MoL : Chapitre 67
MoL : Chapitre 69 Bonus

Chapitre 68 — Enfer Vert

 

Historiquement, Koth avait été la cible de l’expansion ikosienne à plusieurs reprises. Les jungles qui couvraient la région étaient dangereuses à traverser et compliquées à raser, mais contenaient des ressources inestimables, qu’on ne pouvait trouver nulle part ailleurs. Les sociétés Kothiques s’étaient alors développées et se trouvaient être suffisamment riches ; et la région s’était fragmentée pour la même raison, ses différentes parties très politiquement désunies.  Aussi les ikosiens avaient-ils tenté pendant longtemps de faire main basse sur l’intégralité du continent, afin de lui donner un semblant de stabilité administrative, se disant qu’une flopée de cités-états ne pouvaient pas raisonnablement s’unir afin de s’opposer à eux.

Mais de telles initiatives s’étaient toujours avérées vaines. Koth était éloignée du cœur du domaine ikosien, par-delà des terres inhospitalières, et y transférer des armées était extrêmement compliqué. De plus, les états de Koth se montraient doués dans l’art de se réconcilier le temps de faire face à un ennemi commun.

L’une de ces campagnes sans succès, une qui échoua de façon particulièrement dramatique, avait été lancée par Awan-Temti Khumbastir. Il était l’un des empereurs ikosiens les plus grands, et ayant eu le plus de succès, mais un succès construit sur de nombreuses petites réussites et la montée progressive de l’empire sous son règne. Aucun haut-fait n’était attaché à son nom, et il craignait d’être oublié peu à peu après sa mort. Aussi avait-il posé les yeux et son ambition sur l’une des choses qui l’aurait immortalisé à jamais : conquérir Koth – but que tous ses prédécesseurs avaient immanquablement échoué à atteindre – lui permettrait d’acquérir la gloire dont il avait tant soif, et prouver qu’il était un empereur dont il fallait se souvenir à jamais.

Et à cette époque, Koth s’unissait progressivement sous la Ligue de Sawosi, qui grandissant rapidement à cette époque, ce qui alimentait les deux de la peur : Koth aurait pu se transformer bien vite en un vrai ennemi de l’Empire si sa croissance était laissée libre.

La campagne avait naturellement été un échec. Bien sûr, les armées ikosiennes avaient connu leur lot de victoires, au début, et la plupart des historiens étaient d’accord sur le fait que la guerre avait été serrée jusqu’à la fin. Mais que cela faisait-il lorsque la toute dernière bataille était perdue de façon si spectaculaire ? Frustré par la progression lente de la campagne, les Ikosiens entrevoyaient déjà la possibilité de rentrer chez eux les mains vides et exténués. Aussi Awan-Temti avait-il pris, en personne, le commandement de l’armée et l’avait conduite directement dans le piège que la Ligue de Sawosi avait tendu pour eux. La bataille qui s’était ensuivie avait été une totale déroute pour les Ikosiens, forcés de battre en retraite, loin dans la jungle couvrant l’intérieur du continent. La plupart de leurs forces avait péri là, emportés par les maladies, la vie sauvage ou les catastrophes environnementales, y compris Awan-Temti lui-même, disparu sans laisser la moindre trace, quelque part dans cette jungle hostile. Son corps et ses possessions ne furent jamais retrouvées, et l’incertitude de son décès avait à cette époque créé un malaise auprès des successeurs au trône, donnant naissance à une période d’instabilité politique dans tout l’empire. Étrangement, Awan-Temti avait alors obtenu ce qu’il désirait : on n’allait pas l’oublier de sitôt – la campagne qu’il avait menée à Koth était devenue un sujet commun de mise en garde contre la cupidité et l’arrogance, et son nom à jamais gravé.

Quant à la Ligue de Sawosi, ils n’avaient bénéficié que d’un court délai pour savourer leur victoire. Afin d’alimenter l’effort de guerre, ils avaient taxé et désarmé leurs vassaux et états-membres dans de telles proportions que ces deniers s’étaient alors révoltés dès le départ des Ikosiens. Les armées de la Ligue dévastées par la guerre récente, son trésor à sec, incapable de répondre à cette agression soudaine, sa fin fut sonnée. Et depuis, aucun autre pouvoir n’était parvenu à unifier Koth comme ils l’avaient fait avant la guerre.

Zorian se perdait un peu dans ses pensées, cela dit – ce qui importait, c’était que l’empereur transportait sur lui quelques trésors impériaux, et fort possiblement l’orbe. Ce n’était confirmé dans aucun livre d’Histoire, l’Histoire elle-même étant relativement peu loquace à ce sujet, mais plusieurs historiens avaient remarqué que les chroniques impériales avaient soudainement et mystérieusement cessé de parler de l’objet après cette campagne. Il y avait fort à parier que les successeurs d’Awan-Temti n’avaient pas été très enclins à mentionner la disparition de l’un de leurs artefacts, et avaient fait de leur mieux pour balayer discrètement le problème sous le tapis en ignorant l’existence même de l’orbe à partir de ce moment. Dans tous les cas, les tentatives de localisation du lieu de repos final de l’empereur n’étaient pas exactement une occurrence rare. Mis à part l’orbe, le reste des trésors qu’il avait en sa possession étaient un prix plus que tentant. Mais si aucune de ces recherches n’avait encore porté ses fruits, Zorian était en possession de quelque chose qu’aucun chasseur de trésor n’avait pu avoir avant lui – un moyen infaillible de détecter la présence de l’orbe lorsqu’il s’en approcherait, peu importait les barrières, obstacles physiques ou dispositifs anti-divination sur son chemin.

— Tu as un détecteur d’artefact incorporé, résuma Daimen, un peu jaloux.

— Uniquement en ce qui concerne certains artefacts, le corrigea Zorian avec un sourire satisfait. Mais oui. Il me faut malgré tout être dirigé dans la bonne direction, bien entendu. Je comptais te demander ton aide à ce sujet. Je veux dire, tu es supposé être ce célèbre chasseur de trésors, et tout ça…

— Je suis un célèbre chasseur de trésors, insista Daimen.

— C’est vrai, acquiesça Zorian. C’est pour cette raison que je me disais que tu pourrais être capable de m’aider à limiter la région de mes recherches. Donne-moi des indices, présente-moi les bonnes personnes, peut-être même désires-tu être personnellement impliqué. Si tu as déjà recherché l’orbe toi-même, alors tout devient d’un seul coup beaucoup plus facile.

Zorian était également rassuré par le fait que quelqu’un eût indépendamment obtenu la même conclusion que Zach au regard de l’orbe et de sa localisation. Ils n’étaient sans doute pas sur une fausse piste.

Daimen l’observa en silence, d’un air indéchiffrable. Finalement, il secoua lentement la tête.

— Je ne sais pas si je dois t’adorer ou te haïr, là, tout de suite, lui dit-il. D’un côté, je suis coincé sur ce problème depuis des mois, et ça me rend dingue. Ma propre équipe perd foi en moi et commence à se plaindre de la perte de temps que tout ceci engendre. Et tu arrives comme une solution miracle, m’offrant le tout sur un plateau, c’est super excitant. Mais une partie de moi est révoltée que quelqu’un puisse me donner la solution à mes problèmes. C’est comme si tu me volais une partie de mon coup de gloire, tu sais ?

