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Chapitre 104 – L’offre et la demande (4)

 

Lancelot resta de marbre face à ma question. Ne sachant trop que répondre, je le vis ouvrir et fermer la bouche à plusieurs reprises. Maintenant, même s’il me clamait haut et fort que j’avais tort, je ne le croirais plus, il était trop mauvais menteur une fois pris au dépourvu.

— Je… Euh… Une… Une marionnette ?

— Une marionnette, oui, répétai-je tout en regardant la réaction d’Arthur.

Ce dernier ne broncha pas. Il se contentait d’observer les environs, un peu comme si son esprit avait été mis sur pause, qu’il n’entendait plus ce qui se passait autour de lui. Lancelot lui jeta un coup d’œil rapide et en se rendant compte qu’il était dans cet état, soupira de soulagement.

— Bon. Me rendras-tu l’épée si je te raconte tout ?

Lancelot se rendit apparemment compte qu’il ne se sortirait pas de cette situation sans étaler la vérité. S’était assuré que le roi n’allait pas apprendre de quoi il retournait parce qu’il était dans une espèce d’état de transe étrange et inconscient de la réalité qui l’entourait, le premier Chevalier m’offrit le regard le plus sérieux qu’il m’avait accordé jusqu’à présent.

— Je te la rendrai, lui promis-je en hochant la tête.

— Tu ne répèteras rien de ce que je vais te dire ? Je veux ta parole d’exploratrice. Je veux que nous signions un contrat spécial. J’accepte de satisfaire ta curiosité si c’est le prix à payer pour la paix du royaume par le retour d’Excalibur, mais si tu t’avises de parler de ça à qui que ce soit… y compris au roi… Alors ton esprit deviendra mon esclave pour l’éternité.

Ce qu’il me dit alors me fit froid dans le dos. Esclave pour l’éternité ? N’était-ce pas ce que faisait le système ? Je pouvais bien croire qu’il existait donc un contrat magique capable de faire de même. Mais je voulais à tout prix savoir. Personne d’autre que moi n’avait besoin de savoir, après tout. Je savais garder ma langue.

— Je promets, lui accordai-je, donne-moi le contrat. Je suppose que tu es capable de le produire ici et maintenant, n’est-ce pas ?

Il n’attendit pas que je termine ma phrase et tira un parchemin de la sacoche qu’il portait à la hanche. Décidément, il avait de la ressource pour toutes les situations.

Je décidai de lui faire confiance. Après tout, Friderik était toujours sur mon épaule et prêt à se jeter entre lui et moi si le besoin s’en faisait sentir. Aussi m’approchai-je lentement de lui et attrapai-je le contrat qui venait de s’illuminer par magie.

Après l’avoir lu et constaté qu’il était exactement comme Lancelot l’avait dit, j’y apposai la paume de ma main. Étrangement, je savais comment faire, instinctivement. Lancelot le récupéra et après l’avoir vérifié une dernière fois, le fit disparaître dans sa sacoche.

— Bien. Tu vois, je suis lié par serment, désormais, lui dis-je, alors n’aies pas peur, je ne reviendrai pas sur ma parole. Tu récupèreras Excalibur de ma main à la condition que tout ce que tu me dises soit la vérité absolue. Il faut que tu comprennes que ma situation est spéciale et que pour ma sécurité, j’ai besoin de savoir. Puis, à l’avenir, aucune information concernant ce que tu vas me dire ne sortira de ma bouche, de ma main, ou de quelque façon que je pourrais avoir de les divulguer.

Lancelot hésita encore un instant, réfléchissant à la moindre petite possibilité qu’il me restait de le trahir mais n’en trouva visiblement aucune. Il finit par se détendre et me fit signe de m’asseoir sur une souche, après quoi il fit de même, tout près de moi, suffisamment près pour que je puise entendre ses chuchotements.

Il allait vraiment choisir de me faire confiance ; je supposai alors qu’à sa place, il valait mieux ça et l’assurance de récupérer l’épée et de mon silence plutôt que de me faire la guerre. Après tout, même s’il était plus puissant, rien ne lui garantissait que je n’avais pas un atout dans ma manche – et je lui avais déjà promis de me laisser mourir et de disparaître s’il cherchait à me capturer et m’enfermer. Quoi qu’il aurait pu en dire, rien ne pouvait lui garantir que je ne n’en avais pas la capacité.

L’assurance était préférable au risque, lorsqu’on avait un royaume à protéger. Aussi baissai-je légèrement ma garde pour lui parler tout bas.

— Alors, Lancelot, dis-moi ce qu’il se passe avec le roi. Pourquoi est-il… comme ça ? Non, attends. Avant tout, explique-moi tes origines. D’où viens-tu ? Comment es-tu arrivé ici ? Tu es le chevalier Lancelot, le légendaire chevalier de la table ronde. Comment as-tu pu arriver dans un royaume identique mais dans lequel il manquait… dans lequel il manquait Lancelot ? Crois-moi, je flaire quelque chose de louche et il faut que je sache. Avant tout, il faut que je sache.

Il dût voir un mélange de détresse et de résolution dans mon regard, parce qu’il m’adressa un léger sourire compatissant.

— Le légendaire chevalier de la table ronde ? Tu me connaissais ? demanda-t-il contre toute attente.

— Hein ? Mais…

Bien entendu, comment aurait-il pu savoir que la légende du roi Arthur et de sa quête, de ses chevaliers et de sa table ronde avait perduré depuis plus de 1500 ans ?

— Tu… Lancelot… Tu viens de la Terre, n’est-ce pas ? Tu viens de Bretagne, en l’an de grâce 400, ou quelque chose comme ça ? Je me trompe ?

— Oh ? Bien vu, dame exploratrice. Je viens en effet du grand royaume de Bretagne, sur lequel régnait le roi Arthur Pendragon, et son père Uther avant lui. Toi aussi, tu viens de… ?

— Non, lui affirmai-je aussitôt en secouant la tête, mais la légende d’Arthur et de la table ronde a perduré. Vous êtes des personnages immenses de l’Histoire, sur Terre, plus de 1500 ans plus tard.

Il recula légèrement, choqué.

— V… Vraiment ? Si je m’attendais… Mais… Je comprends ton raisonnement, maintenant. Oui, je vais tout te dire. Nous sommes liés par un contrat incassable, et par respect pour ma légende, il faut que je sois fier et grand, alors je ne te mentirai pas.

Quel idiot, quand même. Je me fichais un peu de sa légende. Je la connaissais, voilà tout.

— Je… Par où commencer… Mon roi. Le vrai roi, Arthur Pendragon, dans le royaume de Bretagne. Il était le soleil de nos vies, celui pour qui nous avions juré de vivre et mourir. Et il le méritait, crois-moi. C’était quelqu’un d’extraordinaire. J’aurais facilement pu lui sacrifier ma vie et mon âme, autant de fois qu’il le fallait.

Il était pur, ce Lancelot. Il vouait vraiment une adoration sans bornes à son roi Arthur ? Celui d’origine, naturellement, celui présent sur Terre dans le passé… Je le laissai continuer en silence.

— Je ne lui ai pas survécu. Je suis passé de vie à trépas sur le champ de bataille, face à une armée bien plus puissante que ce que nous pouvions affronter. J’ai donné ma vie avec fierté et joie pour sauver celle de mon roi, lui permettre de fuir, de continuer à vivre.

Il était mort en héros ? Il avait sauvé la vie de son roi ? Lancelot me fit chaud au cœur, tout à coup. Les larmes lui montèrent aux yeux tandis qu’il évoquait le passé, le passé réel, peut-être pour la première fois depuis qu’il était un explorateur. Quelque part, je pouvais le comprendre.

— Je suis arrivé ici juste après ma mort et un long tunnel de lumière, continua-t-il.

