MoL : Chapitre 23
MoL : Chapitre 25

Chapitre 24 – Fumée et miroirs

 

Zorian était le premier à admettre qu’il n’était pas la personne la plus simple à appréhender. Il était asocial, irritable et avait tendance à toujours attendre le pire des gens. Il l’avait toujours su, même bien avant de mourir et de se retrouver coincé à l’intérieur d’une mystérieuse boucle temporelle mais il avait aussi toujours senti que son comportement était justifié. En effet, si quelqu’un s’était montré assez stupide pour le critiquer avant cette fameuse boucle, il aurait réagi avec la grâce et la subtilité d’un opossum dérangé.

Maintenant… Eh bien, il jugeait avoir toujours de bonnes raisons d’agir de la sorte et il n’allait pas gagner de prix du meilleur ami dans les prochains temps… mais la boucle temporelle l’avait changé. Il était plus calme et peut-être un peu plus considéré envers les gens qui l’entouraient. Il ne s’était pas disputé avec sa famille depuis plus d’un an, son indépendance financière était totalement assurée une fois que le temps aurait repris son cours, ses compétences magiques en croissance constante avaient fait des merveilles sur sa confiance en lui-même et l’échelle complètement démesurée de son problème actuel rendait toutes ses précédentes petites frustrations sans importance en comparaison.

Ainsi, quand Kirielle le frappa dans le genou pour la troisième fois en quelques minutes à peine, il ne s’en prit pas à elle, sagement, proprement. Il ne soupira même pas d’exaspération. Les yeux toujours rivés sur la fenêtre, il continua à observer le paysage, ces champs si familiers qui défilaient à mesure que le train se rapprochait de Korsa.

— Je m’ennuie, se plaignit Kirielle.

Zorian lui accorda un regard empli de curiosité. Alors que les barrières protégeant le train pirataient le façonnage du mana, elles n’avaient qu’un effet rudimentaire sur son empathie et ce qu’il détectait dans l’esprit de sa petite sœur n’était pas de l’ennui – c’était un mélange d’excitation, d’anticipation et d’appréhension. Pour ce qu’il pouvait juger, une telle soupe de sentiments apparaissait comme étant la chose la plus commune que les gens pouvaient expérimenter et Zorian et était totalement indéchiffrable à son niveau de talent.

— Qu’est-ce qui t’ennuie à ce point ? tenta-t-il.

L’esprit de sa sœur explosa immédiatement en une activité florissante et elle ouvrit la bouche pour tenter de dire quelque chose avant de perdre son courage et de déguiser pathétiquement sa tentative en un bâillement factice. Huh… Alors elle ne faisait réellement pas que s’ennuyer…

— Rien, maugréa-t-elle en évitant son regard et en tirant de manière découragée sur le bas de sa veste.

Zorian leva les yeux au ciel et lui mit un léger coup de pied dans le genou. Même s’il ne faisait que lui rendre ce qu’elle lui avait déjà infligé à plusieurs reprises, elle lui envoya malgré tout un coup d’œil mauvais. Peu surprenant, sa tentative d’intimidation échoua lamentablement – elle était en réalité aussi apeurée qu’un chaton colérique.

— Dis-moi, insista-t-il.

Elle le regarda encore longuement d’un air plus que suspicieux avant de céder.

— Tu m’apprendras la magie, à Cyoria ? finit-elle par lâcher, totalement pleine d’espoir.

Comme c’était prévisible – et ennuyeux. La réponse la plus intelligente et responsable aurait dû être non. Elle n’irait nulle part en un petit mois et cette boucle allait être particulièrement chargée. De plus, elle oublierait tout, au bout du compte.

— …Je verrai ce que je peux faire, dit-il après quelques secondes d’un silence tendu – pour Kirielle, naturellement ; il était plutôt sûr qu’elle avait arrêté de respirer en attendant la réponse.

— Ouiiiiii ! s’écria-t-elle en levant ses petits poings en l’air, aussi triomphante qu’elle pouvait l’être.

— Mais en échange, je veux que tu m’aides à faire quelque chose, ajouta-t-il.

— Bien, accepta-t-elle immédiatement sans même demander ce qu’il avait en tête. Eh, tu peux –

— Non, coupa-t-il. Le train est protégé et on ne peut pas y utiliser la magie. Personne ne le peut, ici.

— Oh, réalisa Kirielle, sa joie retombant comme un ballon dégonflé.

Pour dire la vérité, Zorian déformait un peu la vérité. La barrière du train perturbait la mise en forme du mana mais était rudimentaire, destinée à prévenir des étudiants trop excités ou susceptibles de s’adonner à du vandalisme. Elle n’était rien de plus qu’un léger obstacle pour un mage confirmé comme Zorian. Il pouvait surcharger la barrière avec facilité mais il l’avait déjà analysée à plusieurs reprises et savait qu’elle rapportait tout lancement de sort significatif à un contrôleur lointain. Il préférait ne pas se faire bannir du train avant d’avoir atteint Cyoria juste parce que Kirielle voulait une démonstration gratuite.

— Nous arrivons à Korsa, clama une voix électronique sans émotion, qui répéta son annonce après un craquement et un grincement métallique de plus. Nous arrivons à Korsa.

Eh bien, au moins, Kirielle allait avoir quelqu’un d’autre à embêter dans leur compartiment.

— Il y a tant de monde, fit remarquer Kiri en observant la file sur les quais au travers de la fenêtre. Je ne savais pas que tant de gens allaient à ton école.

Zorian, qui s’amusait à tenter de compter le nombre de passagers sur les quais grâce à son sens spirituel uniquement, lui répondit par un son lointain de confirmation. Il n’était pas totalement inconscient du monde qui l’entourait lorsqu’il utilisait son pouvoir spirituel mais il accaparait tout de même la vaste majorité de son attention s’il voulait en tirer quelque chose d’utile. Après une demi-minute à tenter de séparer la masse d’individus densément regroupée en individus à part entière, il décida cependant que la tâche était au-delà de ses capacités à son niveau actuel de maîtrise et revient vers Kirielle.

— Pourquoi les mages sont-ils si rares si tant de gens étudient pour le devenir ? demanda-t-elle.

— Ils ne sont pas terriblement rares, répondit Zorian. C’est juste que la plupart des mages viennent de zones rurales et n’y retournent jamais une fois le diplôme en poche. Je les comprends totalement – je sais que je n’ai aucune intention de retourner à Cirin une fois tout ça terminé.

— Quoi ?! Pourquoi ?! protesta Kirielle.

Zorian leva un sourcil.

— Dois-je vraiment répondre à cette question ?

Kirielle renifla et croisa les bras devant elle.

— Je suppose que non. Mais ça veut dire que je serai seule avec papa et maman. Ça craint.

— Harcèle mère pour qu’elle te laisse me rendre visite souvent, fit Zorian en haussant les épaules. Elle finira par céder, surtout que tu seras le seul moyen qu’ils auront de maintenir le contact avec moi. Père s’en fiche, alors il suivra l’avis de mère.

