MoL : Chapitre 86
MoL : Chapitre 88

Chapitre 87 — Agents de la couronne

 

Loin dans les jungles de Koth, dans ce qui n’était autrement qu’un commun amas de forêt tropicale, quelque chose se passait. Les arbres vibraient, les animaux évacuaient la zone, paniqués, et le sol était pris de spasmes à chaque fois qu’une hydre géante et furieuse y posait une patte, à la poursuite de sa cible. Ses huit têtes tendues mordaient et hurlaient dans toutes les directions, en direction de tout ce qui parvenait à échapper à leur allonge, brisant des branches par centaines et tuant toutes les créatures incapables de fuir à temps.

Quant à Zorian, sa cible, il se contentait de courir tout en l’évitant, émerveillé par la vitesse incroyable que le monstre pouvait atteindre au beau milieu de cette végétation dense. Il s’était dit que sa taille l’empêcherait de manœuvrer suffisamment bien pour le rattraper facilement, et il avait clairement sous-estimé le gardien de l’orbe et sa capacité à ignorer ce qui se trouvait face à lui et se contenter de tout écraser sur son chemin. Si Zorian ralentissait, il était cuit.

Un œil ectoplasmique, bleu et transparent, talonnait Zorian, flottant juste derrière sa tête en toutes circonstances afin d’observer l’hydre. C’était à travers cet organe magique que Zorian était capable de surveiller sa poursuivante sans pour autant avoir besoin de se retourner, et qu’il pouvait éviter ses attaques tout en allant de l’avant. Autrement, s’il avait été forcé de courir à l’aveugle ou de ralentir périodiquement pour se retourner, l’hydre l’aurait déjà attrapé une centaine de fois. Bien que le sort en lui-même fût très simple, très peu de gens étaient capables de traiter l’information d’une source externe de la sorte, tout en manœuvrant au travers d’une jungle traître et pleine d’obstacles. C’était la preuve que ses expériences sur les améliorations mentales portaient leurs fruits.

La débandade les conduisit près d’un vieux tronc pourri, tombé depuis longtemps et couvert de mousse et autres champignons. Sans ralentir le moins du monde, l’hydre tendit une de ses têtes et y planta ses dents, comme elle le faisait avec bon nombre d’obstacles. Elle le souleva et le lança en direction de Zorian. Une demi-douzaine de mille-pattes monstrueux et un écureuil terrifié en sortir alors qu’il volait dans les airs, après s’y être cachés en remarquant l’arrivée de l’hydre au loin. Zorian réagit instantanément, matérialisant une énorme main rouge translucide qui frappa le projectile pour l’envoyer bouler. Le tronc percuta un arbre, sur lequel il explosa en une pluie d’échardes et autres poussières. Zorian et l’hydre chargèrent tous deux à travers ce nuage de fumée et de débris, l’un à l’aide d’un bouclier magique, l’autre en n’en ayant strictement rien à faire.

— Zach, qu’est-ce que tu fais, merde ?! cria Zorian. Je cours depuis des lustres, là ! Tu as compris comment fonctionne la dague, oui ou non ?!

Zach qui les poursuivait en prenant de temps en temps une pose ridicule en direction du monstre pour essayer de faire fonctionner la dague, fit une pause suite à cette question.

— C’est compliqué, ok ?! renvoya-t-il sur le même ton.

— J’arrive à court de mana, là ! rappela Zorian. Si tu n’y arrives pas bientôt, j’arrête tout !

En vérité, l’hydre ne présentait qu’un danger minime aux yeux de Zorian. Si la situation tournait vraiment mal, il pourrait simplement se téléporter ou s’envoler hors de portée. Cependant, cela la laisserait libre de se retourner et porter toute son attention sur Zach, ce qui anéantirait le but de toutes cette opération. Conduire l’hydre à le chasser à travers la jungle devait uniquement servir à Zach à comprendre comment activer la dague sur le monstre. Et apparemment, ça ne se passait pas très bien.

Oh, bah. D’un autre côté, si Zach ne pouvait pas découvrir ce qu’il cherchait à temps, ce serait au tour de Zorian ensuite. Ce dernier aurait d’ailleurs préféré inverser les rôles dès le départ, puisque Zach et lui avaient décidé que quiconque parvenait à dompter l’hydre en serait le propriétaire. Il avait confiance en ses chances, car contrairement à Zach, il pouvait analyser l’âme et l’esprit de l’hydre. Cela lui permettrait sûrement de —

— Hydre ! hurla Zach, d’un seul coup, pointant son arme d’un air dramatique vers la bête. Je suis ton maître, maintenant ! Agenouille-toi devant moi !

Pas moins de trois tête se tournèrent vers lui pour jeter un œil à cet idiot qui s’égosillait dans la jungle, en lui offrant un regard empli de haine et de dédain, avant de se reconcentrer sur Zorian.

Mais avant que ce dernier pût dire quoi que ce fût, Zach se téléporta soudain sur le dos de l’hydre, et plongea la dague au milieu de son dos.

Zorian voulu crier à son compagnon à quel point il était un imbécile. Non seulement Zach s’était-il révélé et exposé à un danger incroyable, les têtes de l’hydre pouvant se tordre et frapper l’endroit où il se trouvait, mais il avait également rendu caduque tous les efforts précédents de Zorian, en lui volant le centre d’attention. Même si Zach s’en sortait indemne – et ç’allait probablement être le cas, en toute honnêteté – l’hydre ne se permettrait plus de l’ignorer.

En effet, au moment où Zach était apparu sur son dos, avant même de la frapper de sa dague, le monstre avait déjà cessé de courir, ses huit têtes se tournant vers cette soudaine nouvelle menace. En revanche, au moment où l’arme plongea dans sa chair, quelque chose d’étrange se produisit. Au lieu d’ignorer cette blessure insignifiante et d’attaquer son agresseur, l’hydre se raidit et se paralysa. Ses têtes cessèrent de bouger, les mâchoires toujours ouvertes vers une morsure mortelle, observant Zach avec un mélange d’incompréhension et de confusion.

— Pas moyen… se plaignit Zorian.

— Ha ha ! se mit à rire Zach, en sortant la dague de la plaie, qui se referma aussitôt.

Le dos de l’hydre n’était pas le plus stable des sols, il faillit perdre l’équilibre et dut prendre quelques secondes pour se stabiliser en se redressant. L’hydre resta totalement immobile pendant ce temps. Zach tapota sur la tête la plus proche, joyeusement.

— Qu’est-ce que je t’avais dit, hein ? Je suis ton maître. Agenouille-toi.

Son ordre sembla tirer l’hydre de sa paralysie. Sans hésiter, elle se laissa choir au sol. Étant une forme de vie quadrupède, s’agenouiller n’était pas vraiment le bon terme ; au lieu de ça, le monstre se retrouva sur le ventre, ses têtes baissées jusqu’au sol. Ce mouvement soudain fit basculer Zach, le faisant tomber jusqu’au sol, où il s’écrasa dans un bruit sourd, ce qui lui valut une minute à rouler au sol après avoir percuté un caillou.

Zorian observa l’hydre. Il décida de ne pas approcher pour l’instant. Elle ne l’attaquait plus, certes, mais il sentait que ça pourrait changer rapidement s’il s’approchait trop près de son nouveau maître.

— Pas moyen, ça ne pouvait pas être ça, la phrase magique ? finit-il par demander.

— Ugh, merde, ça fait trop mal, geignit Zach en se levant laborieusement et faisant de son mieux pour s’épousseter afin de se débarrasser des branches mortes et des feuilles collées dans ses cheveux. Et non, ça n’avait rien à voir avec la phrase. Pour activer la dague, il faut d’abord se couper soi-même, puis blesser l’hydre afin de forger un lien, une résonnance.

Zorian l’observa d’un air curieux.

— Comment diable as-tu pu découvrir ça ?

— Je… euh… Je me suis coupé par accid… Oh, ça n’a pas d’importance, quoi ! Je l’ai découvert tout seul !

Zach se tourna vers l’hydre, dont les nombreux yeux suivaient les mouvements de son nouveau maître avec diligence.

— Peu importe, ajouta-t-il. Peu importe la façon dont je l’ai découvert. Ce qui compte, c’est que cette hydre est maintenant à moi ! Enfin, à nous, mais tu sais…

— Ouais, ouais, je sais, fit Zorian d’un air contrarié en claquant sa langue, quoi que s’il avait normalement été vraiment offusqué par cette situation, il se disait pourtant que c’était pour le mieux : il n’était pas certain qu’il aurait trouvé la solution lui-même, étant bien moins maladroit que Zach.

Il tâta légèrement l’esprit de l’hydre. Il s’attendait à trouver une entité peu satisfaite d’avoir été réduite en esclavage de la sorte, mais découvrit que le monstre était plutôt curieux. Confus et légèrement apeuré, mais principalement curieux. L’hydre ne semblait pas arborer le moindre sentiment négatif envers Zach. Zorian n’avait jamais entendu parler d’une méthode de contrôle directe si efficace et directe, et l’hydre devait pourtant être au moins légèrement résistante à la magie mentale, à cause de sa condition particulière. Quelque part, Zorian avait l’impression qu’il s’agissait plus que de simple contrôle. D’une certaine façon, l’hydre était conditionnée pour accepter un lien forgé par la dague comme légitime et inviolable, et au lieu de lutter, elle l’acceptait de tout son cœur.

Zorian était déchiré. Impressionné par le créateur de la dague, et dérangé par le fait qu’une telle chose fût possible.

Dans tous les cas, l’amitié de l’hydre n’allait que vers Zach. Au moment où Zorian s’approcha, la bête sauta sur ses pattes et s’interposa, crachant et sifflant, faisant claquer ses mâchoires d’un air menaçant.

— Oh, allez, râla Zorlan. Ce type n’a pas besoin de protection face à moi. À la rigueur, ce serait plutôt moi qui devrais être protégé de lui si nous nous battions…

L’hydre ne comprenait pas le langage humain, et n’aurait probablement pas écouté de toute façon. Ses muscles se raidirent, sur le point de la faire plonger sur Zorian. Zach posa la main sur son flanc et l’arrêta.

— Hé, tu arrêtes ça, lui ordonna-t-il. Ce mec est notre ami, ok ? Pas un ami que tu peux manger.

Il lui fallut quelques cris et gestes pour faire comprendre la situation au monstre, auquel moment celui-ci le regarda d’un air incrédule, comme s’il était incapable de comprendre comment Zach pouvait être ami avec un snack comme Zorian, qui l’avait fait courir pendant presque une heure à travers la jungle comme un idiot.

— Je sais, je sais… Il peut être très contrariant, mais il est très utile et ne nous veut que du bien, expliqua sagement Zach en tapotant gentiment le flanc de l’hydre.

Celle-ci dirigea un dernier sifflement de menace vers Zorian avant de se rasseoir un peu à contrecœur, dans une position qui lui indiquait qu’elle ne lui permettrait jamais de s’approcher sans l’attaquer. Jamais.

Zorian croisa ses bras sur son torse et lança un regard excédé à Zach.

— Ne t’inquiète pas, je suis sûr que vous allez briser la glace avec le temps, lui répondit Zach, en souriant de toutes ses dents. Princesse est juste un peu timide.

Quoi ?

— Q… Quoi ?

— C’est une demoiselle, expliqua Zach en acquiesçant sagement. Je sais, j’ai été un peu surpris moi aussi, quand je l’ai ressenti à travers notre lien et —

— Non, pas ça ! le coupa net Zorian. Tu l’as vraiment appelée Princesse ?! Une hydre ?

— Pourquoi pas ? Qu’est-ce que ce nom a de mal ?

La nouvellement nommée Princesse tourna trois de ses têtes vers Zorian, comme pour le défier de trouver quelque chose à y redire.

Reptile stupide. Ce machin ne comprenait même pas leurs mots, et il trouvait le moyen de soutenir Zach malgré ça.

— C’est un nom stupide, lui dit franchement Zorian.

— C’est un nom génial, désapprouva Zach. Un nom royal pour une fille royale. Elle est la gardienne surpuissante et divinement bénie d’un objet impérial… C’est plutôt noble, si tu me demandes. En plus, tu sais, comme les nobles aiment parler d’eux au pluriel ? Nous ci, nous ça… Eh bien, Princesse peut parler d’elle de la sorte et avoir parfaitement raison ! Alors voilà. C’est en réalité un nom très intelligent et tu as été trop hâtif dans ton jugement.