Oh, Zorian savait. Il savait très bien. Mais peu importait, la chose la plus intéressante était le début de mutinerie de l’équipe de Daimen. Ça expliquait grandement ce qu’il se passait, en réalité. Pourquoi Daimen était-il dans la propriété Taramatule plutôt que sur le terrain, à chercher l’orbe comme le maniaque qu’il était.

— C’est pour ça que tu as décidé de prendre une pause, loin de tout ? demanda Zorian. Pour donner à ton équipe le temps de se calmer ?

— Ugh, grimaça Daimen. Parfois, tu as trop de jugeote pour ton propre bien, Zorian. Ouais, je voulais continuer, mais ce n’est qu’un tas de gros bébés à maman, et que je ne veux pas dormir dans la jungle, et que la nourriture est ci ou ça, et j’en passe. Au bout d’un moment, nous nous sommes disputés et les choses se sont trop envenimées à mon goût, alors j’ai décidé de leur donner des vacances jusqu’à savoir comment repenser mon approche.

Hmm. D’après ce que Daimen avait dit un peu plus tôt, son équipe et lui se concentraient sur une partie spécifique de la jungle depuis un moment, maintenant. Il était certain que l’endroit été tout proche, alors ça ne pouvait pas être bien large, comme zone. Ce qui signifiait qu’il leur avait sans doute demandé de ratisser le même endroit encore et encore. Zorian n’était pas surpris par leur perte de patience.

— Peu importe, continua Daimen. Laisse-moi quelques jours pour m’équiper et rassembler tout le monde, et nous pourrons aller tester ce détecteur d’artefact, afin de voir s’il est aussi bon que ce que tu prétends.

— Attends, tu comptes emmener toute ton équipe avec toi ? répondit Zorian en fronçant les sourcils. Pourquoi ? Ne pouvons-nous pas simplement nous y pointer et vérifier ce qu’il y a à vérifier ?

— Non. C’est une zone plutôt vaste, et densément couverte de jungle et de monstres, répliqua Daimen. Je ne peux que nous téléporter dans quelques endroits précis d’une manière sûre. Nous devrons marcher ensuite, et je ne sens pas de le faire à trois. Je suis bon, et je suppose que Zach et toi l’êtes aussi, mais ça ne suffit pas. Même le meilleur des mages est vulnérable aux attaques surprise, et les opportunités pour ça sont légion dans la jungle.

— Je pensais que tu avais dit que tu avais réduit la recherche à un endroit précis, nota Zorian, curieux.

— Eh bien, comparé aux gargantuesques océans de jungle qui recouvrent Koth ? Ouais, c’est ce que j’ai fait, rétorqua Daimen sur la défensive. C’est malgré tout une quantité non-négligeable de terrain à couvrir. Pourquoi penses-tu que je suis bloqué là depuis des mois ?

Zorian était sur le point de lui dire qu’il se fichait des attaques surprises qu’il pouvait détecter, que tout serait nettement plus facile à trois, mais son frère l’arrêta d’un regard.

— Écoute, lui dit-il. Je sais que tu as une limite de temps, là, mais sois raisonnable. C’est un pays dangereux empli de drakes caméléons, de mantes dévoreuses, de hurleurs, des essaims de moineaux-ronces et que sais-je d’autre. S’y précipiter en toute hâte nous tuerait en quelques heures. D’ailleurs… Orissa me tuerait si je tentais ça sans elle, et mon équipe m’attendrait au tournant, si j’y survis. Ils font partie de tout ça depuis le départ, j’aurais l’air d’un chien affamé de gloire si je les retirais du projet juste avant la fin. Je ne salirai pas ma réputation ainsi, tu en est conscient, je le sais. Je suis certain que tu peux accorder deux jours de plus à cette histoire.

Et ce fut le moment où Zorian et Zach se laissèrent entraîner dans une chasse au trésor, à la recherche de l’orbe du premier empereur, accompagnant Daimen, Orissa et quinze autres personnes.

 

___

 

Lorsque Zorian avait accepté la condition de Daimen et l’avait laissé organiser une expédition en bonne et due forme, il savait que tout ça allait devenir une espèce de spectacle. Il avait eu absolument raison à ce propos, mais il avait également très mal jugé la raison qui allait provoquer la chose. Il s’était dit que la situation allait graduellement évoluer alors que lui et Zach allait se voir forcés de révéler peu à peu leurs compétences, pendant l’expédition. Ce qui se passa en réalité ? Daimen le prit de court et annonça directement à tout le monde que son petit frère était un mage mental qui rivalisait secrètement avec lui-même en terme de puissance, que Zach était tout aussi doué, et que tous deux avaient trouvé une espèce de sceau impérial qui leur permettrait de détecter la présence des artefacts.

Ce n’était pas exactement ce que Zorian avait eu à l’esprit quand Daimen lui avait dit qu’il s’occuperait des explications et qu’il n’avait pas besoin de trouver une excuse pour faire montre de ses capacités. Il était tenté de demander à Daimen pourquoi il ne leur avait pas parlé de la boucle temporelle également, pour lui montrer à quel point il était contrarié, mais Zorian était à moitié sûr que ce débile trouverait l’idée fascinante et se hâterait d’aller tout leur raconter. Comment diable avait-il pu s’imaginer que ç’allait être une solution à son problème ?

Daimen décida également, bien sûr sans consulter Zorian, que le déploiement sur le terrain se passerait via un portail. Daimen se téléporterait à la plus grande zone libre proche de leur destination et se coordonnerait avec Zorian afin d’ouvrir un portail dimensionnel entre le domaine Taramatula et leur point d’arrivée. Ça allait naturellement grandement accélérer les choses, puisque tout le monde dans le groupe n’était pas capable de se téléporter et qu’il y avait également pas mal de matériel à emmener… mais ça signifiait également révéler à tout le groupe que Zorian pouvait ouvrir des portails dimensionnels. Qu’il fût un maître mage mental était une chose, et pouvait être considéré comme Daimen voulant jeter des fleurs à sa famille, mais qu’il pût lancer ce genre de sorts à son âge fit se lever un paquet de sourcils.

De façon ennuyante, tout le monde sembla accepter calmement que Daimen pût lancer le sort, même s’il ne le pouvait uniquement parce que Zorian avait pris le temps de le lui enseigner. Il ne se serait, en temps normal, pas donné la peine de le faire, mais entrer dans une chambre noire avait mis un terme à l’existence de ses simulacres, ce qui signifiait qu’il devrait en envoyer d’autres, plusieurs fois par itération, jusqu’à Koth, s’il souhaitait y retourner, et c’était vraiment peu pratique. Ainsi avait-il décidé d’enseigner à Daimen comment ouvrir un portail avec son aide.