— Alors, tu as quitté le royaume de Bretagne et le roi Arthur pour te retrouver sur Albion, une terre de légendes arthuriennes, et y trouver un autre roi Arthur ? Je ne comprends plus…

— Non, fit-il en secouant la tête, je n’ai point trouvé tout cela. Ce que j’ai trouvé en arrivant, c’était une terre désolée. Ce que j’appris plus tard par les officiels s’occupant des niveaux et des donjons… J’étais arrivé sur une petite planète morte, sombre et froide. Il y faisait nuit noire et je pouvais y survivre malgré l’absence d’air. Ne me demande pas comment… Ce n’est pas important.

— Tu es arrivé sur une planète morte ? m’étonnai-je.

— Oui, reprit-il en hochant la tête.

Il parlait tout bas tout en surveillant que personne n’arrive, dans les rayons orangés et jaunes du soleil qui se levait au-dessus de la forêt. Il jetait également de temps à autre un coup d’œil en direction d’Arthur, qui avait l’air d’être un parfait légume, debout là et immobile.

— Pourquoi est-il comme ça ? osai-je demander. Raconte-moi l’histoire d’Albion…

D’un seul coup, ma curiosité reprit le dessus, dépassant largement mon besoin de savoir ce qu’il se passait afin d’assurer mes arrières. Je voulais à tout prix savoir ce qu’il avait fait une fois sur cette terre stérile et sans lumière.

— Un homme est apparu de nulle part, dans ce désert glacial. Il m’a expliqué que j’avais été envoyé sur une planète qui ne faisait pas encore partie du système global, du cycle de réincarnations et des structures architecturales. Je ne comprenais pas bien ce qu’il disait alors, mais il me fit savoir que puisque j’étais le premier explorateur de ce monde, je pouvais alors le façonner selon mes désirs afin d’en faire un nœud de plus dans le système global et dans la lutte contre les Architectes, dans la poursuite de l’ascension vers la divinité.

Je comprenais plus ou moins ce qu’il me disait. Il restait quelques zones d’ombre mais l’un dans l’autre, j’avais saisi. Le premier explorateur à arriver sur une planète pouvait la façonner selon ses désirs ? C’était ce qu’il me disait ? Alors…

— …alors tu en a fait Albion ?

Il hocha la tête en silence, avant de regarder vers le ciel et continuer à parler. Maintenant qu’il était lancé, il n’existait plus vraiment de méfiance entre nous, un peu comme s’il était heureux de pouvoir enfin se soulager de ce poids qui pesait sur son cœur depuis toutes ces années.

— Je ne pouvais pas supporter de vivre sans vouer ma vie à cet homme extraordinaire qu’était mon roi bien-aimé. Même l’amour que je portais à sa femme, Guenièvre, n’égalait pas celui que j’avais pour Arthur. Il était la raison pour laquelle mon âme brûlait, pour laquelle mon destin existait…

Lancelot pleurait. Des larmes ne cessaient de couler le long de ses joues et je savais que le véritable roi Arthur lui manquait terriblement. Quelle souffrance devait-ce être…

— J’ai tout recréé de ma main. Tout. Les villages, la population, qui s’est ensuite développée seule. Même mon roi. Leurs souvenirs, leur histoire, Camelot… Le jour et la nuit, le soleil et les nuages… De ce monde, je suis le créateur.

— Arthur était réellement comme ça ? Tu l’as créé selon tes souvenirs de lui ? m’étonnai-je alors.

— Non, fit-il en secouant la tête honteusement, je l’ai fait de façon à pouvoir le contrôler, je l’ai créé totalement dépendant de moi. Il faut savoir que ma mort a été causée par une guerre qu’il n’a pas su éviter malgré mes conseils avisés. Je… Je ne voulais pas que ça se reproduise. Mais… Je ne sais pas pourquoi, le roi Arthur, le nouveau roi Arthur… est étrange. Il a changé, peu à peu. Il semble parfois totalement digne d’être le roi qu’il est, et d’autre fois… il n’est guère plus qu’un homme un peu marginal, comme tu l’as vu aujourd’hui.

