MoL : Chapitre 2
MoL : chapitre 4

Chapitre 3 – L’amère vérité

 

Si quelqu’un avait demandé à Zorian à la fin de la première semaine quels cours lui avaient donné le plus de mal, il aurait répondu sans hésiter que c’étaient la formulation de sorts et les mathématiques avancées. La magie de combat, éventuellement. Deux semaines plus tard, il pouvait affirmer sans hésitation qu’il s’agissait des Protections.

Les Protections, ou l’art de défendre des choses par magie à l’aide de champs étonnamment complexes. Vous deviez prendre en compte la composition de la chose que vous essayiez de protéger, ses dimensions et sa géométrie, comment la barrière allait réagir avec la magie déjà existante… ou vous pouviez simplement balancer un sort de protection général sur la cible en priant pour que tout se passe au mieux. Mais la professeure vous aurait coulé avec cette solution, alors ce n’était même pas une option en troisième année.

Passé ces complexités, le cours aurait dû se passer au mieux, ou au moins de manière moins confuse – Zorian était patient et méthodique lorsqu’il s’agissait de construction magique et avait fait son chemin au travers de bien pire que quelques barrières lancées décemment. Le problème était que leur professeure était une femme stricte avec des cheveux si courts qu’elle aurait pu tout aussi bien se raser le crâne et qui n’avait aucun talent pour l’enseignement. Vraiment aucun. Oh, elle connaissait son sujet sur le bout des doigts, bien sûr, mais elle ne savait juste pas comment transmettre ce qu’elle savait en enseignement direct. Elle laissait un paquet de choses en dehors de ses cours, ne réalisant apparemment pas que si elles étaient évidentes à ses yeux, elles ne l’étaient pas pour les élèves. Le livre qu’elle demanda à la classe de lire ne valait pas mieux et se lisait plus comme un manuel pour professionnel que comme un livre d’apprentissage.

Question 6 : Vous êtes en charge de la construction d’un avant-poste de recherche sur un puits de mana du premier degré sur les Highlands Sarokian. Le bâtiment est censé supporter quatre personnes à tout moment et les prospecteurs ont exprimé leur inquiétude quant à la présence d’énormes meutes de loups hivernaux ainsi qu’à l’infestation de guêpes fouisseuses aux alentours. On vous octroie un budget de 25.000 pièces et êtes censé être un mage du deuxième cercle.

En imaginant que seul le mana extrait du puits est disponible afin d’alimenter les barrières, quelle combinaison pensez-vous être la plus appropriée pour l’avant-poste ? Expliquez votre raisonnement.

Schématisez les plans de base de l’architecture du bâtiment et expliquez comment le placement des pièces et la forme de la bâtisse elle-même affecteraient les barrières et leur efficacité.

En imaginant que vous êtes commissionné pour bâtir non pas un mais cinq avant-postes et que le budget ne change pas, comment évolue votre réponse ? Pensez-vous plus pertinent d’affecter des barrières identiques à chaque bâtiment ou doit-il exister une certaine différence entre elles ? Expliquez les avantages et les inconvénients de chaque approche.

Zorian se frotta les yeux, frustré. Comment était-il supposé répondre à un problème comme celui-ci ? Il n’avait pas choisi l’option architecture et n’était pas conscient du fait qu’il fallait prendre la forme des pièces et du bâtiment en compte si vous vouliez assurer en cours de Protection. Sans même parler de la question qui ne leur fournissait pas les valeurs du marché, ni même où se situaient les Highlands Sarokian. Zorian était plutôt bon en géographie et n’en avait pourtant aucune idée ; bien qu’en considérant la présence de loups hivernaux, cette région devait se trouver quelque part dans la forêt du nord.

Au moins, il savait comment répondre à la troisième partie de la question. La réponse correcte passait définitivement par les barrières. Même si l’avant-poste était construit dans un matériau indigeste pour les guêpes et leurs larves, ce serait malgré tout un bâtiment dans lequel elles pourraient faire leur nid. En considérant leur caractère ultra territorial, vous ne voudrez pas de ces bestioles près de vous. Théoriquement, un « choix prudent de matériaux » libèrerait du mana qui servirait autrement à maintenir des barrières anti-insectes, mais ces barrières nécessitaient très peu de mana afin de rester actives. Spécialement si on les programmait en plus pour cibler ces guêpes fouisseuses en particulier.

Ses pensées furent interrompues par un gloussement féminin provenant du fond de la classe. Zorian n’eut même pas à se retourner pour savoir ce qui se passait : Zach amusait la galerie. Il souhaita que la professeure pénalise ce comportement en raison de la perturbation qu’il causait, et particulièrement en plein examen, mais Zach était le chouchou… il réussissait toujours à obtenir la note maximale aux devoirs. Sans aucun doute, il avait déjà terminé son test avec pas loin de 100% de bonnes réponses. Ce qui, d’ailleurs, n’avait aucun sens : pendant leurs deux années précédentes, Zach s’était bien plus distingué par son charme que par son talent en classe. Comme une version améliorée et plus sympa de Fortov, en fait. Cette année par contre, il réussissait tout. Tout. Il possédait une base de connaissance et une éthique qu’il n’avait pas à la fin de la seconde année, bien plus que ce qu’il aurait dû pouvoir acquérir en à peine quelques mois d’été.

Comment pouvait-on devenir si bon en si peu de temps ?

Quinze minutes plus tard, Zorian lâcha son crayon sur sa table, décidant que c’en était assez. Il avait seulement répondu à huit des dix questions et n’était même pas sûr de la justesse de ce qu’il avait écrit, mais ça allait devoir le faire. Il allait aussi devoir passer plusieurs jours à étudier seul la magie de Protection parce que les cours avaient de moins en moins de sens à mesure que les jours passaient. La seule autre étudiante qui restait dans la salle de classe se trouvait être Akoja et elle ne rendit sa copie que quelques secondes après Zorian avant de le suivre à l’extérieur. Naturellement, ils étaient restés si longtemps pour des raisons différentes : lui, pour tenter de grappiller quelques points supplémentaires ; elle, pour s’assurer au moins trois fois qu’elle n’avait absolument rien oublié dans ses réponses.

— Zorian, attends !