Et il fallait bien lui rendre son talent – il n’avait eu besoin que de deux jours pour maîtriser le sort, ce qui était, en soi, exceptionnel. Il était naturellement doué en dimensionnalisme, s’avéra-t-il. Il n’avait simplement jamais rencontré personne capable de lui enseigner ce sort. Les experts capables de cette prouesse étaient rares et ne partageaient pas ce genre de savoir à la légère, pas même avec des mages de la trempe de Daimen.

En tout cas, Zorian était plus que contrarié que Daimen eût tout préparé ainsi et décidé de se montrer en spectacle, plus qu’il ne l’avait initialement prévu. Il sortit quatre ou cinq golems de combat, produits en masse en prévision de l’assaut de la base ibasienne sous Cyoria et amenés pour lui servir de gardes du corps. Il n’en aurait probablement pas besoin, mais l’expression sur le visage de son frère quand il entra dans le domaine Taramatula, quatre golems dans son sillage, n’avait pas de prix. Il se servirait également de cette occasion pour observer la façon dont ses golems réagissaient dans un environnement inconnu.

Finalement, le portail fut ouvert et dix-neuf personnes et quatre golems arrivèrent instantanément à l’endroit où était supposé se trouver l’orbe : une jungle dense et obscure, ombragée par une canopée qui couvrait le ciel comme un plafond vert. Un endroit appelé Dai Hurna par les populations locales – l’Enfer Vert.

— Une description simple mais précise, lui annonça l’un des membres de l’équipe de Daimen – un vieil homme passablement usé par le temps et qui leur servait d’expert en barrières et protections. Je me suis rendu dans des endroits plus dangereux, mais celui-là est proche du haut de la liste. Essaye de rester près du centre du groupe. Vous deux êtes peut-être doués, mais certaines choses ne peuvent être acquises qu’avec l’âge.

Zorian se montra dédaigneux face aux mots de cet homme, à ce moment, car il ne connaissait clairement pas l’histoire complète de ces deux-là. Il allait rapidement apprendre qu’il y avait une sagesse profonde dans ces quelques mots ; la végétation elle-même était un obstacle de taille limitant l’exploration. Aucun sentier ne parcourait la jungle, et le manque de soleil obscurcissaient le moindre buisson, rendant la détection des dangers plus compliquée encore. L’esprit de Zorian aida bien, évidemment, lui permettant de sentir les esprits des prédateurs avec une facilité déconcertante, mais tous les dangers ne possédaient pas d’esprit intelligent. Zorian découvrit cette vérité à la dure, lorsqu’une paire de vignes s’agrippèrent à ses jambes et tentèrent de le tirer dans une espèce de fosse où il se serait probablement fait dévorer par une quelconque plante carnivore. Heureusement, ses golems veillaient et combattirent le temps que Zorian reprît ses esprits et enflammât l’air autour de lui pour faire fuir les plantes.

— Tu as de la chance, lui indiqua le vieux mage un peu plus tard. Cette vigne pêcheuse était jeune. Les plus vieillies possèdent des épines tranchantes comme des lames, tout du long. Je suis sûr que tu peux t’imaginer ce qui se serait passé si l’une d’elle t’attrapait. Bien que les plus vieilles soient plus faciles à repérer que les jeunes, je te l’accorde…

C’était embarrassant. Pourtant, il savait au moins désormais qu’il avait fabriqué et programmé ses golems correctement – ils avaient réagi rapidement et avec précision, et avaient facilement réussi à empêcher la plante de traîner leur maître sans qu’il se brisât les os. Créer des golems qui savaient comment retenir leur pleine puissance était sacrément compliqué, Zorian l’avait déjà découvert.

Il accepta la vérité des paroles de l’homme et ne se détacha plus du centre du groupe. Zach, d’un autre côté, ne laissa pas l’incident lui faire peur. Il explorait la zone librement, peu inquiet des divers dangers rôdant alentour. Zorian supposa qu’il avait une raison d’agir de façon si téméraire, en considérant qu’il avait des dizaines d’années d’exploration de terrains inconnus derrière lui, contrairement à Zorian.

— Strpo ! cria Zorian au groupe.

Tous lui obéirent immédiatement. Il savait que certains d’eux le regardaient encore de haut à cause de son âge et ressentait souvent un népotisme évident, mais personne ne doutait de ses capacités à percevoir le danger. Plus maintenant, en tout cas. Il désigna la zone se trouvant légèrement à leur droite.

— Deux drakes caméléons, par là. Des gros, prévint-il.

Les Drakes caméléons étaient les dangers primaires de cette partie de la jungle. Ils étaient costauds, agiles, rapides et pouvait changer la couleur de leur corps de 3,5m de long facilement afin de dérouter les sens des observateurs. Ils chassaient aussi occasionnellement en groupe, et ne voyaient aucun souci à mettre les humains sur leur menu du jour. L’Enfer Vert était absolument empli de ces monstres, pour… une raison ?

L’Enfer Vert avait des drakes caméléons.

Mais heureusement pour le groupe, ils avaient un Zorian.

Les drakes étaient sans doute des dangers surprenants pour les voyageurs classiques, mais pour Zorian, ils n’étaient rien de plus que des esprits hautement développés qui brillaient comme des étoiles dans un ciel noir. Ils étaient en effet des animaux intelligents ; à la limite de la conscience au même niveau que l’humain, jugea Zorian. Peut-être même simplement la même, d’une certaine façon. C’était très certainement un atout de taille face à la plupart des adversaires, et expliquait en quoi ils étaient capables de donner tant de mal aux mages vétérans, mais rendait également leurs embuscades douloureusement évidentes pour Zorian.

En entendant l’avertissement, trois personnes changèrent de posture et tournèrent leur attention vers la zone qu’il indiquait. Orissa, une jeune femme habillée de bleu vif, Kirma, et un homme barbu imposant nommé Torun. Ces trois-là étaient les éclaireurs du groupe, analysaient leur environnement à la rechercher de dangers, d’obstacles et même de l’orbe lui-même. Au peu inutilement pour ce dernier, mais s’être entendu dire que Zorian pouvait simplement détecter l’artefact à distance semblait avoir éveillé en eux une espèce d’esprit de compétition.

Chacun d’eux possédait ses propres méthodes d’investigation. Orissa se servait des abeilles, qu’elle dispersait dans la jungle à proximité. Elle portait un énorme sac à dos se trouvant être une ruche, et un flot constant d’insectes allait et venait tel un torrent jaune et noir sous la direction d’Orissa afin de lui rapporter leurs découvertes. La ruche avait l’air lourde, mais elle la portait avec aisance. Zorian ne savait pas si Orissa était plus forte qu’elle n’en avait l’air ou si la ruche était allégée par magie.

Ses abeilles avaient l’air commun de toutes les abeilles qu’il avait rencontrées dans sa vie. Aucune signature mentale particulière ne les distinguait – Zorian pensait qu’elles étaient peut-être unifiées sous un esprit collectif, comme les rats-crâne, mais n’en trouva aucun indice. Il avait posé quelques questions à Orissa à leur propos, et elle avait admis que les Taramatula ne pouvaient pas accéder à leurs abeilles directement – ils possédaient une technique pour leur parler afin d’utiliser les informations à bon escient.

