MoL : Chapitre 50
Mol : Chapitre 52

Chapitre 51 – Hors de contrôle

 

Le mois suivant commença comme le précédent – Kirielle sauta sur son ventre pour le réveiller.

— Bonj – eh !

D’un simple acte de volonté, Zorian se saisit de sa sœur par télékinésie et la fit léviter dans les airs. Elle fut coupée net dans un glapissement surpris, les mains gesticulant dans un espoir ultime de trouver une chose à quoi s’accrocher pour faire cesser cette ascension inopinée. Elle lutta en vain ; peut-être que si elle s’y était attendue à ça, elle aurait pu attraper le lit à temps, mais elle avait été pris totalement au dépourvu et se trouvait désormais à sa merci. Après quelques secondes de brassage inutile, elle se calma et commença à bouder.

— C’est pas juste, se plaignit-elle en le regardant depuis les airs. Depuis quand sais-tu faire ça ?

Zorian ignora la question et étudia la magie qu’il utilisait pour la faire flotter à l’aide de sa perception du mana. Il était encore à des lieues de maîtriser même la forme la plus basique de perception, mais un mois entier du tutorat de Xvim montrait déjà clairement des résultats. Rien qu’une capacité rudimentaire de ressentir son propre mana l’aidait immensément en matière de magie non-structurée comme ce qu’il faisait actuellement en lui permettant de repérer et corriger les imperfections mineures dans sa technique qui auraient autrement déstabilisé le tout. C’était quelque peu gênant de l’admettre, mais il avait réellement négligé une telle compétence depuis tout ce temps… et peut-être était-il heureux qu’il l’eût fait. C’était l’enseignement de Xvim ainsi que les exercices de mise en forme eux-mêmes qui étaient responsables de la croissance rapide de la compétence, et il aurait gâché un temps phénoménal en tentant de percer ses secrets tout seul.

Tirant avantage de cette distraction momentanée, Kirielle se mit à lutter à nouveau, balançant ses mains vers son frère pour essayer de l’attraper, ou de le forcer à… faire quelque chose. Zorian la fit prestement flotter un peu plus loin, les doigts de Kirielle passant de justesse à travers ses cheveux.

— Oh, allez ! chouina-t-elle. Zorian, ne soit pas si nul ! Laisse-moi descendre !

Zorian lui offrit un sourire sadique et elle commença à se décaler sur le côté, loin du lit…

— Lentement ! se hâta-t-elle de clarifier, en comprenant ce qu’il comptait faire. Descendre lentement !

Il songea à simplement la laisser tomber pour la rattraper par télékinésie juste avant qu’elle ne touchât le sol, mais rejeta rapidement l’idée. Il n’était pas si confiant en ses compétences… ou même en son timing, pour ce que ça impliquait. Il la fit gentiment redescendre et sortit du lit à son tour.

Malheureusement, Kirielle se montra fascinée par cette petite expérience et se jeta immédiatement sur lui pour le bombarder d’un flot ininterrompu de questions. Bon. Ok, c’était un retour de flamme prévisible. Il aurait dû s’y attendre, elle ne voulait plus se calmer…

— Pendant combien de temps arrives-tu à faire ça ? lui demanda-t-elle entre autres choses.

— Je ne sais pas, dit Zorian.

Et il ne le savait vraiment pas, mais espérait que s’il répondait à ses questions les plus inintéressantes, elle allait finir par laisser tomber. Aussi tenta-t-il de lui donner une réponse détaillée.

— Ça dépend fortement de ta docilité et si quelque chose perturbe ma concentration. Au moins une heure, si tu coopères.

— Parfait ! s’écria Kirielle avec le sourire. Dans ce cas, j’ai une idée !

 

___

 

Zorian descendit lentement les escaliers en tentant de ne faire aucun bruit. L’idée, après tout, était de surprendre sa mère, et il ne pouvait pas exactement le faire si –

— Zorian, descends ! cria sa mère, le bruit de ses pas annonçant clairement qu’elle approchait du bas des escaliers. Ton petit déjeuner va… refroidir…

Elle entra dans le couloir où étaient situés les escaliers et s’arrêta net pour observer le spectacle. Zorian lui-même n’était pas vraiment remarquable, mais Kirielle les descendant en volant à ses côtés.

Il y eut un bref moment de silence, mère et fille s’observant dans un mutisme et un immobilisme parfait en attente d’une éventuelle réaction. Au bout du compte, finalement, ce fut Kirielle qui craqua. Elle n’avait décidément pas la patience nécessaire pour mener ce plan à bien.

— Maman, je vole ! lui annonça-t-elle puissamment en agitant les mains pour imiter les ailes d’un oiseau.

Sa mère ouvrit la bouche pour répondre, mais se ravisa. Elle leva les yeux au ciel et se tourna en grommelant quelque chose d’incompréhensible à propos des mages et de leurs enfants.

— Quand tu auras terminé de t’amuser, viens manger, dit-elle à Zorian avant de disparaître dans la cuisine.

Zorian et Kirielle échangèrent un regard. C’était pratique, ils étaient actuellement dans une position parfaite pour se regarder les yeux dans les yeux sans lever ou baisser la tête.

— Ça valait tellement le coup, acquiesça Kirielle d’un air grave.

Putain, ouais. Ouais, totalement, acquiesça à son tour Zorian en silence.

