Chapitre 103 — Une fenêtre d’opportunité
Comme Zorian observait l’Ange arboriforme massif les le torse démoniaque affublé d’un œil s’élancer l’un vers l’autre, ses pensées prirent inévitablement une direction fataliste et dépressive. Il n’était pas assez candide pour s’imaginer pouvoir résoudre cette crise sans que la ville ne subît de lourds dégâts, et plus il observait l’affrontement des titans en face de lui, plus il se persuadait que Jornak avait raison.
La ville allait se faire raser, d’une manière ou d’une autre.
Jusqu’alors, les dommages collatéraux de leur combat s’étaient révélés plutôt modestes. Ils avaient combattu autour de la Maison Iasku, et une partie de la ville englobant cette dernière avait été remplacée par une superficie notable de forêt. Les arbres avaient encaissé le plus gros des frappes, mais il n’y avait pas moyen que ça restât vrai pour longtemps, et Zorian se sentait impuissant et frustré. Son but primaire avait bien sûr été direct et égoïste : il voulait s’assurer que tous ceux à qui il tenait finissent la soirée en vie. Cela dit, il avait vécu dans cette cité pour une dizaine d’années, et avait passé des heures interminables, autant de pensées et encore plus de ressources pour s’assurer qu’elle aussi terminât le festival d’été intacte. Il ne voulait pas la voir détruite de la sorte. Que pensait cet Ange ? Il semblait à Zorian que l’arbre divin avait prédit nombre des choses qui s’étaient produites, alors pourquoi…
Presque comme s’ils pouvaient entendre ses lamentations silencieuses, les autres Anges bougèrent à leur tour. Les quatre serpents-lions-trucs qui encadraient l’arbre en feu ne tentèrent cependant pas de joindre le combat. Au lieu de ça, ils volèrent rapidement loin de celui avec qui ils étaient arrivés, comme s’ils prévoyaient de se carapater, s’éparpillant dans toutes les directions. Personne ne fut dupe, néanmoins, et ils ralentirent très vite pour se positionner aux abords de la parcelle de forêt, à une égale distance les uns des autres. Un champ de force jaune légèrement visible enferma toute la zone dans une prison cubique.
Et bien qu’elle eût l’air extrêmement pâle et faible, Zorian ne croyait pas une seconde qu’elle serait percée avec facilité.
Quelques moments plus tard, un barrage de sorts de Jornak percuta l’une de ses faces, ce qui confirma ses soupçons. La barrière était incroyablement résistance. Pas même Oganj ne parvint à la faire flancher, et le Dragon mage pouvait techniquement balancer des sorts d’artillerie lourde sur demande.
Alors, Zorian se détendit légèrement, récupéra un peu de son mana en observant la situation, à la recherche d’une ouverture. Zach et les autres firent de même, se rassemblant autour de lui afin de bénéficier du couvert de ses puissantes défenses. Jornak et Quatach-Ichl lancèrent quelques sorts basiques pour tenter de les mettre sous pression, mais rien n’y fit. La barrière de Zorian resta imperturbable.
Sa précieuse création brûlait ses réserves de mana à une vitesse terrifiante afin de conserver ce niveau d’efficacité, mais possédait également un montant de cristaux de mana suffisant pour la faire durer plusieurs heures de façon autonome.
Suffisamment longtemps. Ils gagneraient ou perdraient bien avant ça.
Dans tous les cas, ni Jornak, ni qui que ce fût de son camp ne pouvait se permettre de consacrer le temps nécessaire à l’étude des défenses impénétrables de Zorian. L’Ange en chef et le démon cyclopéen se percutèrent avec une force terrible. Une cascade de flammes oranges et des rayons électriques pourpres jaillirent autour d’eux en explosant, se mélangeant l’un à l’autre et balayant le champ de bataille entier, avant de se faire arrêter par la barrière cubique.
Pendant un moment, tout n’était plus que chaos. Ceux suffisamment malchanceux pour se trouver trop près de l’impact initial furent soit vaporisés par la vague d’énergie, ou soufflés comme autant de pissenlits ramassés par le vent. Tous les autres faisaient de leur mieux, frénétiquement, pour évacuer les lieux – une tâche rendue bien compliquée par le fait que les deux géants ne restaient pas immobiles, mais bougeaient en combattant.
Tout cela représentait une bonne nouvelle pour Zorian et ses alliés, par contre. Ils n’étaient pas nombreux, mais ils étaient tous stupidement puissants, et ils possédaient des défenses que personne n’avait à réellement alimenter en mana. Malheureusement, le même constat s’appliquait à Jornak et ses propres alliés. Ils avaient la Maison Iasku, dont les barrières étaient assez ultimes pour leur permettre et promettre une protection fiable. L’œuvre de Sudomir était moins sophistiquée que celle de Zorian, mais il avait réussi à travailler sur un bâtiment entier, pendant des années. Il faudrait plus que quelques minutes pour briser de telles défenses.
À la grande joie de Zorian, l’égalité entre les deux géants ne dura pas. Bien que le torse démoniaque ne perdît jamais pied – ironiquement – et combattait toujours férocement, il devint bientôt évident qu’il était plus faible que l’Ange. Il pouvait lui résister, mais ne pouvait passer réellement à l’offensive, constamment poussé en arrière et forcé de battre en retraite, parfaitement incapable d’empêcher l’Ange d’affronter d’autres adversaire dans le même temps.
Et l’Ange en tira un avantage sauvage.
Sa puissance était réellement inspirante. Ses branches étaient innombrables et souples de façon impossible, s’étendant sur des distances incroyables et se tordant comme du caoutchouc tout en ne perdant rien de leur puissance et de leur potentiel destructeur. Ses nombreux yeux lui permettaient de ne posséder aucun angle mort, et par-dessus tout, il était multitâche de façon évidente. Il engageait constamment plusieurs adversaires simultanément, tranchant par ici à l’aide de coups de branches nonchalants, brûlant par là-bas les Trolls de guerre qui ne pouvaient alors plus se régénérer, et attrapant les démons les plus résistants pour les attirer profondément dans ses branchages, où leurs corps ectoplasmiques se faisaient irrésistiblement déchiqueter jusqu’à disparaître dans des nuages de fumée. Les vingt boules d’ailes angéliques qui suivaient l’Ange l’aidaient grandement dans sa tâche, rassemblant les ennemis comme un troupeau incapable de réfléchir, et les guidant vers le titan céleste grâce à des puissantes bourrasques de vent.
Encore mieux, régulièrement, l’Ange redirigeait le combat vers la Maison Iasku, et se mettait à tambouriner férocement sur ses barrières de protection, les faisant visiblement peiner. Les ailes derrière lui l’assistaient en tirant des rayons de lumière intense directement sur la barrière. Bien que le torse démoniaque fît de son mieux pour les éloigner de la zone, il était nul à chier dans ce job, et Quatach-Ichl et Oganj durent se résoudre à abandonner la protection de la maison afin d’aider le démon à réprimer l’Ange trop sauvage pour lui.
L’opportunité était trop belle pour que Zorian et son groupe la laissassent passer, et ils décidèrent de joindre la mêlée afin d’aider l’Ange à dominer le combat. Après tout, ils n’avaient même pas à se montrer plus puissants que leurs ennemis – s’ils pouvaient simplement pousser la liche et le Dragon dans l’étreinte de l’Ange, ses branches létales se chargeraient du reste, et ils auraient un à deux puissants ennemis de qui s’inquiéter.
Zorian ordonna mentalement à la barrière défensive de son cube de devenir plus plate, plus tangible vers le bas, et de s’étendre sur une plus large zone. Le cube se réarrangea tout seul selon les désirs de son maître. Les signes gravés à leur surface s’illuminèrent, des parties mécaniques tournèrent et se déplacèrent dans des positions alternatives, et Zorian fut rapidement debout au milieu d’une grande plateforme volante et lourdement protégée. Il fit signe aux autres de le rejoindre, et une fois tout le monde dessus, celle-ci démarra en trombe en direction de la zone de combat.
Malheureusement, Mrva ne pouvait tenir sur la plateforme, et Zorian ne put qu’ordonner à sa création bien-aimée de les suivre le plus rapidement possible, à pied. Non que ce fût très dérangeant – si Mrva voulait avancer, il avançait, quoi qu’en disent les obstacles, vivants ou non. Il était si lourd et si rapide que littéralement tout ce qui tentait de se mettre en travers de sa route était écrasé ou balayé sans effort. Un régiment de démons aux armures noires réussit à réaliser l’essai le plus crédible du lot, et finit comme les autres par se faire ignorer et dépasser.
Comme ils approchaient, ils eurent une belle vue de la bataille titanesque qui se déroulait devant eux. Avec l’aide de Quatach-Ichl et d’Oganj, le torse démoniaque avait eu une chance de se montrer proactif. Il vomissait actuellement un rayon électrique pourpre vers l’arbre ennemi, forçant l’être céleste à passer en défense pour la première fois depuis le début du combat. Des rayons épars de lumière rouge passaient à travers ses branches, temporairement sans opposition, coupant certaines d’entre elles et laissant de profondes marques dans le tronc. Quant à Oganj, il apparaissait occupé à affronter les ailes blanches qui collaient l’Ange sans faillir. Elles tiraient frénétiquement des rayons d’énergie bleue vers le Dragon mange dans l’espoir de garder au moins un adversaire loin de leur chef.
Zorian aurait ordonné à la plateforme d’aller encore plus vite, si elle n’était pas déjà à sa vitesse de pointe.
Puis, un désastre frappa, une nouvelle fois. Quelques-uns des démons les plus faibles remarquèrent leur avancée et décidèrent de les arrêter. Zorian ne les prit pas au sérieux de prime abord, et les vit comme la bande dégoûtante de créatures morveuses qu’ils étaient. Il les avait pris pour un group de démons insignifiants supplémentaire amenés pour remplir les rangs, mais maintenant qu’ils l’attaquaient, il devint rapidement évident qu’il s’agissait de l’une des variétés de démons les plus dangereuses pour lui.
Cette stupide salive brillante qu’ils bavaient un peu partout était actuellement absurdement corrosive pour toute forme de bouclier ! Ces petits enfoirés étaient capables de cracher des mollards sur d’étonnamment longues distances, et ils étaient un peu trop rapides et agiles, quand ils le voulaient. Et ils étaient vraiment nombreux.