— Je peux venir te rendre visite ? lui demanda Kirielle d’un air grave.

— Dès que tu le désires, lui assura Zorian.

— Tu ne me trouves pas ennuyeuse ? continua-t-elle.

— Oh, non. Définitivement pas, répondit Zorian en répondant à son expression mutine par un sourire. Mais tu es le seul membre de notre famille que j’apprécie, en réalité. Et je suis sûr que tu me trouves ennuyeux, toi aussi.

— Et comment, renifla Kirielle en le frappant au genou une fois de plus pour appuyer ses propos.

Ils regardèrent les gens monter à bord en silence à la recherche de compartiments vides pour eux-mêmes et leurs groupes. Mais bientôt, ce genre de perle rare vint à manquer et leur compartiment accueillit des nouveaux occupants : Ibery, Byrn et deux autres filles qu’il n’avait encore jamais rencontrées. C’était un peu inattendu – il s’attendait vraiment à ce que seule Ibery fut présente. Mais peu importait, peut-être était-ce mieux ainsi. Plus il aurait d’audience, plus ce serait simple. Il n’avait qu’à attendre une ouverture.

Et il n’eut pas à prier longtemps.

— Eh bien, ton frère est bien meilleur que le mien, annonça à Kirielle une de filles, après l’avoir entendue décliner leurs identités et la raison pour laquelle ils allaient à Cyoria. Je suis presque sûre que le mien aurait fait absolument tout le nécessaire pour éviter d’avoir à emmener sa petite sœur avec lui.

— J’ai failli en décider ainsi. Avec tout ce qu’on entendu sur le culte du Dragon du Dessous et l’incident, coupa Zorian. Puis, je me suis dit qu’ils étaient sans doute uniquement un groupe d’idiots, de toute façon. Je veux dire, s’il était si facile d’invoquer une armée de démons, Altazia serait déjà à feu et à sang depuis longtemps, n’est-ce pas ?

Les conversations cessèrent d’un coup dans le compartiment et tout le monde se tourna pour fixer Zorian comme s’il lui avait poussé une deuxième tête.

— Quoi ? demanda-t-il finalement, l’air innocent et surpris.

— De… De quoi parles-tu exactement ? demanda Byrn prudemment.

— Tu n’as pas entendu ? s’écria Zorian en fronçant les sourcils, se tortillant inconfortablement sur son siège. Le culte du Dragon du Dessous a proféré une menace… Bon, techniquement, c’est une proclamation d’intention mais peu importe… Ils disent qu’ils vont conjurer une armée de démons le soir du festival d’été. La convergence planétaire qui a lieu ce soir-là sera le plus puissant depuis des siècles et apparemment une opportunité qui n’arrive même pas une fois dans plusieurs vies…

— Tu es sérieux… souffla Ibery, ne sachant si elle devait le demander ou l’affirmer.

— C’est ce qu’ils ont dit, reprit Zorian en haussant les épaules. Et Cyoria possède de nombreux fous dans leur genre donc je pense avoir le droit de m’inquiéter un peu.

— C’est dans le Trou, soupira Ibery. S’il existe un endroit idyllique pour eux, c’est bien un trou dans le sol, d’une profondeur indéterminée qui crache des torrents de mana en continu. Ils pensent qu’il s’agit d’un conduit direct vers le cœur du monde.

Ouah, bonne chose qu’Ibery fut présent – Zorian ne savait pas ça et aurait dû inventer quelque chose. Il devrait sans doute simplement se renseigner sur les vraies croyances et intentions du culte, tôt ou tard, au lieu de simplement se raccrocher au fait qu’ils n’étaient que des tarés sans fondement. Connais ton ennemi, comme on dit.

La conversation ne gravita pas autour des cultistes et de leurs croyances pendant très longtemps pour rapidement aborder d’autres sujet. Zorian le permit, peu enclin à les pousser à continuer. Il n’avait aucune idée de ce que cet échange allait provoquer dans cette boucle ou si elle devait même avoir le moindre effet tout court mais ça ne lui coûtait rien d’essayer de faire démarrer cette rumeur si tôt.

Le premier domino était posé.

 

___

 

Un peu comme la fois précédente, Byrn et Kirielle décidèrent de faire le tour de la gare pendant un moment avant de se rendre en ville. Bien sûr, ce moment venu, la pluie tombait sévèrement. Mais contrairement à la fois passée, Zorian était désormais en possession d’un collier de protection qu’il avait créé sur les quais de Cirin, en attendant le départ. Ainsi, garder la pluie loin d’eux ne draina pas ses réserves de mana le moins du monde. En conséquence de quoi il décida de se montrer sympathique et ne protesta pas du tout lorsque Kirielle insista pour accompagner Byrne à l’académie.

C’est probablement pour ça que Byrn demanda à rester en contact une fois qu’ils atteignirent leur destination et furent sur le point de se séparer. Zorian lui indique comment se rendre chez Imaya et lui dit d’y faire un saut dès qu’il en avait le temps. Il était plutôt certain qu’Imaya ne s’en montrerait pas fâchée et tandis que Zorian lui-même se fichait un peu de ce gamin, il pouvait voir que Kirielle s’entendait sacrément bien avec lui.

En parlant d’Imaya, leur rencontre initiale se passa bien mieux que la fois précédente. Le fait qu’ils ne se fussent pas présentés en tambourinant sur la porte comme des frénétiques les aida probablement à laisser une bonne première impression. Merde, elle ne protesta même pas des masses quand Zorian insista sur le fait qu’il avait quelque chose d’urgent à faire et qu’il partit sous la pluie battante une fois de plus.

La chose importante qu’il devait faire était de parler à la matriarche Aranea pour lui rendre ses souvenirs – sauf que cette fois, il lui amenait des cadeaux supplémentaires. Cinq disques de pierre qui agissaient comme des relais télépathiques qui permettraient aux Aranea de coordonner leurs actions sur de plus grandes distances. Naturellement, le sixième disque resterait en possession de Zorian et il n’aurait plus besoin de descendre dans les égouts à chaque fois qu’il désirait parler avec la matriarche.

[Tu sais, quand je t’ai dit de me contacter aussi vite que possible, je ne voulais pas dire appelle-moi au beau milieu de la putain de nuit !] envoya Zorian à la matriarche en plaçant autant que possible de sa contrariété que possible dans le message – il n’était pas toujours très bon quand il s’agissait d’attacher des sentiments ou des images aux communications mais il était confiant, il arriverait à lui en faire saisir la signification principale. [Je ne sais pas trop pour les Aranea, mais les humains doivent dormir la nuit afin de fonctionner correctement.]

[Mes excuses,] renvoya la matriarche, pas du tout désolée. [C’est un outil fascinant que tu m’as offert. Très impressionnant.]

[Pas vraiment. C’est plutôt basique et bâclé, comme objet magique. J’ai pris un paquet de raccourcis afin d’en créer plusieurs rapidement. C’est un disque plutôt gros, lourd et fait d’une pierre brute et pas très discret ou facile à transporter. Oh, et sa durée de vie est de deux mois et demi.]

[C’est toujours un mois et demi plus long que nécessaire,] remarqua la matriarche.

[Vrai,] confirma Zorian.

[Je suppose que tu peux en faire des versions qui durent plus longtemps ?]

[Oui, évidemment.]

[D’autres artificiers peuvent-ils dupliquer ton travail ?] demanda-t-elle. [Ou est-ce quelque chose que tu as imaginé toi-même ?]

Zorian fronça les sourcils. Pourquoi aurait-elle besoin d’autres créateurs d’objets magiques quand elle l’avait, lui ? Prévoyait-elle de l’envoyer paître à la fin de la boucle ?

[C’est un objet que j’ai créé moi-même,] expliqua Zorian. [Les autres auraient du mal à le répliquer sans créer un plan en premier lieu, et ça pourrait prendre un certain temps.]

Vrai mais pas entièrement. Il avait bien créé les relais par lui-même mais ça n’avait honnêtement pas été si difficile. Il suspectait n’importe quel bon créateur d’objets magiques de pouvoir faire la même chose en un à deux mois… en imaginant qu’ils étaient eux-mêmes psychiques ou en avait un sous la main pour les tests. Elle pouvait bien comprendre ça toute seule, pour autant qu’il pouvait être concerné.

[Je vois,] dit-elle. [Bien, je suppose que devrais te laisser te rendormir. Je voulais simplement te dire que j’ai passé les paquets mémoriels en revue et qu’ils me semblent authentiques.]

Zorian leva les yeux au ciel. Comme s’il pouvait y avoir le moindre doute. Apparemment, ayant eu ce pourquoi elle l’avait contacté, la matriarche coupa la connexion et Zorian se retrouva seul dans son lit à nouveau. Enfin, seul dans sa tête, en tous les cas – Kirielle était avec lui, un fait qu’elle ne manqua pas de lui rappeler lors du premier moment de distraction en tirant à elle le peu de couvertures qui lui restait. Il la regarda de travers mais elle s’emmitoufla un peu plus dans son cocon de draps volés, totalement inconsciente de la colère qui naissait à côté d’elle, perdue dans ses rêves.

Il soupira. Il n’allait plus pouvoir dormir, maintenant. Il lança rapidement un sort de barrière acoustique autour de la pièce et sortit lentement du lit en prenant soin de ne pas réveiller sa petite sœur. Elle était contrariante, oui, mais sa nuit de sommeil n’avait pas été ruinée par sa faute.

Note à lui-même : la prochaine génération de disques devra avoir un bouton marche-arrêt.

 

___

 

Après avoir surpris Imaya par sa présence lorsqu’elle leva, Zorian sortit en ville pour faire le tour des magasins. Le plan que la matriarche et lui avaient imaginé lors de la boucle passée impliquait la création d’un grand nombre d’objets magiques et cela passait par l’achat de composants et de matériaux accompagnés d’outils de spécialistes. Sans parler de ce qu’il devait se procurer s’il voulait commencer à enseigner sérieusement à Kirielle comment devenir un mage.

Il espérait sincèrement que Kirielle fut capable de charmer Kana comme elle l’avait fait la première fois – alors que Zorian était décemment talentueux en alchimie et pouvait se débrouiller seul s’il le devait, l’aide de Kael serait essentielle pour certains des projets concernant cette boucle-ci…

— Zorian ! Par ici !

Zorian fut tiré de ses pensées et se fraya rapidement un chemin vers la personne qui venait de l’appeler. Benisek était exactement celui qu’il cherchait. Il s’installa à ses côtés et tous deux échangèrent quelques plaisanteries avant d’en arriver à la raison pour laquelle il l’avait traqué ce jour-là.

— Ben, mon ami, tu ne vas pas croire ce que j’ai découvert pendant les vacances d’été, annonça Zorian. Je ne comprends toujours pas ce qu’ils pensent pour arriver à un projet tel que celui-là. C’est presque tiré du scénario d’un mauvais livre.

— Dis-moi, répondit aussitôt Benisek en se penchant en avant – hameçon planté.

— Eh bien… commença Zorian, feignant soudain d’en avoir déjà trop dit. C’est un peu confidentiel, tu sais. Je te le dis parce que nous sommes amis mais c’est strictement entre nous, tu ne vas pas le raconter, ok ?

Noter que c’était confidentiel et le prévenir que ça devait rester entre eux était crucial – ça garantissait que Benisek allait propager la rumeur deux fois plus rapidement encore.

— Bien entendu, plaisanta Benisek. Tu me connais, Zorian. Je ne trahirais pas ta confiance.

Zorian ne put s’empêcher de sourire.

— Merci, Ben. Je savais que je pouvais compter sur toi.

 

___

 

Après avoir dit à Benisek tout ce qui concernait le terrible complot terroriste visant à bombarder Cyoria pendant le festival d’été, Zorian se rendit chez Imaya pour y attendre Taiven et son offre de promenade dans les égouts. Il s’amusa en créant une de ces cartes d’entraînement que lui avait montré Xvim. Il avait prévu d’en acheter un paquet dans l’un des magasins qu’il avait visités le matin mais ils coûtaient bien plus cher que ce qu’il s’était imaginé – son respect pour Xvim grimpa un tout petit peu lorsqu’il réalisa la quantité d’argent que son mentor avait dépensé pour son entraînement durant tout ce temps. La liste des complaintes de Zorian faisait plusieurs pages de long mais la radinerie n’en faisait apparemment pas partie.

Il impressionnait toujours Ilsa afin qu’elle le prenne sous son aile, bien entendu. Radin ou pas, l’homme était incroyablement frustrant et tolérable à très petites doses.

Zorian termina de peindre les glyphes sur les coins de la carte qu’il fabriquait et se mit à y lier la combinaison de sorts nécessaire. Kirielle, qui dessinait un vase de fleurs proche, leva brièvement les yeux de sa feuille de papier et remarqua qu’il lançait des sorts mais s’en retourna rapidement à son travail en ne voyant pas les habituels jeux de lumière et autres effets impressionnants.

Il espérait que Benisek garderait le silence sur la source des rumeurs que Zorian lui avait confiées. Ce serait certainement le cas – Ben ne révélait jamais d’où provenaient les informations qu’il distribuait à la pelle s’il n’y était pas obligé car il aimait laisser penser qu’il avait dans la manche des atouts super secrets pour obtenir des informations plutôt qu’avouer qu’il ne faisait que répéter des rumeurs. Cela dit, Zorian avait un plan B même si les autorités découvraient qu’il était à l’origine de l’histoire. Le fait que les Aranea propageaient actuellement les mêmes histoires en différents endroits devait aussi l’aider à masquer où tout ça avait démarré.

Il finissait les derniers ajustements de sa carte lorsque Taiven déboula dans la cuisine et se verrouilla immédiatement sur lui.

— Eh, Cafard, belle maison que tu as là, lâcha-t-elle en se laissant tomber sur une chaise à côté de lui pour jeter un œil à son travail. Ooh, je sais ce que c’est. Je voulais m’en procurer un de ces jours mais j’ai toujours fini par dépenser mon argent ailleurs. Combien en as-tu achetées ?

— Aucune, répondit Zorian. Elles étaient trop onéreuses pour ma petite bourse alors j’ai décidé de m’en faire moi-même. C’est la seule que j’ai faite jusqu’à présent.

Taiven leva un sourcil, amusée par sa prétention. Zorian fronça les sourcils, peu heureux de sa réaction – elle s’imaginait qu’il n’était pas capable de faire ça ? Ce n’était rien ! Il balança la carte terminée vers son visage avec une grimace.

— Tu n’as qu’à l’essayer, lui dit-il.

Soupirant d’un air dramatique, Taiven prit une profonde inspiration et… grimaça. Zorian sentit un mélange de surprise et de frustration provenant d’elle et réalisa qu’elle avait tenté de brûler le cercle qu’il avait tracé, tout ça pour échouer.

— Tu n’as pas réussi, hein ? ricana Zorian.

— Tu l’as mal faite ! Je le savais ! renifla-t-elle.

— Absolument pas, c’est toi qui est nulle, protesta Zorian.

— Absolument pas ! répliqua-t-elle sur le même ton. Pourquoi ne le fais-tu pas si tu es si spécial, hein ?

— Hmpf, renifla Zorian en lui arrachant la carte des mains.

Il la plaça de telle sorte qu’elle puisse voir le résultat de ce qu’il allait faire – et nota que Kirielle avait officiellement abandonné ce qu’elle faisait pour venir voir pourquoi la situation dégénérait – avant d’insuffler du mana dans la carte d’une manière particulière.

Le cercle – et seulement le cercle – brilla d’un rouge intense pendant un instant avant de s’effriter en cendres. Zorian souffla dans le trou pour disperser les restes sur la table avant de tendre la carte d’un air fier à Taiven. Il croisa les bras devant son torse et attendit sa réponse.

— Ahem, toussota une voix de femme mature afin d’interrompre la scène. Vous allez, bien entendu, nettoyer ce bordel que vous avez mis sur ma table, n’est-ce pas, monsieur Kazinski ? Oh, et j’aimerais vous avertir du fait que je vous facturerai tout dégât matériel que vous infligerez à mes biens suite à vos… expérimentations.

Zorian se tourna et offrit à Imaya un large sourire amical. Elle leva les yeux au ciel et fit un geste en direction des cendres sur la table. Laissant tomber sa tête, vaincu, Zorian se rendit à la salle de bains pour y attraper une serpillère en ignorant les rires moqueurs de Taiven dans son dos. Juste pour ça, il était tenté de l’envoyer paître quand elle allait lui demander à l’accompagner dans les égouts.

Brièvement. Le truc, c’est qu’il avait vraiment besoin d’y aller, cette fois-là.

— Alors, de quoi avais-tu besoin, de toute façon ? lui demanda-t-il en s’asseyant à ses côtés une fois de plus.

— Ah, eh bien… Je me demandais si tu m’accompagnerais pour une petite expédition…

Zorian écouta patiemment son explication avant de révéler qu’il avait des contacts avec les Aranea puis de demander à leur parler avant d’envahir les lieux à coups de sorts étincelants. Un peu comment la fois où il avait déjà proposé les choses de la sorts, Taiven accepta l’idée qu’il fréquentait des araignées géantes dans les égouts assez facilement, mais elle eut une requête additionnelle, cette fois.

— Puisque tu penses être assez bon pour te promener dans le donjon en solitaire, rencontrer des monstres intelligents ou que sais-je d’autre, alors je voudrais tester un peu tes capacités, lui intima-t-elle. En plus, ça ne ferait pas de mal de connaître tes capacités de combat réelles si tu dois nous accompagner au travers de situations potentiellement dangereuses. Tu sais un peu te battre, n’est-ce pas ?

— Totalement, la rassura Zorian.

— Bien. Alors viens chez moi demain à l’aube et je te testerai, lui dit Taiven. Tu es sûr qu’elles vont nous donner la montre si on la leur demande ?

— Si elles l’ont, confirma Zorian. Ce mec, qui vous a donné le job, ne m’a pas du tout l’air digne de confiance. Je n’accepte pas une seconde l’idée qu’il ne sait pas où se trouve les Aranea et pourtant, ils vous envoit retrouver une montre ? Soit il tente de vous faire tuer ou… merde, je ne sais pas ce qu’il cherche à faire.

— Si la montre est un objet très précieux ou très illégal, il ne voudrait évidemment pas envoyer une personne capable de reconnaître l’objet dès qu’ils l’auront entre les mains, fit Taiven en fronçant les sourcils. À quel point ces araignées sont-elles dangereuses, exactement ? Je veux dire, même sans parler de leur intelligence, elles sont toujours fatalement vulnérables au feu et à ce genre de choses. Peut-être pense-t-il que nous allons nous frayer notre chemin par la force, sans poser de questions.

— Les Aranea sont toutes des mages, expliqua Zorian.

Ce n’était pas tout à fait vrai, seule une minorité d’entre elles étant armées avec un vrai système de lancement de sorts, mais les pouvoirs psychiques étaient assez versatiles pour compter comme une sorte de magie spécialisée.

— Elles sont spécialement douées en magie mentale, en illusion et en furtivité. Elles possèdent un lien télépathique avec les autres : elles verront et se souviendront si tu massacres un simple éclaireur, alors ne parlons même pas d’un camp ou d’un avant-poste. Tu aurais alors une armée d’araignée psychiques intelligentes aux trousses, animées par une sévère rancune. Tu te ferais piéger et massacre en remettant les pieds dans le donjon, même des années plus tard.

— Merde, jura Taiven, qui émit bien malgré elle une pointe de colère avant de maîtriser ses émotions. Ce trou de balle ferait bien d’ignorer qu’il existe un tel danger ou je le reporte immédiatement au poste de police le plus proche ! C’est quasiment une tentative de meurtre !

— Parlons aux Aranea avant toute chose et voyons ce qu’elles ont à dire, rajouta rapidement Zorian, qui ne voulait pas que Taiven aille tout gâcher, le forçant à annuler le plan dans sa totalité. Je te garantis qu’elles ne t’attaqueront pas tant que je suis avec toi.

Tieven le fixa longuement d’une façon incompréhensible.

— Quoi ? demanda-t-il.

— Rien, répliqua Taiven. C’est juste que… je pensais te connaître et il s’avère maintenant que tu as une vie secrète dont je n’ai jamais entendu parler jusqu’à maintenant. C’est un peu surréaliste.

— Ouais ! s’invita soudain Kirielle, qui était restée silencieuse trop longtemps après avoir malgré tout écouté ce qui s’était dit de long en large. Comment ça se fait que tu n’aies jamais parlé de ça à ta petite sœur ?

— Oh, celle-là est facile, répondit doucement Zorian. Je ne voulais pas que père et mère le découvre et te le dire aurait été stupide. As-tu une idée du nombre de fois où tu m’as mis dans la misère en racontant mes secrets aux parents ?

— Oh, allez ! chouina Kirielle. J’étais un bébé ! Je n’en savais rien ! Tu ne peux pas encore m’en vouloir pour ça ?

— Non, bien sûr que non, grommela Zorian d’un air gêné. Je viens de parler des Aranea devant toi, non ?

Taiven secoua tristement la tête en se levant.

— Tu gardes trop de secrets. Je me sens un peu blessée de ne pas avoir été digne de confiance mais je n’ai jamais été du genre à garder rancune alors je n’en dirai rien. Ne t’attends simplement pas à ce que ce soit la fin de tout ça – je vais te harceler jusqu’à avoir l’histoire complète. On se voit demain.

— Attends, l’arrêta Zorian. En fait… Il y a quelque chose que je dois te dire. À vous tous. Miss Kuroshka, je sais que vous nous écoutez depuis un moment alors vous pouvez aussi bien vous asseoir avec nous.

Imaya cessa ce qu’elle faisait et se retourna, sourire aux lèvres, mains sur les hanches et regard légèrement colérique.

— Je ne faisais rien de tel, le sermonna-t-elle. Je m’occupais simplement de mes affaires et dans ma cuisine, rien de moins. Si tu ne voulais pas que j’entende ce que tu avais à dire, tu aurais dû raconter tout ça ailleurs.

— Au temps pour moi, confirma Zorian avec aisance – il était plutôt certain qu’elle avait terminé ce qu’elle avait à faire dans sa cuisine depuis un moment et se contentait de tourner en rond pour les écouter mais peu importait. Kiri, tu te souviens que je t’ai promis de t’apprendre la magie en échange d’une faveur, dans le train ?

— Ouais ? confirma-t-elle en hésitant un peu.

— Bien. Une petite explication, en premier lieu. Je suis ce qu’on appelle communément un empathe. Une personne qui peut ressentir les émotions des autres. Malheureusement, jusqu’à récemment, mes pouvoirs n’ont eu de cesse de partir en vrille et peu importe vers qui je me tournais, personne n’a été capable de m’aider… chez les humains, en tout état de fait.

— Les araignées, résuma Imaya.

— Les araignées, confirma Zorian. Les Aranea sont toutes empathiques par nature, de façon innée. Grâce à elles, j’ai désormais un contrôle plus ou moins stable sur mes capacités empathiques, bien qu’il me faudra des années de pratique pour les raffiner réellement en quelque chose de fiable. Vous me suivez toujours ?

— Qu’est-ce que je ressens, actuellement ? demanda Kirielle.

— Je n’en sais rien, admit Zorian. Les sentiments des gens sont rarement simples et à moins qu’ils ne ressentent une émotion particulière de façon très violente, je suis réduit à devoir deviner les choses selon mes interactions passées avec l’une ou l’autre personne. Plus je passe de temps avec quelqu’un, plus il m’est facile de comprendre ses émotions.

— Mais n’est-elle pas ta petite sœur ? demanda Imaya. On pourrait imaginer que si quelqu’un était assez familier avec toi pour ça, c’est bien ta famille.

— Notre famille est… hésita Zorian en cherchant le mot correct. Légèrement dysfonctionnelle, je dirais. Je tente de m’en éloigner la plupart du temps alors je n’ai pas interagi avec Kirielle tant que ça. Et je ne suis pas le seul à avoir des secrets ici. Kirielle garde également beaucoup de choses pour elle. Je suppose que nous ne nous connaissons pas si bien, liens fraternels ou pas.

Il y eut un bref silence tandis que tout le monde tentait de digérer cette information mais l’atmosphère pesante fut rapidement brisée lorsqu’Imaya s’éclaircit la gorge.

— Bien, dit-elle. J’imagine que c’est une bonne chose que vous soyez là tous les deux pour reconnecter tout ça.

— Ouais ! opina immédiatement Kirielle. Eh, tu penses que je pourrais être une empathe, moi aussi ?

— Désolé, Kiri, mais je suis plutôt sûr que tu ne l’es pas. J’aurais été capable de le ressentir, sinon.

— Tu peux sentir les autres empathes ? demanda Taiven.

— Je peux sentir tous les esprits vivants autour de moi, empathes ou pas, expliqua Zorian. Je reçois également des informations basiques de la part de chaque esprit – la complexité de leurs pensées, leur espèce, leur genre, des choses comme ça. Les empathes brillent comme des petits soleils face à mon sens spirituel, alors… désolé, Kiri.

— Pas de problème, lâcha-t-elle en émettant également un sentiment de dégout.

— Tu peux sentir les gens autour de toi, peu importe les obstacles ? s’étonna Taiven, ce à quoi Zorian acquiesça. Et la portée de cette capacité est… ?

— Si je suis occupé avec quelque chose d’autre et que je laisse tourner mon sens spirituel en tâche de fond ? Dix mètres, plus ou moins, répondit Zorian. Si je me concentre spécialement sur l’analyse de mon environnement, facilement dix fois plus. Cependant, s’il y a beaucoup d’esprits autour de moi, j’ai du mal à traiter l’information et ils se mélangent tous ensemble en une espèce de masse confuse et qui me donne la migraine rapidement. Quand je suis dans une foule, je me contente essentiellement de couper mon sens spirituel.

— Cafard, je te recrute tellement pour mon équipe, trancha Taiven. J’essaye de trouver un pisteur pour mon équipe depuis un bout de temps, tu sais ! Maintenant, on n’a plus qu’à t’enseigner quelques sorts de divination et –

— Déjà fait, merci, coupa Zorian. Je suis plutôt efficace et doué en divination.

— Encore mieux ! s’exclama Taiven, qui commençait à croire tout ce qu’il racontait comme une parole divine. Tu es engagé.

— On verra, soupira Zorian.

— Fascinant, souffla Imaya. Je n’ai jamais entendu parler de cet aspect de l’empathie, même si je suppose qu’il est logique que quelqu’un capable de sentir les émotions des autres peut également les localiser à travers elles. Mais ce n’est pas de ça que tu voulais nous parler, n’est-ce pas ?

— Non, en effet, acquiesça Zorian. Ce n’est pas de notoriété commune, mais l’empathie n’est que l’expression initiale d’une capacité bien plus… dangereuse. Un empathe suffisamment doué peut franchir le fossé entre les esprits et se connecter à quiconque est à portée afin de discuter avec cette personne par télépathie, lire ses pensées, tromper ses sens ou jouer avec ses souvenirs. Les Aranea m’ont appris à faire ça.

Il s’arrêta pour évaluer leurs réactions. Bon, personne ne paniquait ou ne se levait sur une crise de colère outragée, c’était déjà un bon point.

— Je n’ai pas l’intention de vous faire ça sans permission, continua-t-il. Mais en même temps, il me faut quelqu’un pour m’entraîner. Les Aranea ne sont pas très pratiques pour ça – leur esprit est trop étranger au nôtre pour qu’un débutant tel que moi puisse le comprendre. J’ai besoin d’un volontaire humain et j’espère que tu vas m’aider, ô ma sœur.

— Tu veux lire mon esprit ? demanda-t-elle.

— Pour le dire simplement, oui.

— Et si je refuse, tu m’apprendras tout de même la magie ?

— Absolument, confirma Zorian. C’est une requête, pas du chantage. Si tu refuses, je trouverai simplement quelqu’un d’autre.

— Alors ok, répondit-elle. Je suppose que je vais t’aider. Mais tu n’en parles à personne… sur les choses dans ma tête. Et tu devras me raconter tous tes secrets en échange !

— Bien sûr, sourit Zorian. C’est équitable.

 

___

 

La confrontation s’était passée étonnamment bien, Zorian s’en rendait bien compte. Bien sûr, Imaya l’évitait depuis lors et Kirielle le regardait souvent du coin de l’œil mais rien de tout ça ne le terrifiait, c’était juste… inconfortable. Elles avaient pris la révélation bien mieux qu’il ne l’avait prédit.

Bien sûr, il y avait Taiven, également. Égale à elle-même, elle ne semblait pas du tout perturbée par le fait qu’il fut en train d’apprendre à lire dans les pensées.

— Tu es prêt, Cafard ? demanda-t-elle en faisant tourner le bâton dans sa main.

— Toujours prêt, ouais, dit-il en serrant sa baguette.

S’il savait quoi que ce fut de la façon de penser de Taiven – et il en savait assez – elle allait immédiatement passer à l’offensive. Sa philosophie de combat se réduisait de façon basique à attaquer avec force et ne pas avoir besoin de se défendre… bien qu’elle fut capable de se défendre malgré tout, si besoin. Il ne pouvait pas gagner un combat face à face contre elle-même s’il était techniquement un meilleur mage qu’elle, alors il allait devoir en revenir à des trucs et astuces s’il voulait la dominer.

Une victoire contre elle serait agréable – son visage, quand elle perdrait contre ce bon vieux Cafard, était destiné à être inestimable.

Un clignement de paupière fut suffisant pour voir apparaitre 5 missiles magiques, tous verrouillés sur lui. Il les laissa s’écraser inutilement contre son bouclier et leur répondit par un sort électrique plutôt exotique. Un rayon d’électricité partit vers Taiven, qui eut à peine le temps d’ériger un bouclier basique pour l’encaisser.

Mais à mi-chemin entre Zorian et sa cible, le rayon se scinda en trois version de lui-même, plus petites. L’une se dirigea vers la gauche de Taiven, l’autre vers la droite et le dernier au-dessus de sa tête. Ils changèrent à nouveau de direction dans le but de la percuter sous trois angles différents, contournant totalement le bouclier qui venait d’apparaître devant elle.

Ce n’était pas suffisant, cela dit. D’une manière ou d’une autre, Taiven parvint à faire transiter son bouclier d’une sphère simple à une protection multi-aegis qui la couvrit en totalité au moment où l’électricité s’abbatit. Zorian lança quelques bombes fumigènes alentour afin de l’aveugler, comptant se servir de son sens spirituel pour la localiser ; puis, dès qu’il fut obscurci par la fumée, il se mit à incanter un sort compliqué qui n’était pas inscrit sur sa baguette.

Taiven répondit à son tour en invoquant plusieurs rafales de vent destinées à disperser la fumée et choper son adversaire dans le même temps. Elle parvint à le découvrir de son écran de fumée pile au moment où il termina de préparer son sort ; sort qui vida instantanément ses réserves de mana au passage.

Si ça ne fonctionnait pas, c’était terminé pour lui.

Un rayon brillant de force concentrée surgit de sa main et s’écrasa sur le bouclier de Taiven. Celui-ci éclata instantanément au point d’impact et Taiven fut soulevée par le choc qui s’ensuivit, projetée violemment au sol. Elle ne se releva pas, totalement ko pour le compte.

— Oups, chuchota Zorian. J’en ai peut-être fait un poil trop. J’aurais pu la tuer si son bouclier n’avait pas encaissé une partie de l’impact.

Après avoir lancé quelques sorts de divination pour s’assurer qu’elle allait essentiellement bien, qu’elle n’avait pas d’hémorragie interne ou rien de tel qui aurait pu lui faire du mal, Zorian s’autorisa à sourire. Il allait devoir travailler sur la retenue mais c’était une victoire. Et elle n’avait jamais été douce avec lui lors de leurs combats précédents, alors elle n’avait aucun droit de se plaindre à propos d’un excès de force. Il ne pouvait pas attendre de voir son expression quand elle reprendrait connaissance.

 

___

 

— Allez, Cafard, grogna Taiven. Trouve tes araignées et on peut en finir avec cette mission. J’en ai vraiment marre de cet endroit.

Zorian soupira et se concentra une fois de plus sur l’analyse de son environnement. Analyse qui pourrait se dérouler tellement plus rapidement si Taiven arrêter de l’ouvrir sans arrêt – tu parles d’une mauvaise perdante !

— Eh, lui chuchota une voix masculine à l’oreille, le sortant de sa concentration. Il s’est passé quoi entre toi et elle pour qu’elle soit si contrariée ?

Zorian jeta un coup d’œil rapide vers Grogneur pendant une seconde et réfléchit à ce qu’il devait répondre. Il décida finalement d’être franc et brut.

— Je l’ai battue en duel. Elle pense que j’ai triché.

Grogneur le regarda avec de grands yeux, l’espace d’un instant.

— Tu as battu Taiven en duel ? N’es-tu pas un troisième année ?

— Je le suis pour sûr, confirma Zorian juste avant de noter une présence familière sur sa carte mentale. Oh, eh, elles sont là.

Après les présentations initiales, Taiven aborda immédiatement la raison qui l’avait poussée à descendre dans les égouts, pour se voir déçue aussitôt après.

— Alors, vous ne possédez pas la montre ? redemanda-t-elle pour être sûre.

— En effet, je crains de devoir avouer que le groupe d’attaquants suivant est parvenu à s’introduire dans notre salle du trésor et à emmener une grande partie de nos artefacts… la montre que nous avons récupérée après la fuite de ce voleur parmi eux, annonça la matriarche d’un air navré. Je sais où se trouve leur base, par contre.

C’était un amoncellement de conneries, Zorian le savait. La montre était bel et bien ailleurs – spécialement dans l’un des avant-postes utilisés par les envahisseurs pour lancer des attaques sur les Aranea – mais elle y était parce que les Aranea l’y avaient placée. L’idée était que Taiven et son groupe s’introduisent dans l’avant-poste, réalisent qu’ils étaient tombés sur quelque chose d’énorme – plus gros que tout ce qu’ils étaient capables de gérer – et fasse un rapport aux autorités.