Zorian ne comprenait pas quelles méthodes pouvaient bien être à l’œuvre pour ce faire, mais ce n’était pas un sort structuré. Orissa ne lançait jamais de sort, et n’utilisait pas d’outils enchantés. Le processus semblait être aussi naturel que sa respiration, pour elle, car elle était à l’évidence capable de diriger ses abeilles tout en discutant avec Zorian, sans en ressentir aucune peine évidente.

Kirma, la fille aux vêtements bleus, était probablement le mage la plus classique des trois. Elle utilisait des outils classiques, clairement, et lançait des sorts de divination afin d’arriver à ses fins. Ce qui était digne d’intérêt à son propos, par contre, c’était le compas qu’elle utilisait. Amas entremêlé d’argent et de bronze, sans doute très lourd et dont Zorian ne pouvait pas apercevoir toutes les épaisseurs, il ressemblait de près à un lotus de métal, dont les pétales étaient intimement gravés de glyphes mystérieux et de formes que Zorian trouvait compliqué à déchiffrer via une inspection banale.

Le compas-lotus avait l’air extrêmement précis, si l’on en jugeait par Kirma, qui alternait entre plusieurs sorts de divination complexes que même Zorian aurait du mal à suivre s’il avait essayé.

Finalement, il y avait Torun. Torun était constamment entouré par un essaim d’yeux qui flottaient autour de lui, frétillant et clignant de temps en temps comme si quelque chose attirait leur attention. Chacun était différent, en taille, en structure interne, et tous avaient l’air extrêmement vivants. Pour être précis, ils avaient l’air d’avoir été extraits des corps de créatures magiques variées célèbres pour leurs pouvoirs de vision, et préservés d’une manière ou d’une autre. Ce qui était probablement exactement ce qui était arrivé.

Zorian était quasiment certain que Torun ne pouvait en réalité pas voir par tous ces yeux. En fait, il suspectait l’homme de rapidement alterner entre eux, à défaut d’être capable de traiter l’information délivrée par tous les yeux à la fois. Il y avait sans doute une limite de distance également à l’œuvre, parce qu’ils ne s’éloignaient jamais de leur contrôleur.

— Tu as raison, une fois de plus, lui fit remarquer Orissa après un moment. Si je puis demander, comment détectes-tu les drakes de si loin ? Est-ce également grâce à ce mystérieux héritage impérial que tu possèdes ?

— Non, c’est juste de la magie mentale, lâcha platement Zorian, qui pouvait clairement voir que tous le suspectaient grandement désormais – certains avaient même déjà lancé des sorts de défense mentales pendant qu’ils s’imaginaient que Zorian ne regardait pas. C’est un peu une de mes spécialités.

— Je vois, acquiesça Orissa. Je me doutais que c’était le cas.

— Eh, petit Kazinski, appela Torun, ce qui lui valut un regard ennuyé, Zorian n’appréciant vraiment pas le nouveau nom que le groupe de Daimen lui donnait. À quel point ta magie mentale est-elle efficace ? Tu penses que tu pourrais attirer l’un de ces drakes par ici ?

Hmm… Une question intéressante. Les drakes possédaient une haute résistance à la magie. Sinon, il aurait été facile d’en faire une marionnette pendant un temps. Cependant, après avoir subtilement sondé leurs esprits…

— Non, dit-il en secouant la tête. Pas ceux-là, en tout cas. C’est une paire liée, l’un n’abandonnera jamais l’autre. Je pourrais peut-être en dominer un, mais l’autre le suivrait pour le défendre.

— Les combats non indispensables ne feraient que nous ralentir, décida Daimen. Laissons les drakes en paix, Zorian. Torun a déjà suffisamment d’yeux avec lesquels jouer, de toute façon.

— On ne peut jamais avoir assez d’yeux, rétorqua Torun. Mais en fait, j’étais après la bestiole elle-même, cette fois. Les drakes caméléons, un peu comme leurs cousins classiques, ont la curieuse capacité de bouger chacun de leurs yeux indépendamment l’un de l’autre et de se concentrer sur plusieurs choses à la fois. Et ils en possèdent quatre. Je suis sûr que je pourrais… apprendre des choses intéressantes.

— Il n’y a pas de pénurie de drakes dans le coin, intervint le vieux mage auquel Zorian avait eu affaire un peu plus tôt. Le gamin peut t’en trouver un solitaire plus tard. Préférablement un jeune, pour qu’il fasse moins de dégâts quand il se libèrera inévitablement de ses entraves et sèmera le chaos dans le camp.

— Ne plaisante même pas à propos de ça, le prévint Daimen. Quoi qu’il en soit, nous allons juste les contourner, je v –

— Pas besoin, le coupa Zorian. Ils s’en vont. Ils ont remarqué qu’on s’était arrêté d’avancer pendant trop longtemps et trouvent ça suspect. Ils pensent qu’on veut les prendre au piège.

— Encore mieux, dit Daimen, ravi. Tout droit nous allons !

Après quelques minutes Zach cessa de gambader et se rapprocha du groupe.

— J’ai pensé à quelque chose, dit-il. Et si tu te transformais simplement en piaf pour t’envoler quelques minutes ? Je parie que tu pourrais couvrir un sacré terrain en peu de temps.

— Et je serais mis en pièces en très peu de temps également, rectifia Zorian.

Il avait déjà pensé à ça et avait abandonné l’idée immédiatement.

— Les arbres sont immenses, dans le coin, et plein de choses qui ne demandent qu’à croquer des oiseaux. Si je vole suffisamment haut pour être en sécurité, le sol se trouvera être hors de la portée de détection. Si je vole bas, je vais me faire dévorer par le premier truc qui passe.

— Ah, grimaça Zach. Ouais, je n’avais pas pensé à ça. Et maintenant que tu le dis, l’orbe pourrait clairement se trouver sous terre. Probablement l’endroit le plus sûr reste la terre ferme.

— C’est ça ! cria Daimen en se frappant le front, après avoir assurément écouté leur conversation de loin, l’enfoiré. C’est ce qu’il me manquait depuis tout ce temps. Sous terre ! Nous aurions dû chercher l’orbe sous terre au lieu de fouiller les buissons comme des idiots ! Mais qu’est-ce que je suis bête…

Après quoi, il appela tout le monde, les invita à s’arrêter et installer un camp de base afin de discuter de la situation pendant un moment. Ceci fait, le groupe concocta rapidement un plan afin de lancer une espèce de rituel géomantique qui cartographierait la zone souterraine de façon basique afin d’affiner leurs recherches. Honnêtement, Zorian se sentait un peu perdu – il avait étudié tant de choses depuis tout ce temps, mais les rituels nécessitant plus d’un lanceur ne faisaient pas partie du cursus. Il ne participa pas vraiment et se contenta d’observer le reste du groupe pendant qu’ils effectuaient le rituel. Il songea démarrer une autre conversation avec Zach, mais ce dernier tentait de draguer Kirma et désirait clairement ne pas être dérangé.