 

___

 

 

— Ainsi, il se trouva que la quête de Sumrak pour retrouver ses souvenirs perdus l’amena à Korsa, où il descendit dans les tunnels sous la ville à la recherche des mythiques épéistes scorpions, et le non moins légendaire orbe de la mémoire qu’ils gardaient, expliqua Zorian sur un ton dramatique. Ce qu’il ne savait pas, c’était que les épéistes scorpions n’étaient pas si honorables que les histoires le racontaient, et que son voyage dans les confins du monde sous Korsa allait être le plus dangereux qu’il eût entamé…

Zorian balaya l’air de la main d’un grand geste, et l’illusion s’évapora en une fumée ectoplasmique pour se reformer en une scène totalement différente.

Kirielle était assise sur le bord du siège et écoutait avec une attention toute particulière. Durant les nombreux voyages en train en sa compagnie, Zorian avait plus moins compris quel genre de choses Kirielle trouvait intéressantes ou impressionnantes, et il n’était pas très difficile de la tenir en haleine pendant un très long moment. Ce qui était plutôt bien, parce que ça rendait le trajet en train bien plus supportable pour elle comme pour lui.

Seulement la moitié de son attention était accordée à l’histoire qu’il racontait, néanmoins – il était également en train de réfléchir à ce qu’il allait faire pour ce nouveau mois. Plus spécifiquement, il se demandait s’il allait démarrer les choses paisiblement comme la fois passée ou s’il devait plutôt prévenir le Triumvirat à propos des agissements de Sudomir. La première option semblait plus pertinente – il n’avait eu que deux mois pour s’améliorer en lecture de souvenirs Aranea à un niveau acceptable et il ne pouvait pas se permettre de se laisser distraire. Mis à part ça, la deuxième option attirerait très vite une énorme attention et pouvait potentiellement conduire Robe Rouge directement dans sa direction s’il faisait le moindre faux pas.

Le choix semblait évident, mais Zorian s’inquiétait. Robe Rouge était trop prudent, trop effacé. Bien sûr, le troisième voyageur pouvait vivre dans l’illusion qu’une armée de gens de son espèce était à sa recherche, mais Zorian se serait tout de même attendu à ce que son ennemi fît quelque chose depuis le temps, même au travers d’intermédiaires. Que Zorian ne pût détecter aucune trace des actions de Robe Rouge le rendait de plus en plus paranoïaque. Et ça n’arrangeait pas sa tranquillité d’esprit qu’à la fois Taiven et Kael fussent persuadés que Robe rouge préparait quelque chose d’énorme et ne faisait pas profil bas sans raison. Mettre un coup dans une ruche de guêpes en exposant Sudomir aux autorités pourrait juste créer suffisamment de vagues pour révéler ce que Robe Rouge planifiait…

En plus de ça, signaler aux autorités quoi que ce fût au sujet de Sudomir allait fatalement faire des merveilles au regard de son enquête sur l’invasion et ses dirigeants. Il n’y avait pas moyen qu’une investigation sur Sudomir n’allait pas les diriger vers le Culte du Dragon et les Ibasiens. Il était presque certain que ça allait économiser à Zorian des mois de travail, au minimum parce qu’il se contenterait de regarder de loin qui allait être arrêté afin d’enquêter sur leur compte dans de futures boucles. Et s’il pouvait obtenir l’accès à des rapports écrits et aux souvenirs des enquêteurs ? Absolument inestimable.

Son problème principal restait qu’il n’était malgré tout qu’une seule personne pour tenter de tout comprendre au sujet de l’invasion et devait mener ses recherches sous le couvert de l’anonymat. Une enquête officielle ne serait pas entravée de telles contraintes, et en fait, Zorian suspectait que même s’il devenait outrageusement compétent et expérimenté au fil des mois, il ne serait jamais capable d’égaler les possibilités d’investigation d’Eldemar et de ses agences de contrespionnage. Les gens qui y travaillaient y avaient consacré leurs vies entières, et il savait pour sûr qu’Eldemar possédait des mages mentaux prêts à employer tous les moyens pour terminer ce genre de travail. Ils pourraient découvrir des choses auxquelles Zorian n’aurait jamais pu penser parce qu’il ne possédait pas les compétences nécessaires pour savoir quelles questions poser.

Plus il y pensait, plus il aimait cette idée. Il allait devoir se montrer très, très prudent, mais ça pourrait s’avérer être exactement ce dont il avait besoin pour finalement réussir à rejoindre les points.

Oui, il allait définitivement approcher l’Église en arrivant à Cyoria…

— Eh, arrête de rêver ! protesta Kirielle. Tu n’as pas terminé l’histoire. On arrivait à peine à la partie la plus intéressante !

— Désolé, désolé ! se hâta de s’excuser Zorian, qui trouvait plutôt amusant que ce que Kirielle trouvait intéressant se limitait aux combats et aux affrontements, en plus de l’utilisation de magies épiques. Comme je le disais, les épéistes scorpions avaient juste laissé Sumrak entrer dans leur soi-disant zone secrète, où l’orbe devait se trouver, sur un piédestal sous la stalactite sacrée, quand soudain, ses guides se tournèrent vers lui…

 

___

 

Bien que Zorian se fût résolu à contacter l’Église du Triumvirat à propos de Sudomir, la première chose qu’il fit en arrivant à Cyoria ne fut pas de se rendre au temple le plus proche – il traqua Xvim et lui parla de la boucle temporelle. Il ne voyait aucun intérêt à perdre du temps en patientant jusqu’au vendredi pour tout lui dire, car le plus tôt il serait au courant, le plus vite il pourrait se faire à l’idée et commencer à travailler avec Zorian. En fait, ce dernier espérait même qua Xvim fût encore plus facile à convaincre cette fois, étant donné le mot de passe qu’il avait en sa possession.

