MoL : Chapitre 11
MoL : Chapitre 13 !

Chapitre 12 – Toile d’âme

 

Zorian retourna dans sa chambre d’un pas trop lourd et claqua la porte derrière lui. Il aurait dû savoir qu’il n’allait rien trouver à propos du lien d’âme, rien de plus qu’il ne savait déjà mais il était toujours ennuyeux de revenir les mains vides après avoir passé la journée entière à la bibliothèque.

Les livres répétaient tous les mêmes avertissements qu’il avait entendus en première année : les liens d’âme étaient une branche dangereuse et largement méconnue de la magie, capable de causer des effets secondaires horribles en étant utilisée sans garde-fou. De temps à autre, quelques couples mal informés décidaient que lier leurs âmes serait la chose la plus romantique qui soit, le tout se finissant quelques mois plus tard dans les larmes et les poursuites judiciaires quand les complications survenaient. Le problème principal résidait dans le fait qu’à chaque fois, un des deux participants commençait à dominer mentalement et spirituellement l’autre, les transformant peu à peu en copie d’eux-mêmes à la fois au niveau de l’âme et de l’esprit – sans même mentionner une obéissance dérangeante et déférente.  C’était une bonne chose lorsqu’on liait des animaux comme familiers : c’était presque toujours l’animal qui se faisait dominer par l’humain et les animaux avaient tendance à profiter d’une telle domination ; ils développaient une intelligence supérieure et un meilleur contrôle sur leurs capacités magiques. Les êtres conscients, par contre, voyaient généralement un souci lorsque quelqu’un soumettait par magie leur personnalité toute entière, leur vision du monde et leur point de vue. Au moins jusqu’à ce que le lien d’âme se termine, les transformant en clones serviles.

Zorian fit passer une main tremblante dans ses cheveux et se mit à nettoyer ses lunettes avec le revers de sa chemise afin de se calmer. Il espérait vraiment, vraiment avoir tort et qu’il n’existait aucun lien d’âme entre Zach et lui. Zach avait six fois plus de mana que le maximum théorique de Zorian, était naturellement plus confiant et extraverti et – grâce à son ancienneté dans la boucle temporelle – était des dizaines d’années plus âgé. Il n’y avait aucun intérêt à se demander qui serait l’âme dominante.

Le pire, dans tout ça, était son impuissance à aller voir quiconque pour obtenir de l’aide. Il était presque sûr que le lien d’âme – ou quoi que ce fut – était responsable de sa présence dans la boucle de Zach. S’il demandait de l’aide à quelqu’un, il insisterait pour trancher le lien – une réaction compréhensible et une chose avec laquelle il serait d’accord en temps normal – ce qui lui ferait perdre tout ce qu’il avait gagné dans la boucle, souvenirs inclus, une fois que Zach aurait recommencé la sienne à la fin du mois.

Ouais. Il était totalement niqué.

Il prit quelques profondes inspirations et remit ses lunettes. Peut-être regardait-il les choses de façon trop fataliste. En considérant la gigantesque différence entre lui et Zach, il aurait déjà dû expérimenter un changement massif de personnalité depuis le début des boucles et il n’avait rien noté de la sorte. Il ne se sentait certainement pas soumis à quiconque, y compris Zach. Évidemment, les choses ne pouvaient pas être aussi mauvaises qu’elles n’en avaient l’air. Il devait certainement réagir de façon trop excessive en oubliant une autre possibilité, plus probable, plus réaliste à ce recommencement imprévu…

Quelqu’un frappa à la porte. Qui pouv –

Oh. Oui. Taiven.

Zorian soupira profondément. Juste ce dont il avait besoin, super. Le son se changea en martèlement, le forçant à finalement aller ouvrir la porte.

— Salut, cafard !

— Salut, Taiven, répondit Zorin sur un ton souffrant. Comme c’est gentil de venir me rendre visite. Tu veux entrer ?

Taiven fit immédiatement ce qu’elle faisait à chaque fois, une fois dedans – elle sauta sur le lit et s’installa comme chez elle. Zorian haussa les épaules et s’approcha d’elle. Autant en finir au plus vite avec elle.

— Tu as été diplômée ? demanda-t-il sans préambule. Tu as dit que tu allais partir en exploration après ton diplôme. Ç’en est où ?

Elle le regarda amèrement.

— Ce n’est pas si simple. Aucune expédition ne va accepter une débutant telle que moi. J’ai besoin qu’un explorateur établi m’accepte comme apprentie. J’y travaille.

— Marrant. J’ai entendu que tu travaillais comme assistante pour Nirthak, fit remarquer Zorian. Est-ce que ça ne va pas interférer avec la rechercher d’un maître ?

— Eh bien, en quelque sorte, admit-elle. Mais je ne cherche pas littéralement un autre job en ce moment. J’essaye de me construire une réputation afin que des gens me remarquent en effectuant des missions, entre autre. En fait, c’est pour ça que je suis venue te parler – j’aimerais que tu m’accompagnes, moi et des autres, pour un job demain.

— Suspect, lâcha Zorian. Que pourrait faire un vulgaire troisième année pour vous ?

— Hm… Compléter nos rangs ? répondit Taiven. Nous ne pouvons pas accepter le job si nous ne sommes pas au moins 4 et il nous manque une personne.

— Eh bien, pourquoi est-ce que le job nécessite 4 personnes, pour commencer ? questionna Zorian, sachant des précédentes boucles qu’il s’agissait de la façon la plus rapide d’arriver à bout des excuses de Taiven. Assurément, l’employeur n’a pas posté ça juste pour donner des opportunités aux groupes tels que le tien ?

— C’est peut-être dangereux, renifla Taiven en croisant ses bras devant elle. Le vieux exagère. Les araignées ne sont même pas aussi grosses que ce qu’il nous a dit.

— Des araignées ? bondit Zorian.

— Ouais, hésita Taiven, réalisant apparemment qu’elle n’aurait peut-être pas du mentionner ça. Des araignées. Tu sais, des trucs poilus à 8 pa –

— Taiven, avertit Zorian.

— Oh, allez, cafard, je t’en supplie ! chouina Taiven. Je promets que ce n’est pas aussi dangereux que ça en a l’air ! Nous sommes descendus dans ces tunnels des centaines de fois et ça n’a jamais été aussi dangereux ! Nous pouvons te protéger facilement !

— Des centaines de fois ? douta Zorian.

— Bon, une dizaine, au moins, avoua-t-elle.

Zorian s’apprêtait à lui dire non comme il le faisait généralement à ce moment mais se ravisa. Il ne serait sans doute pas capable de faire quoi que ce fut de profondément productif durant la semaine à venir avec en plus la possibilité de ce lien d’âme qui lui pesait sur l’esprit. Une gentille petite distraction à travers les égouts serait peut-être juste ce que prescrirait un médecin dans son cas, pour ainsi dire.

— Bien sûr, répondit-il.

— Vraiment ?! meugla Taiven, incrédule.

— Oui, vraiment, confirma Zorian. Dis-moi juste où vous rejoindre demain avant que je change d’avis.

Quelques minutes plus tard, Taiven était partie après l’avoir remercié de façon profuse et exagérée, allant même jusqu’à déposer un baiser sur sa joue pour être un vrai ami avant de détaler pour… pour dieu savait où, et peu importait. Zorian ne le lui demanda pas, trop choqué par son dernier geste, aussi innocent qu’il avait pu être. Il était quelque peu en colère contre lui-même pour avoir été si affecté par un simple baiser sur la joue mais il jugea qu’on ne devait pas être si dur avec son inconscient. Il en avait pincé pour elle, après tout.

Il décida que c’en était assez de tout pour la journée et avala l’une des potions de sommeil qu’il gardait dans ses tiroirs. Avec un peu de chance, les choses s’éclairciraient après une bonne nuit de repos.

 

___

 

Le lendemain, il s’éveilla effectivement avec l’esprit un peu plus clair que la veille après une journée perdue à la bibliothèque. Les choses avaient tout de suite l’air moins désespérantes. Il avait bondi sur les conclusions alors qu’il avait besoin de plus d’informations. Tenté de manquer les cours pour la journée afin de s’essayer une nouvelle fois à la bibliothèque, il finit par suspecter qu’il manquait à la fois des techniques de recherche appropriées et de l’accès nécessaire pour trouver des informations sur un sujet comme le lien d’âme. D’ailleurs, il y avait une autre personne à qui il pouvait parler, à qui il devait absolument parler – Briam, le maître du drake de feu. Assurément, quelqu’un qui possède déjà un lien d’âme avec un autre être vivant, même s’il s’agissait d’un animal magique et non d’un autre humain, pourrait lui en dire plus.

— Je vois que ta famille t’a donné ton propre drake de feu, commença-t-il nonchalamment en s’installant près de Brim et en ignorant parfaitement le sifflement menaçant de son familier. Pour une raison qui lui échappait, la bête au caractère bouillant n’avait jamais jugé pertinent de l’attaquer et il ne pensait pas que ça allait commencer cette fois-là.

— Est-il déjà ton familier ? rajouta-t-il.

— Oui, confirma Briam, clairement satisfait. Je me suis lié à lui cet été, en réalité. Un peu étrange au début mais je pense que je commence à choper le truc.

— Étrange ? poussa Zorian. Comment ça ?

— C’est principalement dû à la présence du lien d’âme, tu sais ?

— On peut sentir le lien d’âme ? tenta Zorian de façon spéculative, tentant de ne pas laisser paraître son excitation – il ne sentait rien du tout. Est-ce normal ? Tous ceux qui sont liés sentent ce lien ?

— Non, pas tout le monde, gloussa Briam. Seulement une petite minorité en est capable et personne ne sait pourquoi. Je le peux. Je suppose que je suis chanceux.

Zorian réprima une grimace. Il espérait que le fait qu’il ne sente pas de lien d’âme signifiait son salut mais apparemment ce n’était toujours pas une preuve. Bordel.

— Tu sais, tenta-t-il, j’ai toujours eu un intérêt académique pour les familiers et les liens d’âme…

Heureusement, Briam ne trouva pas l’intérêt de Zorian suspect et fut heureux de répondre à sa curiosité. Ce qu’il lui dit était intéressant, pour ne pas en dire plus. Selon Briam, le lien d’âme était un rituel, du genre à demander une bonne dizaine de minutes pour être lancé correctement ; souvent plus que ça. Ce n’était pas une chose pouvant être lancée comme une invocation classique. Et puis, même le plus idiot des participants sent malgré tout quelque chose après quelques semaines suivant la création du lien.

Zorian avait expérimenté des tas de choses au cours des boucles, des choses qu’il aurait pu définir comme étant des signes du développement du lien spirituel mais il était compliqué de dire combien de ces choses étaient simplement une conséquence des situations délirantes dans lesquelles il se trouvait sans cesse. Les effets étaient juste trop faibles pour être comparés à ce que Briam lui en avait dit. Ses réserves de mana étaient légèrement plus grandes qu’auparavant, par exemple, mais l’augmentation n’avais rien de spécial et suivait son propre perfectionnement en magie de combat. Rien qui put être une conséquence avérée de son âme cherchant à s’aligner avec celle de Zach. Le sort que la liche avait lancé n’était pas un rituel non plus… Mais encore une fois, c’était une liche. Qui pouvait savoir quel genre de sorts pouvait maîtriser une créature comme elle ?

L’un dans l’autre, il semblait chanceux – le lien entre Zach et lui était soit très faible soit d’un type différent. Ou peut-être était-il uniquement à moitié formé ? Selon Briam toujours, le lien demandait une proximité physique et de nombreuses interactions personnelles entre les participants afin d’arriver à maturité. Pour cette raison, il gardait toujours son drake avec lui sauf quand ce n’était pas possible. En considérant qu’il n’avait interagi avec Zach que durant l’une des boucles jusqu’à présent et que ce dernier avait passé tout le reste du temps loin de Cyoria, le lien pouvait ne pas avoir eu la chance de se solidifier. Si c’était le cas, il devait faire en sorte qu’il n’en ait jamais l’occasion – il devait éviter tout contact avec l’autre voyageur temporel à l’avenir, au moins jusqu’à ce qu’il en sache plus sur ce qui arrivait réellement.

Ce qui, en toute honnêteté, pouvait prendre un sacré bout de temps. Mais l’idée de pouvoir esquiver Zach l’empêcherait de se faire submerger par la hantise de ce lien d’âme. Il devait aussi décider d’un plan d’apprentissage personnel. Jusqu’alors, il avait appris les choses un peu hasardeusement comme il en avait l’occasion ; il n’y avait rien qui pressait pour autant qu’il pouvait y penser, et il ne savait pas par où commencer. Et puis, il avait caressé ce désir de devenir meilleur en tant que mage avant de sortir de la boucle parce qu’une opportunité pareille ne se représenterait jamais. Ce genre d’approche désorganisée n’avait plus lieu d’être, cela dit. Il voulait que le lien d’âme – si c’en était un – soit brisé le plus tôt possible et ça signifiait trouver un moyen de sortir de la boucle aussi rapidement que faire se pouvait.

Et ça allait devoir attendre un autre temps, une autre époque, un autre recommencement. Pour l’heure, il avait rendez-vous avec Taiven et ses amis, le soir-même. Pourquoi avait-il accepté, encore ? Oh oui, Taiven avait trouvé le pire moment et il avait eu un élan de folie. Il aurait dû au moins lui demander une faveur en retour. Oh, bah. Apprendre de ses erreurs.

Taiven avait choisi un endroit ennuyeusement lointain comme lieu de rendez-vous et Zorian avait un long chemin à parcourir. Apparemment, il existait un endroit dans l’un des parcs de la ville où se réunissaient les joueurs d’échecs et l’un des amis de Taiven en était visiteur régulier. Zorian n’avait jamais vraiment visité ce parc en particulier mais la route qui y menait lui sembla étrangement familière pour une raison qui lui échappait.

Il réalisa pourquoi quelques minutes plus tard, lorsqu’il arriva sur un pont au sein du parc. C’était l’endroit où il avait rencontré la petite fille en pleurs, celle dont le vélo était tombé dans le ruisseau, avant la première boucle temporelle. À bien y repenser, il n’avait jamais vraiment visité cet endroit après ça. Il n’en avait jamais trouvé de raison valable, puisqu’il savait d’avance que des rats lui bloqueraient le passage s’il s’aventurait dans cette direction. Il regarda avec curiosité par-dessus le rebord pour voir si le vélo était toujours là mais sans grande surprise, ce n’était pas le cas. La pluie de la veille avait changé le ruisseau en torrent rageur et le vélo avait sans doute été emporté par le courant.

La petite fille n’était plus là, évidemment mais ça ne signifiait pas qu’il était seul sur le pont. Il y avait là un tout petit chat, probablement un très jeune et qui regardait désespérément vers les vagues folles. Zorian se fichait généralement de ce qui arrivait aux animaux mais lorsque le chaton tourna la tête vers lui et que leurs regards se croisèrent, Zorian fut assailli par un immense sentiment de tristesse et de perte. Enervé par l’expérience, il accéléra, laissant rapidement l’étrange animal derrière lui.

Finalement, après presque 30 minutes d’errance dans le parc, il trouva l’endroit en question. Taiven aurait vraiment dû apprendre à indiquer les directions de façon convenable. C’était un lieu paisible, peuplé presque uniquement de personnes âgées. Âgées comme dans vraiment âgées. Le groupe de Taiven, tous des adolescents, sortait du lot en faisant tache mais aucun des grabataires qui les entouraient ne semblait s’en inquiéter et Zorian décida de ne pas se laisser perturber, s’approchant prudemment d’eux.

Les autres amis de Taiven étaient une paire de mecs tout en muscles qui avaient plus l’air à l’aise sur un ring de boxe que dans une école magique. L’un d’eux fronçait les sourcils en direction du plateau d’échecs devant lui en réfléchissant à son prochain coup tandis que Taiven et l’autre type l’entouraient. Taiven était clairement impatiente et n’en pouvait plus d’attendre, à un tel point qu’elle tenta même de voler un des pions pour passer le temps, avant de se faire engueuler par les deux joueurs. L’autre type était plus détendu et observait paresseusement ce qui les entourait comme un chien de garde. Ce fut lui qui remarqua l’arrivée de Zorian et qui alerta les deux autres.

— Cafard ! lança Taiven en agitant la main. Dieu merci, je commençais à avoir peur que tu ne viennes pas !

— Je ne suis pas en retard, protesta Zorian.

— Eh bien, tu as vraiment développé un penchant pour couper court aux conversations depuis la dernière fois qu’on s’est vus, l’accusa-t-elle. Mais peu importe. Cafard, j’aimerais te présenter mes deux hommes de main, Grogneur et Grommeleur. Grogneur, Grommeleur, voici mon bon ami Cafard.

Zorian leva les yeux au ciel. Au moins, il n’était pas le seul à s’être vu affublé d’un surnom stupide.

— Merde, je t’avais dit de ne pas nous présenter comme ça ! protesta l’un des types, plus par habitude que par espoir que Taiven finisse par changer, si Zorian lisait correctement l’ambiance. Salut, gamin. Je m’appelle Urik et celui qui joue aux échecs est Oran. Merci de nous aider pour ça. Nous nous assurerons qu’il ne t’arrive rien alors ne t’inquiète pas.

Le joueur d’échecs grogna, possiblement pour signifier son accord. Il devait être Grogneur, du coup.

— Je m’appelle Zorian, répondit-il – ils ne lui avaient pas donné leurs noms de famille, pourquoi aurait-il dû ?

— Bien ! balança Taiven avec enthousiasme. Les présentations sont faites, on y va ?

— Pas tant que je n’ai pas fini cette partie, lâcha platement le joueur d’échecs.

Les épaules de Taiven tombèrent d’un seul coup.

— Je hais ce jeu, chouina-t-elle. Trouve-toi un siège, Cafard. Ça peut être long.

Zorian fit claquer sa langue, irrité. Pour une fois, il avait de l’empathie avec l’impatience de Taiven. Il n’était pas fondu des échecs, lui non plus.

 

___

 

Le donjon était un endroit extrêmement dangereux. Aussi connu sous le nom de Monde Souterrain, Labyrinthe et un million d’autres patronymes, il s’agissait d’un réseau outrageusement vaste de grottes et de tunnels qui couraient sous la surface du monde. Au premier regard, les lieux donnaient l’impression que le rêve de tout mage était devenu réalité – des niveaux de mana ambiant qui crevaient le plafond à mesure qu’on descendait dans les profondeurs du donjon et des niveaux inférieurs qui débordaient de minéraux aux propriétés magiques fantastiques. Malheureusement, les mages n’étaient qu’une espèce qui arpentait les lieux, une parmi tant d’autres. Des monstres de toutes sortes habitaient ces tunnels et plus on s’enfonçait, plus ils devenaient puissants et étranges. Même le plus grand des archimages devait faire attention à ne pas s’aventurer trop loin en descendant dans le donjon, à moins de vouloir faire face à une chose qu’il n’avait aucune chance de terrasser.

Cyoria, comme beaucoup d’autres villes, avait tiré avantage du donjon lors de l’édification de la ville. La partie supérieure du donjon avait été nettoyée de toute créature agressive ou particulièrement dangereuse et systématiquement isolée des parties plus profondes. Ces tunnels furent ensuite modifiés en autant d’abris, d’espaces de stockage, de système de contrôle anti-inondation… et en égouts pour la ville. Les humains avaient utilisé le donjon comme égouts depuis si longtemps que plusieurs espèces de slimes et d’autres monstres adaptés à cette niche écologique spécifique virent le jour ; les humains les transplantaient même souvent d’une ville à l’autre lorsqu’ils s’implantaient ailleurs. Bien sûr, la séparation de ces étages supérieurs des niveaux inférieurs ne pouvait jamais être 100% efficace – spécialement parce que de nombreux habitants du donjon étaient de très bons mineurs, creuseurs ou fouisseurs. Une maintenance régulière était requise afin de maintenir le tout en état de fonctionnement.

Les limites du donjon de Cyoria étaient réputées pour contenir plus de trous qu’une éponge. La cité était plutôt jeune et le donjon local était particulièrement vaste. Il était si grand, si profond et si ramifié qu’une séparation propre entre les niveaux supérieurs et inférieurs n’avait jamais été finalisée. C’est sans doute pour cette raison que les envahisseurs étaient parvenus à enrôler autant de monstres lors de l’attaque de la ville – ils se contentaient de les sortir directement des tunnels. Comment faisaient-il ? C’était une autre question. Zorian ignorait comment ils avaient fait pour cartographier suffisamment bien les niveaux profonds du donjon pour pouvoir faire monter une armée de monstre au nez et à la barbe de tout le monde. Encore que ça montrait encore une fois à quel point les envahisseurs étaient ridiculement bien préparés.

Malgré le danger évident, Zorian n’était pas excessivement inquiet de suivre Taiven dans les tunnels. Les sous-sols de Cyoria n’étaient pas l’endroit le plus sûr du monde mais ne représentaient pas non plus une peine de mort catégorique. Et il doutait que les envahisseurs furent actuellement stationnés sous la ville, car une armée géante de monstres serait simplement impossible à cacher même pour le groupe le mieux organisé – ils devraient remonter le jour de l’invasion sans se faire détecter. Il se serait senti bien mieux équipé d’un objet magique lui permettant de lancer ses sorts de combat mais c’était hors de sa portée pour l’heure. Les exercices de Nora mis à part, il ne se sentait pas encore capable de graver des formules pour en créer un de toutes pièces et il ne pouvait pas en acheter un sans permis.

Malheureusement, leur employeur semblait ne pas partager la confiance de Zorian.

— C’est lui, le quatrième membre que vous avez dégoté ? demanda le vieil homme sans trop y croire. Est-ce qu’il est seulement diplômé ?

Zorian observa la grimace de l’homme qui gesticulait dans sa direction d’un air dédaigneux et comprit immédiatement pourquoi Taiven était à ce point irritée par ce type. S’il était si inquiet quant à leur capacité à lui fournir un résultat, pourquoi n’avait-il pas embauché un vrai professionnel pour retrouver sa putain de montre ? Oh, c’est vrai – il ne voulait pas payer un tarif professionnel ! Franchement, Taiven et son groupe étaient probablement ce qu’il pouvait espérer obtenir de mieux en considérant l’endroit où il cherchait.

Le job lui-même était assez simple – le vieux avait perdu une montre à gousset dans les tunnels en fuyant une paire d’araignées géantes et maintenant il voulait la récupérer. Il avait tenté de le faire lui-même mais quand il était revenu à l’endroit où il l’avait laissée tomber, elle n’y était plus. Personnellement, Zorian était sûr qu’elle avait été bouffée par un slime ou un autre monstre dévoreur de métal qui vivait dans les tunnels mais le vieil homme insista qu’elle devait être intacte et en possession des araignées. Comment pouvait-il le savoir était un grand mystère. Que ferait une poignée d’araignées, fussent-elles géantes ou pas, avec une montre à gousset ? Étaient-elles des pies, à voler tout ce qui brille juste parce que ?

— Nope, plaça Zorian, totalement impénitent. Je suis un troisième année.

— Un troisième année ! croassa le vieux. Et tu penses que tu peux survivre là en-bas ? Connais-tu seulement des sorts de combat ?

— Bien sûr, confirma Zorian immédiatement. Missile magique, bouclier et lance-flamme.

— C’est tout ?

— On reçoit ce pour quoi on paye, répondit Zorian en haussant les épaules.

— Mais c’est quoi, votre problème ? les interrompit Taiven. Nous sommes quatre contre deux araignées un peu larges du cul. Moi toute seule, je ferais déjà l’affaire !

— Ce n’est pas parce que j’en ai rencontré deux qu’il n’y en a pas d’autres, grogna leur employeur. Je ne veux pas vous voir tomber sur un nid grouillant de ces bêtes, vous vous feriez massacrer. Elles sont rapides. Et furtives. Je ne les ai même pas remarquées tant qu’elles n’étaient pas juste au-dessus de moi. Je suis chanceux d’être vivant, à vous parler à tous les quatre.

— Eh bien… Il y a quatre paires d’yeux parmi nous, raisonna Taiven. Nous nous surveillerons les uns les autres, alors bonne chance à elle si elles veulent nous prendre par surprise. Je suppose que vous n’allez pas nous dire ce que cette montre a de si important ?

— Ce ne sont pas vos affaires, répliqua l’homme. Ce n’est pas précieux ou quoi que ce soit, je veux la récupérer pour des raisons de cœur. Je suppose quant à moi que le gamin a raison… J’ai obtenu ce que j’ai pu avoir en considérant la récompense que je peux offrir. Juste… Ne soyez pas téméraires. Je ne veux pas avoir la vie d’une poignée de gosses sur la conscience le jour où je trépasserai.

Quelques minutes et un ensemble de remarques inutiles plus tard, Taiven les conduisit finalement en direction de l’entrée du donjon la plus proche. Des gardes étaient stationnés là mais Taiven possédait un permis lui donnant accès à la zone et elle pouvait emmener des personnes avec elle. C’était rassurant, en quelque sort – ça signifiait que quelqu’un au bureau des permis considérait Taiven suffisamment capable pour être responsable de la vie de civils comme lui. Apparemment, elle ne faisait pas que se vanter quand elle disait qu’elle pouvait le protéger.

Les tunnels eux-mêmes étaient bien plus sinistres que ce qu’imaginait Zorian, cette section l’était tout du moins – des murs de pierres lisses et rien de plus menaçant que des rats qui couraient çà et là. La pierre qui couvrait les couloirs reflétait la lumière plutôt agréablement et les quatre lanternes flottantes qui les suivaient illuminaient le tout plutôt bien. Taiven avait insisté pour que tous quatre lancent chacun leur sort de lumière et les espacent convenablement afin de ne pas être pris au dépourvu en se retrouvant dans le noir au cas où ils viendraient à être séparés ou qu’ils rencontraient quelque chose capable de les éteindre.

Malheureusement, il n’y avait signe ni de la montre perdue ni des araignées géantes voleuses de montre perdue. Taiven semblait penser qu’il serait facile de traquer les créatures avec un simple sort de localisation et fut consternée de constater que le sort – ainsi que d’autres divinations qu’elle avait tentées – ne donna aucun résultat.

Comme les choses le démontrèrent, il s’avéra que Taiven et ses compagnons étaient à peine plus que débutants en magie de combat et n’avaient pas la moindre idée de la façon dont il fallait retrouver les araignées ou la montre une fois les sorts de divination rudimentaires mis à mal. Au bout d’un moment, ils se décidèrent à simplement errer au hasard des tunnels en espérant qu’ils tomberaient par chance sur la tanière des araignées, lançant de temps à autre les sorts de divination sans plus de résultats. Après à peu près deux heures de marche inutile, Zorian était sur le point de déclarait forfait. Il s’apprêtait alors à suggérer un abandon pur et simple pour retenter le lendemain quand il se sentit soudain très, vraiment très fatigué.

Être un mage demandait une discipline mentale énorme – façonner le mana correctement nécessitait une concentration permanente et la capacité de visualiser le résultat désiré avec clarté. Aussi, tous les mages étaient, jusqu’à un certain point, résistants à la magie mentale et aux autres effets ciblant l’esprit. C’était pour cette raison uniquement que Zorian était toujours conscient, tentant de combattre désespérément ce sort de sommeil qui venait de leur tomber dessus au lieu de simplement se laisser choir. En face de lui, Taiven et un des deux autres titubaient sur place en tentant eux aussi de résister tandis que le dernier était déjà affalé au sol.

Zorian lutta pendant une seconde ou deux et le sort… disparut simplement. Avant qu’il ne put faire quoi que ce fut, il fut forcé de tomber à genoux par un torrent de souvenirs et d’images qui se frayèrent un chemin directement dans son esprit.

De la confusion. Un souvenir de lui-même, observant une formule particulièrement déconcertante et tapotant son crayon contre la table, parfaitement frustré. Une image de deux sphères d’eau flottantes, connectées par des filins d’eau en constant changement, courant de l’une à l’autre orbe. Un souvenir improbable, un troll de guerre déchirant des murs blancs délicats qui semblaient être un amalgame de toiles d’araignées. Une question.

[Es-tu –]

La voix tonna dans sa tête avant de devenir une nouvelle collection de délires psychologiques, d’images et de souvenirs sans aucune logique. Le déluge faiblit un instant, comme s’il attendait une réponse. Et il recommença. Une immense frustration.

[Je pensais –]

Un sentiment de fraternité. Des toiles tendues au travers de failles ténébreuses, des orbes de lumière piégées en leur sein.

[– ne me comprends pas, n’est-ce pas ?]

Une tristesse intense. De la pitié, encore plus de frustration et de la résignation.

Le flux d’images cessa abruptement d’assaillir son esprit. Zorian attrapa sa tête pour tenter de faire diminuer la furieuse migraine qui faisait rage dans sa boîte crânienne et regarda autour de lui. Taiven et les autres étaient inconscients mais semblaient saufs. Il n’y avait aucune trace de leurs attaquants et il tenta de les réveiller en vain.

Jugeant que la meilleure idée serait de remonter à la surface avant que quelque chose ne décide de les achever, Zorian lança rapidement le sort de disque flottant et empila les trois corps inconscients avant de se mettre en route vers l’entrée du donjon.

Il espérait simplement que sa tête arrêterait de l’assassiner avant le lendemain matin.

 

___

 

Zorian s’éveilla très confus. Une part de lui se demandait ce qu’il faisait dans un hôpital tandis qu’une autre part était surpris de ne pas voir Kirielle assise sur son ventre, lui souhaitant une bonne journée comme à chaque fois qu’il recommençait. Quelques secondes plus tard, son esprit s’éclaircit et il se souvint de ce qui était arrivé la veille. Il n’avait pas recommencé parce qu’il n’était pas mort, dans ces tunnels – son esprit avait juste été chamboulé. C’était d’ailleurs bien plus embêtant que la mort : tout dégât fait à son esprit pouvait se répercuter dans les boucles suivantes mais fort heureusement, rien ne semblait avoir été endommagé de façon permanente.

Il se souvenait vaguement du docteur arrivant à la même conclusion quand il avait été amené là la veille avant de le fourrer dans une chambre en lui disant de dormir. Tu parles d’un docteur. Il n’avait pas besoin d’un hôpital pour ça. Zorian se demanda comment ses partenaires de l’occasion se portaient – toujours complètement comateux lorsqu’il avait titubé hors du donjon, juste avant que les gardes ne les amènent d’urgence dans l’hôpital le plus proche.

— Je vois que tu es enfin réveillé, constata Ilsa depuis le pas de la porte. Tu vas assez bien pour discuter ou dois-je revenir plus tard ?

— Miss Zileti ? s’étonna Zorian. Que faites-vous ici ?

— Tu es notre étudiant, et l’académie est tenue de te représenter au niveau légal, expliqua-t-elle en approchant du lit. Ce cas s’y prête. Comment te sens-tu ?

— Je vais bien, répondit Zorian en haussant les épaules, le moindre soupçon de migraine envolé. Je pourrais bien rentrer chez moi une fois une fois votre interrogatoire terminé.

— Interrogatoire ? gloussa Ilsa. Tu dis ça de façon si sinistre. Pourquoi devrais-je te faire subir un interrogatoire ?

— Euh… Eh bien… bafouilla Zorian. La police tend à être assez stricte envers les témoins dans ce genre d’expérience. Juste au cas où ils devaient cacher quelque chose ou je ne sais pas quoi.

Pendant un moment, Zorian s’imaginait qu’elle allait lui demander où il avait eu ce genre d’expérience avec la police mais elle se contenta de secouer la tête en riant tout bas.

— Je ne suis pas la police, lâcha-t-elle. Bien que je sois effectivement venue te demander ce qu’il s’est passé. Tes amis ne se souviennent de rien de substantiel à cause de ce sort de sommeil qui les a frappés au tout début de l’attaque.

— Ils vont bien ? s’enquit immédiatement Zorian.

— Oui, confirma Ilsa. Oui, ils vont bien. Ils ont repris connaissance hier et ne souffrent d’aucun effet secondaire. Tes propres blessures me paraissent bien plus sérieuses, médicalement parlant.

Elle offrit à Zorian un sourire perturbant.

— Je pense que ce qui a été le plus blessé chez eux, c’est leur fierté. Un troisième année qui résiste à un sort qu’ils n’ont pas pu gérer et qui leur sauve la vie, tu vois… Les frontières du donjon de Cyoria sont malheureusement connues pour être… poreuses. Si ce n’était pas pour toi, ils seraient sans doute morts sans jamais avoir l’occasion de revenir à eux.

Zorian détourna le regard d’un air gêné. Était-ce pour ça que Taiven ne l’avait jamais recontacté après sa première invitation, à chaque boucle ? Et dire qu’il pensait qu’elle était simplement vexée.

Comment avait-il résisté à ce sort, cela dit ? Si Taiven et les deux autres n’avaient pas réussi… Et qu’était-il arrivé ensuite ? C’était douloureux, c’était peu plaisant mais il avait le sentiment que ce n’était pas une attaque. Son attaquant aurait pu les achever comme bon lui semblait, cela semblait évident… et il avait choisi de ne pas le faire. Les mots, les images… C’était comme si quelque chose tentait de communiquer avec lui mais ne savait pas comment parler correctement aux humains.

Considérant le nombre de toiles dans les souvenirs tordus avec lesquels il avait été bombardé, il s’agissait probablement des araignées. Il n’avait jamais entendu parler d’araignées conscientes et capables de communiquer et ayant accès à une magie mentale, par contre.

— Je ne suis même pas sûr de ce qui s’est passé, avoua finalement Zorian. Après l’échec du sort de sommeil, j’ai été écrasé par une avalanche d’images qui a failli me faire tourner de l’œil. C’était douloureux. Très douloureux, et j’étais désorienté. Une fois que tout ça fut fini, j’ai tenté de me préparer pour une attaque, mais tout s’est arrêté. Au bout d’une minute, j’ai compris que personne ne venait et j’ai décidé de remonter à la surface avec ces trois-là. Je n’ai aucune idée de ce qui a poussé les attaquants à ne pas continuer.

— Hmm, murmura Ilsa. Il y a beaucoup de possibilités. Peut-être qu’au lieu de vous trouver dans un piège qui vous était destiné, vous êtes simplement tombé sur quelqu’un qui ne désirait pas être vu et qui vous a simplement incapacités pour s’enfuir. Peut-être qu’un sort de sommeil avait été laissé là sous forme de piège et que plus personne ne se trouvait aux alentours. Peut-être que te voir résister à deux sorts en succession les a apeurés et qu’ils ont pris la fuite.

Oui. Toutes ces possibilités étaient plausibles. Ce n’était certainement pas une araignée géante sensible, non monsieur !

— Oh… Et… Zorian ? continua Ilsa. Tu as interdiction de descendre dans les tunnels jusqu’à nouvel ordre. Je comprends que tu voulais aider une amie mais c’était malgré tout une idée stupide.

— Euh… Oui, professeure, confirma Zorian qui ne comptait plus descendre de toute façon. Compris.

Dix minutes plus tard, Ilsa quitta et une infirmière annonçait qu’il pouvait rentrer, lui aussi.

 

___

 

— C’est chiant ! se plaignit Taiven.

Zoiran entrouvrit péniblement un de ses yeux pour l’observer.

— Tu as dit que tu voulais me rembourser ta dette, lui rappela-t-il.

— Mais je voulais dire… Je voulais t’apprendre quelques sorts du tonnerre, pas… grimaça-t-elle devant le bol de billes devant elle. …Pas te lancer des billes au-dessus des épaules ! Ne devrais-je en balancer quelques-unes vers ta tête, non ? Je parie que tu serais bien plus motivé.

— Si tu fais ça, je vais te traquer jusqu’à ta chambre et t’étouffer dans ton sommeil, la menaça chaudement Zorian.

La raison principale de tout ça était le besoin de progresser dans cet exercice idiot sans avoir à souffrir les méthodes de Xvim, justement.

Il ferma les yeux et prit une profonde inspiration. Après quelques secondes, il sentit la bille chargée de mana passer à quelques centimètres de son visage mais ne parvint pas à déterminer de quel côté.

— Gauche, tenta-t-il.

— Faux. Tu ne fais que deviner, hein ? Tu devrais arrêter pour aujourd’hui, tu ne vas arriver nulle part si tu le fais en étant si frustré.

— Non. Il me faut juste quelques minutes pour me calmer, soupira Zorian, obtenant un grognement en réponse, qui le força à ouvrir les yeux pour jeter un regard froid sur Taiven. Pourquoi fais-tu tant ta difficile, d’ailleurs ? Tu sais que je ne peux demander à personne d’autre de faire ça pour moi, hein ? Je ne connais personne capable de lancer des billes avec une telle précision, encore moins continuer à les charger pendant plus d’une demi-heure sans épuiser leurs réserves.

— Je sais, je sais, soupira Taiven. Et je suis contente que tu m’aies demandé de le faire. C’est le moins que je puisse faire après… eh bien, tu sais. Mais tu ne tires pas totalement avantage de moi !

Zorian leva un sourcil.

— Eh, ce n’était pas ce que je voulais dire, gloussa nerveusement Taiven. Ce que je veux dire, c’est que je peux faire bien plus. Mes lancer de billes précis ne sont pas mon seul don. Je sais que j’ai l’air conne après avoir été assommée par un seul sort mais allez !

— Je ne te trouves pas spécialement pathétique à cause de ça, Taiven, soupira Zorian. Mais d’accord. Que peut faire la grande Taiven pour moi ?

— T’apprendre à te battre, bien sûr ! ricana-t-elle.

— Grâce à la magie, j’espère, prévint Zorian.

— Tu ne devrais jamais sous-estimer l’utilité d’un poing dans la gueule, même dans un duel magique, grogna Taiven. Mais ouais, je voulais dire grâce à la magie. Tu disais la vérité au vieux, quand tu as dit que tu savais lancer missile magique, bouclier et lance-flamme ?

— Bien sûr.

— Eh bien, fais-moi voir, demanda Taiven en agitant la main vers deux mannequins de l’autre côté de la pièce.

— Euh… Tes parents ne vont pas se fâcher si je détruis leurs mannequins d’entraînement ?

— La raison principale qui fait que je t’ai dit de venir chez moi pour commencer, leva-t-elle les yeux au ciel, c’est parce qu’on peut s’entraîner, ici. La pièce est protégée et ces mannequins encore plus. Tu ne les égratigneras même pas, crois-moi sur parole.

Zorian haussa les épaules et lança un missile magique en tout hâte, lui faisant prendre la forme d’un perceur et lui ajoutant une fonction de recherche de cible afin qu’il touche la tête du mannequin. Le projectile de force vola à travers la pièce et percuta le front du pauvre mannequin. La tête de bois sans visage se tordit vers l’arrière comme s’il s’était agi de l’uppercut du siècle, le genre capable de briser une nuque en de multiples endroits et se remit en place tout naturellement une seconde plus tard, comme si tout allait bien.

— Un missile magique plutôt décent, félicita Taiven. J’apprécie le fait que tu puisses le lancer sans avoir besoin de te concentrer. J’imaginais que ce serait la première chose que j’allais devoir t’enseigner.

Ses mains devinrent floues tandis qu’elle enchaînait un étourdissant spectacle. Le chant était si faible qu’on pouvait à peine l’entendre et il s’en suivit un véritable essaim de missiles magiques, chacun sortant de ses doigts comme d’autant de canons et s’éparpillèrent vers le mannequin bien plus rapidement que celui de Zorian. Les impacts soulevèrent les jambes de la cible et les écrasèrent sur le mur, derrière. Ils étaient de simples écraseurs mais Zorian savait qu’ils étaient bien plus dangereux que le perceur qu’il avait lancé, même individuellement.

Elle n’avait pourtant pas l’air le moins du monde drainée par l’effort qu’elle venait de produire.

— Alors, y avait-il un autre but que celui de me montrer à quel point tu es meilleure que moi ? s’enquit Zorian. Tirer autant de missiles, même l’un après l’autre, viderait mes réserves de mana. Je ne pense pas être capable de faire ça de sitôt.