Au bout d’un moment, Daimen brisa sa solitude et le tira en bordure du camp, où Orissa attendait déjà, afin que tous trois pussent avoir une discussion à propos de… quelque chose ? Zorian en avait déjà une petite idée.

— Tu es intéressée par la magie mentale, n’est-ce pas ? s’enquit-il en regardant Orissa d’un air astucieux.

— Ah, eh bien… bafouilla Orissa. C’était si évident ? Oui, je dois dire que le sujet m’intrigue…

— C’est un secret personnel, lui avoua Zorian sans honte.

— Zorian ! protesta Daimen, chevalier blanc à la rescousse.

— Mais je pourrais accepter d’en partager une partie si Daimen accepte de répondre honnêtement à quelques questions que je veux lui poser, ajouta Zorian en se tournant vers le principal intéressé avec un sourire joyeux.

— Quel genre de questions ? hésita son grand frère, sans sourire, pour sa part.

— Des questions à propos de ta propre magie mentale, lui répondit Zorian, son visage désormais sévère. Des questions comme pourquoi tu ne m’as jamais dit que j’étais un mage mental naturel, quand nous étions gosses. Tu devais le savoir, en tant que mage mental naturel, mais tu ne m’as jamais rien dit et m’as laissé souffrir seul.

— Q… Quoi ? s’exclama Daimen, en explosant d’un rire outragé. Mais de quoi est-ce que tu parles ?!

— Je sais que tu es comme moi, Daimen, lui répéta Zorian. Je peux le sentir. Et tu peux me sentir également.

— Non, je ne le peux pas, Zorian, répondit Daiment en levant les sourcils. Peut-être ai-je des facilités, ou un potentiel, pour ce qui a trait à toutes ces conneries mentales dont tu es capable, mais personne ne m’a jamais enseigné tout ça. Ils m’ont toujours dit que j’étais un empathe, et m’ont appris à activer et désactiver cette compétence, et puis voilà, ok ? Je ne sais même pas de quoi tu parles.

— Tu es en train de dire que tu n’as jamais rien remarqué de spécial à mon propos ? répéta Zorian en fronçant les sourcils.

— Eh bien… se mit à rire Daimen nerveusement. J’ai remarqué que tu étais facile à lire… mais merde, ça pouvait vouloir dire n’importe quoi !

— Tu te doutais de la vérité, l’accusa Zorian.

— Ok, ouais ! admit Daimen. Mais je ne pouvais pas être sûr, et pourquoi aurais-je fait quoi que ce soit sur un simple soupçon ? Spécialement envers un frère qui me détestait et m’amenait sans arrêt des problèmes ? Et vraiment, et si ç’avait été vrai ? Et alors ? Si tu étais vraiment un empathe comme moi, ça n’aurais que rendu tes actions plus époustouflantes et contrariantes.

— À quoi sert une empathie telle que celle-ci, sans contrôle ? trancha Zorian sur un ton sec. Je ne pouvais même pas m’approcher d’une foule sans en subir les conséquences ! Si tu avais pris un peu de temps pour m’enseigner comment désactiver tout ça, ou au moins, si tu m’avais simplement dit à quoi faire attention, je n’aurais certainement pas été aussi époustouflant et contrariant que tu l’imagines !

La discussion dégénéra alors en plusieurs moments de cris incohérents et d’accusations diverses, et Orissa dut décider d’intervenir pour faire cesser cette mascarade en s’interposant.

— Et pourquoi ne prendrions-nous pas un moment pour nous calmer ? leur intima-t-elle, ses abeilles se synchronisant dans une vibration commune. Vous deux êtes juste en train de vouloir faire du mal inutilement à l’autre, là. Vous vous accusez clairement de choses dont vous ne savez rien et qui ne peuvent être vraies. Cessez donc de supposer.

Zorian fit la grimace, instinctivement, et faillit s’en prendre à elle également pour tenter de si minables intimidations sur sa personne. Comme s’il était effrayé par quelques abeilles. Pourtant, elle marquait un point, Daimen lui servirait probablement bien plus s’ils s’asseyaient et avaient une discussion plus… sédatée.

Daimen se rétracta encore plus rapidement, trop peu enclin à se dresser contre Orissa.

Ayant dénoué la situation avec succès, Orissa s’excusa, prétendant qu’il s’agissait d’un problème qu’ils devraient résoudre entre eux et qu’elle ne voulait pas s’en mêler plus qu’elle ne l’avait fait. Daimen tenta de protester et de la garder auprès de lui, mais Zorian ne s’en montra que satisfait, et hocha la tête dans sa direction pour lui signifier qu’il appréciait.

Après un moment, ils commencèrent à discuter. Et il s’avéra que Daimen était un empathe depuis toujours, aussi loin qu’il s’en souvenait. Son empathie n’était en rien telle que celle de Zorian, cela dit. Elle était plus faible, bien plus faible que tout ce que celle de Zorian avait un jour été, mais bien plus facile à contrôler. Il n’avait jamais souffert dans une foule, et il pouvait se concentrer sur des personnes en particulier selon son bon vouloir. Il avait rapidement réalisé qu’il s’agissait de quelque chose d’unique, qui lui était propre, et qu’il pourrait en tirer bien plus si personne ne savait quoi que ce fût à son sujet. Aussi avait-il gardé le secret. Pendant ses années d’Académie, il avait compris qu’il était un empathe et s’était assuré l’instruction d’un vieil empathe, qui lui avait appris comment activer et désactiver tout ça, ainsi que quelques astuces mineures afin d’améliorer la sensibilité de ses ressentis.

Daimen n’avait jamais développé un sens mental propre, et ne pouvait identifier d’autres Ouverts à vue, comme Zorian en était capable. Même son empathie était brute et peu développée, selon les standards de Zorian.

— Je pensais que tu pouvais être comme moi, avoua Daimen. Mais tes actions étaient trop étranges pour quelqu’un capable de ressentir les émotions des gens comme je le pouvais, et ça m’a arrêté. Il ne m’a jamais frappé que ton empathie pouvait être différente de la mienne, et je ne comprends toujours pas ce qui a pu mal se passer dans ton cas, alors que mon empathie est un tel don pour moi. Pourquoi n’as-tu rien dit ?

— Je l’ai fait, rappela Zorian. Les parents ont dit qu’ils me jetteraient dans un asile si je ne la fermais pas à ce sujet.

— Ha ha ha… ricana Daimen nerveusement. Je suis sûr qu’ils plaisantaient. Tu trop sensible, Zorian.

Celui-ci ne tenta pas de lui proposer un contrargumentaire.  Comme les parents avaient toujours tant couvé Daimen, il avait une image très biaisée ce qu’ils pouvaient être en vérité. Et personne ne pourrait sans doute rien y faire dans l’immédiat.

— Regarde les choses du bon côté, cela dit, continua Daimen en tendant de changer de sujet. Comme tu n’avais aucun préjugé sur tes capacités, que personne ne t’a dit qu’un empathe était limité au ressenti des émotions, tu as développé ton don en quelque chose de bien plus incroyable. Je suis vraiment jaloux, tu sais ? Honnêtement. Je ne savais pas qu’il y avait plus que ça dans ma capacité jusqu’à rencontrer Orissa et les Taramatula.