Malheureusement, plus facile ne voulait pas dire peinard. Malgré le mot de passe que Zorian était certain d’avoir correctement mémorisé, Xvim se montra hautement suspicieux. Il fallut plusieurs heures d’un interrogatoire poussé pour qu’enfin la flamme de la raison se mette à se refléter au fond des yeux du mentor, et il n’en sembla pas exceptionnellement convaincu quand bien même. Il dit à Zorian qu’ils en discuteraient plus dès vendredi avant de purement et simplement lui dire de s’en aller.

Peut-être qu’il aurait été plus judicieux d’attendre lundi pour lui en parler dans son bureau au lieu d’aller le voir directement chez lui…

Peu importait. Selon la façon dont les choses allaient se passer avec le clergé, il pourrait bien avoir besoin d’une semaine de libre pour mettre les choses à plat.

Le lendemain, il se rendit dans un temple. Précisément, il alla au temple qu’il avait déjà visité par le passé – celui avec le sympathique prêtre aux cheveux verts et la devineresse de génie. Il n’avait pas de raison particulière de choisir ce temple-là plus qu’un autre, mais ça n’aurait sans doute aucune répercussion. Quelque fût le temple où il se rendrait, ils allaient de toute façon faire leur rapport aux mêmes supérieurs.

Batak se montra aussi poli et accueillant qu’à son habitude – il salua immédiatement Zorian à son arrivée et l’invita à entrer. Après avoir servi deux tasses de thé et entamé une petite conversation, il s’enquit de la raison pour laquelle Zorian était venu le voir.

— Il est peu habituel de voir un jeune homme comme vous au temple, fit-il remarquer. Faites-vous souvent cela ?

— Eh bien, non, avoua Zorian. Pour être honnête, j’ai tendance à éviter les temples. J’ai eu de très mauvaise expériences par le passé, mais je voulais reporter quelque chose et demander des conseils, alors me voilà.

— Oh ? Quel genre de mauvaises expériences ? reprit Batak.

Bien sûr qu’il allait vouloir connaître ces histoires. Ce n’était que logique. Zorian pensait que quelque chose à reporter allait embraser la curiosité du prêtre, mais apparemment… non.

— C’est une longue histoire, soupira Zorian. La première chose que vous devriez savoir, c’est que je suis un empathe.

— Comme dans vous pouvez ressentir les émotions des gens ? demanda Batak. Un don bien utile.

— Une fois entraîné, précisa Zorian. Mais en tant qu’enfant, je n’avais aucun contrôle sur ces émotions – et aucune connaissance de l’existence de ce don. Tout ce que je savais, c’était que me trouver au milieu de grandes foules me rendait malade et nauséeux. Et à Cirin, ma ville natale, le temple était souvent plein. Les quelques fois où mes parents m’y ont emmené, j’ai fini par m’évanouir et provoquer une commotion…

— C’est bien malheureux, lui dit Batak avec sympathie.

— Pas tant que la réaction du vieux prêtre, ajouta Zorian en secouant la tête. Il a vraiment pris ma réaction pour lui, personnellement. Il a décidé que je possédais une espèce de mauvais sang rejeté par la sainteté du temple.

— Du mauvais sang ? s’étonna Batak, totalement incrédule.

— Ma mère est de lignée… hésita Zorian. Nous avons des sorcières parmi nos ancêtres.

— Ah, comprit Batak. En ce cas, ça devient logique. Je condamne sa réaction, mais ce n’était pas totalement déraisonnable de croire que vous possédiez une lignée maudite ou imprégnée de magie ténébreuse. Les lignées sont très importantes pour les sorcières, et elles adorent les pouvoirs héréditaires. Nombre de leurs familles influentes possèdent des capacités innées.

— Attendez, l’arrêta Zorian. Alors mon empathie…

— C’est entièrement possible, acquiesça Batak.

Bordel. Alors il était possible que ce vieux prêtre bigot eût eu raison, au moins en partie ? Parce que si son empathie était réellement une chose héritée de sa lignée, alors le mauvais sang avait vraiment quelque chose à voir sur ces épisodes nauséeux…

Il ne sut pas s’il devait se montrer amusé ou amer à ce propos.

— Je pensais que l’empathie était plutôt générique, comme les compétences spéciales, dit Zorian. De nombreuses personnes sont des empathes, si l’on peut parler ainsi.

— Les pouvoirs spéciaux n’apparaissent pas de nulle part, contra Batak. La plupart sont le produit de potions, rituels ou autres possession spirituelles. Mais parfois, ces pouvoirs peuvent être transférer d’une génération à l’autre tout en restant dormants pendant une ou plusieurs générations avant de refaire surface. C’est un peu un secret de polichinelle, mais quand un enfant nait avec un pouvoir magique sorti de nulle part, cela signifie presque toujours que son arbre généalogique possède quelques spécificités fort intéressantes, parfois bien cachées en son sein. Au regard de l’empathie plutôt répandue, eh bien… Je suppose qu’il existe plus de personnes au passé intéressant qu’on ne l’imagine.