— Euh… Vraiment ? s’étonna Taiven. Je suppose que j’ai jugé trop hâtivement que tes réserves étaient énormes, comme tes frères Combien de missiles peux-tu lancer en tout ?

— 11, répondit Zorian, ignorant royalement sa première remarque. J’avais commencé par 8 mais ça va déjà un peu mieux.

— Huit ?! répondit Taiven, la bouche béante. Mais c’est… presque sous la moyenne !

Zorian savait que rien de bon ne sortirait d’un affrontement direct, fut-il uniquement verbal. C’était Taiven. Elle ne réfléchissait pas avant de parler et si vous étiez gêné par ce qu’elle disait, vous n’étiez simplement pas fait pour discuter avec elle.

— Ça veut dire que tu admets ta défaite et que nous retournons au lancer de billes ? tenta-il, animé d’un sourire arnaqueur.

— Non ! s’offusqua-t-elle. Non, j’étais… juste surprise, c’est tout. Je voulais t’apprendre à faire ça mais je suppose que ça ne t’apporterait rien avec une telle réserve de mana. Il faut que chaque tir compte plutôt que miser sur la quantité. Montre-moi ton bouclier et ton lance-flamme pendant que je réfléchis à quelque chose.

Après avoir tenté de brûler le mannequin et avoir échoué à le faire, Zorian lança un bouclier simple et rapide, pensant que l’expérience serait suffisante pour Taiven. Apparemment, ça ne l’était pas : elle sortit immédiatement une baguette de sa ceinture et lança un sort qui donna naissance à un petit projectile violet qui partit en direction du bouclier. Zorian cligna des yeux face à l’attaque imprévue mais le projectile s’écrasa sur le bouclier dans un splash et disparut en un nuage de fumée, sans laisser de trace.

— Putain, c’était quoi, ça ?!

— Je vérifiais juste si le bouclier était solide, lui annonça Taiven. Le sort est sans danger, c’est juste une boule colorée avec un minimum de force.

Zorian résista à l’envie de lui dire que son bouclier avait contré l’attaque d’un mage hostile qui avait tenté de le tuer. Il ne pouvait vraiment pas lui dire ça et se contenta d’un regard ennuyé.

Au bout d’un moment, Taiven admit qu’elle ne pouvait songer à rien d’autre pour l’instant et se remit à lancer des billes à contrecœur.  Elle lui avait assuré, cependant, qu’elle demanderait de l’aide à ses parents dans les jours à venir et que cette méthode d’entraînement ne se reproduirait pas. Zorian parvint à négocier au moins une heure de lancer de billes par session en plus de ce qu’elle allait trouver comme méthode infernale.

En vérité, la magie de combat n’était qu’un intérêt secondaire pour l’heure. Il commençait à réaliser qu’il ne pouvait pas continuer à avancer à l’aveugle de la sorte, réflexion qu’il s’était déjà faite quelque temps plus tôt. Autant il désirait faire progresser ses études avant la sortie de la boucle, autant il lui était impossible d’ignorer le danger posé par le lien d’âme – plus il restait affecté, plus grande était la chance que le lien s’active de pleine force et finisse par dévorer sa personnalité et sa volonté. L’assaut mental qu’il avait subi récemment avait simplement mis en évidence le fait que la boucle possédait ses propres dangers et qu’il était irresponsable de ne pas les considérer.

Un plan sommaire prit forme dans sa tête. Il devait découvrir tout ce qu’il pouvait à propos de la boucle – comment était-elle née, comment fonctionnait-elle, elle comment devait-il en sortir. Et puis, quelle était la nature de sa connexion avec Zach ? Ensuite, quel était le problème avec l’invasion ? Elle semblait trop bien ficelée pour être une coïncidence. En quoi était-elle liée à la boucle ? Trouver des réponses à ces questions allait demander du talent en divination, en renseignements et en infiltration et c’est ce sur quoi ses efforts devaient désormais se concentrer. Il comptait toujours apprendre des choses supplémentaires malgré tout, bien évidemment, mais ces trois points étaient sa priorité absolue.

Il devrait terminer son semi-apprentissage à la bibliothèque et apprendre toutes les astuces qu’il pouvait dans les contraintes de la boucle. C’était une ressource exceptionnelle à sa disposition et il était sûr qu’il allait devoir l’utiliser intensivement s’il voulait des réponses aux questions qui le rongeaient. Jusqu’alors, ses efforts en ce sens n’avaient pas donné de fameux résultats mais il s’agissait probablement de la conséquence du manque d’autorisations et d’un talent trop minime en divination et non un vide d’informations sur les sujets en question. Il avait besoin de savoir comment court-circuiter les autorisations et les sécurités pour pénétrer dans les parties les plus restreintes de la bibliothèque, comment chercher efficacement ce qu’il voulait à l’intérieur et Kirithishli et Ibery étaient sa meilleure chance d’y arriver. Il postulerait dès le lendemain matin.

Et même s’il était trop tard pour ça dans cette boucler en particulier, il devrait impressionner Ilsa une fois de plus et choisir la divination comme option, cette fois. Si le sujet d’Ilsa était traité aussi intensément que celui de Nora Boole, alors il n’aurait sans doute pas grand mal à apprendre ce sujet autrement trop délicat.

Comme il montait les marches menant à sa chambre, tout devint noir et il s’éveilla, Kiri lui souhaitant une bonne journée sur un estomac douloureux. Apparemment, Zach était mort, une fois de plus. À peine quelques jours dans la boucle, cette fois. Il fallait espérer que Zach parvienne à faire ce qu’il tentait de faire au plus vite parce que se faire réinitialiser sans avertissement pouvait devenir barbant très, très rapidement.

Zorian allait bientôt apprendre qu’il ne faisait pas bon tenter le destin par de telles pensées.

Raka
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8 thoughts on “MoL : Chapitre 12

  1. Humm, j’avais oublier que nous étions mardi, quelle agréable surprise, merci beaucoup pour ce chapitre !

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