Hmm. Si les Taramatula savaient à propos de Daimen et de son talent inné pour la magie mentale, pas étonnant qu’Orissa désirait l’épouser. Il était célèbre, beau garçon, un prodige en magie, et un mage mental naturel ? Pour dire vrai, si Zorian avait été à la place de Daimen, il se serait demandé si Orissa l’aimait vraiment ou si elle avait après lui par pur opportunisme.

— De quoi voulait-elle me parler, d’ailleurs ? rappela Zorian.

— Oh. Eh bien, je pense que tu lui as déjà donné une réponse à ce sujet, expliqua Daimen. Elle voulait savoir si tes compétences mentales étaient les mêmes que les miennes.

— Ah, je vois, acquiesça Zorian. Les Taramatula espèrent que c’est héréditaire, je suppose.

— Et ça l’est ?

— Probablement, répondit Zorian en haussant les épaules. J’ai entendu que des compétences telles que celles-ci n’apparaissent jamais de nulle part chez un enfant, et il est un peu étrange que nous l’ayons, tous les deux. C’est clairement une espèce d’héritage génétique, mais il est difficile de dire si oui ou non tes enfants vont en profiter.

— Énormément de lignées ne garantissent pas le passage des compétences dans leur état brut, opina Daimen. Il existe des méthodes artificielles permettant d’assurer ce genre de cas, comme des potions ou des rituels. Je doute que les Taramatula en auront quoi que ce soit à faire.

Toute discussion future fut coupée court par l’un des membres de l’équipe de Daimen, qui surgit d’un seul coup pour leur annoncer que le rituel était prêt et qu’ils n’attendaient plus que lui.

— Très bien, nous en reparlerons une autre fois, conclut Daimen. Pour l’instant, concentrons-nous sur ce satané orbe.

 

___

 

Comme beaucoup d’endroits, l’Enfer Vert possédait un réseau souterrain étendu de tunnels courant sous sa surface. En effet, le monde souterrain de Koth était inhabituellement complexe, qui qui expliquait pourquoi la zone possédait un mana ambiant si riche, et pourquoi la vie sauvage y était si abondante, diversifiée et dangereuse. Même si on se limitait aux étages supérieurs du donjon, en se disant qu’Awan-Temti n’avait sans doute pas osé s’aventurer bien bas, ça signifiait une vaste quantité de tunnels à couvrir. Aussi, lorsque l’équipe de Daimen lui présenta une image en trois dimensions de la zone souterraine locale, Zorian ne put que l’observer, totalement confus. Comment, par tous les diables, cette information allait-elle les aider à réduire leur terrain de recherche ? Ils devraient malgré tout parcourir l’intégralité de ce qu’ils avaient prévu de marcher initialement, afin de parcourir tous les tunnels proches de la surface.

Cependant, Daimen sembla voir quelque chose d’important dans l’image flottant, parce qu’il pointa cinq endroits du doigt.

— Là, là, là, là et là, dit-il en tapotant l’illusion aux cinq endroits, la faisant onduler légèrement, cinq choix qui paraissaient totalement aléatoires aux yeux de Zorian. Nous devrions commencer par ces lieux.

— Je ne comprends pas, se plaignit Zorian vers Zach. Sur quelles bases a-t-il choisi par où commencer ?

Il espérait que Zach, des décennies d’exploration sous le capot, eût pu lui expliquer après avoir lui aussi remarqué quelque chose de spécial. Ses espoirs tombèrent rapidement à l’eau.

— Aucune idée, avoua Zach. La carte est juste un beau bordel, si tu me demandes. Il a probablement juste choisi au hasard pour avoir l’air d’un connaisseur. Je faisais ça aussi quand je me retrouvais à la tête d’équipes. Ne laisse jamais les plébéiens remarquer que tu n’as aucune idée de ce que tu fais.

— Je peux vous entendre, vous deux, vous savez, nota Daimen, juste à côté.

— Je n’essayais pas d’être discret, fit remarquer Zach.

Daimen ne répondit pas. Il se contenta de désigner le plus proche des cinq points et fit signe à tout le monde qu’il était temps de reprendre la marche.

Ils n’étaient qu’à la moitié du chemin, et Zorian s’arrêta net. Il avait harcelé le dispositif de détection de la clé dans son âme tandis qu’ils progressaient et maintenant, il venait de réagir pour la première fois.

Le marqueur avait trouvé l’orbe.

— Il est là, anonça-t-il, sans même chercher à masquer l’excitation dans sa voix.

— Quoi ? Qu’est-ce qui est là ? demanda Zach, confus.

— L’obre, évidemment. Tu fais exprès d’être idiot ? Il est là, je le sens.

— Tu veux dire, juste sous nos pieds, ou… ? ajouta Zach en ignorant la remarque, tout en regardant le sol avec spéculation – probablement en train de calculer comment creuser la terre le plus rapidement possible.

— Non, mais tout près, ajouta Zorian en levant le doigt vers le nord-est.

Toutes les têtes du groupe se tournèrent dans la même direction comme un seul homme, comme s’ils pourraient mieux voir l’ordre à travers la terre et la végétation.

— Y a-t-il quelque chose de spécial dans cette direction ? demanda Daimen à Kirma, qui était sa seule à posséder des cartes détaillées de la région, stockées dans son lotus.

Elle le consulta alors rapidement.

— En fait… oui, dit-elle en hésitant. Il y a un nid de drakes caméléons dans cette direction. Parce que cet endroit est proéminent, c’est l’un des premiers que nous avons été voir. Souviens-toi.

— Je me rappelle, maintenant, oui, opina Daimen. Chassanah a insisté pour que nous allions voir. Avec insistance, bien sûr que l’orbe devait être dans l’endroit le plus dangereux de la région, alors comment pourrait-il être ailleurs ?

Il se tourna vers le vieil homme qui avait suggérer à Zorian de faire attention, plus tôt.

— Et qui avait raison ? fit alors Chassanah en souriant. Nous aurions dû chercher mieux que ça.

— Mais je ne comprends pas, protesta Kirma. Nous avons fouillé cet endroit, il n’y a rien.

— Nous n’avons jamais établi un camp là-bas, nota Torun. Nous avons juste fouillé ce qu’on pouvait y trouver.

— Mais on y était, insista Kirma. Il n’y avait rien. Awan-Temti voyageait avec son entourage tout entier quand il a disparu, ils transportaient un bon nombre de paquetages. Nous n’avons rien vu qui pourrait prouver qu’un groupe de cette taille a disparu là-bas.

— Et ça fait si longtemps que l’empereur n’a pas foulé le sol du pied, ajouta Torun, en haussant les épaules. Et il fort possible, de plus, qu’il ait été séparé de son escorte et soit mort seul. Peut-être que l’orbe est enterré quelque part dans une caverne proche, protégé contre la divination.