L’intéressé ralentit et permit à Akoja de le rattraper. Elle pouvait se montrer imbuvable parfois, mais elle était une bonne personne dans l’ensemble, et il ne voulait pas la frustrer juste parce que le test ne s’était pas déroulé comme il l’entendait.

— Tu penses que tu as réussi, là-dedans ? demanda-t-elle.

— Pas moyen, répondit-il franchement.

— Ouais, pareil.

Zorian leva les yeux au ciel. Leurs définitions de l’échec n’étaient sans doute pas en adéquation.

— Neolu a terminé en à peine une demi-heure, rajouta Akoja après un instant de silence. Je parie qu’elle va avoir la note maximale une fois de plus.

— Ako… soupira Zorian.

— Je sais que tout le monde pense que je suis jalouse, mais c’est normal ! renchérit-elle d’une voix gênée mais agitée. Je suis plutôt intelligente et j’étudie sans arrêt et, et… j’ai toujours des problèmes avec ce cursus. Et nous étions dans la même classe, durant les deux dernières années et elle n’a jamais été aussi bonne. Et… Et maintenant, elle me démonte dans chaque matière !

— Un peu comme Zach, rajouta Zorian.

— Exactement comme Zach ! se dépêcha-t-elle d’acquiescer. Ils sont sans arrêt ensemble, eux deux et une autre fille que je ne connais pas, agissant comme… comme s’ils vivaient dans leur petit monde personnel.

— Ou comme un couple, suggéra Zorian avant de froncer les sourcils. À trois ? Quel est le mot désignant ce genre de relation ?

— Peu importe, gloussa Akoja. Le truc, c’est qu’eux trois ne font rien d’autre que perdre du temps ensemble, se foutent des professeurs et réussissent tout malgré ça. Ils ont même refusé la chance inouïe d’être transférés dans un groupe du premier tiers, tu y crois ?!

— Tu t’en fais trop pour tout ça, finit par la prévenir Zorian.

— Tu n’es pas au moins un tout petit peu curieux ? Comment font-ils ?

— Bien sûr que je le suis, ricana Zorian. Ce serait difficile de ne pas l’être. Mais que puis-je y faire ? D’ailleurs, Zach ne m’a jamais rien fait de mal. Je ne veux pas lui causer de problèmes juste parce qu’il s’est soudainement découvert un talent de génie.

Zorian sentit Benisek les rejoindre tout à coup, apparaissant comme ça de derrière un mur et marchant désormais derrière eux. Parfois, Zorian se demandait sincèrement si ce grassouillet pouvait renifler les ragots.

— Je sais ce que tu veux dire, plaça Benisek. J’ai toujours pensé que Zach était un bon à rien. Tu sais, un peu comme moi.

— Hah. Eh bien, il n’y a pas moyen qu’il soit devenu aussi bon dans tous les domaines d’un seul coup, en un été, lui répondit Zorian. Je suppose qu’il nous a bien fait marcher depuis deux ans.

— Mec, c’est si idiot, s’indigna Benisek en secouant la tête. S’il était si bon, ce type-là, il aurait fait en sorte que tout le monde le sache.

— Alors il reste quoi comme possibilité ? demanda Zorian, qui se retenait de suggérer qu’un tel progrès pouvait être l’œuvre de la magie parce que ce genre de sort était illégal et était à peu près certain que l’académie avait vérifié ce qu’il en était de Zach pour s’assurer qu’il n’était pas un changeforme, entre autres, ou possédé par le spectre d’un mage tout-puissant éteint depuis des lustres.

— Peut-être qu’il connait les réponses à l’avance, tenta Akoja.

— Ce serait le cas s’il était un Oracle, dit Benisek. Boole lui a fait passer un test oral mardi dernier, quand tu es rentré plus tôt. Et il déballait les réponses comme s’il vomissait un manuel scolaire.

La conversation mourut ainsi tandis que tous trois pénétrèrent dans la salle de classe consacrée à l’alchimie, qui n’était rien de plus qu’un gigantesque atelier alchimique et n’avait pas grand-chose d’une salle de cours ordinaire. Il y avait là vingt tables, chacune emplie de nombreux récipients, et de l’équipement spécialisé. Tous ceux pour la leçon du jour étaient déjà étalés devant eux, même si certains allaient nécessiter une préparation additionnelle afin d’être utilisables.

L’alchimie, comme la Protection, était un art compliqué, mais leur professeur connaissait son sujet ET savait comment l’enseigner, aussi Zorian n’eut-il aucun problème pour ce cours. Techniquement, ils devaient travailler en groupes de deux ou trois personnes à cause du manque de tables et d’équipement, mais Zorian faisait toujours équipe avec Benisek, ce qui revenait au même que travailler seul. Son plus gros problème avait été de réussir à faire taire ce dernier pour ne pas se faire déranger pendant les cours.

— Eh, Zorian, chuchota Benisek pas si discrètement, je n’ai jamais remarqué jusqu’à présent mais notre prof est vraiment canon !

Zorian grinça des dents. Ce foutu idiot ne pourrait pas s’empêcher de parler à voix haute même si sa vie était en jeu. Elle avait forcément entendu.

— Benisek, murmura-t-il à son tour, j’ai besoin d’avoir de bonnes notes en alchimie pour obtenir le job que je convoite. Si tu fous ça en l’air, je ne te parlerai plus jamais.

Benisek grommela quelques mots de rébellion avant de retourner à ses occupations. Zorian se concentra à nouveau sur le mortier qu’il avait entre les mains et continua à broyer les carapaces de guêpes fouisseuses en une fine poudre nécessaire à la colle particulière qu’ils étaient en train de fabriquer.

Certainement, Azlyn Marivoski était sacrément bien conservée pour ses 50 ans. Un traitement cosmétique quelconque, probablement – elle était leur professeure d’alchimie, après tout. Peut-être une véritable potion de rajeunissement, bien que celles-ci étaient vraiment rares et loin d’être parfaites sur de nombreux points.

— Je ne comprends pas pourquoi tu aimes tant ce cours, geignit Benisek. Je ne suis même pas sûr de pouvoir appeler ça « magie ». Tu n’as pas besoin de mana pour ça. Ce n’est qu’une question de rechercher des plantes par-ci, couper les racines par-là… C’est juste de la cuisine. Merde, on fabrique de la colle, hein. Tu devrais laisser ça aux filles.

