjurant un petit groupe de papillons colorés et scintillants. C’était un sort plutôt difficile à lancer, en réalité, malgré l’effet totalement inutile – il lui avait fallu du temps et de la pratique pour créer autant d’illusions solides et animées, les rendant presque crédibles. Pourtant, la capacité du sort à distraire et fasciner Kirielle était absolument au niveau auquel il l’attendait : elle eut besoin d’une minute entière avant de remarquer qu’il s’était glissé hors de la chambre.

Ce sort valait chaque minute qu’il avait passé à l’apprendre.

 

___

 

— Très bien, murmura Zorian en inspirant profondément pour se préparer. J’ai temporairement coupé la structure de défense de la maison, neutralisé les pièges d’explosion et de sommeil, bloqué le mécanisme acide et détruit la balise d’alarme placée sur le document lui-même. Ça y est. La troisième fois est la bonne.

Et avec ça, Zorian ordonna au petit golem de bois devant lui d’aller récupérer les papiers à sa place. Pas moyen qu’il s’approche une fois de plus de ce coffre en personne.

Le golem de bois, version deux, s’avança lentement. Ses mouvements étaient étranges et patauds mais il ne tituba pas et ne tangua pas comme un ivrogne, ce qui était déjà un immense pas en avant par rapport à la version une. Il serait totalement inutile en combat mais sa tâche était une chose à sa portée. Sinon, Zorian avait amené un bâton rétractable de 5 mètres, au cas où.

Incroyable mais vrai, le tout se passa à merveille, sans accroc – le golem atteignit le coffre et en sortit un paquet de documents sans activer la moindre réaction piégée et revint vers Zorian pour lui présenter son trophée.

Ce ne fut que lorsqu’il tenta de prendre les documents des mains du golem que le désastre tomba. Il avait assumé comme un idiot que le golem laisserait filer les papiers d’entre ses doigts quand Zorian tenterait de les lui retirer mais bien entendu, cet imbécile de golem ne possédait pas d’instincts de ce genre. Il fut trop lent à relâcher la pression et perdit l’équilibre quand Zorian le poussa involontairement. Avant que Zorian ne le remarquât, la pile entière de documents avait volé à travers la pièce et s’était éparpillée sur le sol.

Zorian s’attendait à moitié à ce que les documents prennent feu d’un seul coup de leur propre volonté ou qu’ils activassent un autre mécanisme similaire mais il ne se passa rien du genre. Tout était juste… étalé partout par terre et il faudrait probablement des heures pour tout remettre en ordre.

— Ah, va te faire foutre, lâcha Zorian à voix basse, rassemblant rapidement les papiers avant de les fourrer dans son sac. Je prends tout et je le trie plus tard, merde.

Il ramassa son balourd de golem et se téléporta hors de la maison. Une contrainte mineure mise à part, la mission était un succès et il pourrait finalement découvrir ce qu’il y avait de si important à propos de ces documents.

Raka
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