MoL : Chapitre 80

MoL : Chapitre 79
MoL : Chapitre 81

Chapitre 80 — Ennemis

 

Malgré le fait que le désert Xlotic fût généralement décrit comme une infinie mer de sable dont jaillissaient uniquement les épars promontoires rocheux et autres oasis isolées, il s’agissait en réalité d’un paysage bien plus complexe que ça. Il y avait bien sûr une quantité de sable qui ne pouvait être négligée, oui, mais également de larges champs pierreux, des collines arides et autres chaînes montagneuses, les héritiers témoins d’anciens lacs désormais asséchés nourris par des rivières qui n’existaient plus non plus, et également des ruines ikosiennes, disséminées un peu partout. Et il s’agissait là uniquement des points de repère les plus communs ; Zorian avait entendu qu’il y avait quelque part une forêt composée d’arbres fossilisés et à l’aspect minéral, loin dans le cœur du désert, et malgré tout florissant de vie lorsqu’il pleuvait, pour redevenir sec et morne quelques semaines plus tard. Et puis, il ne fallait pas oublier les fameux volcans d’eau, comme on les appelait – des geysers massifs, faisait surgir de l’eau bouillante dans certaines régions, inondant les zones qu’ils touchaient pendant quelque temps.

La zone entourant le Ziggurat du Soleil n’était pas si extraordinaire que ces deux exemples, mais malgré tout un endroit particulier. En premier lieu, il avait un jour été un célèbre temple, à la nature complexe, de l’empire ikosien, et de nombreuses ruines importantes parsemaient la région. Des temples, des ziggurats plus modestes, des forts militaires, des villas privées, et ainsi de suite. Un certain nombre d’entre elles avaient été colonisées par les Sulrothums, mais une partie encore plus grande était occupée par les divers monstres adaptés au désert, qui les avaient bien trop aménagées, y étaient entré bien trop profondément pour que quiconque pût espérer les en déloger facilement. Deuxièmement, une rivière saisonnière traversait les lieux. Elle n’existait que durant une partie de l’année, mais c’était suffisant pour rendre tout le coin vibrant et attractif comparé au reste du désert. Finalement, le monde souterrain local était particulièrement étendu, et un immense lac englouti se trouvait là, ayant sans nul doute contribué à rendre les terres environnantes plus vivantes qu’elles n’auraient dû l’être de façon réaliste, aussi loin à l’intérieur du désert.

Zach et Zorian voyageaient actuellement à pied, tout en observant leurs environs avec précaution. Leur trajet s’était révélé sans danger jusqu’alors, mais ça pouvait changer en un battement de cils s’ils se montraient imprudents. La chaleur écrasante commençait tout doucement à avoir raison d’eux, elle aussi. Les sorts de confort avaient fait leur boulot en les protégeant des effets les plus indésirables du soleil et de la température, mais même cette magie avait ses limites dans un endroit comme celui-là.

Zorian souhaitait être déjà arrivé là grâce à leur appareil volant. Malheureusement, ce n’était pas une option. Ils étaient là pour tenter de négocier un droit de passage avec les Sulrothums, et ces guêpes démoniaques auraient très certainement réagi de façon très négative à la vue d’un vaisseau volant en approche. Il était probable qu’elles l’auraient juste attaqué à vue, ruinant toute chance de négociation.

Bon, si Zorian devait être parfaitement honnête avec lui-même, ça allait capoter de toute façon. Bien que les Sulrothums étaient connues pour entretenir des relations aimables avec les humains en de rares occasions, elles avaient la réputation d’être une espèce particulièrement violente et agressive, et il y avait bien, bien plus de conflits que de paix dans leur histoire. En plus de ça, elles étaient incapables de produire le son nécessaire à la discussion avec un humain, qui ne pouvaient pas parler le Sulrothum à leur tour, rendant toute communication un tantinet compliqué.

Bien que les chances fussent basses, Zorian sentait qu’il fallait essayer. Il ne faisait nul doute que Zach et lui pouvaient prendre le Ziggurat par la force s’ils le décidaient, mais des centaines de guêpes vivaient là, et c’était chez elles. Elles y élevaient leurs enfants, elles y conservaient leur nourriture, leur eau, leurs ateliers, y faisait leur commerce… Elles n’allaient pas abandonner les lieux si facilement. Elles pourraient même décider de se battre jusqu’à la toute fin, ce qui obligerait Zach et Zorian à éradiquer des bébés et peut-être d’autres civils. Il préférait éviter de se filer un mal de crâne pareil si possible.

— Ce devrait être suffisant, non ? demanda soudain Zach, qui bondit sur un rocher proche afin de rapidement analyser les alentours. Je pense que nous sommes bien assez avancés dans leur territoire. Un peu plus et elles pourraient nous attaquer par principe. Bien que franchement, je pense toujours qu’on fait ça de la mauvaise manière. Les Sulrothums sont connues pour leur sauvagerie, non ? Je parie que les rosser un peu à droite et à gauche jusqu’à ce qu’elles se montrent coopératives donnerait de bien meilleurs résultats qu’une approche diplomate. Montre-leur qu’on est sérieux, tu sais, ce genre de politique.

— Tu pourrais fort bien voir ton vœu exaucé, répondit Zorian en envoyant son sens spirituel balayer rapidement la zone, en plus de sa perception de l’âme et de ses yeux de chair et de sang – il découvrit un serpent caché derrière un bosquet de buissons proche, absolument terrifié par leur présence et n’ayant aucune intention de les attaquer. Si les guêpes nous attaquent immédiatement ou refusent de considérer notre offre, on fera comme tu dis.

— Hah. Parfait, ricana Zach, d’une oreille à l’autre, avant d’attraper une bouteille d’eau dans son sac pour se la vider sur la tête, ce qui le fit soupirer de délice. Aaah, j’avais besoin de ça…

Après y avoir un peu réfléchi, Zorian décida de l’imiter. Et il dut admettre que c’était effectivement une excellente idée.

Une minute de silence plus tard, ils reprirent leurs esprits.

— On y va ? demanda Zorian.

— Ouaip, confirma Zach. Feu.

Zorian lança un sort, qui produisit une espèce de signal de détresse – dans ce cas, une étoile filante rouge et très lumineuse qui fila dans les airs, accompagnée d’un strident sifflement à faire grincer n’importe quelle guêpe des mandibules, révélant leur présence à des kilomètres à la ronde.

Ils n’eurent pas à attendre bien longtemps. Moins de quinze minutes plus tard, trois points noirs apparurent à l’horizon. Quelque peu difficiles à reconnaître à contrejour, le soleil dans leur dos, mais Zorian était certain qu’il observait une patrouille Sulrothum.

Et il ne fallut pas longtemps pour que sa supposition fût avérée.

Elles étaient plus bruyantes que Zorian l’avait imaginé. Le bourdonnement de leurs ailes, qui battaient l’air plusieurs centaines de fois par minute afin de garder leurs corps en suspension dans les airs, était audible même à cette distance. Zorian se demanda pourquoi ces sales bêtes avait même tenté de masquer leur approche en arrivant avec le soleil dans le dos, puisque quiconque n’étant pas sourd pouvait les entendre approcher sans les confondre. Quoi qu’il en fût, comme la patrouille arrivait, Zach et Zorian se préparèrent au cas où elles eussent l’idée saugrenue de les attaquer à vue. Bien sûr, ils ne pensaient pas qu’elles allaient simplement les agresser sans la moindre provocation ouverte – elles auraient sans doute amené plus de membres si telle était leur intention – mais il valait mieux être prêt à tout.

Leur atterrissage fut tout sauf gracieux. Au lieu de ralentir graduellement les Sulrothums s’écrasèrent au sol à une vitesse effroyable, frappant le sol caillouteux devant les adolescents avec suffisamment de force pour soulever un nuage de poussière et de sable, accompagné de pierres qui s’élancèrent dans tous les sens. L’onde de choc les atteignit même, bien que leurs boucliers climatiques fussent assez puissant pour les protéger sans leur demander d’agir plus avant.

Bon. La rencontre en était à ses prémices, et Zorian détestait déjà ces saloperies d’insectes.

Dans tous les cas, les Sulrothum devant eux, il put enfin les observer avec attention. Il en avait vu illustrations et descriptions dans les livres, naturellement, mais on ne pouvait pas comparer ce genre d’expériences avec une rencontre en chair et en chitine. Ces créatures étaient grandes – plus petites que celles de trois mètres de haut décrites par les ouvrages qu’il avait lus, mais pas de beaucoup. Elles arboraient également un air fragile, et désarticulé ; impression déroutante et fausse, il le savait : les Sulrothums étaient, disait-on, assez puissantes pour démembrer un humain à pattes nues, et aussi solides que des clous d’acier. Une carapace noire et brillante couvrait leur corps filiforme, leur visage était vraiment d’un héritage de guêpe : elles avaient quelque chose d’insondable, de presque insensible. Leurs yeux ? Aussi noirs que leur chitine. Composés, comme la plupart des insectes, naturellement, et ne laissant rien échapper de leurs pensées. Enfin, la paire d’antennes qui trônait au sommet de leur tête vibraient dans une direction bien spécifique, de façon folle. Vers le groupe, bien sûr. Zorian pouvait sentir leur agitation, mais avait un mal fou à interpréter leurs émotions, étranger qu’il était à la façon de penser d’une guêpe. Cela dit, il pouvait affirmer que le trio était paranoïaque et sur le qui-vive, tous trois prêts à les attaquer au moindre signe d’agressivité.

Et les Sulrothums étaient armées de lances, de tailles appropriées pour des créatures de cette taille et de cette force – colossales, pour un standard humain. Rien que les armes étaient suffisantes pour leur faire sentir un sentiment d’insécurité et de danger imminent, et ce, malgré leur facture plutôt tribale, crue, et bâclée. En plus de ça, chaque Sulrothum laissait entrevoir une série d’autres lances, plus petites, qui pendaient dans le dos de chaque individu. Il s’agissait là des célèbres javelots lourds qu’on connaissait trop bien comme était leur armes habituelles d’attaque à distance. Généralement, chaque raid de leur part s’ouvrait sur une pluie ravageuse de ces javelots, rapidement suivie par une ruée, une avancée meurtrière qui finissait ceux qui n’avaient pas été massacrés avant… Et jusqu’au bout, les Sulrothums n’offraient jamais la moindre pitié à leurs ennemis, sous aucune condition.

Et d’une certaine façon, toutes ces armes les rendaient bien plus menaçants qu’ils ne l’étaient en réalité. Objectivement, les trois guêpes ne présentaient pas vraiment de danger pour Zach et Zorian, mais les voir serrer les hampes de leurs armes avec nervosité leur rappela durement qu’ils n’avaient pas affaire à des créatures simplement dotées de conscience, mais qui savaient construire et utiliser des outils. Par défaut, les créatures dotées d’une conscience basique n’employaient pas d’ustensiles, outils ou armes – pas énormément en tous cas. À l’exception des hommes-lézards et de quelques autres espèces particulières, toutes ne vivaient que comme des animaux. Leurs capacités innées étaient assez impressionnantes pour qu’une quelconque technologie leur semblât inutile à souhait. Pourquoi utiliser une lance lorsque vos griffes étaient plus létales ? Pourquoi s’abriter du froid et de la pluie dans une maison lorsque vous ne les ressentiez qu’à peine ? Les Sulrothums, en revanche, s’embêtaient à fabriquer outils et habitations, afin de tirer parti de leurs affinités naturelles, les rendant plus effrayants à affronter qu’ils n’auraient dû l’être autrement. Zach et Zorian ne les prenaient pas à la légère.

— Salut, les héla ce dernier, laissant paraître autant d’amabilité que possible lorsqu’on se trouvait au milieu d’un trio de guêpes intelligentes et géantes, sans oublier agressives pour clôturer le tout. Me comprenez-vous ?

Il espérait vraiment que ce fût le cas. Les Sulrothums s’assuraient généralement de posséder quelques individus capables de comprendre les langues humaines, mais cette tribu-là vivait à une distance conséquente de toute puissance humaine majeure, et il était tout à fait possible qu’ils ne s’en souciassent pas. S’ils s’avéraient ignorant d’une langue commune ou ne comprenaient qu’un dialecte que Zorian était incapable de leur rendre, il y allait y avoir un souci. La communication télépathique avec des êtres qui ne parlaient pas un medium commun était brut, brutal et souvent très déplaisant, encore plus si la perception du monde de l’un était si éloigné de celle de l’autre que pouvaient l’être celles des guêpes et d’un humain.

Les trois créatures se mirent à discuter entre elles de façon effrénée, échange ponctué par des vibrations occasionnelles de leurs ailes et autres mouvements fous des antennes. Néanmoins, les trois Sulrothums ne prirent pas la peine de se faire face pour ce faire, leur attention toujours fixée sur Zach et Zorian, sur qui les pointes des lances étaient toujours dirigées. Finalement, celui de gauche s’avança d’un pas avant de faire tournicoter son arme de façon théâtrale, pour finir par la planter dans le sol. Il lança ses quatre mains en avant, paumes ouvertes, sans doute afin de montrer qu’il était réellement désarmé.

Et puis ces mêmes mains effectuèrent une série de gestes avant de reculer, l’insecte clairement en attente d’une réaction.

Zorian fronça les sourcils. Était-ce la façon dont les Sulrothums communiquaient habituellement avec les humains ? Ce serait logique, il supposa. La plupart des mages n’étaient pas versés en magie mentale comme l’était Zorian, et la magie ikosienne employait déjà un bon nombre de gestuelles : cette méthode ne pouvait pas être totalement étrangère à la plupart. De plus, les mains des Sulrothums étaient remarquablement similaires à celles des humains, malgré tout ce qui pouvait les différencier à part ça.

— Bon, c’est légèrement problématique, commenta tout doucement Zach, remarque que Zorian ignora royalement.

— Je ne comprends pas, lança Zorian, lentement et à voix haute. S’il te plaît, formule tes phrases dans une langue humaine, dans ton esprit. Je reprendrai à partir de là.

Le Sulrothum s’arrêta net, l’espace de quelques secondes, avant d’aplatir ses antennes dans la direction de son interlocuteur tout en lui sifflant dessus, comme un chat échaudé.

— Je pense que tu l’as un peu énervé, lâcha inutilement Zach depuis le banc de touche.

Ouais. Merci, Zach. On va aller loin, grâce à toi.

Le Sulrothum baissa la main et attrapa l’un des objets qui pendaient à sa ceinture – un petit sac d’os et d’herbes, enlacés dans du cuir de serpent. Tous trois possédaient une babiole du genre, mais jusqu’alors, Zorian n’y avait pas prêté plus attention que ça. Dans tous les cas, la guêpe humanoïde géante commença à agiter l’objet dans tous les sens entre eux deux, comme s’il tentait de se protéger de la magie mentale de Zorian. Malheureusement pour lui, ce truc n’allait rien faire du tout, pour autant que Zorian pouvait en juger.

Celui-ci fut mystifié par l’action, mais il réalisa bien vite qu’il s’agissait sans doute là de l’équivalent des remèdes de grand-mères, ce genre de petit bidule dont l’efficacité n’était plus à prouver, mais qui ne fonctionnait en réalité pas du tout.

— Je ne te veux aucun mal. Sérieusement, reprit Zorian, aussi calmement qu’il pouvait le faire.

Cela ne sembla pas aider des masses. Le Sulrothum en face de lui se mit à agiter son charme plus violemment, et les deux autres se montraient moins sereins qu’auparavant, eux aussi.

— D’ailleurs, continua-t-il, vos pensées sont en sécurité ! Je ne peux que voir et comprendre ce que vous formulez en langue humaine, rien de plus.

C’était bien vrai. Alors que Zorian pouvait bel et bien s’introduire dans les esprits des insectes, même leurs émotions les plus simples seraient un véritable charabia à décoder, sans même parler de pensées construites. S’il voulait être capable de lire leurs esprits de façon efficace, il allait d’abord devoir investir des mois de travail, peut-être des années, un peu comme il l’avait fait avec les Aranea. Et ils n’avaient pas le temps pour ça.

Le Sulrothum en face de lui resta silencieux, l’espace d’un instant. Puis, semblant réaliser soudainement que son charme magique n’avait pas l’effet escompté, il le raccrocha subtilement à sa ceinture et se redressa, prenant par là une position plus sûre, plus affirmée.

[Parle,] lui annonça-t-il en pensée.

— Bien, acquiesça Zorian. Tout d’abord, laisse-moi nous présenter. Je m’appelle Zorian, et voici Zach. Puis-je savoir à qui j’ai affaire ?

[Non,] lui répondit-il sèchement.

Putain. Quelle misère.

[Je ne te donnerai pas mon nom, sorcier,] lui lança la guêpe démoniaque pour s’expliquer. [Tout le monde sait que les noms ont un pouvoir, et que vos semblables peuvent les utiliser contre nous.]

Hein ? Alors ça, c’était une nouveauté, même pour Zorian.

Bon, peu lui importait. Il allait simplement nommer ce type « Bzz Bzz le tueur » pour l’instant, dans ce cas.

— Nous désirons traverser votre territoire, et souhaitons présenter des offrandes à vos dirigeants, expliqua Zorian à son tour – bien sûr, il ne mentionna pas la possibilité de fouiller la ziggourat, car rien qu’y pénétrer de façon banale les informerait déjà suffisamment ; au moins, ils découvriraient si ce qu’ils cherchaient s’y trouvait.

[Hors de question,] répliqua Bzz Bzz le tueur d’un air résolu. [Vous n’êtes pas de la tribu.]

— N’acceptez-vous pas des invités dans votre demeure ? s’étonna Zorian. Je sais que nous sommes différents, vous et nous, mais il existe certainement une tradition vous permettant d’héberger les voyageurs, de faire preuve d’hospitalité ?

Les mains du Sulrothum vibrèrent légèrement, faillirent s’exprimer à la manière habituelle. Il se reprit immédiatement et forma laborieusement des pensées que Zorian pouvait comprendre. Il parlait un étrange dialecte d’Ikosia, peut-être une version archaïque de quelque chose de local, mais Zorian était désormais assez bon en dialectes de Xlotic, et pouvait assez bien deviner ce que signifiaient les mots. Qu’ils n’eussent pas une discussion des plus intelligentes aidait pas mal également.

[Un sage ne laisse pas les étrangers entrer dans sa demeure si facilement,] se mit à sermonner Bzz Bzz le tueur. [Il nous faudrait être sûrs que vous êtes amicaux envers ma tribu. Les signes doivent être consultés, des rituels menés.]

— Je… vois, comprit Zorian d’un ton hésitant. Et combien de temps cela prendrait-il ?

[Des jours,] rétorqua l’autre ; peut-être Zorian se trompait-il, mais il détecta une note d’hypocrisie dans cette dernière pensée.

Zorian resta alors silencieux, réfléchissant à la situation. Quelques questions de plus au sujet des signes et des rituels lui révélèrent qu’il n’en apprendrait pas plus, ce qui lui fut dit se limitant à de vagues explications sans suite, tout étant gardé très secret et ne pouvant être révélé à des étrangers, apparemment.

Sa conversation mentale fut cela dit interrompue par un message télépathique provenant de Zach. Il n’était pas un psychique comme l’était Zorian, mais la télépathie n’était pas au-delà des limites des mages normaux – et n’était simplement jamais usitée car trop coûteux en concentration, après un long entraînement. De plus, grâce à l’aide extensive d’Alanic au sujet de ses défenses mentales durant la dizaines d’itérations précédentes, Zach avait perdu quelque peu de sa paranoïa au sujet de la magie mentale, se permettant même d’échanger des pensées silencieuses avec Zorian quand le besoin s’en faisait sentir.

Et puis, peut-être qu’un jour ou l’autre, il permettrait à Zorian d’examiner son esprit d’une façon plus poussée, afin de potentiellement trouver des traces laissées par Robe Rouge…

[Je suppose que les choses se passent mal ?] demanda-t-il.

[Difficile à dire,] fit Zorian en haussant mentalement les épaules. [Strictement, il n’a pas dit non, juste que ça nécessiterait beaucoup de temps et d’efforts, et probablement des pots-de-vin, si nous désirons entrer chez eux… mais je ne sais pas.]

[Huh. Très bien,] lâcha Zach.

— Eh, mon grand, annonça-t-il alors, forçant les trois Sulrothums à tourne la tête vers lui. Sois honnête. Tu n’as pas vraiment l’intention de nous laisser rencontrer ton boss, hein ?

Bzz Bzz laissa ses ailes vibrer de toute leur splendeur à plusieurs reprises, comme s’il regardait Zach de haut. Puis, il forma une nouvelle fois des mots, au sein de son esprit.

[Il n’est pas de mon rôle de décider cela. Mais je ne pense pas. Nous voyons clair dans vos complots. Vous êtes dangereux et fourbes, et désirez cet endroit depuis toujours. C’était le vôtre, par le passé, et vous être incapables de vous faire à l’idée qu’il a changé de propriétaire.]

Toute potentielle tentative de discussion fut immédiatement scellée : Zach et Zorian remarquèrent un nuage noir à l’horizon. Il y avait au bas mot vingt guêpes en approche.

[Je vous conseille de faire demi-tour et de quitter cet endroit,] les prévint le Sulrothum, bien plus confiant désormais. [Vous n’êtes pas les bienvenus ici.]

Silencieusement, Zach et Zorian se mirent d’accord. Un regard en décida plus long que de longues paroles. Tous deux firent immédiatement pleuvoir un déluge de sorts offensifs sur les trois insectes en face d’eux.

Leurs ennemis réagirent prestement, s’étant probablement attendu à ce que les hostilités éclatassent sous peu. Bzz Bzz le tueur sortit sa lance du sol et chargea droit sur eux en leur offrant un puissant grincement de bataille ; les deux autres attrapèrent les javelots dans leur dos. Aucun d’eux n’accomplit son but – une vague massive de force mentale ainsi qu’un violent courant d’air tranchant s’écrasèrent sur le groupe, les envoyant voler comme autant de fétus de paille. Un humain se serait alors retrouvé broyé, déchiqueté et… mort, pour ainsi dire, mais les Sulrothums survécurent à peu près intacts.

Avant qu’il ne pussent se réorganiser, Zorian leur lança une paire de javelots de force, chacun d’eux capable d’infliger une quantité de dégâts différente. Le but de ce petit combat n’était pas tant de les tuer – ils auraient pu le faire lors de leur salve initiale s’ils l’avaient souhaité – mais plutôt de se familiariser avec les défenses de ces bestioles, afin de pouvoir les intimider et les forcer à négocier lorsqu’ils reviendraient, plus tard. Gardant ça à l’esprit, Zach et Zorian balancèrent les trois pauvres Sulrothums dans tous les sens comme des poupées de chiffon, brisant leurs ailes, arrachant leurs membres et s’assurant que le groupe ennemi en approche pût être témoin de la puissance extravagante qu’ils pouvaient utiliser.

Finalement, lorsque la nuée arriva sur place, il fut temps de déguerpir. Zach et Zorian encaissèrent facilement une salve de javelots rien que par arrogance, pour bien leur montrer qu’ils en étaient capables, puis se téléportèrent.

Et ils reviendraient.

Avec une armée.

 

___

 

— Bien, maintenant que tout le monde est là, nous pouvons officiellement commencer, annonça Zorian en leur lançant à tous un regard de principe. Je sais que certains d’entre vous ont… quelques réticences à travailler ensemble, mais ça représente énormément pour nous, que vous soyez prêts à vous montrer coopératifs malgré ça.

Il observa Alanic et Lac d’Argent tout en prononçant ces derniers mots, naturellement la cible de ceux-ci.

Après que le prêtre eût brusquement quitté les lieux la fois précédente, la réunion avait rapidement prit fin. Il était juste anormal de continuer la discussion sans une personne aussi cruciale que lui, et ils avaient fini par passer un moment à former la sorcière en toute hâte sur les plans et les activités prévus.

— Je ne sais pas de quoi tu parles, gamin. Personnellement, j’ai trouvé que la fois passée était amusante, rétorqua-t-elle. Ce n’est pas ma faute si Alanic a décidé de se montrer puéril pour une raison qui m’échappe. Vraiment, on pourrait penser qu’un homme adulte tel que lui saurait se montrer en paix avec son passé, après tout ce temps. Sans parler de —

— Stop, l’interrompit Zorian dans un long soupir découragé. Nous sommes ici pour parler de Quatach-Ichl et la manière de l’affronter, ok ? Laissons les discussions personnelles pour une autre fois.

Et préférablement jamais. Il lança un regard reconnaissant à Alanic, qui n’avait pas mordu à l’hameçon lancé par la sorcière, ce qui avait permis de ne pas embraser une nouvelle altercation. Il avait simplement fait mine de ne ni voir ni entendre la vieille, comme si elle n’existait pas.