C’était extrêmement intéressant, parce que les sorcières étaient endémiques à Altazia, mais les empathes pouvaient être trouvés sur les trois continents habités par les humains. Zorian ne s’imaginait pas que tous les empathes de Miasina et Hsan tiraient des racines de sorcières nées en Altazia. En admettant que Batak eût raison et que l’empathie surgissait chez des personnes dont un ancêtre s’était délibérément changé en psychique, alors un grand nombre de gens auraient réussi à se transformer en psychiques au cours de l’histoire.

Autrement dit, il existait une espèce de méthode fiable pour changer une personne normale en psychique. Elle ne pouvait être facile, car les empathes étaient toujours rares, mais clairement, ce n’était pas impossible non plus.

Il y avait aussi le critère familial. Si sa nature psychique était effectivement liée à sa lignée et à son sang, alors sa mère et sa fratrie étaient forcément possesseurs des mêmes compétences, même si elles devaient être dormantes. Il savait que Fortov et Kirielle n’étaient en rien des psychiques, sinon il l’aurait déjà ressenti depuis le temps, mais peut-être Daimen l’était-il ? Son grand frère avait une saloperie de persistance à comprendre avec justesse les gens autour de lui…

Eh bien, il n’y avait pas vraiment moyen de confirmer ça d’une manière ou d’une autre. Daimen était en Koth, et Zorian ne pensait pas être capable de le rejoindre même s’il y consacrait une boucle entière. À moins de découvrir un moyen de joindre un autre continent de manière instantanée, il ne se reverraient jamais tant que la boucle temporelle était active.

Et quoi qu’il arrivât, même si le reste de sa famille n’était pas composée de psychiques à part entière, il pouvait exister un moyen d’éveiller leur talent latent. Il était certainement plus facile de débloquer une capacité dormante que de la créer à partir de rien, aussi ne pût-il s’empêcher de se demander s’il pût être possible, disons, de transformer Kirielle en psychique d’une manière simple et indolore. Non qu’il le ferait, l’idée d’une Kirielle psychique était terrifiante en soi, mais peut-être une fois plus grande et capable de maîtriser ses pulsions et ses pouvoirs…

— Quoi qu’il en soit, continua Batak après une courte pause. Je crois que vous avez dit quelque chose à propos d’un rapport, et du besoin de conseils ?

— Oui, confirma Zorian, qui tira alors une enveloppe blanche et scellée de sa poche pour la tendre au prêtre, qui, quant à lui, fronça les sourcils.

— Un rapport anonyme ? grommela-t-il tout bas.

Personnellement, Zorian ne trouvait pas ça très anonyme. Un anonymat réel aurait demandé l’envoi de la lettre par voie postale normale, sans même avoir rencontré qui que ce fût. Malheureusement, autant Zorian était séduit par l’idée, autant elle ne l’aurait mené nulle part. Un tel rapport n’aurait jamais été pris au sérieux, et aurait sans doute été balancé à la poubelle avant même d’avoir atteint quelqu’un d’important. S’il voulait que l’Église fit réellement quelque chose, il lui fallait parler à un vrai prêtre et le faire se porter garant que ce rapport a été fait en toute bonne foi.

— Il faut que je demande, est-ce absolument nécessaire ? demanda Batak, inquiet.

— Les informations contenues dans cette lettre comprennent des dénonciations de crimes commises par une personne importante possédant de nombreux subordonnés, avoua Zorian brutalement. Si mon nom vient à être connu, je craindrai pour ma sécurité.

— Je vois, soupira Batak. Très bien, je vais transmettre votre rapport à mes supérieurs tel quel. Je me dois de vous prévenir, cependant, qu’ils ne sont pas terriblement enthousiasmés par les rapports anonymes, qu’ils voient comme peu fiables. Soyez assuré que vos inquiétudes seront inspectées, mais cela pourrait prendre du temps. Les enquêteurs ne seront peut-être pas envoyés immédiatement.

— Combien de temps ? grimaça Zorian.

— Quelques semaines. Peut-être des mois, si quelque chose de plus urgent pointe le bout de son nez entre temps.

Merde. Au tapis cette idée. Il allait devoir passer au plan B – parler à Alanic Zosk. Il avait désiré éviter de faire ça, car il se doutait bien que le vieux prêtre n’allait pas le laisser partir sans lui poser quelques questions, mais apparemment, il n’allait pas avoir le choix. S’il devait absolument faire son rapport face à face avec quelqu’un, Alanic était sa meilleure option. Il était quasiment certain qu’il le croirait et s’en ferait probablement suffisamment pour Zorian pour ne pas divulguer son identité.

Il pourrait également aussi couper court au mois en court si les choses prenaient une tournure trop hors de contrôle.

— Bien, ceci fait, en quoi d’autre puis-je vous conseiller ? demanda Batak, poussant la lettre vers un coin de la table.

— Les âmes et la nécromancie, lui annonça franchement Zorian.

— Oh, souffla le prêtre, se redressant légèrement. C’est… un sujet plutôt inhabituel. Jeune homme, la seule chose que je puis conseiller concernant la nécromancie est celui-ci : ne l’utilisez pas.

