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Chapitre 105 – Friderik et la vie de château (1)

 

Voilà déjà plus d’une semaine que je jouais le rôle d’une épée. C’était une vie certes ennuyeuse à la minute mais qui me permettait des moments de franc plaisir. