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Chapitre 31

Un retour sans fioritures

 

Fu Tao était toujours agenouillé au sol. Il vomissait de dégoût, ce qui le faisait crisper le visage, un peu de liquide noir composé d’alcool et d’impuretés lui entrait dans les yeux. En retour, cela le brûlait et le faisait hurler, bouche grande ouverte, ce qui permettait à un peu de ce liquide au goût horrible d’y entrer. Tout ça provoquait une crise de vomissements et le cycle avait l’air de ne pas vouloir s’arrêter.

Shi Kun se gratta la tête. Ce Fu Tao avait l’air d’avoir déjà appris une sacrément bonne leçon, cela valait-il vraiment le coup de se fatiguer à lui en donner une autre ?

« Pff… Tu ne me facilites pas la tâche. Quel état pitoyable. Je me suis un peu emporté. Je pense que finalement, tu as compris la leçon. » Qu’il soit un enfant d’à peine dix ou onze ans n’avait pas d’importance pour Shi Kun. Il ne s’arrêtait pas à la différence d’âge ; la rue lui avait appris à ne pas faire ce genre de distinction : quand on en voulait à votre bourse, l’ennemi était un ennemi, jeune ou vieux. Shi Kun avait certes rencontré son lot de mendiants sans foi ni loi, et tous étaient des vieux renards, mais cette réalité restait évidente dans l’autre sens aussi.

« Je… Beuaaaaah ! Aaaaah ! » Dégoûté, les yeux brûlants et pleurant, Fu Tao ne supportait pas de se faire regarder de haut ainsi par ce qui s’avérait être un ancien mendiant que la secte avait accepté pour une raison qui lui échappait totalement mais qui ne pouvait pas être bonne. Il cherchait à dire quelque chose mais à chaque fois qu’il ouvrait la bouche, il vidait le contenu de son estomac. Au bout d’un moment, ce ne fut plus que de la bile.

« J’ai goûté aussi à cette horreur. Je n’ai pas vomi. Tu es vraiment faible, en réalité. » Shi Kun ne cherchait pas à se moquer de son ennemi, il ne faisait que constater la réalité de la situation. Dans le meilleur des cas, s’il avait pu discuter calmement avec Fu Tao et lui faire comprendre qu’il n’existait entre eux aucune inimitié, peut-être les choses auraient-elle finalement pu se régler paisiblement. Mais Shi Kun était un garçon de la rue. Le goût ? Il s’était habitué aux pires mets que les boutiques et diverses tavernes pouvaient jeter en fin de service.

Fu Tao ? Il avait été élevé et choyé dans une famille qui avait dorloté son palais tout autant que le reste. Nourri des plats les plus délicats, la moindre amertume lui était désormais insupportable.

« Espèce deeeuuuaaaghhh… Aaah ! » Pour une raison inconnue, Fu Tao était capable de continuer à vomir encore et encore. Il se mit même à régurgiter les propres impuretés que contenait son corps, sans s’en rendre compte.

« Mendi…Euaaahhh… jeter… Aaah ! Dans ce puits !! » Finalement, entre crises et pleurs, il parvint à articuler la menace qu’il désirait tant proférer depuis un moment. Il allait balancer ce satané mendiant dans ce puits et ne plus jamais en entendre parler ! Il pourrait bien alors y pourrir ! Shi Kun l’écouta et secoua la tête.

« Il n’y a pas d’eau dans ce puits. J’y ai déjà jeté un caillou, plus tôt. Je ne l’ai pas entendu toucher le fond. » Fu Tao ne supportait plus la douleur dans ses yeux et les crises de nausée et s’était mis à l’implorer de le jeter dans le puits ? Mais ce puits était fort probablement à sec et s’il devait y tomber, qui sait pendant combien de temps il allait chuter avant de s’écraser au fond ?

« … ! Toi ! » Fu Tao sentit ses yeux injectés de sang sous ses paupières closes. Accroupi et plié en deux, il ne parvint pas à supporter la douleur et perdit conscience.

« Oh… Voilà autre chose. Bon, je vais essayer de t’aider un peu. » Shi Kun arracha des morceaux de la toge de Fu Tao et entreprit d’essuyer le visage de ce dernier. Mais le liquide noir était visqueux et un peu collant maintenant qu’il commençait à sécher et le retirer ainsi n’était pas facile. Il lui fit pénétrer sans le vouloir des impuretés dans les narines, dans la bouche et même dans les oreilles.

Finalement, se rendant compte que ses efforts étaient fort peu couronnés de succès, Shi Kun se redressa et se gratta le menton. « Que faire, que faire… »

Fu Tao tremblait convulsivement. Shi Kun s’assit et réfléchiy posément à la situation.

« J’ai pitié de lui, finalement. Je pense qu’il a compris la leçon mais… et si j’ai tort ? Il continuera à me pourchasser une fois dehors. Il faut que je m’assure qu’il ne nourrisse plus de telles idées. Il faut qu’il puisse avoir le temps d’y réfléchir, tout devient toujours plus clair quand on prend le temps d’y réfléchir calmement, sans se presser. »

Mais il était évident qu’une fois éveillé, Fu Tao ne prendrait pas ce temps. Les gens ne prenaient jamais le temps de penser aux choses. Shi Kun se souvint tout à coup de la façon de faire du patriarche.