C’était le job de Zorian de s’assurer que le groupe survive à la rencontre.

— Comme c’est pratique, grimaça Zorian. Récupérer la montre implique d’aller chercher des noises à vos ennemis.

— Une coïncidence fortuite et bienheureuse, lâcha facilement la matriarche. Nous en tirons tous deux quelque chose, après tout. Vous, la localisation de la montre gratuitement et moi, gérer un de mes problèmes sans risque pour ma Toile. Maintenant… Voulez-vous l’information, oui ou non ?

— Mais qui sont ces ennemis, au juste ? demanda Taiven.

— Je ne sais pas exactement, répliqua la matriarche. Les attaques consistent toujours en une même routine, un mage qui contrôle deux trolls de guerre. Mais leur avant-poste aura certainement plus de ressources que ça.

— Des trolls de guerre ?! pâlit Taiven. Putain, c’est largement plus que ce pourquoi on a signé !

— Ce type ne nous paye définitivement pas assez pour qu’on aille se frotter à des trolls de guerre et un mage capable de les contrôler, lâcha doucement Grommeleur.

— Il faudrait vérifier malgré tout, tenta Zorian. De loin ? Je pourrais être capable d’évaluer les forces en présence.

— Ouais, confirma Taiven après un instant de réflexion. Ouais, on devrait au moins vérifier. Sans vouloir offenser la matriarche ici présente, mais des types courant les égouts et armés de trolls de guerre, ça ne semble… pas très plausible. Peut-être a-t-elle vu quelque chose d’autre ?

— Je suppose que c’est possible, permit la matriarche. Je n’ai jamais vu de troll avant ça et je n’étais pas présente quand les incidents sont survenus mais ils avaient certainement l’air des descriptions que les humains font des trolls.

— Bien, acquiesça Taiven. Où as-tu dit qu’elle se trouvait, cette base ?

 

___

 

La base n’était en réalité pas dans les égouts de la ville. Cette partie du donjon était essentiellement contrôlée et surveillée et il aurait été impossible d’y camoufler une grande quantité de soldats pour un certain temps. Pour ce que ça valait et même si elles les considéraient comme une partie de leur territoire, les Aranea ne vivaient pas dans les égouts, elles non plus. La base des araignées et les divers avant-postes des envahisseurs si situaient tous dans ce qui était connu par les autorités comme était les niveaux intermédiaires.

Il n’était pas particulièrement rare pour les mages de descendre dans les niveaux intermédiaires mais ce n’était pas quotidien non plus. Ils étaient trop dangereux pour une balade nonchalante pour les civils non-armés et ne contenaient aucune ressource de valeur capable d’attirer les explorateurs de donjon et autres chasseurs de trésors. La ville engageait des mercenaires pour balayer la zone toutes les quelques années et la nettoyer de toute menace évidente qu’ils pouvaient y trouver et ils emportaient généralement avec eux tout ce qui pouvait valoir quoi que ce fut. Pour tous ceux qui désiraient se mesurer aux sous-sols et ses habitants à la recherche de richesses, il y avait le Trou et son accès direct aux niveaux inférieurs, qui n’étaient réellement conquis – et encore, en infime partie – toutes les quelques dizaines d’années seulement. Dans les niveaux intermédiaires, la plupart des visiteurs consistaient en quelques étudiants à la recherche de frissons et une patrouille occasionnelle afin de garder les choses en visuel.

Les envahisseurs choisissaient le moment de leur attaque avec pertinence. La ville était si concentrée sur le festival et ses problèmes inhérents qu’elle ne prêtait pas du tout attention à ce qui se passait dans le donjon. Ce ne serait normalement pas un problème – peu de gros dangers pouvaient surgir à partir de rien en quelques mois à peine – spécialement lorsque rien n’indiquait que quelque chose de gros se préparait… Mais maintenant…

— Putain de merde, chuchota Taiven en regardant une fois de plus le camp depuis leur couverture. Ils ont une putain d’armée !

— Baisse-toi, idiot ! grogna Grogneur en la tirant pour la forcer à se cacher derrière le rocher qu’ils utilisaient pour espionner le camp ennemi. Tu veux qu’ils te voient ? S’ils nous repèrent, on est morts. Il doit y avoir au moins une centaine de trolls de guerre… et au moins 20 mages pour les contrôler.

— Désolée, lâcha Taiven. C’est juste si… impossible.

Zorian devait avouer qu’il était d’accord. Il s’y attendait et il était malgré tout surpris de ce qu’il avait sous les yeux. La taille de ce camp… Mais encore une fois, c’était pour cette raison que la matriarche avait choisi cette base en particulier parmi la douzaine qu’elle connaissait. Les autres étaient plus petites et mieux cachées alors que celle-ci était située dans une immense caverne et était largement éclairée par des illuminations artificielles : un observateur humain pouvait voir le camp entier depuis un point de vue surélevé. C’était juste parfait.

— Hmm, je me demande…

Zorian fit courir ses doigts en silence le long du mur du tunnel qui les avait amenés là. C’était inégal mais lisse. Bien trop lisse pour être naturel. Le rocher derrière lequel ils se cachaient était identique.

Apparemment, c’était encore mieux planifié qu’il l’avait imaginé. Il supposa qu’un des mages Aranea avait creusé ce tunnel et créé ce rocher dans le seul but de leur donner le point d’observation parfait sur le camp. Voilà qui pouvait expliquer pourquoi personne ne prêtait attention à cette entrée particulière alors que les deux autres étaient lourdement gardées. Ils ne savent même pas qu’elle existe.

Bon, peu importait – il était temps de jouer son rôle dans cette mascarade. Il sortit un miroir de son sac à dos et lança silencieusement un sort d’espionnage à sa surface. La base possédait une protection anti-divination mais ce sort de protection particulier servait à empêcher les gens de réaliser que le camp se trouvait là. Comme Zorian était déjà au courant de son existence et de sa localisation et se trouvait en plus juste à côté, cette protection était parfaitement inutile à ses yeux.

Après 5 minutes d’observations du camp à travers le miroir, Taiven décida qu’elle en avait assez vu et lui fit signe d’annuler le sort.

— Allons-y, décida-t-elle. Je veux sortir de là avant que la chance ne tourne.

Ils firent demi-tour et sortirent presque sans complications. Presque.

Comme tous quatre approchaient l’un des sceaux entre les égouts et les niveaux plus profonds du donjon, ils se retrouvèrent soudain face à face avec un duo de mages encapuchonnés et flanqués de 4 trolls. Pendant quelques secondes, les deux groups restèrent immobiles en cherchant à comprendre ce qu’ils voyaient, ni l’un ni l’autre ne s’attendant à tomber sur des mages ou des étudiants à cet endroit particulier. Zorian nota avec ennui que leur présence mentale était plus ou moins effacée – sans aucun doute une mesure contre les Aranea – et s’insulta silencieusement pour ne pas avoir songé que les ennemis avaient sans doute un moyen d’affronter les sens spirituels.