— Ugh, grogna Zorian. Si telle est ta logique, pourquoi ne pas l’avoir appelée Reine ?

— Parce que Princesse est plus ironique pour une hydre géante, admit Zach en riant.

Zorian passa les quinze minutes qui suivirent à tenter de discuter le problème avant d’abandonner. Il lui fallut une heure de plus pour convaincre l’hydre de retourner dans l’orbe – question de transport – alors qu’elle désirait suivre Zach à la trace comme un petit chien, et trop confuse quant à la raison pour laquelle celui-ci désirait l’abandonner là après avoir lié un lien si important avec elle.

Peut-être que Zach ayant gagné ce petit pari était une bonne chose, après tout…

 

___

 

Après avoir récupéré l’orbe impérial et apprivoisé l’hydre qui le gardait, Zach et Zorian se tournèrent vers les Sulrothum et l’anneau impérial en leur possession. Ils savaient déjà qu’ils pouvaient le voler s’ils lançaient une attaque organisée d’une certaine ampleur, mais cela demandait du temps et des efforts. Bon, la présence de Princesse sur le champ de bataille allait sans doute remplacer un assaut frontal, mais il serait toujours nécessaire d’y consacrer un temps qu’ils auraient bien aimé dépenser ailleurs.

— C’est dommage que Princesse soit trop grosse pour entrer dans les couloirs du Ziggourat, se lamenta Zach. Autrement, on pourrait juste monter sur son dos et charger, écrasant tout ce qui voudrait se mettre sur notre chemin.

— Si notre attaque était si implacable, fit remarquer Zorian, ils prendraient tout ce qu’ils peuvent et fileraient par l’arrière. Ou en l’occurrence, sans doute dans les souterrains, et ce serait une misère ensuite de les retrouver. Sans même parler du ver géant… Nous ne voulons pas avoir à mener une bataille sous terre contre ce truc, même avec Princesse de notre côté.

— Hmpf, renifla Zach. Et pourquoi ne pas juste infiltrer les lieux par ces souterrains, alors ? On pourrait éviter une bataille massive, de cette façon.

— Si tu veux mon avis, leur ver de compagnie garde le sous-sol en permanence, répondit Zorian en secouant la tête. Je parie qu’il nous remarquerait avant même qu’on ne le remarque, nous, avec ses sens exotiques… et provoquerait un effondrement du tunnel dans lequel nous serions avant même qu’on ne comprenne ce qu’il se passe. En prenant en compte la structure de l’entrée du Donjon, je pense que ça a été créé par un ver en premier lieu, alors ils n’ont probablement pas d’état d’âme à la détruire, pour en créer une autre plus tard.

Zach garda le silence pendant un moment.

— Et pourquoi pas… Détruire les âmes de la colonie entière ? proposa-t-il finalement. Je veux dire, ça me dérange un peu d’utiliser ce genre de tactiques, mais c’est plus ou moins ce pourquoi la dague a été créée en premier lieu.

— C’est définitivement une option, confirma Zorian après y avoir réfléchi. Cependant, nous ne pourrions sans doute pas tous les avoir de cette façon, et nous ne savons pas combien d’entre eux savent pour l’anneau et son importance. Si l’on tue la plupart des insectes et que les survivants emportent l’anneau au loin, les choses pourraient vraiment mal tourner. Nous savons où se trouve l’anneau. Si nous éparpillons les survivants et qu’il disparait dans la nature… Ou que les dieux me pardonnent, dans les profondeurs du Donjon…

— Ouais, tu as raison, accepta aussitôt Zach. C’est trop risqué. Même si nous les tuons tous, il y a des colonies voisines, et d’autres autochtones du désert à ne pas oublier. S’ils découvrent l’état de cette colonie-là et volent l’anneau avant nous, le problème serait finalement tout aussi pire.

— En parlant de colonies voisines, tentons-nous toujours d’arranger une alliance ? demanda Zorian. L’idée est tentante, je dois l’admettre, mais elle pourrait bien demander à peine moins de temps et d’efforts qu’attaquer de front.

— Pas avec l’aide de Princesse ! déclara Zach en bombant le torse, triomphant.

— Tu veux utiliser l’hydre pour tout et n’importe quoi, hein ? pouffa Zorian. On dirait un gosse qui vient de recevoir un nouveau jouet et qui veut le montrer à tout le monde. Comment diable pourrait-elle nous aider à les convaincre de nous aider ?

— Pas besoin d’être jaloux, Zorian, taquina Zach. Tu as perdu le pari en toute bonne foi. Dans tous les cas, je pense que tu sous-estime grandement l’impression de puissance que nous allons projeter en nous pointant avec une hydre géante pour menacer leur petite maison. Je parie que ces petites tribus vont se pisser dessus et faire tout ce qu’elles pourront pour rester dans nos petits papiers.

— Ou alors ils seront bien trop effrayés pour simplement accepter de nous parler, nota Zorian.

— Alors on leur fout une raclée jusqu’à ce qu’ils acceptent, fit Zach en haussant les épaules.

— On dirait de moins en moins une alliance, et de plus en plus un harcèlement, fit remarquer Zorian en riant tout bas.

— Eh, je vois ça comme une démonstration agressive, pas du harcèlement, contra Zach. Nous devons bien prouver notre puissance pour être pris au sérieux, non ? Mais vraiment, ça fait quoi, si nous les soumettons de force ? Nous attaquons déjà le ziggourat gratuitement. Nous avons perdu le bénéfice du juste depuis un moment, je pense.

C’était vrai.

— Très bien, conclut Zorian. Essayons d’en faire des alliés si possible avant d’y aller violemment. J’ai une autre tâche à leur donner, et ils ne feront probablement pas d’efforts si notre puissance est tout ce qui les fait marcher droit.

— Oh ? Quelque chose d’important ? s’étonna Zach.