— Je n’en ai pas l’intention, le rassura Zorian en secouant la tête. Ce que je voudrais découvrir, c’est ce qu’une autre personne compte faire. Et aussi pourquoi cette personne ressentirait le besoin de rassembler des dizaines de milliers d’âmes pour les garder emprisonnées dans un pilier de cristal géant.

Batal l’observa d’un air impassible et vide, tourna les yeux vers la lettre qui trônait paresseusement et innocemment sur le côté de la table, et regarda Zorian à nouveau. Puis, il plaça la lettre devant lui et y inscrivit le mot URGENT en rouge et en lettres capitales, le souligna deux fois et repoussa la lettre sur le côté.

Bien. Zorian comptait tout de même parler à Alanic, puisqu’il n’avait aucune idée de l’influence qu’allait avoir la petite remarque de Batak sur ses supérieurs, mais fut malgré tout touché par son geste.

— Vous le savez probablement, mais les âmes sont une chose très mystérieuse, lui dit Batak très sérieusement. Elles ont de nombreuses fonctions, la plupart totalement inconnues et que nous ne pouvons influencer. Mais leur rôle le plus important n’est pas, comme le croient de nombreux mages, de produire et façonner le mana. Elles servent d’enregistrement vivant de tout ce qu’est une entité particulière.

Zorian leva les sourcils face à cette remarque, ne comprenant pas trop.

— Les dieux ont donné des âmes aux êtres vivants afin d’enregistrer leurs formes et leurs pensées, afin que leurs vies pussent être préservées après leur mort et leurs actions correctement jugées dans l’autre monde, expliqua Batak. Pour cette raison, les dieux, qui possèdent une compréhension intime du fonctionnement des âmes, ont été capables de choses miraculeuses. Tant qu’ils avaient accès à l’âme d’une personne, ils pouvaient la ramener à la vie, même si son corps avait été réduit en une pile de cendre dispersée aux quatre vents. Ils pouvaient plonger dans leur âme pour y examiner leur vie entière, depuis leur naissance. Ils pouvaient restaurer la jeunesse d’un individu en faisant régresser leur forme physique jusqu’à celle qu’ils avaient un jour possédée. Selon certaines histoires, ils pouvaient même créer un clone parfaitement identique, impossible à distinguer de l’original.

— Copier des gens ? grimaça Zorian.

— Ce n’est pas si étrange, dit Batak en secouant la main. Le sort de simulacre fait quelque chose de très similaire. Les simulacres ne sont pas sans faille, mais suffisamment identiques pour que certaines personnes le classent dans la liste de ce qui n’est pas très éthique. Elles croient qu’à chaque fois qu’un simulacre est dispersé, une personne meurt.

— C’est ce que vous pensez ? s’enquit Zorian.

— Non, fit Batak en secouant la tête. Naturellement, je suis le dogme de mon église, et il prétend que seules les personnes possèdent des âmes. Les simulacres n’en ont pas. Mais nous digressons, et je ne suis pas un expert de ce domaine magique. Ce qui importe, c’est que la magie de l’âme possède le potentiel de donner aux mages des pouvoirs divins. Il ne faut pas se demander pourquoi tant de personnes ont convoité une telle puissance au fil du temps. Leurs efforts ont presque toujours été vains, mais ça n’a jamais arrêté les nécromanciens, qui continuent encore et toujours à commettre des atrocités, l’une après l’autre, afin de déverrouiller les mystères de l’âme.

Zorian réfléchit à cette nouvelle information pendant quelques instants. L’idée que les âmes fussent des enregistrements divins lui semblait totalement plausible, puisqu’il ne pouvait pas comprendre sinon comment renvoyer son âme dans le passé pouvait lui permettre de conserver ses souvenirs et ses habitudes corporelles, comme la gestuelle des incantations. Ce qui était plutôt curieux, maintenant qu’il y songeait – il était de notoriété commune que les esprits humains étaient stockés dans le cerveau. Son âme réécrivait-elle les cellules neuronales au début de chaque boucle, ou une chose encore plus exotique se passait-elle à ce moment ?

Cela dit, il y avait quelque chose, à propos de cette histoire de dieux créant des copies de gens, qui lui chatouillait l’arrière de la tête. Il sentait que quelque chose d’important lui passait sous le nez.

— Alors, pourquoi les dégâts sur l’âme sont-ils si catastrophiques pour le corps ? demanda Zorian, curieux. Clairement, la connexion entre le corps et l’âme n’est pas à sens unique.

— Clairement, confirma Batak. Mais personne ne comprend réellement la nature de ce lien et la façon dont il fonctionne. Il est connu qu’une âme ne peut pas penser ou ressentir des choses lorsqu’elle n’est pas infusée dans quelque chose. L’âme a besoin d’un corps, même si ce n’est qu’une carapace ectoplasmique… mais le corps a également besoin d’une âme. Il est probable que la réaction catastrophique suite à des dégâts sur l’âme a beaucoup à voir avec la force de vie de la personne, cependant.

Zorian se tritura les méninges pendant un moment, tentant de se souvenir de ce que la force de vie avait à voir avec quoi que ce fût. S’il se rappelait bien, il s’agissait simplement d’une espèce spéciale de mana personnel qui ne faisait pas partie de la réserve de mana d’un mage et était utilisée exclusivement par le corps afin de rester en vie et de résister aux magies étrangères. Comme la quantité de force de vie variait rarement d’un humain à l’autre et ne pouvait pas être utilisée pour alimenter des sorts, les professeurs de l’académie n’en parlaient pas énormément.