— En effet, nota Xvim tout en tapotant la table du doigt, de façon spéculative. Je suppose que tu as déjà un plan ?

— Simplement les prémices, répondit Zorian. Nous avons définitivement besoin de le surprendre, et de préférence à la toute fin du mois. Ses mouvements se font bien plus prévisibles à ce moment, lorsque l’invasion approche et que la plupart des ressources ibasiennes sont déjà réparties, ce qui signifie que Quatach-Ichl aura du mal à rassembler ses sous-fifres afin de le défendre, ou de les envoyer à notre poursuite si nous parvenons à récupérer sa couronne. Quant à l’exécution de l’embuscade en elle-même… Eh bien, nous voulions d’abord tenter de le capturer à l’aide d’une balle trancheuse d’âme, ce qui pourrait mettre un terme au combat immédiatement.

— Trancher le lien de l’âme… C’est ce que tu as utilisé par le passé pour l’anéantir, oui ? demanda Xvim. Cette pièce ?

— Je ne parviens toujours pas à croire que ça ait fonctionné, soupira Kael. J’ai été obligé de relire cette partie des notes à plusieurs reprises pour être sûr que je ne rêvais pas. Je ne sais pas ce que mon incarnation précédente avait dans la tête, à t’envoyer l’affronter, armé de… ça. Ça n’aurait jamais dû marcher.

— C’était une victoire chanceuse, admit Zorian. Il s’est laissé avoir simplement parce qu’il ne me voyait pas comme une menace, et a décidé d’attraper l’objet avec sa main, au lieu de le dévier ou de s’en défendre. Je doute que je puisse recréer une telle situation volontairement, et il n’y a pas moyen qu’une piécette passe à travers ses défenses au beau milieu d’un combat.

— Ouais, c’est clair, confirma Zach. J’ai tenté de lui en foutre dans la gueule par le passé, tout un tas de trucs. Il ne prend rien à la légère lorsque tu le combats. Il ne laissera pas intact la moindre mouche qui vole près de lui d’un air inoffensif. Il renvoie souvent à l’envoyeur d’un simple geste de la main, d’ailleurs. Il est vraiment doué en matière de télékinésie déstructurée.

— Je ne suis pas sûr de comprendre comment vous voulez rendre cette manœuvre possible, avoua Xvim. Les circonstances habituelles mises à part, tu as utilisé un art élémentaire de magie de l’âme pour défaire une liche. Les liches sont célèbres pour leur compétence à se montrer compliquées à affronter, leur malice et leurs stratagèmes sournois. Comment une liche de plus de mille ans a-t-elle pu se laisser avoir si facilement ?

— Parce que le petit sort de Kael n’a pas exilé l’âme de la liche, intervint Lac d’Argent. Les propres défenses de son âme l’ont fait. On pourrait s’imaginer qu’être vulnérable à un petit truc pareil est une faiblesse, mais imaginez un instant : et si la piécette utilisée par le gamin avait été une jarre de capture d’âme ?

— Son âme se serait fait piéger, et le phylactère aurait été inutile, acquiesça Xvim. Je vois. Ainsi, les liches telles que lui rendent leurs défenses incroyablement sensibles afin que la moindre perturbation au niveau de leur âme renvoie cette dernière à leur phylactère.

— Précisément, confirma Alanic. Perdre un corps et tout ce qu’il y avait dessus est un sale coup, c’est certain, mais incomparable à voir son âme capturée.

— La plupart des gens ne portent pas un artefact divin comme la couronne du premier empereur, nota Zach.

— Je suis certain que Quatach-Ichl est persuadé de pouvoir récupérer la couronne de quiconque l’a récupérée de son… euh… corps, jugea Zorian. Et connaissant sa puissance, je pense qu’il n’est pas loin de la vérité.

— D’ailleurs, quel est l’intérêt de posséder ce genre d’objets magiques si l’on ne peut pas les utiliser par peur de les perdre ? se moqua la sorcière. Si je portais une super couronne magique… si j’en possédais une… je me prendrais pour une princesse, comme j’y jouais quand j’étais… erm… gamine.

— Les fantaisies infantiles mises à part, j’aimerais vous rappeler à tous que les liches sont automatiquement de puissants mages de l’âme, et peuvent ajuster lesdites défenses rapidement et avec précision, marmonna Alanic. Si vous espérez bannir Quatach-Ichl vers son phylactère, il n’y aura qu’une seule chance par itération. Que ça réussisse ou pas, la liche se montrera prudente envers ce genre de plans, et prendra des précautions pour que ça n’arrive plus.

— Et pourquoi ne pas aller encore plus loin et fabriquer une jarre de capture d’âme ? proposa Kael. Je veux dire, la dernière fois que Zorian a tenté le coup, il n’avait que moi et je… suis un débutant en la matière. Avec Alanic et Lac d’Argent présents… eh bien, ils sont très certainement des mages de l’âme très capables, alors peut-être sont-ils aptes à créer quelque chose de dangereux ?

Les deux intéressés échangèrent un regard rapide et complexe avant de se concentrer à nouveau le le Morloc.

— Non, soupira le prêtre en secouant tristement la tête. Tu surestimes vraiment nos compétences. Excepté la destruction du phylactère, le plus grand danger pour une liche et de voir son âme capturée. Les liches consacrent un temps conséquent et une énorme partie de leur énergie à s’assurer que ce genre de situation ne puisse pas se produire, sous aucune circonstance, en aucun cas. Un monstre ancien et aussi expérimenté que celui-là…

— Le seul moyen réaliste de s’occuper de lui, c’est de détruire son phylactère, termina la sorcière. Rien d’autre ne fonctionnera.

— Je vois, chuchota Karl, soumis aux faits.

— Si tant de mages cherchent à atteindre le statut de liche, ce n’est pas sans raison, nota-t-elle ensuite. Pour autant que les méthodes pour devenir immortel existent, posséder votre propre biais de résurrection est un gigantesque atout, difficile à battre.

— Devenir un mort-vivant n’est pas vraiment… être immortel. Il s’agit là d’une simple réflexion déformée d’une telle réalité, condamna Alanic.

Lac d’Argent renifla froidement dans sa direction, mais ne répondit rien, l’argument étant compliqué à contredire – au lieu de ça, elle se tourna vers les adolescents et les observa en silence.

— Quoi ? avança Zach.

— Vous deux, avez-vous déjà seulement songé à simplement… détruire son âme ? Vous savez, le truc qu’a employé Robe Rouge sur les Aranea. Cela résoudrait le problème d’une façon radicale et propre, imbattable. Même lui ne pourrait rien y faire. Et pas uniquement dans cette itération, mais dans toutes celles à venir également.

— Nous y avons pensé, en effet, répondit Zach en hochant lentement la tête. Et en conclusion, nous devons nous montrer très prudents à ce regard. Les migraines que nous a filées Veyers nous ont appris qu’une personne se trouvant derrière des barrières lourdes est essentiellement introuvable. Si nous cherchons à bannir son âme et qu’il s’avère qu’il commence chaque mois derrière des protections de malade, dans un lieu que personne ne connaît, le couronne pourrait aussi bien nous être inaccessible pour de bon. À jamais.

— Hmm, huma la sorcière. Vous devriez vraiment tenter de traquer ses mouvements et trouver ses bases, un de ces jours…

— Je vais devoir me montrer d’accord sur ce point, renchérit le prêtre. Je sais que vous avez dit avoir assez enquêté à ce sujet, mais même une toute petite chance supplémentaire de se débarrasser d’une ancienne liche serait suffisante pour y investir plus d’efforts. C’est probablement la meilleure chance que vous ayons de pouvoir trouver son phylactère dans un futur proche.

— C’est plus facile à dire qu’à faire, contra Zach en secouant la tête.

Un silence lourd s’abattit sur cette réflexion, uniquement brisé par la sorcière qui finit par se racler la gorge afin d’attirer l’attention du groupe.

— De toute façon, j’ai effectué des recherches de mon côté, après que vous m’ayez expliqué la situation… Je pense que j’ai trouvé quelque chose qui pourrait vous aider à abattre la liche, dit-elle fièrement, tirant dans le même mouvement un vieux parchemin effrité de son sac.

— Oh ? s’illumina Zach avec impatience. J’écoute.

— Il s’agit d’un piège à âmes qui empêche justement les âmes d’échapper hors d’une zone, continua-t-elle dans sa direction.

Zach l’attrapa, le laissant presque tomber après ne s’être pas attendu à ce qu’elle le lui lançât directement de la sorte.

— Pour un mort-vivant tel que lui, reprit-elle aussitôt, ça lui interdit de retourner à son phylactère tant que la barrière n’est pas levée. Si vous pouvez l’attirer dans ce champ, cela lui posera de gros problèmes, au minimum. J’ai entendu qu’il adore se déplacer autour du champ de bataille et adore battre en retraite pour frapper à nouveau, plus tard. Cette barrière n’est pas aussi évidente à détecter qu’un champ de force anti-téléportation, mais achève clairement le même résultat sur les liches.

Huh. Mais c’était que ça avait l’air vachement utile contre Quatach-Ichl, tout ça.

— Quoi qu’il en soit, j’aimerais vous rappeler que je serais très peu utile dans la bataille contre un adversaire aussi puissant que lui, mais je peux aider à préparer le terrain avant, continua-t-elle encore. Mis à part le sort que je viens de vous donner, j’ai encore quelques autres surprises dans ma manche, bien qu’aucune aussi efficace que celle-là. Et tandis que Zorian est sans doute un meilleur mage de champ et de protections que moi, il ne possède pas d’expérience en ce qui concerne ces sorts particuliers.

— Je vais probablement accepter cette offre, répondit directement Zorian, qui s’attendait déjà à ce que le mois en cours fût bien rempli par leurs préparatifs, et pour qui la moindre chance de délester certaines de ses responsabilités sur une tierce personne était la bienvenue. Chaque petite aide prouvera son utilité, j’en suis sûr. Quant à Xvim et Alanic, j’espère que vous deux allez nous épauler contre la liche si l’embuscade échoue.

— Elle échouera sans doute, nota Zach.

— Silence, enfant, siffla la sorcière. Souhaites-tu maudire cette opération avec de telles paroles ?

— Je suis simplement réaliste, fit Zach en haussant les épaules. J’ai affronté ce mec plus que quiconque ici présent, et je sens dans mes tripes qu’il faut se montrer un peu pessimiste. De toute façon, j’ai moi aussi une suggestion. Je pense que j’ai une idée que nous pourrions mettre en œuvre afin de nous préparer pour cette embuscade.

— Et ce serait, monsieur Noveda ? le poussa Xvim en levant la main pour l’inciter à continuer.

— Un combat d’entraînement ! s’écria-t-il dans un large sourire. Je jouerai le rôle de Quatach-Ichl et vous tenterez de coopérer et de me soumettre par la force. Bien entendu, je ne suis pas une liche de plus de mille ans, possédant puissance et expérience, mais je suis récemment devenu capable de créer mes propres simulacres, alors il n’y aura pas de danger. Vous pouvez voir ça comme un combat contre une liche au rabais, si vous voulez.

Zorian frémit légèrement à cette description. C’était une si mauvaise idée

— Zach, protesta-t-il. Il n’existe pas de champ de force capable de retenir le niveau de destruction qu’un tel comb —

— Je pense que ce serait une excellente idée, le coupa soudain Alanic, ce qui lui valut le regard le plus étrange que Zorian avait lancé depuis longtemps. J’aimerais également inviter Lac d’Argent à participer à ces exercices. Même si elle ne compte pas prendre part au vrai combat, ce genre de combats factices l’aiderait certainement à lui faire prendre conscience de la réalité de la chose, et à remettre les choses en perspective, afin de l’aider à affiner ses préparatifs…

Oh, allez !

— Ce qui signifie ? le contra-t-elle avec un soupçon d’agressivité à peine dissimulé, tous deux se lançant des éclairs figuratifs avec les yeux tandis que l’humeur de Zorian se désagrégeait à vue d’œil.

[J’espère que tu es content de toi,] envoya ce dernier à son compère voyageur temporel.

[Ce sera génial, tu verras,] lui répondit simplement Zach, totalement dénué de remords.