— Benisek…

— C’est vrai ! protesta ce dernier. Même notre professeure est une femme ! Un boulet de canon, mais quand même une femme. J’ai lu quelque part que l’alchimie a des racines qui remontent à l’époque des premières sorcières avec leurs potions et je ne sais quoi. Même maintenant, les plus grandes familles portées sur l’alchimie descendent des sorcières. Je parie que tu ne le savais pas, hein ?

En réalité, il le savait. Il avait été instruit dans les arts de l’alchimie par une sorcière traditionnelle et honnête avant de venir à l’académie. En fait, elle était si traditionnelle qu’elle se moquait tout bas de cette dénomination « alchimie » et décrivait son art comme la « fabrication de potions. »

Mais ce n’était pas le genre de chose que vous vouliez faire savoir au monde, pour un large panel de raisons.

— Si tu ne la fermes pas immédiatement, je ne fais plus équipe avec toi, lui claqua Zorian sur le ton le plus sérieux possible.

— Eh ! protesta Benisek. Qui va m’aider pour ce travail dans ce cas ? Je ne suis pas très bon dans tout ça !

— Je ne sais pas, répondit innocemment Zorian en haussant les épaules. Peut-être devrais-tu trouver une fille canon pour t’aider.

Heureusement, la professeure était actuellement trop occupée à s’extasier sur le chef-d’œuvre de Zach pour prêter attention du côté de Zorian – apparemment, Zach avait réussi à créer une espèce de potion d’amélioration à partir des ingrédients fournis, et c’était visiblement très impressionnant. Azlyn avait même l’air de se foutre royalement du fait que Zach avait ignoré totalement les consignes de l’exercice pour faire son propre truc.

Zorian secoua la tête et tenta de se concentrer sur son propre travail. Il se demanda s’il aurait bénéficié de la même réaction s’il avait fait quelque chose comme ça ou s’il aurait simplement été accusé de vouloir se pavaner. Les quelques fois où Zorian avait tenté de gagner les faveurs des professeurs, ces derniers lui avaient répondu de simplement travailler ses bases et de ne pas devenir trop arrogant parce que l’arrogance tue. Était-ce parce que Zach était l’héritier de la noble maison Noveda ? Quelque chose d’autre ?

C’était dans ce genre de moments qu’il comprenait parfaitement ce qu’avait voulu dire Akoja.

 

___

 

— Et voilà qui conclut notre leçon du jour, finit par affirmer Ilsa. Avant que vous ne quittiez la salle, cependant, j’ai une annonce à faire. Comme certains d’entre vous le savent, l’académie organise traditionnellement un bal la veille du festival d’été. Cette année ne fera pas exception et il se tiendra dans le hall d’entrée samedi prochain. Pour ceux d’entre vous qui l’ignorent, la participation est obligatoire cette année.

Zorian grogna et laissa tomber sa tête, front en premier, contre la table. Le reste de la classe le vit faire et pouffa tandis qu’Ilsa l’ignora complètement.

— Pour ceux qui ne savent pas danser, des leçons seront proposées chaque jour à huit heures le soir, chambre six. Ceux qui savent danser, par contre, vont devoir s’y présenter au moins une fois pour le prouver : je ne compte pas me laisser embarrasser le soir fatidique. Vous pouvez y aller. Monsieur Kazinski, Miss Stroze, veuillez rester, s’il vous plait.

— Oh, super, marmonna Zorian. Il aurait probablement dû se retenir d’exprimer une réaction si intense mais en vérité, il prévoyait déjà de faire l’école buissonnière le soir du bal, et ce, peu importe à quel point ça devait compter pour son diplôme. Ilsa l’avait-elle déjà réalisé ? Non, il ne pouvait détecter aucun désaccord dans sa posture et était plutôt certain qu’elle se sentirait passablement ennuyée si elle avait compris.

— Maintenant… commença Ilsa lorsqu’Akoja et Zorian furent les deux seuls élèves restants. Je suppose que vous deux savez danser ?

— Bien entendu, confirma Zorian.

— Hummm… hésita Akoja. Je ne suis pas très bonne.

— Peu importe, renchérit Ilsa. Nous allons peaufiner tout ça et combler chaque lacune que vous pourriez avoir. La raison pour laquelle je vous ai demandé de rester… en fait, je veux que vous m’aidiez pour les leçons de danse.

Zorian imagina refuser d’emblée, presque par reflexe – ce n’était pas une chose avec laquelle il désirait perdre son temps – mais il songea aussitôt que ce pourrait être une faveur qui permettrait à Ilsa de lui pardonner une ou deux petites transgressions à l’avenir. Par exemple, disons… ne pas se montrer le soir du bal. Avant qu’il ne puisse exprimer sa tentative de marchandage, Akoja décida pour lui.

— Comment pouvons-nous vous aider ? lâcha-t-elle, clairement honorée d’avoir été choisie pour cet « honneur ». Zorian leva un sourcil en entendant la façon dont elle présumait pouvoir décider à sa place mais laissa couler pour le moment.

— Nous n’avons que cinq jours pour apprendre à tout le monde comment danser, expliqua Ilsa. C’est pourquoi nous allons devoir utiliser la magie pour nous aider.

— Un sort d’animation, comprit Zorian.

— Oui, confirma Ilsa, qui se tourna ensuite vers Akoja pour qu’elle aussi comprenne. Il existe un sort capable de guider les membres d’une personne pour lui faire apprendre par la pratique la danse pour laquelle elle est faite. Ce n’est pas un bon substitut à une vraie danse, mais si l’on apprend tout en étant sous son effet, les progrès seront largement plus rapides qu’en temps normal.

— Comment est-ce que ça fonctionne ? demanda Akoja avec curiosité.

— Le sort fait bouger le corps comme une marionnette au bout d’un fil jusqu’à ce que tu apprennes comment bouger en même temps, ou au minimum te permettra de t’habituer à ce sentiment désagréable d’être balancé au bout d’une ficelle, expliqua Zorian. Au bout d’un moment, tu n’auras plus besoin du sort pour danser correctement.

— Je vois que vous avez eu une expérience personnelle avec cette méthode, répondit Ilsa en souriant.