Autant qu’il pût le désirer, Zorian ne pouvait pas continuer à avancer si rapidement, et dut ralentir afin de s’occuper de ces petites pestes…
Mrva continuait droit devant lui, bien sûr, mais la horde de démons avait trouvé une solution, semblait-il. Le sol devant le golem explosa soudain, et une multitude de tentacules épineux en surgirent pour s’enrouler autour du titan, membres et corps. Zorian lui ordonna de charger à l’aide de son poids et de son élan afin de n’être, qu’au mieux, ralenti, mais à sa grande surprise, ce fut vain. Les appendices refusèrent de céder ou de relâcher leur étreinte et parvinrent à stopper sa charge.
Dans une apparition sinistre, une grande rose démoniaque sortit du sol à la suite des tentacules, plus grande même que Mrva. Zorian se souvint l’avoir vue près de l’épicentre du combat initial entre l’Ange et le démon, après quoi elle avait simplement disparu. Il s’était dit qu’elle avait été détruite, mais apparemment, il avait eu tort, et elle avait simplement trouvé refuge sous terre afin d’attendre le moment idéal pour faire une nouvelle apparition.
Considérant qu’elle pouvait forcer Mrva à stopper sa charge, elle était vraiment puissante.
Ils n’avaient passé qu’un court instant à engager la horde de crachats volants et la rose démoniaque, lorsque Zorian reçut un message télépathique.
[Que fais-tu ?] tonna la voix de l’Ange dans son esprit, calme et posée, mais dont le volume était douloureux et le ton presque accusateur. [Cesse de perdre ton temps ici, et sors de là. Tu dois empêcher Panaxeth de voir la lumière du jour, ou tout ce qui se passe ici n’aura aucun intérêt.]
[Quoi ?] protesta Zorian, se sentant accusé à tort de perdre du temps, avant de jeter un œil à la barrière jaunâtre les encerclant, toujours intacte. [Mais la barrière —]
[Ne bloque que nos ennemis,] le coupa l’Ange. [Elle ne t’arrêtera pas.]
Ugh. Et il ne trouvait utile de le dire que maintenant ? Pourquoi n’en avait-il pas fait mention dès le début, quand elle avait été érigée ? Ce devait avoir été délibéré. L’Ange suivait une espèce de plan personnel qui impliquait que Zorian et les autres fussent restés dans la zone pendant un moment, cet enfoiré manipulateur.
[Bien,] accepta-t-il. [Il faut juste que je nous sorte, moi et mon golem, de cette situation, et je pourrai —]
Il n’avait même pas fini sa phrase que l’air devant la plateforme ondula étrangement, effrayant tous ceux volant à ses côtés. Une massive branche enflammée apparut sous leurs yeux et frappa. Les démons dégueulasses qui les harcelaient furent pris totalement par surprise par l’attaque soudaine et se dispersèrent comme ils le purent – et ils ne le purent pas. Transpercés, tranchés, brûlés, ce fut une hécatombe totale, les quelques chanceux survivants volant vers le lointain.
La branche continua de s’abattre vers le sol sans s’arrêter, en direction de la rose qui bloquait Mrva. Le démon frémit et esquiva de manière bien trop souple, et parvint à éviter de se faire transpercer et découper… mais elle ne put rien faire face aux flammes. Le feu orange étrange se sépara de lui-même de la branche au dernier moment, formant des images éphémères de serpents, de mâchoires et de griffes, et engouffra le démon rose sans défense, qui laissa échapper un cri totalement inhumain, se flétrit de douleur en prenant feu, et se retira sous terre si rapidement que Zorian s’imagina un moment qu’elle avait simplement disparu.
Apparemment, l’Ange pouvait nonchalamment plier la structure de l’espace pour frapper des adversaires hors de sa portée directe. À quel point ce truc était-il puissant ?
[Va,] le pressa-t-il alors, avant de couper le contact.
Il y eut un hurlement de triomphe non loin, et Zorian aperçut Oganj, une branche cassée dans les griffes, dont le feu s’estompait en crépitant. L’Ange avait payé un lourd tribut pour cette aide inopinée.
Zorian ordonna immédiatement à la plateforme volante sur laquelle ils se trouvaient de bifurquer et fonça vers la barrière la plus proche à vitesse maximale.
— Attends, qu’est-ce que tu fais ? s’empressa de demander Zach, alarmé. T’es devenu fou ?! Tu vas nous faire percuter la barrière de plein fouet !
— Elle ne nous gênera pas, lui expliqua rapidement Zorian. L’Ange vient de m’en informer.
— L’Ange vient à peine de te le dire ? Pourquoi ne me l’a-t-il pas dit à moi ? Je suis celui avec qui il a un contrat, on s’imaginerait qu’il me choisirait comme contact privilégié, grogna Zach.
— Tu es sous l’Esprit Vide, lui rappela Zorian. Et d’ailleurs, je suis le contrôleur de la plateforme sur laquelle nous volons. Me contacter est juste logique.
Les autres les observèrent se disputer comme un vieux couple en silence, avant de fixer le mur lumineux qui approchait à très grande vitesse. Bien que Zorian remarquât que Xvim laissait suinter un sentiment plus évocateur de son admiration et son appréciation que de terreur et d’appréhension.
— Il peut même choisir de laisser les choses passer, de façon sélective ? Quel sort miraculeux, murmura le vieux mentor.
Zorian renifla dédaigneusement. Qu’y avait-il de si exceptionnel ? Son cube défensif faisait exactement la même chose !
Mais non, il n’allait pas se montrer mesquin et défensif. Pas tout de suite, en tout cas…
Dans tous les cas, il n’y avait pas de temps pour continuer à discuter de tout et de rien, parce qu’ils percutèrent effectivement le mur jaunâtre. La lumière se sépara sur leur passage come un rideau de soie aérien, caressant leurs visages et leur peau, et ils furent hors des protections, aussi facilement que ça. Tous, à l’exception d’Alanic, frémirent au point d’impact, s’attendant inconsciemment à se faire éclater contre un mur finalement infranchissable, cette barrière qui avait encaissé tant d’impacts titanesques sans broncher réellement. La foi du prêtre était apparemment suffisante pour lui permettre de passer ce moment avec une sérénité absolue.
Zorian jeta un œil derrière lui, pour ne rien voir de l’ouverture qui les avait laissés passer. Le mur de lumière s’était refermé aussi rapidement qu’il s’était ouvert.
Il n’était également pas si transparent de l’extérieur qu’il l’était de l’intérieur. Vu de là, il était en réalité presque opaque, empêchant avec efficacité tout regard curieux.
Zorian était extatique, mais également légèrement inquiet. Eux hors de la barrière angélique et leurs ennemis piégés à l’intérieur, Zach et Zorian pouvaient écraser les cultistes qui tentaient de conduire le rituel de libération de Panaxeth dans le Gouffre, essentiellement sans se faire arrêter, gagnant par défaut. D’un autre côté, le plan secret de Zorian se basait sur l’hypothèse de frapper tout le monde d’un seul coup à l’aide de son sort, ce qui n’était pas possible si Jornak et les autres étaient terrés dans la Maison Iasku, protégés de surcroît par la barrière Angélique. Il devrait alors les faire sortir de là avant de pouvoir initier son plan, et ça n’était pas ce qu’il y avait de plus sain.
Bien sûr, il fit taire ces pensées. Il dirigea silencieusement son engin volant vers le Gouffre et se prépara à mener un autre combat. Ses compagnons n’eurent pas besoin d’explications pour comprendre ce qu’il prévoyait – arrêter les cultistes était leur but évident.
Mais un autre problème approchait. Pendant qu’ils s’étaient retrouvés occupés par les combats à l’intérieur de la barrière géante, les aigles géants d’Eldemar avaient approché la ville aussi rapidement qu’ils l’avaient pu. Maintenant, ils étaient sur le point d’arriver… et Zorian se rendait bien compte qu’ils se dirigeaient directement vers lui et son groupe volant. Il supposa que la barrière cubique brillante que les Anges avaient érigée était très tape-à-l’œil, et que cet objet volant non identifié qui venait d’en surgir à grande vitesse était une cible toute trouvée pour leur approche.
Il n’avait aucune idée de ce qu’allaient faire les mages sur les aigles. Il s’était dit qu’ils reconnaitraient les Anges, mais les Anges étaient occupés dans la barrière, et ne pouvaient pas se porter garants, ce qui signifiait qu’ils allaient probablement faire ce qui leur viendrait naturellement dans une telle situation. Et ce n’était pas très… encourageant. Du point de vue des autorités d’Eldemar, ils avaient sans doute tout l’air d’une bande de mages solitaires combattant dans la ville et semant le chaos dans le même temps. Ils pourraient tout à fait décider d’abattre le couperet de la justice sur tout le monde avant de trier les bons et les méchants par la suite. Zorian avait entendu que c’était une réaction plutôt commune à chaque fois qu’une dispute entre mages prenait des proportions trop importantes dans un lieu habité. L’une des parties était sans doute à chaque fois dans son bon droit, mais les forces d’Eldemar n’y voyaient que des fauteurs de trouble mettant en danger la vie de civils innocents.
Zorian ne pouvait qu’espérer que l’ampleur brute du combat leur donnerait une quelconque forme de jugeote, et les rendrait légèrement plus prudents et leur fourrerait un peu de discernement dans la tête. La puissance de feu pure que chaque camp avait fait connaître devrait, il fallait y croire, les convaincre de la nécessité de choisir un camp plutôt que d’en former un troisième.
Malheureusement, Zorian espérait en vain. Avec une vitesse incroyable, les aigles les rattrapèrent et se placèrent devant eux en lâchant des cris stridents. C’était un avertissement évident qu’ils allaient attaquer si la plateforme ne s’arrêtait pas.
— Halte, au nom du Royaume d’Eldemar ! dit le mage de tête d’une voix amplifiée, que la magie faisait onduler. Posez votre artefact volant, maintenant ! Au sol ! C’est notre seul avertissement !
Zorian fit claquer sa langue, passablement irrité. Il arrêta l’engin, mais ne se posa pas. C’était un problème si… emmerdant. Bien qu’il fût certain que son groupe était largement suffisant pour incapaciter les mages et les aigles, l’effort prendrait trop de temps et de mana. Plus important, Zorian n’était pas sûr que ses alliés accepteraient simplement d’attaquer les forces d’Eldemar, qui n’avaient techniquement rien fait de mal. La décision de Zach était claire, il le ferait, mais Zorian était certain qu’Alanic refuserait de les aider, et il n’était pas très confiant quant à la position de Xvim et de Daimen.
Si seulement la plateforme avait été plus rapide que les aigles… mais ses cubes étaient ultimement faits dans un but défensif, pas pour un vol de pointe, et les aigles géants faisaient partie des plus rapides, dans les cieux.
Heureusement, le mage n’associa pas Mrva à leur présence, ou ne s’imagina peut-être pas capable d’arrêter un golem colossal lourdement protégé, et Zorian ordonna simplement au titan de continuer en direction du gouffre, et il ne rencontra aucune obstruction. Il allait être compliqué de le contrôler avec efficacité dans ces circonstances, mais c’était mieux que rien.
— Capitaine, commença Zorian, la voix amplifiée. Regardez la ville. Elle est attaquée et nous la défendons. Nous nous expliquerons avec plaisir plus tard, mais —
— Ce n’est pas une requête ! l’interrompit l’homme, impatient. Je vous ordonne de vous poser au sol, sans quoi nous vous attaquerons immédiatement !
Les chevaucheurs d’aigles décrivaient des cercles autour d’eux de façon agressive, comme une meute de loups n’attendant qu’un ordre pour bondir sur leur proie.
Deux choses se produisirent simultanément. D’abord, il y eut une commotion en direction de la barrière angélique. Zorian tourna la tête dans cette direction, et put voir la silhouette d’Oganj collée contre la surface de la barrière à chaque fois qu’il chargeait pour s’y écraser, les griffes luisant d’une lumière rouge obscure. À chaque fois qu’il percutait le mur, il y créait de larges fissures lumineuses qui se réparaient quasi-instantanément.
Ensuite, Zorian réalisa que les mages sur les aigles ne possédaient aucune défense mentale sérieuse. Ils ne possédaient qu’un bouclier mental basique qui ne représenterait pas même un gravier à contourner face à ses pouvoirs psychiques. Quant aux aigles, ils étaient encore moins bien lotis. Totalement sans défense.
— C’était votre dernier averti — commença le capitaine des mages, interrompu par un hurlement draconique, Oganj ayant finalement réussi à déchirer une ouverture dans la barrière, suffisamment large pour lui permettre de s’y faufiler et de s’extraire de ce cube-prison que les Anges avaient érigé autour de la Maison Iasku. La barrière se répara bien vite, mais il était trop tard. Le Dragon était sorti.
Et sur son dos se trouvait Quatach-Ichl, Lac d’Argent et Jornak.
Bon. Au temps pour ses inquiétudes de devoir les faire sortir de là.
Dans tous les cas, les mages furent clairement surpris par l’apparition d’un Dragon adulte, et incertain de la façon dont ils devaient réagir. À ce moment, Zorian frappa. Il se connecta à l’esprit de chacun des aigles, et leur ordonna d’attaquer Oganj tout en amplifiant leur colère jusqu’à les rendre totalement fous furieux. Ils laissèrent échapper des cris totalement hors de ce monde, et se jetèrent en avant vers le Dragon mage en approche, ignorant la panique des mages qui les chevauchaient, ainsi que les tentatives pour reprendre leur contrôle.
— Oganj ! C’est le Dragon mage ! cria le capitaine contre sa volonté, cadeau de Zorian. Oubliez ces petites frappes, nous devons l’abattre !
— Tuez le Dragon ! hurla un autre, également forcé.
Oganj réagit exactement comme Zorian s’y attendait. Le Dragon était fier et agressif, et avait affronté les forces d’Eldemar à de nombreuses reprises par le passé. Il ne vit rien de suspect lorsqu’une bande de mages aériens en firent leur priorité absolue, et il avait toutes les intentions de leur donner une leçon. Il hurla en acceptant leur défi et tourna son attention vers eux, ignorant totalement les lourdes plaintes de Jornak.
Zorian retira silencieusement son contrôle télépathique des esprits et ordonna à la plateforme de continuer à se ruer vers l’avant à toute vitesse. Même s’ils voulaient continuer à lui chercher des noises, ils avaient un problème bien plus pressant sur les bras.
Après quelques secondes, il remarqua que tout le monde, à l’exception de Zorian, le regardait étrangement.
— Quoi ? demanda-t-il en fronçant les sourcils.
— Tu l’as fait, hein ? demanda Alanic.
— Hmmm ? Oh, ouais, bien sûr, dit Zorian, ne comprenant qu’après quelques secondes pourquoi ils réagissaient ainsi à une démonstration banale de ses pouvoirs mentaux – parfois, il oubliait qu’ils n’étaient pas les mêmes personnes avec qui il avait travaillé pendant si longtemps afin de comprendre comment quitter la boucle temporelle, ceux qui étaient morts à jamais, leurs âmes détruites, l’au-delà leur étant refusé pour l’éternité.
— Est-ce qu’ils vont… ? commença Alanic, grimaçant – il n’aimait apparemment pas du tout l’idée que Zorian eût pu les envoyer vers une mort certaine dans un combat sans aide.
De façon assez amusante, il n’était pas venu à l’idée de Zorian de se préoccuper de leur bien-être. Il les voyait comme un ennui passager, des mages qui avaient tenté de l’empêcher de sauver le monde, et ne voyait ses actions que comme une justice poétique pour leur comportement arrogant, ne l’ayant même pas laissé s’expliquer. Ils étaient venus chercher les ennuis, et ils en avaient trouvés.
Son original, celui qu’il avait tué afin de pouvoir être là, aurait définitivement été horrifié par ce qu’il était devenu.
— Ils ne vont pas tous mourir, finit-il par répondre. J’ai combattu contre eux plusieurs fois, et je peux dire qu’ils finissent par battre en retraite si les ennemis leur infligent suffisamment de dégâts.
— Ils sont venus se battre pour Eldemar, ajouta Zach. C’est exactement ce qu’ils font maintenant. S’ils savaient ce que nous savons, ils choisiraient d’aller combattre Oganj de toute manière, même si la plupart devaient en mourir.
— Expliquer mon implication dans tout ça va être infernal, je peux déjà le voir, se lamenta le prêtre.
— Nous avons pris des précautions de base, rétorqua Zach. Nous allons tous porter des déguisements, et le combat va détruire la plupart des indices et empêcher toute divination normale de donner des résultats. En plus, nous avons un maître mage mental avec nous, qui peut effacer les souvenirs des gens qui s’approchent trop près de la vérité.
— Pour moi, ça importe peu, reprit Alanic. Sais-tu à quel point il a été difficile de mobiliser tous ces gens que j’ai recrutés afin de combattre pour nous ? J’ai dû utiliser mon nom et mes relations pour rendre tout ça possible. Il n’y a pas moyen de faire disparaître tout ça, même si tu commences à nettoyer la mémoire d’un bon paquet de personnes.
Eh bien, si Zach voulait survivre à cette soirée, Zorian allait définitivement avoir à nettoyer la mémoire d’un bon paquet de personnes, et bien plus tôt que ce que son groupe l’imaginait. Heureusement, personne n’était d’humeur à continuer à en parler, à la fois parce qu’ils arrivaient à proximité du Gouffre, et parce qu’ils faisaient maintenant face à une autre menace.
Jornak, la sorcière et la liche approchaient rapidement à l’aide d’une sorte de sort de vol rapide, afin de les rattraper. Ils savaient que tout serait terminé si Zorian et son groupe faisaient face aux cultistes seuls, et ils n’entendaient pas laisser une telle situation se produire.
Avant que Zorian et ses alliés ne pussent réellement commencer à perturber le rituel, le combat contre leurs trois plus grands adversaires démarra.
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Pendant que son corps original était occupé à gérer Anges, démons, mages et aigles, ses simulacres ne restèrent pas inactifs. Ils parcoururent la ville et calculait les informations que Zorian recevait en continu. Leur première tâche, bien que secrète, était de s’assurer que le réseau de glyphes qu’ils avaient éparpillés à travers Cyoria était toujours intact. Le remplacement imprévu d’une partie de la ville par la Maison Iasku et la forêt environnante avait déjà frappé durement et créé un trou considérable dans son réseau, et il devait rester très vigilant, ou des parties allaient se déconnecter des autres, rendant son plan totalement inutile.
Ce faisant, cependant, les simulacres s’impliquèrent également dans des combats çà et là. Ces interventions étaient par nécessité mineures, puisqu’il ne pouvait se permettre de gaspiller trop de mana dans des zones périphériques de la ville. Heureusement, il possédait un outil parfait pour ce genre de situations. Sa magie mentale, utilisée avec intelligence et stratégie, était idéale pour infliger de grosses défaites pour une consommation de mana minimale.
Tout autour de la ville, d’étranges incidents se produisirent. Nombre d’entre eux étaient si subtils qu’ils pouvaient être traités de coïncidences. Un groupe de défenseurs paniqués se trouva soudain ravivé d’une motivation et d’un calme nouveaux et se souvinrent tout à coup d’un endroit où ils étaient supposés se regrouper en cas d’urgence. Une famille en fuite reçut un énorme indice quant à la route à emprunter, celle qu’ils avaient prévue de prendre n’étant pas sûre. Un grand homme tout en muscles maniant une épée antique, clairement juste un ouvrier civil sans pouvoirs magiques ou entraînement militaire, abattit une meute entière de Loups Hivernaux en solitaire, permettant à un groupe de soldats proches de les sauver, à la fois lui-même, mais aussi les gens qu’il protégeait. Pour une étrange raison, les Loups n’arrivaient pas à le toucher, comme s’ils ne pouvaient pas le voir correctement. Un chien banal devint soudain fou de rage, totalement berserk, et se mit à aboyer en bavant, face à un point particulier où rien ne se trouvait, alertant un mage proche de la présence d’un groupe ibasien invisible attendant son heure pour tendre une embuscade.
Les autres cas étaient moins communs. Tout autour de la ville, des gens reçurent des visions surnaturelles leur donnant des informations critiques sur les forces et mouvements ennemis. Ennemis qui, parfois, devenaient fous et se mettaient à s’attaquer entre eux, créant la zizanie dans leurs rangs. Des petits animaux, chauve-souris et autres insectes, furent absolument fanatiques des visages ennemis, et ne pouvaient s’empêcher de s’y frotter ou de s’y écraser, à chaque fois au milieu d’un sort critique. Un jeune soldat tomba dans une transe étrange et commença à décrire la distribution des forces ennemies à son commandant, lui permettant une meilleure coordination dans les efforts de défense de ce secteur de la ville.
Pendant ce temps, dans les cieux, les becs-de-fer patrouillaient la ville sans faiblir, en groupes plus ou moins importants. Ils étaient les yeux et les lames de Zorian, les plus petits essaims cherchant les incongruités pour voir si quoi que ce fût d’intéressant se produisait, les plus gros convergeant vers les zones critiques pour offrir un support aérien aux défenseurs locaux. Zorian prenait même parfois leur contrôle direct, pour certaines situations nécessitant une meilleure tactique d’attaque que ce qu’ils étaient capables de naturellement produire. Ils étaient intelligents, possédaient une discipline de groupe, et il n’avait besoin que de prendre le contrôle des dominants pour pouvoir contrôler toute la nuée.
Pratique. Pas étonnant que Sudomir eût décidé de les utiliser pour l’invasion.
Les becs-de-fer étaient assoiffés de sang et leurs volées de plumes extrêmement mortelles. Ils étaient rapides et agiles, également, ce qui permettait à leurs nuées de simplement survoler une zone en faisant pleuvoir un torrent de plumes acérées, avant de voler ailleurs pour engager le combat contre un autre ennemi. Zorian gérant leurs frappes, elles s’avéraient bien plus stratégique et sélectives que ce qu’ils auraient été capables de décider par eux-mêmes – ils ne ciblaient maintenant presque que les mages, et ne gaspillaient pas leurs munitions contre des cibles qui ne s’en souciaient guère, comme les Trolls ou autres monstres dominés. Ils frappaient quand leurs cibles étaient fatiguées, récupéraient leur mana, ou étaient occupées à affronter un autre défenseur de la ville.
Malgré tout ça, l’ampleur de l’invasion était immense, et Jornak avait amené un grand nombre de troupes fraîches au sein de la ville en y téléportant la Maison Iasku. Les actions de Zorian n’étaient qu’une goutte d’eau au fond d’un seau, et il était compliqué de juger quelle différence il faisait réellement dans le grand tout.
À de nombreuses reprises, il ne put que regarder, impuissant, les envahisseurs torcher leur route à travers la ville. Il pouvait faire beaucoup avec très peu lorsqu’il avait une ouverture, mais ce n’était pas le cas dans chaque situation. Ou en tout cas, il ne pouvait pas tout le temps en repérer qu’il pouvait exploiter. Peut-être quelqu’un de plus intelligent que lui aurait pu voir plus d’occasions que lui, mais il était humain, et ne pouvait en outre se permettre de brûler ses réserves de mana de façon déraisonnable.
Alors souvent, il ne faisait rien. Il regarda les gens se battre et mourir, encore et encore, dans toute la ville, se retenant d’aider parce que ça ne lui coûterait pas qu’à lui, mais à la ville, au monde entier, s’il échouait à stopper le rituel par manque de mana.
Il voulait hurler au monde que l’expérience le rendait malade. Mais en vérité, il savait qu’il y était déjà insensibilisé. Il avait vu ces choses se produire à tant d’occasions par le passé, et avait même expérimenté le point de vue de l’envahisseur lui-même lorsqu’il avait lu dans leurs souvenirs. Peut-être que plus tard, lorsque la situation serait à nouveau calme et qu’il aurait le temps d’internaliser le fait que cette fois, les choses étaient définitives et irréversibles, contrairement à toutes ces fois dans la boucle temporelle, il serait horrifié par les choses qu’il voyait et son manque de réactivité.
Mais c’était un temps qui n’était même pas certain d’arriver. Il fallait d’abord gérer le moment présent… et s’en sortir.
Ce n’était juste pas le moment. Vraiment pas.
Il finit par tourner son attention vers le Gouffre, où un combat sauvage rageait. Pendant que les groupes de Zorian et de Jornak étaient enfermés dans la barrière angélique, les cultistes s’étaient vus libres de progresser vers le Gouffre… pour un temps.
Il y avait un élément que ni Zorian, ni Jornak n’avaient prévu. Avant que les cultistes ne pussent même commencer à mettre le rituel en place et sacrifier les enfants, ils furent pris en embuscade par… un nombre extravagant de petits animaux. Des pigeons et des chats, pour être plus précis. Au lieu de simplement se jeter sur eux pour les griffer ou les picorer, cela dit, ces animaux utilisaient la magie et des armes.
Comme les cultistes escortaient leur wagon empli d’enfants à sacrifier près de l’un des plus grands bâtiments, quelques chats tombèrent simplement du toit, directement sur leurs têtes. Leurs griffes brillaient d’une lueur blanche et chaude sous l’effet d’un sort inconnu, et s’attaquèrent immédiatement aux visages et cous de leurs victimes, leur ouvrant les artères et les aveuglant définitivement. L’un des cultistes remarqua l’attaque, mais fit l’erreur de croiser le regard d’un chat nonchalamment assis sur le rebord d’une fenêtre, et fut soudain prit de vertiges qui l’envoya s’effondrer un peu plus loin. Il n’eut jamais la moindre chance de se relever, un autre chat lui tranchant la gorge de long en large.
Avant que les cultistes n’eussent la chance de répondre à cet assaut, un essaim de pigeons s’invita à la fête, transportant une multitude de grenades alchimiques dans leurs griffes.
Et ce fut le début du chaos.
Des métamorphes, réalisa Zorian. Des chats, des pigeons – les deux variétés probablement les plus doués dans le lancement de sorts en plus de leurs capacités naturelles d’animaux. Et… Oui, la police était là également, et se joignait à l’attaque, maintenant.
Hmm… Apparemment, Raynie et Haslush avaient fait plus lors du dernier mois que Zorian l’avait songé. Une surprise certes, mais une très bonne.
Bien sûr, tandis que les cultistes semblaient représenter le maillon faible de l’invasion du point de vue de Zorian, ils n’étaient pas si faciles que ça à dédaigner pour des gens normaux. Après le choc initial, ils commencèrent à contrattaquer, et ils le firent très bien. Après tout, les dirigeants du Culte du Dragon du Dessous étaient en réalité des mages très capables et très puissants. Ils étaient habituellement trop occupés à mettre en place le rituel de libération du Primordial pour aider leurs sous-fifres, mais ce n’était pas le cas à ce moment, et ils se firent rapidement connaître. Après quelques succès initiaux, les forces combinées de la police et des métamorphes commencèrent à voir des morts en pagaille et à perdre leur courage.
Zorian ne pouvait aucunement tolérer ça, cela dit, et il ordonna à ses becs-de-fer de les aider, tout en commençant subtilement – et moins subtilement – à diriger les défenseurs de la ville vers le Gouffre, pour se joindre au combat.
Il fut intéressant de noter que les pigeons s’adaptèrent vraiment bien à l’assistance des becs-de-fer. Nombre d’entre eux s’avérèrent capables de lancer des sorts par pur réflexe, ce qui signifiait qu’il n’était pas inhabituel de voir un pigeon apparemment inoffensif lâcher une boule de feu sans crier gare sur un groupe ennemi, ou invoquer une barrière de force pour se défendre, eux et les becs-de-fer, des sorts ennemis. Alors même que Zorian ne tentait pas de communiquer avec eux, ils tombèrent naturellement et rapidement dans le rôle de support, suivant les oiseaux métalliques et les protégeant contre le feu ennemi afin qu’ils pussent opérer dans les cieux sans se voir menacés.
Quant aux chats, leurs formes animales étaient principalement utiles pour des attaques surprises, et plus très impressionnantes une fois le combat réel engagé, et Zorian avait peur qu’ils ne finissent impuissants après les premiers assauts… mais il avait tort. Ils se changèrent simplement en humains, et continuèrent à se battre en lançant des sorts de façon tout à fait classique. Il était amusant de remarquer qu’ils étaient très similaires à Zorian, en ça que leur plus grand talent gisait dans la magie mentale. Zorian supposa que, puisque la plupart d’entre eux agissaient du côté obscur de la loi, ils étaient moins hésitants à pratiquer la magie mentale qu’un mage classique.
Puis, Mrva s’invita – s’imposa, en réalité, sans demander l’avis de qui que ce fût – à la fête, encaissant le feu ennemi comme s’il n’était rien de plus qu’une chaude brise d’été, et déboulant dans les rangs des cultistes comme un boulet de canon. L’original était peut-être trop occupé ailleurs et ne pouvait venir rapidement, mais Mrva était intraitable, et ne pouvait être stoppé. Sa présence fit basculer l’équilibre, lentement mais sûrement, en faveur des forces Cyoriennes. Les dirigeants du culte étaient certes puissants, mais Mrva ne l’était-il pas ?
Zorian se demanda s’il n’aurait pas été plus pertinent pour l’original et ses alliés de simplement se téléporter vers le Gouffre au moment où ils avaient quitté la barrière angélique, puis tuer les cultistes le plus rapidement possible… mais en considérant que ces derniers n’avaient même pas encore commencé le rituel, peut-être était-il mieux ainsi. Qui savait comment Jornak aurait réagi s’il avait découvert que libérer Panaxeth était impossible et qu’il allait mourir sous peu ? Bien que Zorian lui eût fait croire qu’il avait neutralisé la menace des bombes grâce à sa démonstration précédente, en vérité, il n’avait eu le temps que de s’occuper de celles de Cyoria. Il n’avait eu ni temps, ni fonds pour en faire d’avantage. Il y avait des bombes dans tout Eldemar, et peut-être au-delà, et Zorian ne pouvait que remercier les cieux que Jornak n’eût pas immédiatement tout fait sauter, par dépit.
Et c’était juste le problème des bombes. Zorian était sûr que certaines des menaces de Robe rouge n’étaient que pur bluff, mais il ne doutait point que l’homme possédât d’autres secrets en réserves, et qu’il les activerait s’il devait mourir. Même Zach et Zorian avaient créés de telles dispositions secondaires, qui s’activeraient s’ils ne survivaient pas à cette bataille, et Jornak ne pouvait pas ne pas avoir fait de même.
Ce n’était toujours pas le moment. Tout ce que Zorian pouvait faire, c’était attendre son heure. Attendre qu’une fenêtre d’opportunité s’ouvre devant lui, et s’y engouffrer sans réfléchir.
___
Zorian observa les trois créatures en face de lui. L’une d’elle était un reptile de la taille d’un tigre qu’il ne reconnaissait pas, une autre était un orbe flottant entouré de tentacules sinueux, et la troisième se trouvait être un Ooze gigantesque, de la taille d’un petit bâtiment. Son cube défensif orbita autour de lui, les symboles sur ses faces s’illuminant de plus belle, avant de s’éteindre à intervalles réguliers comme un battement de cœur soutenu par les cliquetis métalliques des différentes parties qui s’arrangeaient en une nouvelle configuration. Pendant une seconde, tout resta immobilité parfaite, mais juste pour une seconde. Celle d’après, le combat débuta.
L’orbe tentaculaire fut le premier, car le plus rapide. Il se jeta vers Zorian avec une vitesse incroyable, son corps d’un blanc laiteux crépitant d’une puissance magie électrique. Zorian ne paniqua pas, et bondit simplement sur le côté tout en améliorant son saut à l’aide de la télékinésie. Il esquiva facilement le boulet de canon vivant, et un autre pas chassé le plaça hors d’atteinte du coup de fouet électrique que la créature avait tenté de lui infliger grâce à l’un de ses appendices.
Les deux autres créatures n’étaient pas si loin derrière. Le lézard-tigre bleu fit usage de la diversion créée par l’orbe fouetteur pour charger, se préparant à bondir. Zorian lui envoya rapidement une bille de marbre, créant une énorme détonation pile dans sa face, l’envoyant voler en arrière avec aisance. La bête s’écrasa sur la route déjà endommagée et fondit rapidement en un liquide étrange.
À peine une seconde plus tard, la flaque géante et bleue de slime arrivait à son tour, le lézard commençant déjà à se reformer derrière elle.
Quant à Zorian lui-même, il était trop occupé à tenter d’éviter de se faire avaler par le blob de la taille d’une maison pour s’inquiéter d’achever le lézard une bonne fois pour toutes. L’Ooze géant était totalement différent des autres Oozes, et se déplaçait avec une vitesse et une dextérité que Zorian ne leur connaissait absolument pas., surtout chez un machin de cette envergure. Il donnait sans arrêt naissance à des pseudopodes qui attaquaient Zorian, laissant des pierres corrodées là où ils frappaient le sol, et sa grande taille lui permettait de simplement éventrer les bâtiments qui se trouvaient sur son chemin, ou s’il pensait que les débris pouvaient ennuyer Zorian.
Tous les trois agissaient plus ou moins de concert, et montraient des signes d’une intelligence avancée et d’une connaissance détaillée de la magie humaine. Bien qu’on aurait pu les prendre pour des créatures exotiques au premier regard, Zorian savait qu’il observait des créations qui n’avaient rien de naturel. S’il devait le juger, il dirait qu’elles étaient semblables à des potions vivantes – un liquide alchimique animé par une âme capturée ou des esprits élémentaires. Peut-être les deux. Une multitude d’âmes pour fournir un mana abondant, et un Élémental d’eau pour contrôler le liquide.
Un rire craquant, sinistre, presque un gloussement rauque, s’éleva dans les airs derrière le monstre. La sorcière semblait plutôt ravie de la manière dont ses créatures se débrouillaient contre Zorian.
— Tu n’aurais pas dû envoyer ton jouet de ferraille se promener, ricana-t-elle. Peut-être que tu aurais eu une petite chance contre moi et mes amours si tu avais ce Mrva à disposition.
Zorian n’y répondit rien, analysant les environs à la recherche d’un moyen de contourner les Élémentaux de potion et frapper leur créatrice. Il ne sembla rien trouver, mais principalement parce qu’il regardait par les yeux d’un nuage de becs-de-fer qui décrivaient des cercles dans les cieux au-dessus du champ de bataille plutôt que de s’en remettre aux sorts de divination en plein milieu d’un combat.
L’orbe fouetteur tenta de se jeter sur lui une fois de plus, mais Zorian lui opposa un fin rayon de force qui le traversa directement, le faisant immédiatement éclater en une fine pluie de gouttelettes chargée en électricité, forçant Zorian à cligner des yeux. Ce n’était pas un bon moyen de tenir celui-là à distance, semblait-il.
C’est si frustrant, se lamenta-t-il dans sa tête. J’ai passé une décennie dans une boucle temporelle. On pourrait imaginer que j’eus rencontré tous les types d’ennemis existants !
— J’espère que tu réalises que nous avons trouvé où tu as planqué ta petite sœur et son amie pour les garder en sécurité. Nos forces les attaquent en ce moment, lui annonça la sorcière, ponctuant sa phrase de son gloussement habituel.
Zorian plissa les yeux, mais ne se laissa pas distraire. C’était une tentative évidente visant à le démoraliser, et il ne tomberait pas dans le panneau.
Non qu’il pensât qu’elle mentait. Il savait depuis un moment maintenant que Nochka et Kirelle était assiégée dans leur cachette, mais il ne pouvait pas y faire grand-chose. Il ne pouvait qu’espérer que les gardes Taramatula et les mercenaires que Daimen avait embauchés seraient capables de les protéger, et que les golems miniatures qu’il leur avait laissés s’interposeraient le cas non échéant.
— J’espère que tu réalises que le Culte du Dragon de Merde n’a même pas encore commencé son rituel, renvoya Zorian, sur un ton moqueur – il savait qu’il ne fallait pas discuter au milieu d’une bataille, mais la mention de l’assaut sur la cachette de Kirielle et le fait qu’il fût obligé de l’ignorer lui tapait sur le système. Regarde autour de toi, ma vieille. Tu ne peux clairement pas t’occuper de moi, et tes alliés ne peuvent pas faire meilleur sort de mes alliés. Tu ne gagneras rien à me garder occupé ici.
Comme si les cieux avaient décidé de lui accorder une plaisanterie cosmique, sa phrase fut terminée par une lourde détonation et un soleil mauve explosa dans le ciel, non loin, baignant la ville entière dans une cascade de pourpre, de roses, et d’ombres. Un effet secondaire que la bataille entre Quatach-Ichl d’un côté, et Daimen, Xvim et Alanic de l’autre.
Jornak et Zach passaient également un bon moment ensemble, combattant à proximité, bien que Zorian ne pût le voir. Jornak avait utilisé une compétence étrange qui lui avait accordée Panaxeth pour couvrir toute une section de la ville d’un brouillard blanc et poisseux, qu’aucun sort ne pouvait pénétrer. La magie offensive disparaissait simplement dans l’épaisse brume sans une trace, et les sorts de divination racontaient n’importe quoi dès lors qu’ils étaient dirigés vers la zone.
Cela dit, Zorian n’était pas très inquiet pour Zach. L’héritier Noveda s’était déjà révélé bien plus puissant que Jornak lors de leurs affrontements passés, et il doutait que ce sort de grande envergure fût suffisant pour lui faire lever le sourcil. Plus probablement, c’était juste une tentative de la part de Robe Rouge pour gagner du temps jusqu’à ce que la liche et Oganj pussent finir leurs adversaires afin de pouvoir harceler le jeune Zach à trois contre un.
— Tu es un tel idiot, Zorian, reprit la sorcière, tandis qu’une pluie de boules de feu survola l’Ooze géant, suivant une trajectoire parabolique dirigée droit sur Zorian, que ce dernier désenchanta avec facilité. Nous aurions pu tous deux profiter de tout ça, si tu avais accepté de travailler avec moi. Nous aurions pu ouvrir une petite fissure dans la prison de Panaxeth, et la refermer immédiatement. Mon contrat avec lui aurait été rempli, sa prison ouverte, et la ville pourrait survivre. Merde, nous aurions même pu saboter l’invasion de l’intérieur. Imagine combien de vies ça sauverait. Au lieu de ça, tu insistes pour rester proche d’un homme mort, compromis au-delà de toute récupération possible. Es-tu gay ? C’est ça, le fin mot de cette histoire ?
— Il n’y a pas moyen de réparer la prison de Panaxeth, une fois celle-ci fissurée, lui envoya Zorian, ne mordant pas à l’hameçon, avant d’attraper une énorme pièce métallique par télékinésie pour l’envoyer en direction du monstre – cela ne le perça pas, mais s’enfonça en lui. Tu ne fais que tu bercer de douces illusions. Tu as accepté l’offre de Panaxeth parce que tu pensais que c’était dans la poche, contrairement aux plans que nous avions, qui auraient requis de ta part de faire confiance à un autre être humain, pour une fois dans ta vie. Maintenant que cette poche est trouée, et que tu te rends compte de qui est en train de gagner la partie, que tu réalises que tu as fait le mauvais choix, tu essayes de te rattraper aux brindilles.
— C’est toujours dans la poche ! Tu penses que nous avons besoin de ces gosses pour le rituel ? caqueta Lac d’Argent. As-tu oublié ces corps que Robe Rouge et moi-même possédons ? Qu’ils sont de la facture de Panaxeth ? Nous contenons suffisamment d’essence de Primordial pour former un lien entre lui et nous et briser sa prison. Nous avons continué cette mascarade avec les gamins juste pour vous distraire.
Zorian grimaça. C’était… logique, de façon perturbante. Les enfants métamorphes réunis ne possédaient qu’une petite quantité de cette fameuse essence, et il leur fallait un sacrifice de masse pour extraire suffisamment de matériel pour en faire une clé. Jornak et Lac d’Argent, d’un autre côté, avaient été spécifiquement incarnés dans le monde réel par le Primordial. Ils étaient une première génération, largement plus concentrés en essence que les enfants métamorphes de cette époque. Il les avait probablement surchargés de son essence, dont il n’avait pas besoin dans sa prison.
Toute réponse possible fut reportée par une véritable pluie de bombes alchimiques atour de lui, l’obligeant à esquiver et se protéger de leurs effets. Pire, certaines se reformèrent en petits animaux liquides après avoir explosé, et l’attaquèrent. De plus petites version des trois monstres avec qui il se battait depuis un moment déjà. Tellement irritant.
— C’est toi, qui contrôle les piafs, là-haut, non ? reprit la sorcière. Tu peux voir par leurs yeux, alors je suis sûr que tu constates la progression du combat d’Oganj.
Zorian jeta un coup d’œil rapide à l’affrontement en question et soupira intérieurement. La performance des mages d’Eldemar était digne de félicitations. Toute compulsion que Zorian avait placée en eux avait depuis longtemps disparu, mais ils continuaient à combattre le Dragon, admirablement.
Mais Ogank était toujours un Dragon mage, et pas le moins puissant. Alors même que Zorian observait, le reptile géant pointa ses griffes vers le mage le plus proche, et une boule de filins tranchants comme des lames de rasoirs explosa autour de lui. Si ç’avait été le début du combat, son adversaire aurait été capables d’évacuer la proximité immédiate du sort, mais il était maintenant trop épuisé et blessé pour ça. La masse tranchante se referma rapidement autour de lui, et il ne resta rapidement du mage et de l’aigle qu’une bouillie sanglante. Sang et morceaux de chair commencèrent à tomber lentement vers le sol.
Les mages encore vivants n’allaient pas le rester bien plus longtemps. Lorsqu’ils décideraient de limiter leurs pertes et de fuir, Oganj allait immédiatement se pointer ici et faire basculer les choses.
Zorian regarda plus loin, vers l’horizon, où le cube angélique était situé. Ce dernier était toujours opaque de l’extérieur, et ne laissait rien voir de ce qu’il s’y tramait. Zorian n’avait aucune idée de la progression du combat gargantuesque qui s’y jouait.
— Où veux-tu en venir ? demanda Zorian, un éclair surgissant au fond de ses yeux, alors qu’il venait d’entrapercevoir une opportunité. Tu ne tenterais pas toujours de me faire changer de camp, n’est-ce pas ?
— Grand dieux, non, rétorqua la sorcière. Mais je vais te dire, par contre… Si tu me donnes l’orbe impérial, je te laisserai fuir la ville, et je prétendrai ne jamais t’avoir vu.
La sorcière avait vraiment un talent inné pour se faire détester, Zorian devait bien le lui accorder.
Alors, il passa à l’action. L’orbe fouetteur et le lézard-tigre venaient de tenter de l’attaquer ensemble et avaient atterri très près l’un de l’autre. Il exploita ce comportement téméraire en lançant un sort plutôt obscur vers la route sur laquelle les deux monstres se trouvaient, l’arrachant littéralement du sol et la catapultant vers le ciel, loin de leur position actuelle.
Avant que la sorcière ne pût y réagir, il activa mentalement les explosifs qu’il avait placés dans l’énorme portion de mur en ruine qu’il avait balancé à l’Ooze géant. Cette partie de mur qui flottait toujours en lui, explosa spectaculairement, faisant éclater la bête comme une pastèque trop mûre.
Ce qui ne la tua pas, mais ce n’était pas nécessaire. Le slime géant était temporairement hors-jeu, tant qu’il n’était pas encore reformé, et c’était tout ce qui comptait.
La voie était libre.
Il se téléporta en face de la sorcière. Elle s’était hâtivement protégée des éclats de slime qui avaient volés dans sa direction, et n’était pas vraiment en position de se défendre plus activement, dans l’immédiat.
Au moment où Zorian apparut de nulle part en face d’elle, un sourire arrogant naquit sur le visage de Lac d’Argent. Elle le regarda avec une expression de triomphe, et il détecta la barrière piégée qu’elle avait placée autour d’elle. Elle savait qu’il allait faire ça.
L’esprit de Zorian se mit à surchauffer. Le temps sembla ralentir dans sa tête. Ailleurs, ses simulacres cessèrent ce qu’ils faisaient, l’information sur la barrière piégée demandant leur capacité d’analyse à tous, se faisant disséquer, observer, et envoyée d’un esprit à l’autre, encore et encore, les résultats se croisant, fusionnant, prenant sens, ouvrant de nouvelles opportunités pour des analyses plus approfondies, qui allaient elles-mêmes être disséquées, étudiées et théorisées. Tout ça ne prit que moins d’une seconde. Avant que la barrière n’eût le temps de s’activer totalement, Zorian avait déjà compris ce qu’elle faisait et où se situaient ses points faibles.
Sans un mot, il frappa le sol du pied et envoya des torrents de magie non-structurée autour de lui, frappant et perturbant la barrière qui se formait rapidement, en de multiples endroits. Simultanément, il lança un simple missile magique vers un glyphe innocemment gravé dans une pierre proche, le détruisant purement et simplement.
La barrière entière implosa soudain, lacérée de glyphes bleus lumineux là où la magie de Zorian avait frappé. La sorcière tituba, fit un pas en arrière, son esprit accusant le contrecoup de la fonction de contrôle de la barrière qui lui envoyait une tonne d’absurdités dans la tête. Avant qu’elle ne pût récupérer, Zorian lançait déjà un sort après l’autre dans sa direction. Des projectiles de force capables de réduire des pierres en poussière, des sorts de feu suffisamment chauds pour faire fondre l’acier, des rayons de désintégration à faire pâlir Quatach-Ichl… les attaques continuèrent à pleuvoir. La traîtresse n’eut pas le temps de reprendre son souffle et ses esprits. Elle tenta d’activer un objet supposé, sans doute, la téléporter vers un point de rappel, mais Zorian refusa simplement de le laisser fonctionner. Finalement, l’inexpérience de la vieille dans ce genre de combat commençait à se voir clairement, et ses dernières protections cédèrent.
Elle était désormais totalement sans défense, impuissante, les yeux emplis de haine et d’effroi.
Un projectile de force la frappa en pleine tête, et la moitié de son visage ne fut plus qu’une pulpe rouge et humide, mélange de chair et de sang. Au lieu de s’en contenter, Zorian explosa le reste de sa tête dans le même mouvement, et creusa quelques trous dans son torse pour bonne mesure.
Pendant une seconde, le silence et l’immobilité s’abattirent sur la scène.
Elle était morte. Debout, sans tête, le corps mutilé fit un pas en arrière… mais ne tomba pas. Au lieu de quoi la chair se mit à pousser depuis ses blessures, à une vitesse terrifiante, régénérant rapidement sa tête et guérissant le reste de ses blessures.
Zorian ne put s’empêcher de se sentir perturbé. Même si elle avait bu une potion de régénération de Troll, une tête détruire était une tête détruite. C’était un coup fatal. Il tenta de l’incinérer, juste au cas où, l’engouffrant rapidement dans un intense cône de flammes. Malheureusement, l’Ooze géant avant eu le temps de se reformer et lança une nouvelle attaque, forçant Zorian d’annuler son attaque avant de pouvoir la réduire en cendres.
Au moment où il s’arrêta, le corps calciné et squelettique de Lac d’Argent commença à se régénérer une nouvelle fois, toujours trop rapidement pour être normal, retrouva muscles, organes et peau, à une vitesse qui ferait baver d’envie l’enfant improbable d’un Troll et d’une Hydre. Spécialement en sachant que les dégâts avaient été infligés par un sort de feu.
Le corps à moitié intact de la sorcière commença à tressauter et à gargouiller, avant que ces sons ne fussent plus qu’une toux douloureuse et qu’elle finît par cracher du sang un peu partout. Après quelques secondes, Zorian réalisa qu’elle essayait de ricaner.
— Tu vois ? Tu ne peux pas me tuer, dit-elle, presque entièrement régénérée maintenant. C’était une chose évidente, et c’est toi, l’idiot, ici. Oh, ça valait tellement le coup.
— Personne n’est invulnérable, nota Zorian en lui lançant quelques sorts de plus, desquels elle se défendit, cette fois.
Hmmm… Elle ne se défendrait pas, si se faire blesser était sans conséquence. Elle avait une limite, c’était assez évident.
— Je parie que si je continue à te blesser, continua-t-il, tu vas finir par crever pour de bon.
— Un jour ou l’autre, confirma-t-elle, en lui lançant quelques sorts sans y croire.
L’Ooze tenta de s’interposer entre Zorian et elle une fois encore, mais Zorian refusa de la laisser quitter sa ligne de mire, cette fois.
— Mais je parie, gloussa-t-elle, qu’il faudra plus de temps pour épuiser ma régénération qu’il n’en faudra pour vider tes réserves de mana. Même avec ton cube qui agit comme une défense gratuite, tu dois toujours brûler tes réserves de mana pour m’attaquer. Et d’ailleurs, Oganj va bientôt —
Un bruit rappelant une assiette en céramique explosant en morceaux retentit quelque part au loin. Le cube angélique, depuis longtemps silencieux, venait d’éclater et disparaissait, révélant le résultat du combat titanesque qu’il avait hébergé.
L’Ange était triomphant. Ni le torse géant, ni la horde de démons l’accompagnant n’avaient apparemment survécu.
Il avait cependant payé un prix conséquent pour cette victoire. L’un de ses troncs principaux n’était plus qu’une souche, et deux autres voyaient la majorité de leurs branches arrachées et tranchées. Un nombre important d’yeux manquaient, et les flammes oranges ne le couvraient plus en entier, et un peu partout atténuée et luttant pour ne pas disparaître. Toutes les ailes l’accompagnant, sauf trois, n’étaient plus. L’une d’entre elle, en piteux état, zigzaguait dans les airs comme si elle était ivre. Des sinueux Anges secondaires qui avaient créé la barrière, il n’y avait trace. Peut-être avaient-ils utilisé tout leur pouvoir et avaient été forcés de retourner de là d’où ils venaient ?
Peu importait. L’Ange principal ne se reposa pas, ne perdit pas de temps. Il se secoua légèrement, étira ses branches comme s’il venait de s’éveiller d’un long sommeil, ou comme un combattant s’échauffant avant le combat du siècle peut-être, et accéléra immédiatement, tel un boulet de canon, vers Oganj.
Le Dragon mage laissa échapper un hurlement de frustration, mais ne tenta pas de fuir. Il avait clairement l’intention absolue de combattre l’Ange amoché.
Bien qu’elle n’eût pas de nuée d’oiseau lui servant d’yeux au-dessus de la ville, la sorcière avait probablement eu vent de ce qu’il se passait, parce qu’elle grimaça en retour.
— Ne pense pas que tu — commença-t-elle.
Mais Zorian n’écoutait pas. Maintenant qu’il savait qu’Oganj était occupé, il n’avait plus aucune raison de conserver ses réserves. Il sortit une boule métallique de sa poche, et la lança au sol, entre lui et elle.