Attends. C’était ça, hein ? C’était forcément ça ! La force de vie était une chose que tout être vivant possédait et dont toute forme de vie dépendait pour rester en vie. Il s’agissait de plus d’une simple forme exotique de mana. L’autre partie de l’âme – celle qui pouvait être affectée et mutilée – était celle en charge de la régulation du flux de mana d’un être. Si l’âme était endommagée, les forces qui la maintenaient en vie allaient très certainement vriller hors de contrôle…

— Je comprends, maintenant, acquiesça Zorian. Bien que, si je puis vous déranger avec quelques questions de plus…

Deux heures plus tard, Zorian termina sa conversation avec Batak et quitta le temple. Étrangement, le prêtre aux cheveux verts avait exprimé le souhait que Zorian revint à un moment ou un autre afin de discuter un peu plus. Zorian s’était attendu à ce que l’homme fût plutôt distant et réticent à le revoir après avoir parlé d’un tel sujet. Il donna une réponse nonchalante à Batak, peu sûr de devoir accepter son offre ou non, et partit vers chez Imaya.

 

___

 

Le lendemain, Zorian se rendit à Knyazov Dveri afin de discuter avec Alanic. Comme il avait sauvé Lukav des plans machiavéliques de Sudomir et l’avait aidé à repousser l’attaque sur le temple, il se disait que le prêtre serait d’humeur à écouter ce qu’il avait à lui dire. Mais juste pour être sûr, Zorian avait fait un petit détour avant d’aller lui toucher un mot – il se rendit dans la maison de Vazen, le marchant qui avait effectué le sale boulot de Sudomir, et y déroba toutes les preuves incriminantes de son coffre.

Au bout du compte, Alanic ne posa même pas les yeux sur ces papiers. Au moment où Zorian se mit à lui parler d’une maison pleine de morts-vivants et du piège à âmes l’entourant, le prêtre demanda à Zorian de le téléporter immédiatement sur place. Pas le lendemain ou une heure plus tard, après avoir préparé une attaque en bonne et due forme, ou après avoir feuilleté les preuves – immédiatement.

Aussi Zorian fit-il simplement ainsi, grommelant intérieurement face aux efforts qu’il avait fournis pour préparer cette histoire. Alanic n’était-il pas inquiet que Zorian pût le téléporter dans une espèce de piège arrangé ? Apparemment pas le moins du monde.

Une fois que Zorian l’eût téléporté aux abords des barrières de la Maison Iasku, Alanic se tint là, immobile, les yeux rivés dans la direction du manoir dans un mutisme total. Et ce, pour un long moment.

— Euh, vous allez bien ? demanda finalement Zorian, incapable de se retenir plus longuement. Ne devriez-vous pas lancer quelque sort pour confirmer mon histoire ?

— Pas besoin, dit calmement Alanic. Je peux sentir le tourbillon spirituel s’accrocher à mon âme.

Zorian regarda Alanic, alarmé.

— Nous ne sommes pas en danger, le rassura immédiatement le prêtre. L’effet est faible et les âmes des êtres vivants sont trop puissamment attachées à leur corps pour y succomber. Je ne peux le remarquer facilement que grâce à la haute conscience de mon âme. Tu es capable de ressentir ton âme également, je le sens, mais trop faiblement pour remarquer ce piège à âmes.

Alors, un mage suffisamment talentueux pouvait remarquer qu’il y avait un piège à âme en ces lieux juste en se trouvant sur place ? Pas étonnant que Sudomir eût considéré tous ceux avec un soupçon de connaissance en magie de l’âme comme des menaces potentielles. Même si la plupart de ceux qu’il avait fait tuer n’étaient pas au niveau d’Alanic, il n’en fallait qu’un seul pour ruiner ses plans en les révélant au grand jour.

Soudain, Zorian remarqua un groupe de taches noires volant dans leur direction et jura intérieurement. Putains de becs de fer.

— J’ai horreur de vous interrompre, mais certains gardes du manoir sont déjà en approche, dit Zorian au prêtre. Si nous ne partons pas, nous allons bientôt être écrasés par des loups hivernaux, des sangliers cadavériques et d’autres chose du genre. Je parle d’expérience.

— Oh, alors tu as déjà tenté de t’introduire ici ? s’étonna Alanic, un sourire en coin sur les lèvres.

— Auriez-vous lu les informations que je vous ai apportées, vous l’auriez appris, maugréa Zorian.

— Ne t’inquiète pas, nous reviendront aux informations en temps voulu, lorsque nous commencerons à organier l’assaut sur cette maison avec l’aide de l’armée.

Zorian leva les sourcils, perplexe.

— Quoi ? s’esclaffa Alanic. Pensais-tu que nous allions nous infiltrer en douce ? Non, nous allons amener des soldats, de l’artillerie et plusieurs groupes de mages de combat afin d’assiéger cet endroit et les forcer à se soumettre. Et tu m’aideras ensuite à enquêter parmi ses ruines.

— Quoi, je n’ai même pas mon mot à dire ? demanda Zorian, incapable de retenir ce soupçon de défi dans sa voix – merde, c’était exactement ce dont il avait peur…

— Ne te plains pas, lui intima Alanic. Je sais ce que tu vas dire : tu ne veux pas être impliqué. Tu veux rentrer chez toi et prétendre que tout ça n’est pas arrivé et n’a rien à voir avec toi, hein ?