— Peut-être, murmura Zorian. Il existe une créature magique appelée Crapaud Tunnelier, qui vit loin sous le désert de Xlotic. Ils vivent dans une série de mondes cachés laissés là par quelque ancienne civilisation oubliée, appelés les Réservoirs Ishmali par les anciens Ikosiens, parce qu’ils avaient été créés principalement pour servir de réservoirs d’eau, il semble. Techniquement des poches d’eau enfermées dans des dimensions miniatures. Les lieux en eux-mêmes sont assez inintéressants, mais les Crapauds Tunneliers, en revanche, possèdent une curieuse capacité. Ils peuvent détecter les dimensions et y entrer avec facilité. Dans leur habitat naturel, ils l’utilisent pour entrer et sortir des réservoirs, les utilisant comme habitats sécurisés et lieux de reproduction, mais ça pourrait bien fonctionner sur n’importe laquelle des dimensions…

— Ah, je vois, c’est pour la magie du sang que tu comptes préparer, comprit Zach. Pourquoi as-tu besoin des Sulrothums pour ça, par contre ? Si les Crapauds vivent uniquement dans les réservoirs, ils devraient être assez faciles à trouver. Ce n’est pas comme si leur habitat se déplaçait, non ?

— Non, ils sont statiques, mais j’ai peur que leur localisation ait été perdue depuis bien longtemps, et personne ne s’est embêter à les retrouver, pour autant que je sache, expliqua Zorian. La majeure partie de l’intérieur du continent maintenant couverte par le désert et habité par les Sulrothums, les réservoirs sont devenus quelque peu inutiles et isolés. Sans parler que la plupart des gens ne sont ni des experts dimensionnels ni des Crapauds Tunneliers, et seraient donc incapables de les retrouver facilement pour commencer. Alors, si nous voulons dégoter un Crapaud, nous devons trouver des natifs du désert qui auraient entendu parler d’étranges créatures apparaissant et disparaissant comme par magie à certains endroits.

— C’est embêtant, nota Zach en grimaçant. Est-ce vraiment nécessaire ? Nous avons des tas de candidats en ce qui concerne le vol de compétences de créatures.

— Aucune de nos cibles n’est facile à pister, fit remarquer Zorian. Non seulement sont-elles rares et presque éteintes près des territoires humains, mais la nature même de leurs capacités leur permet d’aller et venir avec une facilité déconcertante. Les autres pourraient bien s’avérer encore plus difficile à chasser. Si tu imagines que chasser un Crapaud Tunnelier, qui ne fait qu’entrer et sortir d’un endroit fixe, est compliqué… Imagine si nous tentions la même chose avec une Araignée Phasique qui refuse de se révéler.

— C’est vrai, admit Zach, contrarié. Je suppose que j’essayerai de me montrer un peu plus sympa avec ces guêpes stupides. Alors, nous allons vraiment commencer à toucher aux rituels d’amélioration et à la magie du sang, ce mois-ci ?

— Oui. Bien que nous commencions avec quelque chose de facile et éprouvé, confirma Zorian. L’amélioration des yeux d’aigle, par exemple. Ou quoi que ce soit parmi les améliorations physiques supposées augmenter la force, l’endurance, la régénération et ainsi de suite. Connues et maîtrisées, ces méthodes ne vont certainement pas tourner au vinaigre, même testées par des débutants comme nous.

— Tu sais que ça ne m’instille pas une profonde confiance, hein ? se plaignit Zach.

— Que puis-je dire d’autre ? répliqua Zorian, épaules levées. La magie du sang est dangereuse. C’est un fait. Si ça peut t’aider à te sentir mieux, j’essayerai le premier de toute façon.

— Ça ne m’aide pas vraiment, non, soupira Zach. Nous savons tous les deux que je prendrai les plus gros risques. J’ai bien plus de mana à brûler en améliorations permanentes du genre, et je suis également doué en magie médicale, alors je serai capable de pousser mes limites plus loin et de comprendre plus facilement comment manipuler la force vitale.

Zorian ne tenta pas de le contredire. Alors qu’il n’avait pas l’intention de pousser les plus gros risques sur son ami, ce dernier avait probablement raison, au bout du compte.

— Hé, ne tire pas une tronche pareille, lui souffla Zach. J’ai déjà dit que nous devrions le faire, tu te rappelles ? Je n’ai pas changé d’avis.

— Tu me mets la pression, là, lui avoua Zorian.

— Et moi, je ne suis pas facile à pressuriser, lui assura Zach. Tu essayes de le faire pour inspecter mon esprit depuis longtemps maintenant, et je ne t’ai jamais laissé faire.

— Et je pense toujours que c’est une erreur, lui répondit Zorian.

— Et la réponse est toujours non, se mit à ricaner Zach. Tu vois ? Pression inefficace. J’ai accepté cette magie du sang lugubre parce que je pense sincèrement que tu as raison à ce propos. Nous sommes trop lents dans l’étude des prisons primordiales. Seules des méthodes non-conventionnelles et dangereuses comme celle-là nous permettront de gagner du temps.

— Tu n’as pas tort, admit Zorian, qui ne trouvait pas personnellement la magie du sang si glauque, et voyait même ça comme un outil potentiel en-dehors de la boucle temporelle, mais il comprenant où Zach voulait en venir.

Ils passèrent deux heures à discuter différentes idées avant d’entrer dans la dimension de l’orbe pour une tâche très importante.

Ils devaient convaincre Princesse de laisser Zorian examiner comment fonctionnait son esprit sans tenter de lui arracher la tête pour son insolence.

Et ça allait être une tâche très, très éprouvante.

 

___

 

À mesure des jours, quelques évènements curieux furent remarqués par différents pays de Koth, Xlitoc et Altazia. Le premier fut la soudaine organisation, par la Maison Taramatula, d’une expédition vers Blantyrre afin d’y chercher le légendaire bâton impérial d’Ikosia, engloutissant des sommes massives et autant de personnel dans le projet. Le niveau de support que la Maison Taramatula avait offert à cette recherche n’était pas aussi importante que ce qu’avant espéré Daimen, mais toujours majeur, et la vitesse avec laquelle le tout était organisé et exécuté était suffisante pour attirer les regards. Les Taramatula semblaient presque désespérés de retrouver cet artefact, et personne ne pouvait comprendre pourquoi. Les dirigeants de la famille refusèrent de répondre à toute question à ce propos, contribuant encore à ce mystère inopiné.