Puis, il se retira immédiatement à une distance certaine. Le contenu de la prison dimensionnelle à l’intérieur de cette boule était moins une arme contrôlée qu’un maniaque psychopathe à qui on désignait un ennemi avant de prier.
Les yeux de la sorcière s’écarquillèrent, de peur et de choc, lorsque la Chasseuse Grise se matérialisa devant elle, et toute sa confiance sembla la quitter. Elle se mit à crier une longue mélopée d’injures tout en luttant pour conserver l’araignée géante loin d’elle.
Zoiran resta à distance, pas tout à fait sûr de vouloir s’impliquer. Bien qu’il eût réussi à capturer ce monstre et à le fourrer dans une dimension miniature, il ne le contrôlait en rien. C’était une bête magique enragée dont on avait simplement coupé la laisse, et s’il ne se montrait pas prudent, il pourrait rapidement devenir le centre d’attention de l’araignée. Aussi resta-t-il principalement sur le côté et observa.
Lac d’Argent finit par faire usage du slime géant à sa disposition pour contrôler les mouvements de la Chasseuse Grise, et Zorian décida qu’il devait intervenir. Aussi incroyable qu’elle était, l’araignée pouvait être réprimée par le monstre gluant qui ne comptait que sur sa masse pure.
Il n’eut cependant jamais la chance de prendre part au combat. Avant de pouvoir agir, l’Ooze se figea soudainement, frémit légèrement, et s’effondra en une mare inerte de slime acide. Bon, plus comme un lac, mais c’était l’idée. Il était mort.
— Quoi ?! Qui es-tu ? Comment sais-tu comment faire ça ?! s’écria Lac d’Argent, regardant à droite et à gauche, à la recherche du criminel qui venait d’incapaciter son slime, tout en fuyant l’araignée, qui avait maintenant la voie libre vers elle et ne perdait pas de temps.
L’autre personne ne répondit d’abord pas. Au lieu de ça, un cercle de protection basique mais efficace naquit autour de la zone dans laquelle la sorcière et l’araignée se trouvaient, les piégeant toutes deux dans un espace réduit.
Zorian réalisa soudain ce qui était en train de se passer. Il pouvait reconnaître cette barrière entre mille, et il n’avait vu qu’une seule personne l’utiliser. Et il devait dire… qu’il s’était attendu à tout, sauf à ça.
Lentement, l’allié improbable de Zorian sortit des ombres, abandonnant son sort d’invisibilité.
C’était la sorcière.
La vieille sorcière. La même vieille peau ennuyeuse dont il se souvenait, son corps légèrement courbé et ravagé par le temps, le visage couvert de crevasses.
— Toi ?! Mais qu’est-ce que tu crois être en train de faire ?! hurla la jeune sorcière, outragée.
La nouvelle venue ne répondit pas. Elle marcha lentement, tournant autour de l’arène improvisée dans laquelle elle avait piégé sa copie, tapotant les bords de son bâton, renforçant méthodiquement le sort afin d’empêcher sa destruction. Son expression était plus grave et sérieuse que ce que Zorian avait jamais pu voir sur son visage. Il n’y avait pas de gloussement, de ricanement à moitié édenté, pas de blagues stupides, pas de tentative pour déstabiliser son adversaire par des mots bien choisis. Il était vraiment effrayant de la voir agir ainsi.
— Ne sais-tu pas qui je suis ? protesta la plus jeune des deux. Je suis toi ! Je suis toi, du futur ! Je sais que ce gamin te l’a déjà dit, alors pourquoi —
— Si tu es vraiment ma copie, alors tu sais ce qui est arrivé la dernière fois que nous avons créé un simulacre de nous-mêmes, et que nous l’avons laissé faire ce que bon lui semblait, finit par annoncer l’originale, calmement, ne cessant pas son travail de renforcement du bouclier, ne jetant pas même le moindre regard vers sa version temporelle.
Cette dernière sembla perdue, l’espace d’un instant, et resta silencieuse.
— Exactement, conclut la vieille. Ce n’est qu’une question de temps avant que tu ne viennes me trouver. Ma maison, mes relations, ma vie. Tu veux tout, et tu as un pouvoir nettement supérieur au mien. C’est ma seule chance de retirer cette épine de mon pied. Tu sais que je dois la saisir. Tu ferais la même chose.
— Espèce de salope de vieille mégère ingrate de ta mère la fée clochette ! hurla l’autre, totalement hors d’elle.
La Chasseuse Grise trouva là une occasion de profiter de cette instabilité émotionnelle, et parvint à planter ses crocs dans son avant-bras, lui injectant une bonne dose de poison perturbateur de mana… mais Lac d’Argent réagit rapidement et se trancha immédiatement le membre au niveau de l’épaule. Sa régénération prit immédiatement le relai, et le bras se remit à pousser.
— J’aurais dû te tuer tout de suite en arrivant ! hurla-t-elle encore, les yeux injectés de sang, la bave aux lèvres.
— Tu aurais dû, répliqua la jeune en haussant les épaules.
Zorian observa encore la situation, et y réfléchit pendant un instant, avant de décider de laisser les deux sorcières régler leurs comptes, pour lui-même se trouver d’autres cibles. Il pouvait voir le brouillard magique de Jornak faiblir et commencer à s’évaporer, ce qui signifiait probablement que son affrontement avec Zach arrivait sur la fin.
Il était temps.
Zorian bondit, son cube défensif le suivant avec passion, et s’envola vers le Gouffre. Les cultistes tenaient toujours bons face aux forces combinées qui les assaillaient, mais ils étaient épuisés et peu préparés à cette tournure des évènements – l’arrivée de Zorian. Ce dernier entreprit immédiatement de trancher dans la masse, charcutant le groupe entier d’un seul coup d’un fouet tranchant, laissant le cube gérer toute la partie défensive de l’action.
En même temps, il prit le contrôle de Mrva, et les attaques du golem devinrent d’un seul coup plus précises et plus stratégiques.
Après quelques secondes seulement, la plupart des cultistes avaient réalisé qu’ils n’avaient absolument aucune chance face à ce nouveau venu et son golem, et leur discipline s’écroula. Ils paniquèrent, coururent dans tous les sens, et ignorèrent les menaces ouvertes de leurs dirigeants qui tentaient de les faire rentrer dans le rang.
Comme Zorian le prévoyait, ses actions provoquèrent une réaction immédiate. Au loin, Oganj se mit à jurer tout haut et se sépara de l’Ange qu’il affrontait afin de se précipiter vers le Gouffre. Il reçut comme cadeau de départ une profonde lacération sur le flanc – il n’avait qu’à pas tourner le dos à un Ange – mais l’encaissa en serrant les crocs. Puis, non loin de l’endroit où Zorian découpait du cultiste, une énorme explosion rasa toute une partie de la ville, un squelette noir sortant des décombres en volant vers Zorian à vitesse maximale. Celui-ci analysa rapidement la zone laissée par Quatach-Ichl et soupira. Xvim, Alanic et Daimen était dans un piteux état, mais plus ou moins vivants. Xvim était inconscient, Daimen gravement blessé et couvert de plaies sanglantes, mais Alanic allait un peu mieux et était aux petits soins avec eux. Ils allaient probablement survivre.
Probablement…
Mais non, il ne pouvait pas se laisser distraire. Oganj et Quatach-Ichl arrivaient tous deux vers lui, mais la liche était plus proche et plus rapide.
Bien qu’il ne fût qu’un golem sans âme ni conscience, Zorian ne put s’empêcher de lui lancer un regard un peu triste.
Tu vas me manquer, Mrva. C’était chouette de te connaître…
Et étant un golem sans âme ni conscience, celui-ci ne répondit pas. Il se tourna vers la liche en approche rapide et écarta ses bras géants comme pour lui offrir un câlin de bienvenue.
À son crédit, Quatach-Ichl comprit immédiatement que quelque chose n’allait pas et tenta de dévier sa course, ce qui ne l’aida pas. Il allait si vite, il était si proche, les bras étaient si grands. On ne pouvait pas esquiver un truc pareil. Le torse de Mrva s’ouvrit comme une fleur métallique, exposant un appareil magique compliqué contenant un conteneur de verre en son centre. À l’intérieur se trouvait un chrysanthème attrape-âmes, qui s’éveilla immédiatement de sa stupeur et se concentra sur la seule proie que sa prison lui permettait actuellement de ressentir – Quatach-Ichl.
Normalement, la fleur n’aurait jamais pu être capable de menacer l’ancienne liche, spécialement à cette distance, mais sa cage de verre n’était pas qu’une prison. C’était un système amplificateur et concentrateur, qui rendaient la létalité et la portée du chrysanthème totalement absurdes.
Sans réserves, Mrva commença à brûler sa réserve entière de mana interne, amplifiant l’attaque de la fleur encore et encore. Ce n’était toujours pas suffisant pour se saisir de l’âme de la liche et l’y attirer, mais c’était toujours ça de pris – Zorian ne s’attendait pas à en être vraiment capable. Tout ce dont il avait besoin, c’était de handicaper Quatach-Ichl pendant quelques instants, juste comme le chrysanthème avait pu le faire pour Zach et lui-même la première fois.
Le chrysanthème attrape-âmes amplifié fit exactement ce qu’on attendait de lui. Frappé par l’attaque de la fleur, d’une puissance à laquelle il ne s’attendait pas, Quatach-Ichl perdit le contrôle sur son sort de vol et plongea droit vers le bâtiment en face de lui, sur lequel il s’écrasa avant de tomber au sol sans cérémonie ni trompettes. Étant une liche immortelle faite d’os renforcés, l’impact à grande vitesse et la chute qui s’était ensuivie ne lui causèrent pas de vraie dégât. Mais il était immobilisé.
Le cube défensif de Zorian se restructura soudain en un anneau. Le sort de dilatation temporelle avec lequel Zorian avait précédemment capturé la gargantuesque boule de feu d’Oganj libéra d’un seul coup cette dernière, cette fois dans la direction de la liche.
Quatach-Ichl trembla en se relevant avec peine, combattant les effets toujours durs du chrysanthème par sa simple volonté, et leva la tête juste à temps pour apercevoir le projectile incandescent géant, équivalent en puissance à un barrage de sorts d’artillerie lourde, se ruer sur lui. S’il avait eu quelques secondes de plus, il aurait pu dévier le sort, ou esquivé, ou s’en protéger, ou se téléporter… mais ces quelques secondes, il ne les avait pas.