Zorian réprima l’envie de lui exhiber une belle grimace. Être sous l’influence de ce sort lancé par Daimen était l’un de ses traumatismes d’enfance. Ce n’était pas amusant du tout.

— J’espère sincèrement que vous avez prévu de laisser le choix aux élèves, se lança Zorian.

— Bien entendu, confirma Ilsa. Bien que ceux qui refuseront cette méthode vont devoir participer à trois sessions au lieu d’une seule, alors je m’attends à ce que la plupart choisissent cette option plutôt que l’apprentissage traditionnel. Dans tous les cas, je veux que vous deux m’aidiez à lancer le sort sur les autres pendant les leçons. Je pense que je vais devoir le lancer et l’annuler un certain nombre de fois et je ne serais pas contre un peu d’aide.

— Pourquoi nous avoir choisis, nous ? s’enquit Zorian tout à coup.

— Vous possédez tous deux un contrôle plus que décent sur votre magie et semblez suffisamment responsables pour vous voir enseigné un tel sort. Les sorts d’animation ciblant des personnes sont un matériel restreint, après tout, et ne sont pas accessibles à n’importe qui.

Huh. Comment Daimen avait-il mis la main dessus, dans ce cas ? Durant sa deuxième année, rien de moins ?

Bon, ça importait peu. Au moins, savoir comment lancer le sort pourrait rendre le contre plus aisé à l’avenir.

— Autre chose ? demanda Ilsa. Très bien, dans ce cas. Venez me voir dans mon bureau après le dernier cours et je préparerai des mannequins pour que vous puissiez vous entraîner avant de passer aux êtres vivants. Mal contrôlé, le sort est extrêmement inconfortable. Nous ne voudrions traumatiser personne.

Zorian plissa les yeux. Il n’avait tout de même pas… Non… Même Daimen n’aurait pas… Oh, qui Zorian tentait-il de leurrer ? Bien sûr qu’il l’avait fait ! S’entraîner sur son petit frère était parfaitement dans son caractère !

— Miss Stroze vous pouvez partir – J’ai quelque chose à dire à monsieur Kazinski.

Ilsa se mit à parler au moment même où Akoja avait quitté la pièce, prenant Zorian par surprise. Il secoua la tête afin d’éclaircir ses idées, tentant de mettre de côté cette histoire avec Daimen pour se concentrer sur ce que disait Ilsa.

— Donc, Zorian, souffla-t-elle avec un sourire. Comment est-ce que ça se passe, avec votre mentor ?

— Il me fait travailler les trois bases, avoua platement Zorian. Nous sommes toujours sur l’exercice de lévitation.

Oui, après quatre semaines entières, Xvim le faisait toujours travailler sur ce crayon qu’il devait faire léviter, encore et encore. Recommence. Recommence. Recommence ! La seule chose que Zorian avait apprise pendant ces cours était d’éviter une bille lancée vers son visage. Cet enfoiré semblait en avoir des stocks illimités.

— Oui, le professeur Xvim aime que ses étudiants possèdent une maitrise profonde des bases avant de passer à la suite, avoua Ilsa.

C’était ça ou alors il détestait sérieusement ses élèves. Zorian était persuadé que cette théorie était nettement plus plausible.

— Eh bien, je voulais juste vous dire que vous pourriez être autorisé à changer de mentor très bientôt, rajouta Ilsa. Un de mes élèves va abandonner après le festival d’été et j’aurai une place libre. À moins que quelque chose se passe entre temps, je suis à peu près certaine de vous choisir en remplacement. Bien sûr, si vous êtes intéressé par un transfert.

— Évidemment que je suis intéressé ! s’étouffa à moitié Zorian, au grand amusement d’Ilsa, avant de froncer les sourcils pendant un instant. À moins que vous prévoyiez de me balancer des billes à la tête ? Est-ce une méthode d’enseignement normale ?

— Non, gloussa Ilsa. Xvim est spécial, de ce côté-là. Bon, je voulais juste m’assurer de vos sentiments par rapport à tout ça avant de faire quoi que ce soit. Passez une bonne soirée.

Ce ne fut qu’après qu’il eut quitté la salle de classe qu’il réalisa que ce développement nouveau compliquait grandement son plan. Il allait avoir bien plus de mal à faire sauter ce bal, maintenant. Il ne pouvait pas se permettre d’irriter de façon trop prononcée celle qui allait être son nouveau mentor ou il risquait de se voir coincé avec Xvim pour le reste de sa scolarité.

Bien joué, professeure. Très bien joué.

 

___

 

— Pourquoi ne peut-on pas simplement lancer ce sort sur nous-mêmes quand le bal commence ?

Zorian laissa échapper un long soupir empli de souffrance.

— Tu ne peux pas forcer un sort d’animation à faire une chose que tu ne sais pas faire toi-même. Tu ne sais pas danser, donc tu ne peux pas animer quiconque pour le faire danser. Et puis, comment vas-tu briser le sort une fois le bal terminé si tu ne peux pas bouger tes bras selon ton bon vouloir ? Ce n’est vraiment pas le genre de sort que tu as envie de lancer sur toi-même, crois-moi.

Vraiment, il y avait tellement de problèmes inhérents à cette idée que Zorian lutta pour tous les formuler. Ces personnes réfléchissaient-elles seulement aux questions qu’elles posaient ?

— Et combien de danses devons-nous apprendre ?

— Dix, répondit Zorian en s’attendant à des cris de protestation.

Bien sûr, un tremblement de complaintes se réverbéra dans la foule suite à cette annonce. Heureusement, Ilsa prit les rênes du cours à partir de ce point, demandant à tout le monde de se regrouper en paires et de se disperser à travers la spacieuse pièce pour laisser de la place à tout le monde. Zorian pouvait déjà sentir une migraine pointer le bout de son nez et se maudit lui-même d’avoir laissé Ilsa l’embarquer dans tout ça. Même si la chambre six était très spacieuse, il y avait un bon nombre de personnes et la pression invisible qu’ils émettaient était particulièrement forte ce jour-là.

— Ça va ? demanda Benisek en posant la main sur l’épaule de Zorian.

— Je vais bien, confirma l’intéressé en repoussant la main de son ami – il n’aimait pas tant le contact physique. J’ai juste une légère migraine. Tu as besoin d’aide ?