Plus important, les Taramatula démontrèrent une capacité notable à ouvrir un portail intercontinental entre leur pays et Blantyrre. Ce n’était pas une chose que Zach et Zorian désiraient de notoriété publique, mais il était presque impossible de le cacher vu l’ampleur de l’opération. L’information atteignit bientôt des endroits reculés, se répandant comme un feu de brousse à l’aide de toutes les agences d’espionnage possible, consumée par le désir de tout savoir sur ce qui était en train de se passer. De façon amusante, cela incluait des tentatives de localisation du bâton lui-même. Les gens avaient toujours pensé que les artefacts impériaux étaient des curiosités historiques, tout au mieux, mais comme les Taramatula désiraient celui-ci si intensément, il devait y avoir quelque chose de spécial à son propos. De nombreuses personnes se mirent à désirer cet artefact du jour au lendemain, au moins pour espérer comprendre quel genre de pouvoir un rival devait posséder afin de prétendre retrouver l’objet.

Zach et Zorian prévirent de voler les résultats de toutes ces recherches à la fin du mois. Après tout, qui pouvait dire si le travail combiné de toutes ces agences d’espionnages ne serait pas capable de découvrir un secret qu’ils avaient omis ?

La deuxième chose qui ne passa pas inaperçu, spécialement à Altazia, fut la quantité phénoménale de formulations, recette alchimiques, compendiums de sorts et rapports secrets d’espionnages qui firent surface un peu partout sur le continent. Personne ne savait qui en était les responsables, ou comment ils avaient fait pour posséder toutes ces merveilles et ce qu’étaient leurs buts… Il était impossible de savoir combien de personnes avaient déjà profité de leur assistance, si l’on se fiait au nombre de gens qui avaient déjà simplement accepté leurs cadeaux en secret et commencé à les exploiter silencieusement. Finalement, ces cadeaux semblaient être essentiellement concentrés à Eldemar, ce qui représentait une vive inquiétude pour la région. En naquirent de nombreuses spéculations et une activité redoublée sur le continent, les autorités et experts cherchant à comprendre ce que tout cela signifiait et comment en tirer avantage.

C’était, bien entendu, l’œuvre de Zach et Zorian. Ils l’avaient fait pour une très simple raison : afin de troubler les eaux et permettre à leurs nouveaux compagnons temporels de paraître trop exceptionnels. Il était trop risqué d’attendre de chacun d’eux qu’ils agissent avec modération en tout temps et ne fissent pas la moindre erreur, spécialement lors de leur premier bond temporel, et toujours sous une lourde impression de répétition. Introduire suffisamment de vagues dans leur entourage garderaient probablement la plupart des gens de leur prêter une attention trop ciblée.

Jusqu’alors, l’idée semblait fonctionner, mais il n’était pas encore dit que cela durerait pendant tout le mois.

Ceci fait, Zach et Zorian se tournèrent vers l’organisation de la recherche du bâton à Blantyrre. Tandis que le plus gros du travail serait effectué par Daimen et son équipe, il était nécessaire pour eux deux de s’impliquer réellement. D’une part, les descriptions de l’artefact étaient vagues et contradictoires, et ils étaient les seules à pouvoir l’identifier avec certitude grâce à leur marqueur. D’autre part, ils étaient nécessaires pour le transport des personnes et des ressources vers Blantyrre, étant les seuls à pouvoir ouvrir un portail dimensionnel entre deux continents.

Zorian avait silencieusement espéré que l’immense quantité de ressources qu’ils avaient mobilisée pour cette recherche allait fournir des résultats rapides, espoirs qui se faisaient fracasser contre les rochers en réalité. Trouver le bâton impérial s’avéra bien, bien plus difficile que localiser un Portail Bakora. Le réseau des portes était épars, mais au moins, leur aspect était plutôt évident. Le bâton, d’un autre côté, était incroyablement commun à Blantyrre. Les hommes-lézard adoraient les bâtons – il s’agissait d’un symbole populaire d’autorité, et littéralement tous les rois et prêtres en possédaient un. Tandis que cela signifiait que le bâton impérial n’avait probablement pas été jeté et abandonné dans une quelconque réserve, ça voulait également dire que le retrouver équivalait à localiser une aiguille dans un océan de foin. La seule chose à laquelle ils pouvaient se raccrocher était l’aspect probable de l’artefact : exempt de toute décoration, simple morceau de bois noir. Les hommes-lézards étant friands de tout ce qui brillait. Mais encore, qu’est-ce qui aurait pu arrêter le nouveau propriétaire de décorer celui-ci ? Ugh…

Influencé par de telles idées, Zach et Zorian décidèrent d’approcher Quatach-Ichl en quête de nouvelles leçons. À la base, ils s’étaient demandés s’ils devaient éviter ces interactions cette fois-ci, à cause de tous les nouveaux voyageurs temporels se promenant alentour, mais durent finalement choisir de risquer le coup. Cette fois, ils lui demandèrent de leur enseigner son expertise en sorts de recherche et de pistage. C’était un sujet relativement sain, et pouvait aisément les aider à localiser plus facilement le bâton dans la jungle de Blantyrre. Un espoir stupide, sans aucun doute, sachant que l’objet était immunisé aux sorts de divination comme les autres artefacts impériaux. Cependant, Quatach-Ichl était familier avec les énergies divines d’une façon inégalée, et peut-être possédait-il un moyen de contourner le problème.

Le sujet était également potentiellement utile afin de traquer Robe Rouge une fois hors de la boucle temporelle, et pourrait leur donner une réponse quant à la façon dont Quatach-Ichl était parvenu à détecter leur présence sur le champ de bataille de l’itération précédente. Zorian désirait vraiment une réponse à cette dernière question, lui qui pensait que ses barrières étaient plus ou moins infaillibles après tout ce temps.

Il était vraiment malheureux de n’avoir rien pu trouver de valeur lorsqu’il avait passé les défenses mentales de la liche. Alors qu’il était extrêmement doué dans les sondes mémorielles désormais, la vérité était que Quatach-Ichl ne lui avait pas donné le temps de travailler dans sa tête. Il n’aurait sans doute pas dû tenter d’immédiatement tenter de découvrir où était localisé le phylactère… Ce genre d’informations était d’une valeur critique, et il était certain qu’aucune autre n’était gardée avec le même zèle. Il aurait dû commencer par des choses plus banales. Peut-être que Quatach-Ichl aurait risqué l’affrontement et passé plus de temps à tenter de le repousser.