Avant même que la boule de feu ne l’atteignît, la lumière mourut au fond de ses yeux, et ses os tombèrent, inertes, au sol. Il avait choisi de retourner vers son phylactère de son propre chef plutôt que se voir battu.
Puis, la magie draconique frappa sa cible de plein fouet, et plusieurs centaines de mètres se firent vaporiser par une boule de feu aveuglante.
Quant à Mrva, son rôle était rempli. Son torse se replia afin d’empêcher la fleur de cibler d’autres personnes, et il devint immobile et silencieux. Ses réserves internes de mana étaient vides, et il ne pourrait plus bouger, ni se battre.
— Méprisable voleur ! hurla le Dragon, outragé, de plus en plus proche, l’Ange sur les talons. Votre race est-elle capable de faire quoi que ce soit par elle-même ?!
De quoi parlait-il ? Les Dragons étaient célèbres pour harceler tout le monde et tout ce qui leur tombait sous la main pour obtenir les choses qu’ils désiraient. D’ailleurs, on ne verrait jamais un Dragon fabriquer une arme à feu ou un train, alors il y avait quand même une sacrée hypocrisie dans son accusation.
Mais Zorian ne se préoccupa pas de répondre. Il se téléporta simplement à proximité du site d’impact et le balaya d’un souffle de vent, pour en évacuer fumée et poussière. Il fut accueilli par un sol fondu, toujours brûlant, avec un cratère en son centre. Une seule chose avait survécu à la conflagration magique – la couronne impériale qui avait jadis été sur la tête de Quatach-Ichl, intacte.
Les artefacts divins de ce calibre n’étaient vraiment pas fragiles, il fallait le leur accorder.
Zorian produisit rapidement une liane de force et s’en servit pour amener la couronne à lui. Il fut d’abord prudent en posant ses mains dessus, mais il s’avéra qu’elle était restée parfaitement froide.
Il tourna la tête, pour observer l’endroit où se tenait l’affrontement entre Zach et Jornak. Il avait été un peu distrait par l’arrivée de Quatach-Ichl, et se rendit compte qu’à un moment, le brouillard magique avait totalement disparu, laissant à nouveau voir les combattants. Heureusement, Zach avait réussi à empêcher Jornak d’intervenir, et il s’était vu incapable de sauver la liche.
Ils avaient tous deux l’air en sale état. Zach saignait du front, haletant. Quoi que Jornak lui eût fait, il avait clairement équilibré le combat. Sans doute sournoisement au sein du brouillard, parce que Zorian était certain que Jornak n’avait pas les compétences nécessaires pour infliger ça à Zach dans un combat équitable. Quant à Jornak, justement, sa superbe robe rouge était presque totalement déchiquetée, et il cherchait son air à grandes inspirations, comme s’il sortait d’un marathon, mais sa peau était étonnamment propre et ne présentait pas la moindre blessure. Zorian était certain qu’il était similaire à la sorcière, et que tout dégât guérissait instantanément. Peut-être par au même niveau que la vieille, dont les pouvoirs semblaient se concentrer sur une indestructibilité pure, alors que Jornal avait, entre autres certainement, ce mystérieux brouillard dans son arsenal. Mais quand même.
Zorian fut tourner la couronne autour de son doigt, en offrant à Jornak un sourire plein de dents.
— Comme si ça voulait dire quoi que ce soit, cracha le pauvre Robe Rouge en colère, en ne quittant pas Zach du regard, mais ayant clairement vu le geste de Zorian – malgré ce qu’il disait, l’émotion dans sa voix expliquait à Zorian qu’il était vraiment dérangé par la façon dont les choses avaient tourné. Ce n’est pas fini ! La couronne est inutile dans un délai si court, de toute façon !
Avant que Zorian ne pût répondre, il fut forcé d’esquiver un sort d’Oganj, finalement sur plance. Heureusement, les métamorphes et les forces de police avaient déjà sauvé les enfants à ce moment avant de rapidement quitter les lieux, et il n’avait plus à s’inquiéter pour leur sécurité immédiate.
— De tous ceux présents, je t’aime le moins ! dit Oganj en tranchant un bâtiment en deux à l’aide d’un rayon de force bleu, touchant presque la tête de Zorian. Tu n’es qu’un asticot, faible, qui ne peut se battre qu’avec des plans sournois et honteux !
— Tu t’es allié à la sorcière, rétorqua Zorian. Tu peux parler.
La réponse d’Oganj se présenta sous la forme d’un coup de paume qui aplatit la zone entière sur laquelle il se trouvait. Heureusement, à ce moment, Zorian s’était déjà téléporté sur un toit à proximité.
Il fit claque sa langue. Bien qu’il pût résister au Dragon pour un temps, il devait avouer ne pas être dans une position favorable. Il ne pouvait frapper fort, et n’avait donc pas la possibilité de lui tenir tête pour fort longtemps.
Il calcula les choses mentalement. Devait-il le faire maintenant ? Avoir Oganj alentour était très sous-optimal, mais s’il devait le faire maintenant… il pourrait y arriver. Le Dragon était occupé à combattre l’Ange en même temps que Zorian, alors peut-être…
[Ange,] envoya Zorian. [Quelles sont les chances que tu puisses gagner contre le Dragon ?]
[Seul ? Une chance sur deux,] supposa l’Ange.
[Et l’occuper pour une heure complète ?] tenta Zorian.
[Une chance sur deux.]
— Ok, marmonna Zorian.
Il n’appréciait pas ces probabilités. Il jeta un œil à la couronne impériale et se souvint de sa conversation avec la sorcière.
Pourquoi Oganj les combattait-il, pour commencer ? Le Royaume d’Eldemar était son ennemi juré, oui, et il adorerait sans nul doute voir Cyoria à feu à et sang, ok. Mais il n’y avait pas moyen qu’il eût accepté de faire équipe avec Jornak juste pour ça. Il lui avait promis quelque chose, et ça devait être énorme pour pousser un Dragon mage de son calibre à bouger de la sorte.
Plus important qu’un artefact divin ?
Il fallait le découvrir.
[Ange, attrape,] envoya rapidement Zorian par télépathie, avant d’envoyer la couronne voler dans les airs en l’accélérant par télékinésie pour qu’elle pût atteindre sa destination, haut dans les cieux.
[Cet objet m’est inutile,] fit remarquer l’Ange sur un ton réprobateur, avant d’attraper l’artefact de l’une de ses branches malgré ça.
[J’ai une idée, joue le jeu, s’il te plaît.]
— Dragon ! hurla Zorian. J’ai donné la couronne impériale à l’Ange !
— Et pourquoi diable m’en soucierais-je ? Je ne peux pas l’utiliser !
— Mais tu pourrais ! renvoya Zorian. Si tu acceptes de cesser de te battre et que tu quittes la ville, l’Ange te promettra de te donner la couronne impériale à la fin de la journée ! Un artefact divin originel qui peut augmenter tes réserves de mana ! Il n’y a rien de tel dans le monde entier !
Oganj cessa d’un seul coup de bouger, avant de remettre quelque distance entre eux, fixant l’Ange avec intensité. L’Ange flottait sur place, en silence, ne poursuivant pas les hostilités.
— Oganj, tu n’as pas intérêt ! hurla Jornak, hors de lui, une panique claire dans la voix. Tu sais ce qui va arriver si tu fais ça ! Quatach-Ichl va s’en prendre à toi ! Je vais m’en prendre à toi ! Et tu ne recevras rien de toutes ces putains de chose que je t’ai promises !
Mais le Dragon n’écoutait pas. Ses yeux brillaient d’une cupidité certaine, et il étudiait Zorian avec une curiosité renouvelée.
— Tu possèdes l’orbe impérial, n’est-ce pas ? Celui possédant le palais à l’intérieur, demanda-t-il soudain, sans attendre la réponse. Donne-le également, et je quitterai la ville sans te causer plus de troubles.
— Oganj, fils de chien ! ragea Jornak.
— Marché conclu, accepta immédiatement Zorian, qui ne réfléchit pas à deux fois à la proposition : perdre l’orbre était un coup dur, mais il avait réellement besoin de s’assurer que le Dragon s’en allât.
Il pourrait toujours tenter de le récupérer plus tard.
Il retira l’orbe impérial de sa poche et le lança également vers l’Ange, comme il l’avait fait pour la couronne. Celui-ci l’attrapa nonchalamment, le séquestrant dans l’étreinte de ses branches.
— Je déclare une promesse ici et maintenant, soutenu par les cieux. Si tu quittes la ville dès maintenant et en restes éloigné pour au moins vingt-quatre heures, je te cèderai les deux artefacts qui viennent de m’être confiés, annonça l’Ange de sa voix tonitruante. Que les hauts cieux me dévêtissent de mon rang et me frappent de leur colère si devais briser ce serment.
— Hmm… murmura Oganj sur un ton appréciatif. Je ne ferais pas confiance à quiconque, mais un Ange ne mentirait pas. J’accepte.
Et Oganj tourna les talons, et s’envola vers la forêt du nord, sans rien dire de plus. L’Ange sembla hésiter pendant une seconde, comme s’il désirait informer Zorian de quelque chose, avant de simplement suivre le Dragon mage.
Jornak fumait clairement de colère à ce moment, mais n’était toujours pas décidé à abandonner. Ses attaques sur Zach reprirent de façon plus frénétiques encore, et il se montra de plus en plus téméraire, la respiration lourde.
Zorian prit une profonde inspiration. Il était vraiment temps. Il n’y aurait jamais de meilleur moment que celui-là.
Son esprit se mélangea à ceux des simulacres. Le réseau de glyphes qu’il avait dispersés au travers de la ville pulsa d’une vie nouvelle, lui donnant accès à la ville entière en une pensée. La multitude d’Aranea qu’il avait amenées dans l’enceinte de la cité, silencieuses jusqu’alors, établirent soudain le contact avec son esprit.
Il se téléporta aussi près que possible des deux combattants.
Et il fondit sur eux.
- EER : Chapitre 225 - 26 décembre 2023
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- EER : Chapitre 223 - 7 décembre 2023
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— J’aurais dû te tuer tout de suite en arrivant ! hurla-t-elle encore, les yeux injectés de sang, la bave aux lèvres.
— Tu aurais dû, répliqua la **vieille** en haussant les épaules.
Merci pour ton taf de malade