— Eh bien, ouais. Je vous ai donné toutes les informations en ma possession, que pourrais-je faire d’autre ?

— Je doute sincèrement que tu m’aies tout révélé. Et l’armée va en douter également, parce que c’est leur boulot de douter de ce genre de choses, soupira Alanic. Ils vont vouloir te retrouver, et ils vont y arriver, que tu le veuilles ou non. Si, d’un autre côté, tu travaillais clairement pour moi, ils seraient bien plus réticents à te courir après. Aussi étrange que cela puisse te paraître, tu es plus en sécurité derrière moi que seul dans ton coin.

Comme pour ponctuer sa prétention, Alanic leva la main vers l’essaim d’oiseaux en approche et claqua des doigts. Un rayon électrique défrisant jaillit de sa paume et frappa l’oiseau de tête. En un clin d’œil, le rayon se propagea d’un animal à l’autre, sautant de cible en cible.

En à peine une demi-seconde, un essaim d’une vingtaine de becs de fer venait d’être réduit en cendres et des plumes éparses voletaient çà et là, seules preuves de la présence passée de leurs propriétaires.

Ok, il fallait bien l’admettre, c’était impressionnant. Spécialement parce que Zorian savait qu’Alanic était un expert et magie flamboyante. Il semblait que sa spécialisation n’était pas aussi étroite qu’il n’y paraissait.

Pourtant…

— Comment l’armée pourrait-elle seulement apprendre mon existence si vous ne le leur dites rien ?

— Je vais devoir le leur dire, fit Alanic en secouant la tête. Je ne suis pas un menteur, et ils peuvent se montrer vicieux et persistants. Il ne leur faudra pas longtemps pour comprendre que je travaille avec quelqu’un, et ils voudront naturellement savoir qui est cette autre personne.

Ugh. Très ennuyeux. Devait-il mettre fin à la boucle et recommencer autrement ?

…Non, pas encore. Peut-être pouvait-il encore faire fonctionner tout ça.

— Nous allons trouver quelque chose, ne t’inquiète pas, le rassura Alanic nonchalamment.

Et ce fut tout. À partir de ce moment, Alanic le considéra comme son subordonné.

 

___

 

Zorian devait bien l’admettre, il était assez impressionnant de voir à quelle vitesse Eldemar mobilisait ses forces une fois une menace identifiée. Il ne leur fallut que quatre jours pour organiser l’assaut sur la Maison Iasku et rassembler les troupes nécessaires. Le Triumvirat était impliqué également et envoya deux groupes de vingt prêtres-guerriers afin de fournir un support aux plusieurs centaines de soldats et les quelques cinquante mages qu’Eldemar avait dépêchés. Quatre énormes golems de guerre et treize canons magiquement améliorés étaient également de la partie.

Zorian lui-même ne fut pas impliqué dans les préparatifs. Il se contenta principalement de suivre Alanic, enveloppé dans une robe que le prêtre lui avait donnée et qui allait jusqu’à couvrir son visage. Les quelques fois où il devait parler, il le fit exclusivement via un orbe magique capable de vocaliser ses pensées. Il l’avait créé lui-même, provoquant une surprise évidente chez Alanic. Apparemment, les standards de Zorian avaient quelque peu dévié de ceux de la majeure partie des gens, et ce qu’il trouvait être une babiole utile et rapide à réaliser se trouva en réalité être une chose capable de rendre un marchand relativement riche et qui demandait un temps considérable afin d’être utilisé correctement.

De ce qu’Alanic lui avait dit, le reste des forces pensait qu’il était une espèce d’enquêteur d’élite au service du Triumvirat et étaient plus qu’un peu intimidés par sa présence. Le prêtre semblait constamment amusé par cette idée. Dans tous les cas, très peu de questions furent posées au sujet de sa présence, mais le mois était encore frais et jeune, et Zorian n’avait pas la prétention que ça pût durer. Au moins, pour l’instant, son identité était en sécurité.

Il se sentait vraiment plongé dans une histoire qui le dépassait, cela dit. Ce n’était pas ce qu’il avait eu à l’esprit en allant voir Alanic, ou même en décidant de faire savoir à l’Église ce que Sudomir comptait faire. Merde, Sudomir lui-même était probablement parti depuis longtemps, maintenant – il était impossible qu’il n’eût pas remarqué tous les préparatifs autour de sa maison isolée.

Il en fit part à Alanic, un beau jour, mais le prêtre ne partageait pas son opinion.

— Sudomir a investi énormément de temps et d’argent dans tout ça, dit-il. Il n’abandonnera pas sans combattre. Quatre jours ne sont pas suffisants pour lui permettre d’évacuer toutes ses possessions de cet endroit, et il a probablement eu moins de temps que ça. Je doute qu’il ait remarqué ce qui se tramait dès le départ.

— Si vous aviez agi un peu plus discrètement depuis le début, vous auriez probablement pu l’arrêter avant même qu’il ne réalise ce qu’il se passait, nota Zorian.

— Pas du tout. On ne peut pas simplement se mettre à arrêter un maire aussi populaire et influent, juste comme ça, expliqua Alanic. Il faut des preuves solides si l’on ne veut pas que les gens se soulèvent. Ce que tu as rassemblé est une excellente base, mais loin d’être suffisant. Attaquer une maison emplie de morts-vivants et bien plus simple à justifier, et je suis sûr que nous trouverons largement assez de preuves pour l’incriminer, à l’intérieur.