Mais pour l’instant, Zach et Zorian se trouvaient dans le centre de recherche magique sous Cyoria. Tous deux étaient déguisés en adultes, agents de la couronne, et discutaient en privé avec Krantin Keklos, chercheur en chef et dirigeant du centre.

Krantin faisait lentement tourner l’orbe impérial entre ses mains, parfaitement fasciné.

— Vous comprenez que nous avons besoin de votre silence le plus complet à ce propos, n’est-ce pas, monsieur Keklos ? demanda Zorian.

L’homme leva les yeux, sorti de sa rêverie, légèrement confus. Il avait été évidemment si absorbé par son étude de l’objet qu’il avait perdu toute notion du temps.

— Hm ? Oh. Oui, je comprends totalement ce que vous dites, répondit-il rapidement en acquiesçant furieusement. Je vous assure, mon équipe et moi-même sommes habitués à travailler sur des projets top secrets et à gérer les fuites potentielles.

Il regarda une nouvelle fois l’orbe, longuement.

— Cette chose… C’est absolument incroyable, dit-il, une admiration évidente dans la voix. Je ne peux pas exprimer le niveau d’honneur que cela représente.

— J’espère que vous vous souviendrez que nous ne vous confions pas l’orbe simplement pour satisfaire votre avidité et curiosité personnelles, le prévint Zach, qui jouait le méchant agent dans leur duo. Nous vous accordons cet honneur parce que vous êtes l’expert le plus renommé de notre nation en matière de chambres de dilatation, et nous espérons pouvoir changer cette dimension portable en quelque chose de… dilaté.

— Oui, absolument, répondit aussitôt Krantin. Même si le volume à l’intérieur est supérieur à tout ce que j’ai un jour pu voir, l’isolation de l’extérieur est également sans précédent. Nous pouvons définitivement transformer cet orbe en chambre de dilatation. C’est juste que…

— Juste que ? continua Zorian.

— Hé… Hé bien, c’est un projet ambitieux que vous nous proposez là, avoua le chercheur, cherchant légèrement ses mots, ne pouvant cacher à Zorian sa nervosité et son désir de faire de son mieux. Afin de créer ce que vous proposez, nous devrions agrandit considérablement le centre, et définir de nouvelles méthodes de construction de Chambre Noire. Je suis confiant sur notre réussite, mais le temps nécessaire serait immense. Nous avons une équipe plutôt réduite et —

— Vous voulez plus de fonds, le coupa Zach.

— Et de personnel, acquiesça Krantin.

Il semblait comprendre l’importance du projet à leurs yeux. Et en gardant ça à l’esprit, il savait qu’il était parfaitement légitime de demander plus d’argent ainsi que plus de main d’œuvre.

Zorian ne répondit pas verbalement. Il plongea la main dans sa poche de veste, et tendit au chercheur une note provenant de l’une des banques locales. Il aurait pu lui amener du liquide également, mais il savait désormais que les branches du gouvernement fonctionnaient rarement ainsi, et que lui poser une grosse quantité de billets sous le nez aurait été une erreur, levant instantanément toutes sortes de drapeaux rouges dans la tête de Krantin.

Celui-ci accepta la note sans un mot et y jeta un œil. Il leva un sourcil en y lisant le nombre qui y était imprimé. Zorian pouvait dire qu’il appréciait, mais n’était pas très impressionné.

— Il s’agit là de votre somme de départ, ajouta-t-il alors comme pour expliquer la faible valeur des fonds. Vous recevrez d’autres dispositions une fois que les choses auront commencé à donner des résultats, ainsi que quelques bonus additionnels si le projet avance particulièrement rapidement.

— Bien entendu, souffla Krantin, bien plus impressionné.

— Au regard de personnel supplémentaire, c’est un peu plus complexe, continua Zorian. À cause de la nature abrupte de cette initiative, il faudra un mois avant de voir arriver de nouveaux employés dans ce centre. Les affectations de ce genre ne peuvent pas être si facile, j’espère que vous comprenez.

— Un mois, c’est parfait, accepta facilement Krantin. Je peux attendre un mois, ou même plusieurs. Soyez simplement avertis que plus longtemps l’affectation traînera, plus le projet tardera à donner des résultats.

— Je n’avais pas terminé, renchérit Zorian en secouant la tête. Bien que vous envoyer du personnel prendra un bon mois de façon officielle, nous nous arrangerons pour vous accorder officieusement plusieurs mages très doués en dimensions, afin d’aider le projet à démarrer.

Spécifiquement, l’homme verrait Xvim, Lac d’Argent, Zach et Zorian. Avec leur expertise en magie des dimensions et grâce à l’équipement du centre de recherche en construction de Chambres Noires, le projet allait aboutir à quelque chose après quelques mois. Il fallait l’espérer.

Krantin n’aimait pas l’idée, en tout cas.

— Je n’apprécie pas de voir des experts étrangers à mon autorité venir et utiliser ces locaux, ou me dire comment faire mon travail, leur dit-il franchement. Même s’ils sont très capables, ils ne comprennent pas pourquoi nous faisons les choses d’une certaine façon. Ils nous ralentiraient et ne feraient que créer de la confusion.

— N’êtes-vous pas le plus haut gradé de ce centre ? le défia Zach. Vous ne dites que vous ne pouvez pas faire filer droit une poignée de nouveaux arrivants, ou leur expliquer comment accélérer les choses ?

Krantin ne défronça pas les sourcils, visiblement un peu en colère.

— Ces mages sont envoyés sur place afin de vous fournir une aide, expliqua Zorian sur un ton conciliant. Si, après leur avoir parlé, vous jugez qu’ils ne contribueront en rien au projet, vous serez libre de les renvoyer d’où qu’ils viennent.

— Souvenez-vous simplement que leur aide a déjà été prise en compte dans le temps que nous vous accordons pour étudier l’orbe, l’avertit Zach.

— Très bien, finit par accepter Krantin, plus forcé que ravi. Je leur donnerai une chance. Nous verrons si leur contribution sera à la hauteur de ce que vous annoncez.