— Je… suppose, concéda Kirma avec hésitation ; elle semblait peu encline à admettre avoir pu louper l’orbe lors des recherches précédentes, sans doute un coup bas à sa fierté personnelle.

Une décision fut prise, ils fouilleraient les lieux une fois de plus. Le groupe s’approcha du nid au maximum sans provoquer les drakes, et se mirent à espionner tout ce qu’il y avait à voir par magie, de façon systématique.

Et ce n’était pas si grand, en réalité. Ni la colline, ni les grottes creusées en son cœur n’étaient connectées au donjon, et ça ne laissait qu’une certaine surface à couvrir. Malgré ça, aucune divination ou autre méthode de collecte d’informations ne leur permit de traquer l’orbe. Il n’y avait même pas la moindre preuve qu’un trésor pourrait se trouver là.

— Mais c’est définitivement ici, insista Zorian, parfaitement têtu – il savait ce que son marqueur lui disant. C’est juste là, dans la plus grande grotte près du fond de la colline, celle qui a l’air naturelle, et pas creusée par les drakes.

— Nous avons déjà fouillé cet endroit un million de fois par tous les moyens à notre disposition, objecta Kirma, très contrariée. Torun a même risqué l’un de ses yeux les plus rares, celui qui peut voir à travers les objets solides. Il n’y a rien, là en bas, ok ?! Ton truc fonctionne mal.

Zorian soupira. Il n’y avait vraiment aucun intérêt à la convaincre, de toute façon.

— Il me faut un accès physique à la grotte, dit-il à Zach. Je peux le trouver, mais j’ai besoin de me rendre sur place, et pas de regarder à travers dieu sait quels outils de divination ou d’yeux contrôlés à distance.

— Compris, acquiesça le bon soldat Zach, qui ne prenait d’ordres que de Zorian.

Il se leva et épousseta ses épaules, couvertes de quelques spores impossibles à éviter dans une telle jungle. Fort heureusement, ils étaient de simples spores, au moins, et sans danger.

— Je m’occupe des lézards, tu restes derrière moi et tu les empêches de me contourner.

— Pas si vite, vous deux, les interrompit Daimen. Pensez-vous réellement qu’on va rester en touche, à vous observer vous faire tuer ou garder l’orbe pour vous ? C’est perdant-perdant, là. Nous sommes venus là dans tous les cas, et nous allons prendre cet endroit d’assaut quoi qu’il arrive.

— C’est stupide, commenta Kirma.

— Et nous allons le faire malgré ça, conclut Daimen. Si Zorian dit que l’orbe se trouve ici, alors il est ici. Cependant, ne chargeons pas comme des buffles idiots. Je préfèrerais qu’ils ne nous assaillent pas pour nous tendre un piège juste derrière. Voilà ce que nous allons faire…

 

___

 

Dans les profondeurs de la jungle kothique, une bataille rageait. D’un côté, une centaine de drakes caméléons chargeaient, tentant de défendre leur habitat et leurs jeunes, et de l’autre, un groupe de dix-neuf personnes avaient sans honte balancé une quantité incroyable de gaz irritant dans la grotte afin de les en chasser. Bien que les drakes eussent l’air brutaux, ils n’étaient pas stupides. Ils savaient qu’ils avaient été provoqués, mais également qu’ils devaient accepter le challenge. Ce n’était pas la première fois que quelqu’un avait tenté de leur voler leur demeure, et ce ne serait pas la dernière : la loi de la jungle était sauvage.

Le groupe de Daimen avait posé un champ de mines entre eux et la colline avant de provoquer les monstres, mais ils avaient sous-estimés ces derniers. Plutôt que pour un assaut frontal, les drakes optèrent pour l’avancée simultanée de deux groupes, qui les approchaient désormais le long de deux courbes, visant leurs flancs de deux directions différentes.

On aurait pu penser que les drakes caméléons avaient repéré les mines magiques et y avaient réagi, mais Zorian pouvait percer leurs esprits et savaient qu’il n’en était rien. Une expérience froide et dure que ce groupe de monstres avait acquise : ne pas faire face à leurs ennemis s’ils pouvaient l’éviter, spécialement contre des humains.

Les deux ennemis se percutèrent et les drakes surgirent pour le meilleur ou pour le pire. Les bêtes étaient impressionnantes, rapides et puissantes, mais leur supériorité se prononçait lorsqu’elles attaquaient de positions inconnues. Leur invisibilité virtuelle ne fonctionnait pas si elles ne pouvaient pas se poser et se camoufler, et le coup de langue précis et dangereux qu’ils utilisaient comme ouverture était bien moins impressionnant lorsqu’on s’y attendait.

Et que le groupe d’humains possédât des mages puissant – et Zach, par-dessus le marché – ne les aidait pas.

D’un mouvement rapide, Zorian lança une étoile orange scintillante vers le drake en face de lui. L’immense reptile réagit avec une agilité digne d’un grand sportif, se jetant de côté afin d’éviter le projectile, tout en cachant son visage de ses pattes griffues, en prévision de l’explosion imminente. Et l’explosion se produisit bien, comme il l’avait prédit, étincelant sur ses écailles mais ne provoquant pas de vrais dégâts.

Il atterrit sur ses pattes avec la dextérité d’un chat, ses quatre yeux coniques tournoyant dans tous les sens et chacun dans une direction différente afin de se réorienter. Finalement, ses deux yeux frontaux se fixèrent sur Zorian, les deux autres continuant à sonder les alentours à la recherche d’une éventuelle attaque qui pourrait venir de derrière lui, sa gueule pleine de dents grande ouverte.

Et c’était l’erreur que Zorian attendait. Il envoya une lance de force en direction du drake et enchaîna immédiatement avec un bouclier à deux épaisseurs autour de lui-même. Il avait lancé ces deux sorts si rapidement que pour un œil néophyte, il les avait lancés dans le même mouvement. Le monstre y réagit en faisant surgir sa langue à une vitesse phénoménale, perçant l’une des couches du bouclier mais échouant à passer outre la deuxième. Avant qu’il ne pût retirer l’organe spongieux et mortel, la lance de force le frappa directement dans la gorge, se fichant des écailles qui couvraient son corps.

Le drake s’effondra immédiatement, frappant l’air de ses pattes comme s’il venait de faire une crise d’épilepsie. Zorian prit quelques secondes pour s’assurer que la bête était bien morte, et se tourna vers le reste des cibles.

Juste à temps pour apercevoir Chassanah trébucher sur une pierre placée là par le plus grand des hasards et tomber au sol, non loin de lui. Son ennemi, l’un des plus petits drakes du tas, qui atteignait à peine trois mètres de long, saisit sa chance aussitôt qu’il le vît pour se jeter sur lui.

Heureusement, Zorian possédait des golems, et ces derniers étaient éparpillés dans le coin. L’un d’eux se trouvait à proximité, et puisqu’ils étaient dénués de tout instinct de survie et agissait purement d’après les ordres télépathiques de Zorian, se jeta en avant et percuta le drake de tout son poids. Il s’abattit sur ses côtes, déviant sa course de quelques mètres et donnant à Chassanah le temps qu’il lui fallait pour se relever.