L’impasse scénaristique fut brisée par un des mages qui ordonna aux trolls de charger.

Ni Taiven ni ses deux amis n’hésitèrent face à quatre trolls de guerre décidés à les massacrer et levèrent leurs bâtons pour bombarder les attaquants avant de se faire écraser. Zorian décida d’occuper les mages et lança un petit essaim de perceurs, deux pour chaque ennemi.

Plusieurs choses se produisirent en même temps. L’un des mages abandonna le lancement du sort quelconque qu’il préparait et éleva un bouclier pour encaisser efficacement les missiles qui arrivaient vers lui. L’autre était moins doué et leva un bouclier totalement raté – les deux missiles le percutèrent en plein torse et il s’écroula dans une douche de sang. Grogneur et Grommeleur lancèrent rapidement des torrents de flammes pour ralentir les trolls mais si le feu en fit hésiter trois, le plus gros et plus lourdement équipé – une lourde armure et une grosse masse à pointes – s’élança à nouveau en avant, perturbé mais intact.

Taiven les toucha tous avec un tsunami de force, prévoyant d’assommer le groupe entier d’un seul coup pour leur accorder un peu d’espace et elle y réussit en partie – les trois trolls qui reprenaient leurs esprits et mage survivant furent éjectés plus loin dans le tunnel, loin d’eux. Mais ce gros troll sur le devant tint ses positions en incrustant l’un de ses pieds dans le sol.

Il leva son énorme masse de fer au-dessus de sa tête pour préparer un violent coup descendant et hurla, défiant instinctivement ses adversaires – ses proies. Son cri les fit frémir et les paralysa comme s’il s’était agi d’un coup physique, agissant un peu comme une version miniature du sort de Taiven. Zorian cligna des yeux. Il avait toujours imaginé que les trolls ne possédaient aucune autre capacité magique que leur régénération absurde.

Mais il n’avait pas le temps de se poser la question ; le troll misa tout sur la distraction qu’il venait de causer et se rua vers l’avant, masse toujours en l’air.

Frénétiquement, Zoiran érigea un grand bouclier devant le groupe pour tenter de gagner du temps. Malheureusement, ce troll, contrairement à tous ceux que Zorian avait croisé par le passé, était trop malin pour simplement s’écraser sur le bouclier. Il abattit sa masse sur ce nouvel obstacle translucide avec puissance et nervosité. Une fois, deux fois, trois fois. Le bouclier se brisa et le troll lui envoya un violent coup de pied dans le torse, l’envoyant bouler sur Grommeleur et Grogneur et interrompant le sort qu’ils étaient en train de lancer.

Taiven, d’un autre côté, parvint à finaliser le sien. Un vortex de feu jaillit se fut projeté en avant, achevant ce qui pouvait rester du mage survivant et des trois autres trolls mais laissant le plus gros à peine légèrement carbonisé.

Légèrement carbonisé, sans maître pour le contrôler et très, très en colère.

— Merde, jura Taiven tout bas face au troll qui levait une fois de plus sa masse pour un coup fatal, cette fois.

Même s’il savait que la mort ne serait pas permanente, même s’il savait que ça pouvait arriver lorsqu’il avait accepté la mission, Zorian se trouva totalement horrifié à l’idée de voir Taiven écrabouillée à mort. Tuée à cause de lui, de ses plans et machinations…

Mais une chose se passa. Dans un coin de son esprit, il sentit celui du troll et remarqua qu’il n’était plus absent. Taiven, en incinérant les environs et en échouant à le tuer, avait tout de même fait disparaître – peut-être en même temps que le mage maintenant mort – ce qui le rendait invisible à son sens spirituel. Plutôt que de tenter une attaque sophistiquée, il se lâcha totalement et le submergea d’un fatras sans queue ni tête de tout ce à quoi il pouvait songer, submergeant l’esprit du troll d’une télépathie agressive et totalement aléatoire.

La bête frémit sous le choc et fut saisie de spasmes, s’arrêtant net et laissant tomber la masse au sol. Zorian lança immédiatement deux cubes explosifs à ses pieds.

— Taiven, recule !

Il ne fallait pas le lui dire deux fois. Elle reprit immédiatement ses esprits et tituba hors de la portée du troll. Zorian activa les bombes une fois qu’il l’eut jugée hors de portée et le troll fut enveloppé d’une explosion assourdissante qui fit vibrer sol et murs.

Et il parvint à survivre malgré ça. À genoux, se tenant la jambe et grimaçant de douleur et le corps sanglant mais Zorian pouvait déjà voir les lambeaux de chair qui fusionnaient les uns avec les autres.

Putain de merde, mais il se passait quoi avec ce troll ? C’était un super-troll ou quoi ?

Deux longs stalactites de glace percutèrent immédiatement le torse du monstre, courtoisie de Grogneur et Grommeleur. La créature tomba et ne bougea plus.

— Il est finalement mort ?

— Je sais pas et j’men fous, trancha sèchement Taiven. On se casse avant d’en croiser un autre.

Zorian prit une profonde inspiration tremblante et acquiesça. Puis, il tenta de faire un pas en avant et grimaça sous la douleur qui lui remontait de la jambe. Il pouvait marcher mais il savait que ça allait durer pour la semaine.

Et il valait mieux que ça vaille le coup, bordel d’araignée manipulatrice.

 

___

 

[Alors, c’est fait ?] demanda la matriarche.

Zorian attrapa le disque en pierre et le serra dans ses mains.

[Je viens de le dire, non ? Heureusement, il n’y a pas eu de pertes même si ce n’était pas loin. Notre contact proche avec la mort sert notre plan de nombreuses façons quoi qu’il arrive. Taiven est vraiment énervée contre eux, maintenant. Elle est déterminée à faire tomber le couperet de la justice. Elle va aller les reporter dès demain aux autorités de la vile. J’espère sincèrement que notre rencontre avec ce groupe n’était pas un arrangement de ton fait, Miss Lance de Résolution, ou je serai vraiment très en colère.]

[Ne t’inquiète pas, je n’ai rien à voir avec ça,] le rassura-t-elle.

[Bien,] soupira Zorian.

Peut-être était-il paranoïaque mais le comportement de la matriarche était de plus en plus cachotier et secret depuis quelques boucles et il la voyait très bien arranger une chose pareille.

[Et toi ? Ton job est fini ?]

[Oui,] confirma-elle. [J’ai contacté Zach et lui ai dit que les Aranea sont au courant pour la boucle temporelle.]

Raka
Les derniers articles par Raka (tout voir)
MoL : Chapitre 23
MoL : Chapitre 25

Related Posts

9 thoughts on “MoL : Chapitre 24

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Social Media Auto Publish Powered By : XYZScripts.com