Il leur fallut une heure de plus pour tout arranger. Zach et Zorian donnèrent à Krantin une pile complète de documentation officielle, à laquelle l’homme jeta un rapide coup d’œil avant de le faire passer au reste de son équipe. Il n’imaginait à l’évidence absolument pas qu’il s’agissait là d’une gigantesque ruse. Zorian espérait que les gens en charge de la gestion des documents étaient tout aussi imprudents que leur patron, parce que nombre d’entre eux ne tiendraient pas face à une étude attentive.

— Bon, finit par conclure Krantin en soupirant. Ce fut très certainement une soirée très productive. Y a-t-il autre chose que vous désirez parler ?

— En réalité, oui, en profita Zorian, hochant la tête, avant de lui tendre une autre pile de documents. Il y a un changement relatif au prochain groupe supposé utiliser la Chambre Noire.

Ce n’était pas la façon habituelle de ces deux-là de prendre possession de la chambre lorsqu’ils en voulaient. Normalement, ils se contentaient de simplement éliminer le vrai groupe et se présentaient avec de faux documents au tout dernier moment, donnant au personnel le minimum de temps pour étudier le cas. Cette fois, cependant, ils prévoyaient d’emmener tout le monde. Aussi avaient-ils pris le temps d’arranger les choses un peu plus concrètement.

— Oh ? Le groupe de Retin a décidé d’annuler leur utilisation de la Chambre ? s’étonna Krantin en étudiant le dossier. Étrange… Ils étaient si enthousiasmés par ce jour.

Il leur envoya un regard entendu. Il savait clairement qu’il y avait anguille sous roche, mais il s’imaginait certainement qu’il s’agissait là du gouvernement qui forçait une main, et non d’une arnaque à grande échelle.

Il secoua lentement la tête, en poussant le dossier sur le côté.

— Je suis curieux, dit-il. Cet orbe, le changement soudain de ressources alloué à ce centre… Tout ceci est-il lié aux cadeaux mystérieux dont j’entends parler sans cesse ?

Hah.

— Nous ne sommes pas payés pour répondre à ce genre de questions, et vous non plus d’ailleurs, lui accorda Zach avec un sourire tout aussi entendu que le regard précédent du chercheur.

— Mais probablement, laissa échapper Zorian.

Zach lui envoya un regard menaçant. Il était un bon acteur, toutes choses considérées. Avait-il peaufiné son talent durant son séjour dans la boucle temporelle, ou était-ce naturel ?

— Très bien, je comprends. Oubliez ça, concéda Krantin en se levant. Je suppose que nous avons tous un boulot à continuer, n’est-ce pas ? Quand dois-je attendre ces soi-disant experts ?

— D’ici trois jours, annonça Zorian, calculant le temps nécessaire pour vérifier si leur ruse avait fonctionné ou non. Nous allons également venir vérifier de temps en temps en personne si la situation évolue comme prévu, et si vous n’avez besoin de rien.

— Donnez-moi assez de ressources et je vous donnerai ce que vous désirez, leur assura Krantin.

Zorian n’en doutait pas. La vraie question se posait malgré tout : Krantin allait-il vraiment produire des résultats aussi impressionnants qu’il le promettait ? S’il y parvenait, il trouverait un moyen de le récompenser une fois de retour dans le monde réel.

Sans doute.

 

___

 

 

Au cours d’un mois typique, Zach et Zorian avait l’habitude de tenir des réunions de toutes sortes un peu partout : dans des parcs, des tavernes, des maisons abandonnées ou en construction, de petites grottes au milieu de nulle part… Ils choisissaient généralement en fonction de leur besoin du moment, sur une impulsion. La nouveauté d’une réunion dans un lieu qu’ils n’avaient pas encore utilisé était également bienvenu pour foutre un coup de pied au cul de la monotonie omniprésente au sein de la boucle temporelle.

Maintenant, cependant, beaucoup plus de personnes participaient à ces rendez-vous. Leur dynamique s’en voyait totalement changée, et ils ne pouvaient plus décider de ce genre de choses sur un simple caprice comme il l’avaient toujours fait. Ils étaient obligés de trouver un endroit suffisamment grand pour tous les accueillir : une dizaine de personnes d’âges et occupations variées ainsi que quelques araignées géantes ne passeraient pas inaperçues sur la place publique, par exemple. De plus, Ilsa s’énervaient lorsqu’ils tentaient de les faire venir dans une grotte froide et humide au milieu de la nature sauvage inhabitée. Zorian ne comprenait pas le problème, le mille-pattes qui avait tenté d’escalader sa jambe était moins gros qu’un doigt, et les chauve-souris ne dérangeaient personne. Cela dit, tout le monde finit par s’accorder sur le fait qu’ils allaient désormais se rencontrer dans de vrais bâtiments.

Aussi, tous deux décidèrent de ne plus les organiser qu’à la demeure Noveda. L’endroit était spacieux et possédait de nombreuses barrières de privatisation. Bien que Zach se plaignît que le choix était ennuyant, il accepta l’idée de Zorian lorsque celui-ci lui expliqua que partout ailleurs serait plus problématique que ce qu’ils pouvaient se permettre.

Donc, à ce moment, un large groupe était rassemblé dans l’une des plus grandes salles de réunion de la demeure Noveda. Ils avaient déjà parlé de tout ce qu’ils devaient à ce point, mais le groupe ne s’était pas encore séparé. Au lieu de ça, ils avaient plus ou moins éclaté en plusieurs petits groupes qui discutaient d’intérêts mutuels.

Dans un coin, l’émissaire des Sages Filigranes entretenait une très vocale et enthousiaste conversation avec Nora Boole. Le professeur de formulation ne semblait pas être préoccupée par le fait de parler à une araignée géante télépathe, et profitait de cette chance pour discuter de son domaine d’étude avec passion et entrain. L’émissaire, de son côté, semblait immensément heureuse d’avoir trouvé un humain visiblement si plongé dans leur toute nouvelle série de formules magiques. Toutes deux avaient l’air de deux autistes totalement inconscientes de leur environnement direct, consumées par leur conversation.