« Il m’a forcé à faire des choses que je ne voulais pas faire, et je n’ai pas eu le choix… Finalement, ça n’a pas donné que de mauvais résultats. Devrais-je moi aussi faire de même pour ce jeune disciple ? »

S’il l’obligeait à réfléchir calmement à la situation, peut-être que Fu Tao réaliserait que ses actes étaient inconsidérés et hors de propos. Après tout, Shi Kun ne l’avait jamais rencontré avant et n’avait absolument jamais rien fait pour l’offenser. Il ne méritait donc pas de se faire menacer de la sorte et Fu Tao devrait bien s’en rendre compte, lui aussi.

Et puis… même s’il avait pitié, Shi Kun se souvenait encore trop bien de tous ces coups de poing qu’il avait reçus dans l’estomac.

« Bon. C’est décidé. Tu vas y réfléchir que tu le veuilles ou non. Tu voulais que je te jette dans le puits, hein ? C’est encore faisable. »

Shi Kun attrapa Fu Tao et lui ligota pieds et mains à l’aide de morceaux déchirés de sa toge. Puis, il en arracha plusieurs longs morceaux, qu’il enroula pour en faire une corde qu’il fit passer à la fois dans les liens enserrant pieds et mains de Fu Tao. Pour finir, il attacha l’extrémité de cette corde tressée à une pierre saillante au bord du puits et balança Fu Tao dans le puits, deux mètres plus bas.

Shi Kun se pencha pour observer le corps inerte qui pendait dans les ténèbres. Il était presque invisible là où il était.

« Hah. Tu auras le temps de réfléchir à l’intensité trop exagérée de tes actes. Je reviendrai te chercher dans un mois et nous verrons si tu auras mûri un peu. »

Souriant, Shi Kun fit demi-tour en souriant. Il savait que Fu Tao ne mourrait pas en un mois, ni de faim, ni de soif. Il était simplement bloqué là, incapable de bouger et serait alors forcé de réfléchir à son comportement.

« Dans un mois, je verrai si ton regard est toujours plein de haine. Si c’est le cas… Alors je te laisserai un autre mois pour y penser encore. » Shi Kun repéra le chemin depuis le puits vers l’entrée des égouts et décida qu’il pouvait aussi bien sortir de là et faire profil bas pendant un mois. S’il retournait vivre dans sa ruelle, personne ne le retrouverait, n’est-ce pas ? Avec sa base de cultivation du 2ème niveau de la maîtrise du qi et sa robe de la secte, il ne craignait pas vraiment de se faire harceler en un mois. Plus longtemps que ça et les disciples d’autres sectes plus puissants que lui pourraient alors entendre parler de lui et venir le voir, mais il ne comptait pas leur en laisser le temps.

« Dans un mois, les autres disciples auront terminé la mission. Donc moi aussi. En attendant, à moi la belle vie ! »

Arrivé à l’entrée, Shi Kun se contenta de s’avancer dans la formation de téléportation pour sortir des égouts. Il se repéra rapidement dans ce quartier de la ville et se rendit aussitôt vers la ruelle dans laquelle il vivait encore peu de temps auparavant.

Lorsqu’il y arriva, tous ces souvenirs récents refirent surface. Ses jours paisibles. Cette théière spirituelle tombée du ciel. Et puis… Il n’y avait pas grand-chose d’autre. Shi Kun s’avança jusqu’à son mur fétiche et s’y adossa avant de lever la tête vers le ciel.

« Les nuages sont jolis. Mais… Je n’aime pas celui-là. Il a une forme de corne de monstre, je suis sûr que ça ne présage rien de bon. » Shi Kun avait toujours ce réflexe de comparer les nuages à des formes connues et en tirer des bons ou des mauvais augures. Il ne faisait pas ça très sérieusement ; il n’avait pas la ferveur du patriarche pour ce genre de choses. En revanche, il n’oubliait jamais les nuages qu’il apercevait. Juste au cas où.

Il passa ainsi, paisiblement installé, plus de temps qu’il ne fallait à un bâton d’encens pour brûler.

Soudain, une ombre apparut dans son champ de vision alors qu’il était à moitié endormi. Shi Kun ouvrit les yeux d’un seul coup et tourna légèrement la tête.

« P… Patriarche ?! »

Le patriarche Destinée venait d’atterrir dans la ruelle de Shi Kun. Il fronça les sourcils mais parla d’une voix calme.

« Shi Kun. Que fais-tu là ? Pourquoi n’es-tu pas rentré à la secte ? »

Shi Kun ne comprenait pas ce ton, cette expression et le mélange des deux. Et il comprenait la question encore moins que tout ça.