— Nan, tu avais juste l’air d’avoir besoin de compagnie, à rester tout seul debout dans ton coin, expliqua Benisek à qui Zorian décida de ne pas dire qu’il se tenait là intentionnellement tant qu’on n’avait pas besoin de lui. Benisek n’était pas le genre de personne à comprendre qu’on puisse avoir besoin d’espace et de solitude. Dis, avec qui vas-tu danser, d’ailleurs ?

Zorian réprima un grognement violent. Bien sûr que Benisek allait vouloir parler de ça.

Les relations n’étaient pas une priorité pour Zorian. Les chances que l’une des filles de sa classe accepte de sortir avec lui étaient minuscules. D’une part, une telle relation serait rapidement remarquée par les autres et les moqueries sans pitié qui en résulteraient était le genre d’attaque qu’une relation avait du mal à surmonter très longtemps. D’autre part et peut-être de façon plus importante, toutes les adolescentes étaient folles des types plus âgés. Sortir avec un mec de deux ou trois ans de plus semblait être un symbole de statut chez les filles et une majorité d’entre elles ne voyaient même pas la population masculine de leur âge comme des conquêtes potentielles. Maintenant qu’elles étaient en troisième année, toutes les filles cherchaient à tomber un diplômé et comme il y avait un paquet d’hommes disposés à jouer le jeu, pourquoi l’une d’entre elles lui aurait-elle accordé du temps ?

Et les filles qui n’étaient pas ses camarades de classe ? Pour la plupart d’entre elles, il n’était pas Zorian Kazinski mais le petit frère de Daimen et Fortov Kazinski. Elles avaient une image bien ancrée de ce qu’il devrait être, ce à quoi il devrait ressembler, et une fois qu’il était clair qu’il ne tenait pas la route face à ces attentes, toutes devenaient invariablement vexées et déçues.

D’ailleurs, toutes ces niaiseries romantiques… Bref.

— Alors ? insista Benisek.

— Je n’y vais pas, expliqua Zorian.

— Que veux-tu dire par là ? murmura Benisek.

— Exactement ce que j’ai dit. Je passe mon tour pour toute cette connerie de danse. Il s’avère que j’ai eu un accident d’alchimie et que j’ai dû rester dans ma chambre pour la soirée.

C’était un peu cliché mais peu importait. Zorian avait déjà trouvé une potion particulièrement astucieuse supposée rendre une personne plus ouverte et sociable – quelque chose qu’il était parfaitement plausible pour lui de tenter – et qui pouvait rendre très malade, mal réalisée. S’il la jouait finement, il pouvait parfaitement faire passer ça pour une erreur honnête et non une tactique pour esquiver cette foutue soirée.

— Oh, allez ! protesta Benisek, que Zorian dut pincer pour lui faire baisser la voix – la dernière chose dont il avait besoin était qu’Ilsa les entende. C’est le festival d’été ! Un festival d’été spécial, avec la totale, la… le… truc parallèle…

— L’alignement planétaire, corrigea Zorian.

— Peu importe. Le truc, c’est qu’il faut que tu sois là. N’importe qui sera là !

— Je ne suis pas n’importe qui. Je ne suis personne.

— Non, Zorian, soupira Benisek, tu n’es pas personne. Regarde, nous sommes tous deux fils de marchands, n’est-ce pas ?

— Je n’aime pas la direction de cette conversation, prévint Zorian.

— Je sais que tu n’aimes pas entendre ça, l’ignora Benisek, mais…

— Stop. Juste, stop.

— …mais tu as un devoir envers ta famille, il faut que tu gardes la face. Ton comportement reflète leur éducation, tu sais.

— Il n’y a rien de mal dans mon comportement, coupa Zorian, conscient qu’il commençait à attirer les regards proches par son attitude et en n’en ayant rien à faire. Tu es libre d’aller où tu veux mais laisse-moi hors de ça. Je ne suis personne. Le troisième fils d’une famille marchande mineure qui vit au milieu de nulle part. Les gens se foutent royalement de moi. Ils ne savent même pas qui je suis. Et j’aimerais que ça continue ainsi.

— Ok, ok ! protesta Benisek en s’agitant sauvagement. Mec, tu fais toute une scène…

— Rien à foutre, ricana Zorian. Laisse-moi un peu seul et va voir ailleurs.

Les nerfs ! Si quelqu’un devait regarder la façon dont il était vu par les gens, c’était bien Benisek ! Cette sangsue irresponsable aurait déjà été balancée dans un groupe de troisième catégorie si ce n’était pas pour l’aide constante de Zorian et c’est ainsi qu’il lui rendait la pareille ? Pourquoi Zorian traînait-il avec ce mec, encore ?

Il ricana nerveusement et tenta de se calmer. Stupide festival d’été et stupide bal inutile. Le truc drôle, c’était que contrairement à ces gens qui avaient horreur de ce genre d’évènement, Zorian n’était pas strictement contre. Il savait danser, il savait manger proprement selon l’étiquette et il savait même parler aux gens à ce genre d’occasion. Il fallait qu’il sache tout ça parce que ses parents avaient l’habitude de le traîner avec eux dans des réceptions mondaines et ce genre de trucs. Ils s’étaient assurés qu’il saurait se comporter correctement une fois sur place.

Mais il détestait ça. Il ne possédait pas de mot pour décrire à quel point ces évènements le rendaient malade. Pourquoi devrait-il se laisser forcer à participer à une chose qu’il détestait alors que l’académie n’avait aucunement le droit de l’y obliger ?

Non, aucun droit du tout.

 

___

 

Hésitant, Zorian frappa à la porte du bureau d’Ilsa, se demandant pourquoi elle l’avait appelé. Il n’y avait pas moyen que…

— Entrez.

Zorian jeta un œil à l’intérieur et fut rapidement invité à prendre un siège tandis qu’Ilsa s’installa calmement derrière son bureau, sirotant quelque breuvage dans une tasse. Probablement du thé. Elle était d’apparence calme et sereine mais Zorian pouvait détecter quelque chose de contrarié dans sa posture. Hmm…

— Alors, Zorian, commença-t-elle. Vous vous êtes plutôt bien débrouillé dans ma classe.

— Euh… Merci, professeur, se permit Zorian prudemment. J’essaye.