Non loin de là, Alanic et Kyron avaient couvert une table de cartes et les observaient en silence. Régulièrement, ils désignaient un endroit et échangeaient quelques mots simples avant de retrouver le silence. Zorian ne pouvait comprendre ce qui se passait entre ces deux-là. Selon toute probabilité, personne ne le pouvait – tout le monde les regardait, l’œil confus.

Dans un autre coin, Zach discutait ouvertement avec l’émissaire des Avocats Lumineux. Celle-ci était bien moins amicale que celle entre Nora Boole et son interlocutrice, cela dit. Zach essayait apparemment de convaincre l’Aranea de lui enseigner la magie mentale, tandis que l’Aranea lui faisait remarquer encore et encore qu’il n’était pas psychique et que c’était une vraie perte de temps.

Zorian suspectait Zach d’obtenir ce qu’il désirait, au bout du compte. Les Avocats Lumineux étaient bien moins fières après avoir fait l’expérience directe de la boucle temporelle, et elles savaient maintenant exactement à quel point Zach était puissant. Elles savaient qu’elles ne pouvaient pas se permettre de l’énerver, et Zach n’allait certainement pas lâcher l’affaire tant qu’il n’aurait pas reçu une réponse positive. Au bout d’un moment, les Aranea allaient céder. Que quoi que ce fût sortît de ces leçons par la suite était une autre histoire, cependant. Zorian était bien moins sûr de ça.

À proximité de Zach se trouvait un petit groupe composé de Kael, Taiven, Lukav et Daimen, tous quatre triant les matériaux que Zorian et Zach avaient rassemblés, en échangeant leurs histoires entre eux. Cette conversation-là était plutôt banale, contenant plus d’anecdotes amusantes que de vraies remarques pertinentes.

L’une des tables était totalement monopolisée par la sorcière, qui étudiait ses documents relatifs à leur étude de la porte ibasienne. Zorian était plutôt surpris par son comportement dans cette itération en particulier, en toute honnêteté. Elle semblait bien plus concernée et volontaire, presque… joyeuse, heureuse de les aider. Il était intéressant de noter à quel point elle avait changé une fois revenue dans le temps.

Finalement, Zorian. Comme Lac d’Argent, il n’interagissait pas réellement avec quiconque. Au lieu de ça, il inspectait une table couverte d’artefact divins, volés pour étude. Il n’avait jamais réalisé le moindre progrès concernant ces objets, mais il n’allait certainement pas abandonner. Spécialement depuis que Quatach-Ichl lui avait confirmé qu’il existait bien un moyen de détecter la magie divine à l’aide de sa magie tout à fait normale.

Sa solitude finit par être brisée par Xvim, qui s’approcha de sa table et s’assit à la chaise qui lui faisait face. Et il avait l’air quelque peu déçu.

— Un problème ? lui demanda Zorian.

— J’ai désormais une appréciation toute nouvelle pour la patience dont vous et monsieur Noveda êtes capable de faire preuve, dit-il. Je viens juste de passer la matinée entière à noter le travail d’étudiants, et il était parfaitement identique à celui du mois dernier. Et j’ai réalisé que ça allait arriver… encore et encore. Une réalisation très déplaisante.

— Hah, pouffa Zorian. Vous pouvez toujours ignorer ces situations.

Xvim secoua la tête.

— Ce serait contraire à mes principes professionnels, dit-il. Tout comme je demande un investissement sans faille à mes étudiants, je demande la même chose du professeur. Moi, en l’occurrence.  Une petite contrariété comme celle-ci ne me brisera pas. Je le considèrerai comme une occasion de me forger le caractère, je suppose.

— Je vois, acquiesça Zorian. Je suppose pour ma part que c’est une déclaration quelque peu hypocrite. Après faire passer vos étudiants par un traitement initial si sadique, vous perdez votre patience après une seule répétition.

Xvim soupira en réponse, ne donnant voix à ses pensées. Il observa les artefacts que Zorian étudiait.

— Vous réalisez, j’en suis sûr, que personne n’a jamais réussi à comprendre comment les artefacts divins fonctionnent ? demanda Xvim.

— Bien évidemment, répondit Zorian. Mais très peu de gens ont eu l’occasion de les démanteler encore et encore afin de les étudier.

— Pourtant, je suis surpris que vous perdiez du temps là-dessus, continua son mentor. Ne serait-il pas plus sage de passer plus temps à étudier la boucle temporelle elle-même ?

— En réalité, je classerais cette étude dans ce qui concerne la boucle temporelle, enchaîna Zorian. Elle fonctionne clairement à l’aide d’énergies divines. Qui peut dire que nos marqueurs ne sont pas concernés ?

— Oh ? s’étonna Xvim, plus intéressé.

— C’est une spéculation sans base, bien sûr. Mais je songe à ce que Robe Rouge peut bien avoir qui pourrait lui permettre de briser les limitations placées sur les marqueurs temporaires, et la réponse la plus évidente que j’ai pu trouver est… Quatach-Ichl. Sa méthode de perception des énergies divines peut lui avoir permis de trafiquer le marqueur d’une façon impossible pour nous, pauvres mortels. Auquel cas nos efforts pour comprendre et modifier les vôtres sont destinés à ne jamais porter leurs fruits.

— J’espère sincèrement que vous vous trompez à ce sujet, répondit Xvim après une courte pause. Quatach-Ichl existe depuis des centaines d’années. Qui sait combien de temps il vous faudrait pour développer cette compétence ?

Zorian, bien sûr, ne trouva rien à répondre à cette inquiétude.

Raka
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9 thoughts on “MoL : Chapitre 87

  1. Merci pour le chapitre !!

    Le risque avec les boucles temporelles est le bis repetita, mais l’auteur arrive toujours à ajouter du contenu intéressant. Vivement la suite et fin !! Et encore merci de nous avoir fait découvrir ce Novel !!

    1. Ce qui est intéressant dans sa construction, c’est qu’il avait déjà le scénario du mois, et toutes les implications déjà écrites et décidées au départ. Alors même ce qu’on peut lire dans le chapitre 1 a déjà des raisons précises, et on se rend vraiment compte de la profondeur de l’histoire et du scénario lors d’une deuxième lecture, en connaissant la fin et les raisons de chaque petite chose qui se produit.

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