Zorian observa le prêtre et la sorcière, chacun tentant toujours de prendre l’avantage sur l’autre dans un combat de mots. Puis, il tourna les yeux vers Xvim, qui avait l’air de vouloir leur bondir dessus pour les faire taire tous les deux. Kael avait décidé de quitter la pièce à un certain moment, ce qui était probablement malin de sa part. Il était trop faible pour participer à ce genre de combat, même en tant que simple entraînement, et rester en retrait aurait signifié qu’il allait se faire prendre à parti par Alanic et Lac d’Argent.

— Ouais, grommela Zorian pour lui-même. Ce sera génial.

 

___

 

À la fin, malgré le fait que Zorian fût contre, le groupe décida que ce combat aurait lieu, comme Zach le suggérait. Alanic était naturellement totalement pour l’idée, et avait réussi à pousser la sorcière à l’épauler également, au bout du compte. Xvim, bien qu’embêté par le comportement de ces deux-là, jugeait qu’il s’agissait d’une idée sensée… et était probablement curieux quant au niveau réel de Zach et Zorian, pour dire vrai.

Heureusement, l’affrontement n’allait prendre place que quelques jours plus tard, ce qui laissait à Zorian le temps de se pencher sur d’autres problèmes. Principalement, cela signifiait se préparer à attaquer la ziggourat du Soleil. Il devait fabriquer des golems, vérifier le terrain et rassembler des informations sur les Sulrothums. Par chance, Alanic avait accepté de les aider pendant le combat, malgré son désaccord concernant l’inclusion de la sorcière dans le plan global. Combattre des monstres païens qui avait pris possession d’un monument de la Foi, disait-il, était une tâche digne d’un prêtre de guerre tel que lui. Malheureusement, le faire rassembler une armée afin de les assister comme il l’avait fait lors d’une itération précédente était apparemment impossible. Ces personnes acceptaient de participer à des opérations secrètes sur le sol d’Eldemar, mais les faire voyager jusqu’aux confins du désert Xlotic était un plan assurément voué à l’échec. Ils demanderaient des explications et refuseraient de coopérer.

Non, si Zach et Zorian voulaient trouver des gens pour les aider lors de l’assaut contre le bâtiment, ils allaient devoir engager des mercenaires locaux – de préférence d’une région proche. Et puis, ces personnes possédaient des informations de première main sur les Sulrothums et leurs tactiques de combat, pour les avoir affrontés pendant des décennies.

À ce moment, Zach et Zorian étaient assis à une table en plein air, en terrasse de l’une des tavernes les plus en vue de Cyoria, et discutaient du problème. Zorian sirotait lentement son jus de fruit tandis que son comparse avait commandé la plus grosse chope de bière que Zorian avait pu un jour voir servie dans ce genre d’établissement. Il avait d’abord imaginé que Zach allait être incapable de vider ce machin en un temps raisonnable, mais bien sûr, celui-ci faisait tous les efforts du monde pour lui donner tort.

Le contraste entre ces deux-là était probablement des plus amusants pour quiconque les observait.

— Bref, soupira Zorian. L’idée de consulter et engager des mercenaires locaux est bonne, mais il y a toujours des problèmes de langue. Je surnage dans un bon nombre de dialectes Xlotic désormais, et Daimen et ses connections peuvent substantiellement aider, mais ce n’est simplement pas assez si je souhaite embaucher de vrais guides, des érudits, des mercenaires et qu’en sais-je. Je pense que nous allons devoir trouver un vrai traducteur. Je me demande si nous pourrions embarquer Zenomir dans cette histoire…

— Bah. Pourquoi emmener un vieux type comme lui quand on peut avoir une fille canon à la place ? s’étonna Zach. Neolu est native de la région, et je parie qu’elle adorerait louper les cours pour partir à l’aventure avec nous. En fait, je n’ai pas besoin de me le demander… Je sais qu’elle le ferait parce que je l’ai déjà accompagnée quelques fois. Juste… je lui disais que j’étais un voyageur temporel, et je l’emmenais se promener autour du continent. Parfois, d’autres venaient également, mais la plupart n’étaient pas disposés à accepter l’histoire du voyage dans le temps aussi rapidement qu’elle…

— Ah, je me souviens d’elle, répondit Zorian. Et tu dis qu’elle est vraiment facile à convaincre ?

— Clairement, acquiesça Zach. Elle demande une preuve, bien sûr, mais c’est facile à donner. Je sais déjà plus de choses que nécessaire à son sujet pour la convaincre de nous rejoindre. Bien qu’elle puisse peut-être se montrer plus réticente s’il s’agit de partir avec deux garçons à la fois. Je… Erm, j’avais l’habitude de proposer ça de façon plus ou moins romantique, pas comme une transaction commerciale…

Zorian soupira d’exaspération. Mais bon, s’il avait été coincé aussi longtemps que Zach, sans danger évident l’oppressant quotidiennement, n’aurait-il pas fini par faire la même chose ? Il aurait très certainement profité de la boucle temporelle pour se rapprocher d’une ou deux filles…

— Pourquoi n’essayons-nous pas simplement de lui parler, pour commencer ? Avant de prendre pour acquis le fait qu’elle va nous suivre.

— Au moins, elle ne verra pas de souci à nous mettre en contact avec sa famille, fit Zach en haussant les épaules. Ils sont riches, possèdent une puissance non négligeable, et il devrait être possible de s’assurer leur aide, étant donné une certaine crise politique en cours. Nous pourrions proposer de les aider à ce sujet. Nous trouver un traducteur ou deux serait le moins qu’ils pourraient faire.

— Une certaine crise politique ? nota Zorian lentement, sentant déjà les ennuis se profiler.

— C’est une longue histoire, repoussa Zach, comme s’il avait balayé un tas de poussière sous un tapis, avant d’avaler une large rasade de bière – il allait finir complètement ivre avant la fin de la discussion, hein ? Je t’en parlerai plus tard, si Neolu ne te le dit pas elle-même.

— Bonjour, la compagnie. Puis-je me joindre à vous pour quelques minutes ? lança une voix à proximité.

Zach et Zorian furent surpris par cette incartade soudaine. Ils avaient érigé une barrière privée autour de leur table, ce qui était publiquement signe qu’ils ne souhaitaient pas être dérangés. Ils tournèrent la tête vers l’origine de la voix et découvrirent un vieil homme portant un costume haut de gamme. Il n’était pas un employé de la taverne, et ni Zach, ni Zorian ne l’avaient vu auparavant. Il était très étonnant qu’il les eût approchés de la sorte.