— En effet. On pourrait dire que vous êtes l’un des meilleurs étudiants de votre groupe. Un étudiant que je prévois de prendre sous mon aile après que ce festival se soit terminé. Un exemple pour tout le monde, et un représentant pour votre classe, tout autant que miss Stroze.

Oh. Ça, c’était mauvais.

— Je ne…

— Alors, excité à propos du festival de danse, samedi ? coupa Ilsa comme pour changer de sujet.

— Oui… mentit Zorian délicatement. Je pense que ça va être sympathique.

— C’est bien, répondit Ilsa joyeusement. Parce que j’ai entendu que vous aviez prévu de boycotter l’évènement. J’étais plutôt fâchée, je dois le dire. J’avais clairement dit que cette participation était obligatoire pour votre diplôme, il me semble.

Note à lui-même : trouver quelque chose d’horrible à faire à Benisek. Un sort qui donne l’impression à la victime que sa langue est en feu pour la journée, ou quelque chose comme ça… Peut-être une douleur indescriptible dans la région génitale…

— Juste quelques rumeurs infondées, professeure, rassura Zorian astucieusement. Je ne voudrais pour rien au monde manquer ce bal, encore moins intentionnellement. Si je me retrouve incapable d’y participer…

— Zorian, coupa Ilsa.

— Professeure, pourquoi est-il si important que je m’y présente, de toute façon ? demanda Zorian, la voix légèrement excentrique – il savait que contrarier un professeur était une mauvaise idée mais merde, tout ça le poussait vraiment à bout ! J’ai un problème médical, vous savez ? Les foules me donnent des migraines violentes.

Elle renifla.

— Pareil pour moi. Si ça vous fait vous sentir mieux, je peux vous donner une potion pour ça. Le fait que je suis l’une des organisatrices de ce bal importe : si trop d’étudiants sont absents, je finirai avec une très mauvaise remarque dans mon dossier. Spécialement si quelqu’un d’aussi important que vous ne se montre pas.

— Moi ? Important ? Je suis juste un étudiant des plus moyens ! protesta Zorian.

— Pas aussi moyen que vous ne le pensez, rectifia Ilsa. Aller aussi loin requiert déjà une intelligence extraordinaire et de la discipline, du dévouement – encore plus pour quelqu’un qui n’est pas né dans une famille noble, qui n’a pas été exposé à sa magie depuis son plus jeune âge. Les gens gardent un œil sur des gens comme vous. Et vous êtes le petit frère de Daimen. Nous savons tous deux à quel point il est célèbre.

Zorian pinça les lèvres. Il était certain que cette dernière raison était au final la seule et unique qui importait et que tous les autres arguments n’étaient qu’excuses et tentatives d’explications foireuses pour l’encenser un peu. Même alors que son frère se trouvait sur un autre continent, Zorian ne pouvait toujours pas sortir de son ombre.

— Vous n’aimez pas être comparé à lui, devina Ilsa.

— Non, admit Zorian sur un ton cassant.

— Pourquoi donc ? insista-t-elle, curieuse.

Zorian considéra un instant balayer la question sous le tapis – sa famille était un sujet très sensible – mais totalement décidé à jouer le jeu de l’honnêteté, se ravisa. Il savait que ça ne servirait à rien mais sentait qu’il devait malgré tout aérer la conversation à ce moment.

— Tout ce que je fais est toujours comparé à Daimen et dans une moindre mesure, à Fortov. C’est ainsi depuis que je suis enfant, avant même que Daimen n’acquiert sa célébrité. Mes parents n’ont jamais été timides lorsqu’il s’agissait de montrer qui était le favori et comme ils sont depuis toujours plongés dans tous ces trucs mondains et sociaux, j’ai toujours été mis de côté. Ma famille n’a jamais eu aucun besoin d’un rat de bibliothèque tel que moi et ils ont toujours été très transparents à ce sujet, année après année. Jusqu’à récemment, ils m’ont toujours traité comme le baby-sitter de ma sœur plutôt qu’autre chose.

— Mais quelque chose s’est passé récemment, qui leur a fait prendre conscience de… ? tenta de deviner Ilsa.

— Fortov, grogna Zorian. Il a échoué à plusieurs examens et son cas a dû être géré par mon père et ses relations. Il se montre en règle générale peu fiable, ce qui est un problème parce qu’il était supposé être l’héritier en second de la famille et du commerce juste au cas où Daimen aurait dû avoir un problème lors d’un de ses voyages. Alors ils m’ont d’un seul coup sorti du placard pour tenter de m’élever pour remplir ce rôle à sa place.

— Et vous ne voulez pas le tenir, n’est-ce pas ? supposa Ilsa.

— Je ne veux pas être impliqué dans les affaires de la famille Kazinski, parole. Je ne fais plus partie de cette famille, de toute façon. Je n’ai jamais… Au mieux, je pouvais me considérer comme un associé sur une longueur d’onde différente. J’ai apprécié qu’ils me nourrissent et qu’ils financent mon éducation et je compte les rembourser pour ça lorsque j’aurai un travail, intérêts compris… mais ils n’ont aucun droit de me demander quoi que ce soit du genre. Je n’écouterai pas. J’ai ma vie, mes plans, et aucun de ces derniers ne se rapproche de près ou de loin du commerce de cette famille ou des évènements sociaux insipides où les gens se lèchent les bottes les uns des autres sans arrêt.

Il décida de s’arrêter là parce qu’il ne faisait que faire bouillonner sa propre colère. En plus, il suspectait Ilsa de ne pas se sentir vraiment concernée par tout ça. La plupart des gens pensaient qu’il était simplement trop paranoïaque et qu’il prenait les choses de façon bien trop dramatique. Hah. Ce n’était pas eux qui avaient dû vivre avec sa famille.

Quand Ilsa réalisa qu’il n’allait pas en dire plus, elle se retourna et prit une profonde inspiration.

— Je comprends et suis de tout cœur avec vous, Zorian, mais j’ai peur que de telles comparaisons soient inévitables. Pour ce que ça vaut, je pense que vous êtes capable de devenir un excellent mage, même si tout le monde ne peut pas être un prodige comme Daimen.

— C’est vrai, avoua Zorian en refusant de la regarder.

Elle soupira et agita la main dans les airs.