— Tu vas bien ? lui demanda Zorian en accourant pour s’assurer qu’il ne s’était pas cogné la tête ou cassé le col du fémur en tombant, pendant que le drake était occupé à frapper le golem encore et encore, outragé par l’intervention qui lui avait coûté sa proie.

— Ça va, dit le vieil homme en secouant la tête. C’est embarrassant, Je suis là, à donner des conseils à la jeune génération sur le besoin de rester modeste et prudent et qu’en sais-je, et voilà que je fais une bêtise pareille moi-même. Bah ! C’est vrai, ce qu’ils disent. On apprend durant toute sa vie, et on meurt un jour, le plus intelligent des imbéciles.

Jetant un œil sur le champ de bataille, Zorian réalisa que les drakes se faisaient repousser sur tous les fronts. D’un côté, Orissa utilisait ses abeilles pour attaquer leurs yeux, les faisant fuir de panique, incapables de déloger ces petits insectes de là où ils avaient décidé de se poser. Daimen et les autres membres de son équipe achevaient les ennemis aveugles en se concentrant sur un à la fois. D’un autre côté, Zach rejetait toutes sortes de tactiques sournoises ou intelligentes et utilisait simplement une paire d’épées noires pour découper les drakes comme ils venaient. Les épées semblaient pouvoir traverser les solides écailles comme si elles n’existaient pas, les mettant à mort instantanément. Les drakes finirent par craindre cet ennemi-là en particulier, et choisirent de poursuivre d’autres cibles plutôt que lui.

Bientôt, les drakes caméléons semblèrent collectivement réaliser que la confrontation n’allait pas dans la bonne direction, et entreprirent une retraite hâtive. Certains choisirent de façon assez amusante de tenter de retourner d’où ils venaient, directement par le champ de mines, ce qui résulta en quelques pertes supplémentaires de leur côté, sans aucune autre aide de la part du groupe d’explorateurs.

En prenant conscience de la situation après la bataille, Zorian nota que personne n’avait perdu la vie dans son camp, et qu’il pouvait aisément décrire la victoire comme écrasante. Même si les choses auraient pu s’être passées bien mieux, selon lui.

Cependant, il y avait un problème. Tandis que les drakes battaient en retraite, ils ne le firent pas totalement. Ils se retirèrent simplement en direction de leur colline et s’arrêtèrent là. Ils semblaient peu décidés à abandonner leur domicile, même s’ils savaient qu’ils avaient été platement vaincus.

Ils commencèrent à siffler et grincer lourdement dans leur direction, gonflant le dos pour paraître plus impressionnants, et avançant légèrement vers eux pour les intimider.

— Est-ce… qu’ils essayent sérieusement de nous faire peur ? demanda Daimen, sans trop y croire.

— Je pense, oui, confirma Zorian.

— Ils ont perdu un combat, et maintenant ils nous menacent ? C’est absolument stupide et outrageux, nota Torun. Je suppose qu’il n’y a pas de mal à essayer, de leur point de vue. Si ça marche, parfait. Sinon, eh bien, ça valait le coup de tenter.

Bien sûr, cette démonstration ne les convainquit pas de s’arrêter. L’orbe se trouvait là, alors avoir accès à la colline était une obligation. En revanche, lorsqu’ils se mirent à avancer vers la colline, les drakes changèrent de comportement. Ils cessèrent toute tentative d’intimidation et levèrent la tête vers le ciel pour commencer à… geindre.

Zorian ne savait pas comment le décrire. Ce n’était pas vraiment un gémissement au sens humain du terme, mais le son était plaintif, répétitif et implorait la pitié. Et tous le criait à l’unisson. C’était comme si le groupe entier maudissait les cieux en face d’eux pour ce qui leur arrivait.

— Merde, ils me font vraiment me sentir désolé pour eux, se plaignit Daimen. Je me sens avoir le mauvais rôle, maintenant.

— Ils ne pleurent pas, corrigea Zorian, une terrible réalisation lui remontant le long de la colonne vertébrale, tel un frisson indescriptible. Ils appellent à l’aide. Ils implorent…

— Ils quoi ? fit son grand frère en fronçant les sourcils. Kirma, peux-tu vérif –

Leur groupe fut presque projeté à terre par une vibration dans le sol, proche du séisme.

— C’était quoi, ça ?! demanda Daimen, presque en criant, sans trop savoir à qui il s’adressait.

— L’eau présente dans la cénote, dans la colline… répondit Kirma. Elle…

Zorian le sentit alors. Avant, la colline, la cénote en son sein et l’eau qui s’y trouvait étaient mortes, pour autant qu’il avait pu l’affirmer. Même scruter par magie n’avait jamais relevé quoi que ce fût d’intéressant. Cependant, désormais, Zorian pouvait sentit un esprit naître et s’éveiller. Quelque chose d’énorme, de sournois…

…et d’affamé.

— Ok, retraite tactique, retraite tactique, commenta Zorian en faisant signe à tout le monde de reculer rapidement – il avait également remarqué que les drakes avaient cessé leurs jérémiades et qu’ils observaient maintenant l’eau avec anticipation. Nous avons quelque chose de sérieusement gros sur les bras, hostile, et qui en a probablement après nous. Je pense –

Il n’eut pas le temps de penser. Une forme bleue se déplia du centre de la cénote, émergeant de l’eau. Au début, Zorian pensait qu’il regardait une espèce d’arbre animé, ou d’une anémone de mer géante, mais les branches restèrent immobiles, l’espace d’une seconde, et ce qu’il avait en face de lui devint douloureusement évident.

C’était une hydre. Un vraie, une énorme hydre. Vraiment énorme. Huit têtes draconiques observaient le monde alentour avec intérêt, et finirent par toutes se tourner vers le groupe d’humains, au loin. Ses huit gueules s’ouvrirent légèrement, exposant des rangées et des rangées de crocs acérés, et se mirent à saliver.

— Oh, soupira Zach dans le silence qui en résultat, ses yeux brillant d’une toute nouvelle lueur, un feu que Zorian n’avait pas vu depuis fort longtemps chez lui. On dirait que je vais finalement m’amuser !

Comme si elle réagissait à sa provocation, l’hydre ouvrit totalement ses huit gueules et poussa un hurlement à faire trembler la jungle.

Raka
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7 thoughts on “MoL : Chapitre 68

  1. BAAAAAAASSSSSSTOOOOONNNNN !!!!!!!!
    Voilà c’est tout ce que j’avais à dire.
    Nan, c’est une blague : Merci pour ce chapitre avec une fin qui présage un début épique !!!!!

  2. Bon, vous connaissez l’histoire du mec qui attend sa drogue de la semaine, qui quand elle arrive enfin lit un paragraphe ou deux et se dit : »ça ne colle pas ».

    Et voilà j’ai réussit à ne pas voir les deux chapitres bonus lol, mais ça reste une excellente surprise.

    Du coup merci pour ces trois chapitres ça m’a fait un sacré moment de lecture.

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