Zorian secoua la tête, peu convaincu, mais ne trouva pas utile d’insister. Il allait simplement devoir attendre de voir comment se déroulerait l’assaut pour décider de la justesse de cette idée. Alanic et l’armée pouvaient parfaitement avoir raison, après tout.

 

___

 

En considérant la quantité de forces avant laquelle l’armée comptait submerger la Maison Iasku, une attaque surprise était tout bonnement impossible à mettre en œuvre. Même à l’aide de la téléportation, il aurait fallu un bon moment pour faire apparaître tout le monde à destination et leur permettre de prendre position. Aussi, la phrase initiale du plan demandait aux trois groupes de mages d’arriver les premiers et d’ériger une barrière anti-téléportation de grande envergure autour de toute la région – en espérant empêcher Sudomir de fuir en réalisant l’envergure de ce qui allait noyer son domicile secret.

Eh bien, cette partie du plan se déroula sans accroc. Malheureusement, ériger la barrière anti-téléportation s’avéra être un coup de pied métaphorique dans la fourmilière – presqu’aussitôt la barrière solidifiée, des hordes sans fin de morts-vivants se mirent à déferler hors de la maison et depuis une espèce de grande accolée à celle-ci. Des squelettes, des sangliers morts-vivants, des golems de chair, des abominations massives composées de membres humains cousus les uns aux autres – et Zorian ne savait même pas que Sudomir possédait ce genre d’horreurs, bien qu’elles ne fussent que des versions améliorées des golems de chair, au final. La quantité de soldats cadavériques que Sudomir avait à sa disposition était étourdissante. Zorian pouvait à peine imaginer qu’il n’avait pas eu à affronter tout ça lors de ses incursions parce que la plupart avaient déjà rejoint l’attaque sur Cyoria à la fin du mois.

Pris par surprise par la féroce contrattaque, l’armée lutta pour organiser ses forces. Heureusement, les soldats étaient disciplinés et expérimentés, et étaient venus en s’attendant à combattre ce qu’ils avaient maintenant à affronter. Il allait leur falloir bien plus que ça pour les démoraliser.

Les canons firent feu encore et encore en direction de la horde, taillant sévèrement dans leurs rangs. Les quatre golems de guerre d’acier, bien qu’inférieurs en nombre face aux monstruosités de chair qui se trouvaient dans la horde, s’avérèrent bien supérieurs en terme de puissance et de solidité. Les golems de chair géants échouèrent à effectuer une percée, se faisant repousser et repousser encore jusqu’à tomber en morceaux. Quoi qu’il en fût, le chaos de l’échange initial provoqua la chute d’un certain nombre de mages et de soldats. Dix mages et plus de cinquante fantassins devinrent ainsi des héros tombés au combat durant les dix premières minutes de la bataille.

Après ça, cependant, l’armée eut suffisamment de temps pour s’assurer une solide emprise de la situation. Les mages également. Après quelques difficultés initiales, ils terminèrent une espèce de sort lancés à plusieurs individus, et deux énormes vortex de feu apparurent soudainement de nulle part juste devant la horde.

Presque tels des êtres vivants, les vortex engloutirent les rangs des morts-vivants, aspirant les cadavres réanimés en leur centre, où tout était carbonisé sans espoir de rédemption. Et étrangement, plus le temps passait, plus ils semblaient devenir de plus en plus puissants au lieu de s’amenuiser.

Les quelques ennemis qui parvinrent à survivre à l’artillerie, aux golems et aux vortex de feu rencontrèrent un barrage de grenades et de balles de gros calibres offerts par les soldats et au bout d’un moment, le champ de bataille ne fut plus qu’un charnier inerte.

Ce fut à ce moment que le toit de la Maison Iasku explosa. Pendant une seconde, Zorian pensa que Sudomir avait peut-être une fois de plus paniqué face à une attaque déterminée et qu’il avait fait quelque chose d’insensé, comme s’exploser lui-même, mais quelque chose dans le nuage de fumée rugit.

Quelque chose d’énorme. Le cri se réverbéra au travers de cette partie de la forêt en créant une onde de choc qui balaya poussière, débris et cadavres. Zorian plissa les yeux, et en les rouvrant, il fut accueilli par la vision menaçante d’une énorme plate-forme métallique presque entièrement surmontée par un gigantesque dragon squelettique. Ses os blancs et brillants luisaient d’innombrables lignes jaunes qui se trouvaient sans doute être une quantité phénoménale de sorts gravés à même sa surface. Au lieu d’être vide, sa cage thoracique semblait emplie de diverses machineries et la créature avait l’air plus sophistiquée que morte ou vivante de nature.

Quoi.

Quoi ?!

Pourquoi Sudomir possédait-il ce truc ?! Pourquoi n’avait-il jamais donné la moindre indication qu’il possédait ce TRUC par le passé ?!

Le dragon squelettique n’avait bien guère cure de l’incrédulité intérieure de Zorian, pas plus que de ses jurons silencieux. Sa surface entière vibra et s’éclaira d’une légère lueur jaunâtre, créant une espèce de membrane spectrale là où avaient dû se trouver ses ailes de son vivant, et prit paresseusement son envol.

Il se dirigea droit vers Zorian et Alanic.

La bataille avait réellement commencé.

Raka
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