« Comment ça, à la secte ? » Il posa la question tout en se levant et en s’inclinant, obligation naturelle d’un disciple envers son patriarche. Après tout, il ne souhaitait pas attirer ses foudres maintenant que son plan venait d’être percé à jour.

« Eh bien ? La mission a été un franc succès. Les autres disciples sont revenus au bout de deux heures à peine, avec le bijou. Nous sommes allés le rendre immédiatement à son propriétaire. Pourquoi as-tu passé presque deux jours dans les égouts ? Tu aurais dû rentrer bien plus tôt. Je ne peux pas croire que tu te sois perdu. En réalité, tu en as profité, n’est-ce pas ? »

Le patriarche lui accorda un petit sourire en coin.

« Profité ? Profité pour quoi faire ? » Shi Kun s’était perdu, avait tourné en rond, avait eu envie de vomir du sang à de nombreuses reprises, s’était fait rouer de coups et avait dû gérer un disciple qui ne voulait pas entendre raison. En profiter ? En souffrir, oui ! Il n’avait même pas eu le temps de se reposer pendant tout ce temps ! S’il avait encore été un mortel, il aurait déjà arrêté de marcher, incapable de bouger, depuis longtemps !

« Aah… Tu ne me la feras pas à moi, Shi Kun. Je sais bien que tu en as profité pour dormir dans un coin pendant deux jours, n’est-ce pas ? Ne t’en fais pas, c’est un secret. Je comprends qu’il s’agit de ton Dao et que tu as trouvé là une occasion de le cultiver. Mais je ne comprends pas. Pourquoi es-tu revenu ici au lieu de rentrer à la secte ? »

« Rentrer… La mission est un succès, dites-vous ? Ha… Ha ha ! Bien sûr, un succès, je le savais ! Je… Oh, je suis simplement revenu ici pour me souvenir du bon vieux temps, rien de plus. Je m’apprêtais à rentrer, patriarche ! Mais… Comment m’avez-vous retrouvé ? » Ayant trouvé l’excuse parfaite, Shi Kun parla du bon vieux temps, qui se trouvait être quelques jours dans le passé à peine et qui ne convainquit pas du tout le patriarche. Cela dit, ce dernier répondit à la question posée plutôt que de noter l’incohérence des propos de Shi Kun.

« Lorsque tu as traversé la formation de téléportation, je l’ai su. Je n’ai plus eu qu’à te suivre à la trace. »

C’était tout ? C’était si simple et en même temps si imparable… Shi Kun soupira. La belle vie qu’il comptait s’accorder pendant un mois n’allait pas être d’actualité mais au moins, il comprit que si la mission était un succès, il n’aurait pas à en effectuer d’autre pour le moment.

« Allez, on rentre. » Le patriarche, comme à son habitude, attrapa Shi Kun par l’épaule et s’envola en l’entraînant derrière lui.

Arrivé devant la maisonnette de Shi Kun, le patriarche lui posa une dernière question.

« Dis-moi. Il reste encore un disciple dans les égouts. Il s’agit de Fu Tao, un disciple venu d’une famille noble. Sais-tu s’il est perdu ? »

« Perdu ? Il… Erm… » Shi Kun détourna le regard, un peu coupable. « Irez-vous le chercher alors ? »

« Oh ? Alors tu sais où il est, n’est-ce pas ? Non, je n’irai pas le chercher. Cette mission est aussi sa mission, il doit en sortir seul. Si tout va bien pour lui, il sortira quand il le désirera. Peut-être a-t-il simplement rencontré une bonne fortune, peut-être est-il en train de méditer quelque part sous la ville. On ne sait jamais où et quand les opportunités de cultiver apparaissent et il ne faut pas les laisser passer. »

Shi Kun soupira de soulagement. Il n’irait pas le chercher, alors. Ce Fu Tao avait mérité ce qui lui était arrivé. Il fallait qu’il réfléchisse une bonne fois pour toutes à son comportement excessif. En revanche, Shi Kun comprenait bien que l’avoir balancé ainsi dans le puits avait pu l’irriter légèrement. Et si ça n’aurait eu aucun sens s’il était sorti de là plus tôt que prévu, il aurait en plus probablement cherché à se venger.

C’était évidemment hors de question.

« Il va bien, patriarche, il va bien ! Ne vous inquiétez pas ! Je l’ai vu, il était assis, jambes croisées, dans un endroit empli d’énergie spirituelle ! »

Ne trouvant rien d’autre à répondre, il constata simplement que le patriarche hocha la tête de satisfaction avant de faire demi-tour et s’en aller. 

Raka
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13 thoughts on “TheDAB : Chapitre 31

  1. Merci pour ton travail acharné, tu as un réel talent pour écrire tu le sais ? 🙂
    Pour moi le cycle de 2 par semaine me semble bien, maintenant que l’histoire est lancée et quelques chapitre de disponible, donc te tue pas à la tache !

  2. Salut…
    Je suis d’accord avec toi, 2 par semaine est plus que correct repose toi aussi .
    En tout cas je suis vraiment fan de ton style .
    Merci à toi

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