— Alors tu n’as plus le contrôle de ce monde… réalisai-je.

— Non. Je l’ai créé, je n’en suis pas le dieu, avoua-t-il aussitôt.

Je comprenais maintenant pourquoi tout ça m’avait semblé louche. Bien sûr, tout avait du sens désormais. Il était arrivé le premier et avait tout créé à l’image de son ancienne vie. J’étais rassurée de savoir que ce n’était pas une chose qui risquait de me créer des ennuis et heureuse d’avoir pu en apprendre davantage sur lui. Lancelot était un homme bon et fier, intègre même, si on mettait de côté le fait qu’il avait probablement créé Arthur pour qu’il ne soit pas choqué de se faire voler sa femme par son premier chevalier.

Je ne lui en fis pas la remarque et choisis plutôt de lui demander autre chose. Une chose que je venais alors de réaliser.

— Tu parles du système global des résurrections… Mais… Tu dis que mêmes les endroits qui ne font pas partie du système sont sous son contrôlé malgré tout ?

— Je ne sais pas du tout comment fonctionne tout ça, dame exploratrice.

— Appelle-moi Wuying, le coupai-je.

Je me sentais un peu plus proche de ce type qu’avant, après tout.

— …Wuying, pourquoi t’intéresses-tu à tout ça ? Nous sommes bloqués sur Albion de toute façon. Je sais bien qu’il existe des millions d’autres mondes. Les types officiels de la Guilde te le disent si tu le leur demandes. Mais nous n’y avons absolument pas accès.

— Je… Je ne m’y intéresse que par curiosité, mentis-je. Je veux en savoir le plus possible sur ce qui m’entoure.

Lancelot regarda encore une fois les nuages au-dessus de nos têtes, avant de se tourner vers moi.

— C’est tout ce que tu voulais savoir ?

Sa question me prit de court.

— Euh… Oui ? Je crois ?

— J’ai apprécié pouvoir parler de ma vie passée si ouvertement. Je ne pensais pas autant en avoir besoin, à dire vrai. Je te remercie pour ça mais…

— …Excalibur, hein ? conclus-je.

Il hocha la tête en silence, le nez toujours planté vers le ciel.

— Chose promise…

J’avais pensé à trouver un moyen de me sauver, au départ. Ensuite était venu ce contrat, et puis la pitié, l’appréciation du personnage, presque une forme d’affection, à vrai dire. Oui, j’allais tenir ma promesse. Je fis un rapide signe de la tête à Friderik, qui comprit immédiatement où je voulais en venir.

Il glissa le long de mon dos et se changea en Excalibur de son corps entier. Je savais qu’il le pouvait, nous en avions déjà parlé auparavant… Mais le sentir disparaître le long de ma colonne pour laisser la place à ce métal froid… J’en eus un frisson.

Je tendis l’épée à Lancelot.

— Voilà… mon ami. Merci de m’avoir dit tout ça.

Juste avant que Friderik ne change totalement de forme, il avait eu le temps de me glisser deux simples mots à l’oreille, ce qui m’avait rassuré au plus haut point : il ne ferait pas le con.

— T’inquiète pas, m’avait-il dit.

Raka
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11 thoughts on “DMS : Chapitre 104

  1. Donc il peut créer des choses et les séparer de son corps

    Où est-ce qu’il va devoir jouer le jeu et ensuite faire le nécessaire pour partir

    1. De ce que j’ai compris il s’est changer en entier. Donc il est bloqué avec Lancelot jusqu’à ordre de Wuying.

      Merci pour le chapitre…trop long jusqu’au week end prochain

  2. Merci pour le chapitre !
    Mais Wuying vient d’un pays d’Asie, le roi Arthur n’est pas si connu là bas non ?

    1. Oh que si.
      C’est largement et mondialement connu tout comme certaines œuvres classiques asiatiques le sont ici.

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