Malgré ça, Zorian n’imagina pas une seule seconde qu’il pût s’agir là d’un client curieux.

Après tout, s’il avait été un quidam banal, Zorian aurait été capable de sentir son esprit. Et ce n’était pas le cas. L’homme était totalement fermé à ses sens, comme s’il n’existait pas du tout.

L’Esprit Vide n’était pas un sort des plus simples à lancer, et se trouver sous son effet plaçait immédiatement ce type dans la haute sphère de talent des mages.

Zorian communiqua rapidement avec Zach par télépathie, après quoi ils échangèrent un regard médusé.

— Bien sûr, finir par accepter Zach. Asseyez-vous.

L’étranger leur adressa un sourire confiant, comme s’il avait toujours su que les choses allaient tourner de la sorte. Il attrapa une chaise libre auprès d’une table proche et s’installa à leurs côtés.

Zorian l’observa attentivement, tentant d’embraser le moindre souvenir qui pourrait l’être grâce à l’un ou l’autre trait physique du nouvel arrivant, mais il était peu probable qu’il eût oublié un type aussi inhabituel s’il avait eu un jour affaire à lui. Il arborait une posture très digne, fière, comme une élite née avec une cuillère d’argent dans la bouche, et portait des vêtements immaculés qui renforçait cette impression. Sa peau, plus sombre que les habitants classiques de ce coin d’Altazia, suggérait des origines du sud ; peut-être était-il de Xlotic et son attention avait-elle été attirée par le plus grand des hasards ? Il n’était pas impossible pour un puissant mage de Xlotic de se rendre en Eldemar.

— Merci pour votre hospitalité, dit-il poliment. Je pense devoir me présenter. Je me nomme Saruwata Merenptah et je crains être là pour discuter d’une chose quelque peu… déplaisante. Voyez-vous, j’ai récemment pris note que vous rassembliez des informations sur ma personne et interférez avec mes activités, aussi ai-je décidé de venir aujourd’hui vous voir pour que nous puissions trouver un terrain d’entente, d’une manière civilisée, et tenter d’arriver à une solution pacifique. Je ne pense pas être une personne déraisonnable, après tout.

Quel nom exotique… Il avait définitivement une consonance Xlotic, mais même là-bas, ce nom était sans doute très obscur, Zorian en était sûr. Il ne se souvenait pas avoir un jour interagi avec une personne nommée de la sorte, et il avait une très bonne mémoire grâce à ses pouvoirs mentaux. Le reste de l’histoire, cela dit… De quoi diable parlait-il ? Il offrit à Zach un regard interrogateur, mais son compagnon le lui rendit sans y apporter réponse, tout en secouant la tête. Zorian se tourna alors vers leur invité et lui offrit enfin un air sérieux.

— J’ai peur que vous fassiez erreur, monsieur Merenptah, dit-il calmement.

— Non, non, je ne crois pas, répliqua celui-ci sur un ton assuré. Mon nom ne vous évoque peut-être rien. J’utilise extrêmement rarement mon ancien nom lorsque j’ai affaire à des gens, et la plupart l’ont oublié. Exactement comme je l’apprécie, pour être honnête.

Zorian fronça les sourcils.

— Comment vous attendez-vous à ce que nous sachions qui vous êtes si vous masquez délibérément votre identité ainsi ? demanda-t-il, sur un ton désormais moins amical.

Il ne le critiquait pas, cependant ; peut-être à cause de la confiance sans défaut dont il faisait preuve, ou peut-être à cause du sort qu’il avait placé sur son esprit et qui n’avait pas l’air de l’affecter outre mesure, mais il commençait à vraiment se dire qu’il n’appréciait pas ce Saruwata Merenptah. Il remarqua également que l’âme de l’homme était notablement stable, totalement dénuée de perturbation, comme une flamme solidement retenue dans un écrin. Pas la moindre vague n’animait sa surface tandis qu’ils discutaient, ce qui signifiait qu’il était un mage de l’âme du plus haut degré : même Alanic n’était pas capable de cet exploit.

— Ha ha ! s’esclaffa soudain l’étranger, son âme toujours parfaitement calme malgré son amusement évident. Alors vous dites que vous ciblez tant de victimes que vous en venez à ne pas savoir laquelle je suis parmi elles ? Intéressant, intéressant…

Sur le visage de Zach apparut une étrange grimace.

— Monsieur Meruptah, je commence à me dire que vous cherchez à vous battre… et sans doute vous faire rosser.

— Si je vous dis que je traîne en ce monde depuis un moment déjà, cela vous aiderait-il ? proposa-t-il, un ricanement léger aux lèvres.

Un maître mage. Incroyablement doué en magie de l’âme. Venant de Xlotic. Quelqu’un à qui ils s’intéressaient. Très vieux… Plus vieux qu’il n’en avait l’air ? Une fausse apparence ? Un nom obscur, que les gens ne portaient plus à cette époque… Un nom archaïque ? Assez vieux pour…

Putain.

Zorian déglutit bruyamment.

— Quatach-Ichl, souffla-t-il.

Le sourire de son interlocuteur ne vacilla pas une seule seconde. Au lieu de ça, une lueur verte traversa son visage, révélant le crâne noir d’une liche millénaire. Moment qui passa en un éclair, et qui ne laissa à nouveau que chair et peau, égal à ce masque factice qu’il portait jusqu’alors.

— Je suis si agréablement comblé de traiter avec des personnes intelligentes, assura-t-il en s’appuyant confortablement contre le dossier de sa chaise. Cela rend les choses tellement plus faciles. Alors… Pensez-vous être prêts à discuter ?

Raka
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11 thoughts on “MoL : Chapitre 80

  1. D’abord merci pour ta reprise qui fais plus que plaisir mais alors la je dis non ! Tu peu pas nous laisse sur une fin comme celle là !

  2. Merci pour le chapitre. Est-ce que tu comptes rester sur un rythme de 2 chapitres/semaine ou est-ce juste pour la reprise ?

    1. Je vais me concentrer sur MoL, le plus souvent possible, 1, 2, 3, 4 par semaine, qui sait.
      Ensuite, on verra par quoi je continue. Je veux finir cette série.

  3. Merci pour le chapitre et du coup je m’étais remis à l’anglais pour lire la fin mdrr et je l’avais terminé mais ça plaisir de te revoir Raka et de le relire cette fois en français

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