— J’ai l’impression d’être la méchante ici. Les problèmes familiaux mis à part, pourquoi es-tu si ennuyé par tout ça ? C’est une fête. Je pensais que tous les jeunes aimaient faire la fête. Tu as peur de ne pas trouver de partenaire ? Demande simplement à une première année et elle te sautera dans les bras ; elles ne peuvent pas participer à moins d’avoir été invité par un aîné, tu sais ?

Zorian laissa échapper un soupir lui-même. Il ne cherchait pas un moyen de trouver une partenaire – il n’avait aucun doute que son simple nom lui accorderait la main d’une jeune fille impressionnable pour la soirée – il cherchait un moyen de ne pas y aller. Quelque chose qu’Ilsa n’était pas encline à lui fournir.

— Je n’amènerai pas de partenaire, lui annonça Zorian en se levant. Peut-être suis-je obligé de participer à ce bal mais je suis presque sûr qu’y venir en couple n’est pas obligatoire, n’est-ce pas ? Passez une bonne journée.

Il fut surpris de ne pas entendre Ilsa tenter de le contredire alors qu’il partait. Peut-être que toute cette histoire de bal n’allait pas être une corvée aussi douloureuse qu’il l’imaginait.

 

___

 

 

Zorian erra dans les couloirs de la résidence avec prudence, peu pressé d’arriver à sa chambre. Les professeurs s’étaient retenus de leur donner trop de travail pendant le week-end en sachant que tout le monde serait trop préoccupé par le festival d’été pour travailler correctement. Normalement, tout ce temps libre serait du temps béni pour Zorian, mais juste penser à ce qu’il allait devoir endurer le lendemain était suffisant pour lui faire perdre toute volonté de faire quoi que ce fût de productif et il prévoyait de se mettre au lit aussitôt arrivé dans sa chambre.

Comme il entrait dans le bâtiment résidentiel, il remarqua que quelqu’un était déjà là, d’humeur festive. Les murs du couloir dans lequel il marchait étaient bariolés de jaune, vert et de rouge.

— Zorian ! Exactement celui que je cherchais !

Zorian frissonna sous le choc en entendant la voix puissante dans son dos et pivota en un instant pour faire face à celui qui avait envahi son espace personnel. Il grimaça à la vue de l’idiot souriant qu’il avait désormais en face de lui.

— Qu’est-ce que tu fais là, Fortov ? lâcha-t-il.

— Quoi, je ne peux pas rendre visite à mon petit frère ? s’indigna le nouveau venu. Tu es trop bien pour traîner avec ton grand frère ?

— Arrête les conneries, Fortov. Tu ne viens jamais me voir moi quand tu veux traîner avec quelqu’un. Tu veux quoi ?

— Ce n’est tellement pas vrai, pouffa Fortov en reculant d’un pas de manière théâtrale. Tu es mon frère préféré, tu sais ?

Zorian le fixa intensément et impassiblement pendant quelques secondes.

— Donc, Daimen n’est pas là et tu jettes ton dévolu sur moi, hein ?

— Daimen est un trou de balle, claqua Fortov. Depuis qu’il est devenu célèbre, il est toujours occupé par-ci, occupé par-là et jamais présent pour son petit frère. Je promets, ce type est un putain d’égoïste.

— L’hypocrisie devient sacrément à la mode, grommela Zorian.

— Pardon ? Parle plus fort, je n’ai pas entendu.

— Non, rien, balaya Zorian. Alors, quel genre de problème rencontres-tu, maintenant ?

— Hm… J’ai peut-être promis à une amie que je lui fabriquerais une potion anti-rash, balbutia Fortov.

— Il n’existe pas de potion anti-rash, pouffa Zorian. Il existe, par contre, un baume anti-rash, appliqué directement sur la peau affectée au lieu d’être bu comme l’est une potion. Voilà qui montre encore quel genre d’imbécile tu es quand on parle d’alchimie. Mais sérieusement, à quoi pensais-tu, à promettre quelque chose comme ça ?

— Je l’ai peut-être un peu fait tomber dans un buisson de lianes pourpres pendant notre cours de survie sauvage, admit Fortov. S’il te plait, il faut que tu m’aides ! Je te trouverai une petite amie !

— Je ne veux pas de petite amie ! trancha Zorian, excédé et conscient du genre de fille que Fortov pourrait lui trouver. Pourquoi est-ce que tu me fais perdre mon temps avec ça ? Va chez l’apothicaire et achète quelque chose.

— Le vendredi soir ? Toutes les boutiques sont fermées en préparation de la fête de demain.

— Eh bien c’est trop bête parce que je ne peux pas t’aider, conclut Zorian. Les deux premières années ne sont que théories et protocoles de sécurité et je commence à peine ma troisième année. Nous n’avons pas encore entamé d’alchimie sérieuse.

Si vrai et pourtant un mensonge si éhonté. Il n’avait pas fait de vraie alchimie en classe, à l’exception d’une ou deux potions inutiles pour entamer l’année mais il avait pratiqué en privé pendant son temps libre. Il pouvait bien sûr créer un antidote pour l’affection des lianes pourpres facilement mais pourquoi devrait-il utiliser ses précieux ingrédients alchimiques ?

— Oh, mec, allez. Tu parles trois langues différentes et tu connais sur le bout des doigts tous ces exercices bidons qu’ils nous font apprendre mais tu ne peux pas faire quelque chose d’aussi basique ? Mais que fais-tu dans ta chambre à longueur de journée si ce n’est apprendre ce genre de chose ?

— Tu peux parler ! cria Zorian. Tu as un an de plus que moi, tu devrais être parfaitement capable de le faire toi-même !

— Eh, tu sais bien que je m’en fous, de l’alchimie. Trop précis et ennuyeux pour moi, lâcha Fortov en agitant la main comme pour éventer la question. D’ailleurs, je ne sais même pas faire de soupe de légume sans ruiner la cuisine de mère, tu veux vraiment me laisser seul avec de l’équipement d’alchimie ?

Et comme il le présentait de la sorte…

— Je suis épuisé, dit Zorian. Je le ferai demain.

— T’es fou ?! Demain, c’est trop tard !

— Oh, eh, allez, elle ne va pas mourir d’un putain de rash, s’irrita Zorian.

— S’il te plaît, Zorian, je sais que tu te moques de ce genre de choses, mais elle en pince pour ce mec et…

Zorian grogna ouvertement et fit volte-face. C’était à peu près tout ce qu’il avait besoin de savoir à propos de cette « urgence. »

— …et si le rash de mon amie n’est pas guéri alors elle ne pourra pas y aller et elle ne me pardonnera jamais ! S’il te plaît, s’il te plaît, s’il te –

— Stop.

— – plaît, s’il te plaît, s’il te plaît –

— Je t’ai dit d’arrêter ! Je vais le faire, ok ? Je vais te faire ton putain de baume mais tu vas me devoir un sacré service, tu entends ?

— Ouaip ! confirma Fortov en souriant joyeusement. Combien de temps te faut-il ?

— Retrouve-moi à la fontaine dans trois heures, soupira Zorian.

Il le regarda faire demi-tour et s’en aller, sans doute pressé avant que Zorian ne change d’avis ou ne fasse de demande bien plus spécifique. Il secoua la tête et retourna dans sa chambre pour récupérer le matériel dont il allait avoir besoin. L’académie mettait à disposition des élèves un atelier alchimique qu’ils pouvaient utiliser pour mener leurs propres projets à bien, mais ils devaient utiliser leurs propres ingrédients. Heureusement, Zorian possédait tout ce dont il avait besoin pour cette tâche.

L’atelier était désert à son exception, mais ce n’était pas très inhabituel. La plupart des élèves se préparaient pour le bal du lendemain et étaient peu enclins à venir effectuer un travail alchimique personnel de dernière minute. Insensible au silence tombal de l’atelier, Zorian dispersa les ingrédients sur la table et se mit au travail.

Ironiquement, l’ingrédient principal pour le baume anti-rash était la plante même qui en était la cause – la liane pourpre ou plus précisément, ses feuilles. Zorian les avait déjà laissées sécher au soleil et tout ce qui lui restait à faire était de les réduire en poudre. C’était généralement la partie la plus rébarbative d’une procédure, les lianes pourpres libérant un nuage irritant si on les broyait simplement à l’aide d’un mortier et d’un pilon de base. Les manuels expliquaient les méthodes pour y pallier, en préconisant généralement l’utilisation d’un équipement hors de prix pour filtrer les particules, mais Zorian adopta une solution bien plus simple : il enveloppa les feuilles dans un morceau de tissu et le tout dans un morceau de cuir avant de se mettre à pilonner le tout jusqu’à la disparition de toute résistance. La poussière irritante resterait piégée dans le tissu.

Après avoir mélangé la poudre avec dix gouttes de miel et une cuillère d’huile de baie d’oliba, il mit le tout à chauffer en mélangeant le contenu jusqu’à ce qu’il prenne une couleur claire et uniforme. Suite à quoi il retira le bol du feu et s’installa pendant que ça refroidissait.

— C’était un travail impressionnant, résonna une voix féminine dans son dos. Belle improvisation avec les feuilles de liane. Je me souviendrai de cette astuce.

Zorian reconnut immédiatement le propriétaire de cette voix, et Kael n’était pas vraiment une fille malgré certaines rumeurs de couloir. Il se retourna et fit face au jeune homme Morlock, étudiant ses cheveux d’un blanc osseux et ses yeux bleus intenses pendant un moment avant de retourner son attention vers le nettoyage de la table qu’il venait d’utiliser. Il n’avait pas de raison de se faire interdire l’atelier parce qu’il aurait laissé l’endroit sale.

Il chercha une réponse à donner à Kael tandis que ce dernier inspectait le baume d’un œil averti et connaisseur. Le garçon était plutôt mystérieux et n’avait rejoint leur groupe que durant ce début d’année, transféré de qui savait où. Peu bavard, et puis c’était un Morlock. Depuis combien de temps l’avait-il observé en silence ? Malheureusement, Zorian avait tendance à perdre conscience de son environnement quand il se concentrait sur un travail et ne pouvait le deviner.

— Rien de spécial, finit par commenter Zorian. Maintenant, ton travail… Ça, c’est impressionnant. J’ai entendu que tu étais autrement plus doué que nous tous quand on parle d’alchimie. Même Zach ne peut te dépasser la plupart du temps, et il réussit tout ce qu’il fait en ce moment.

Le garçon aux cheveux blancs se mit à sourire timidement.

— Zach n’est pas passionné par le sujet. L’alchimie requiert un toucher artisanal et énormément de patience. Peu importe l’étendue de ses connaissances, Zach n’a simplement pas la mentalité adéquate. Toi, tu l’as, totalement. Si tu possédais autant de pratique que lui en a apparemment, tu le surpasserais sans aucun souci.

— Ah, alors tu penses également qu’il a une expérience préalable ? s’enquit Zorian.

— Je ne le connais pas aussi bien que toi et les autres, car je n’ai rejoint votre groupe que récemment. Pourtant, on ne devient pas aussi bon qu’il l’est dans la pratique sans avoir… pratiqué. On ne le devient pas même avec quelques mois d’expérience. Il travaille avec la facilité d’un expert qui a fait ça pendant des années.

— Comme toi, tenta Zorian.

— Comme moi, reprit Kael. J’ai horreur de me montrer malpoli, mais tu as terminé ? J’aimerais bien faire quelque chose, moi aussi.

Zorian présenta ses excuses pour lui avoir tenu la jambe, excuses que le Morlock balaya de la main en souriant sans accorder d’importance au problème de base avant de lui souhaiter une bonne soirée.

Comme il s’éloignait, il apparut à Zorian qu’il aurait bien fait de se créer une potion soporifique tant qu’il y était. Il devait se reposer au maximum cette nuit-là parce qu’il ne pourrait sans doute pas le faire le lendemain.

Raka
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12 thoughts on “MoL : Chapitre 3

  1. N’empêche ce qui me sidère avec ce ln c’est qu’en le relisant maintenant on se rend compte que tout était déjà prévu, chaque phrase et détail dont tout le monde se fout lors de la première lecture prend tout son sens maintenant, ce novel est définitivement une masterclass

  2. Trop bien, je viens de revenir après un mois et que vois-je MoL, un de mes novel préférer. j’espère que tu arriveras à faire découvrir cette oeuvre que je considère comme une des mieux écrite à un maximum de personne.

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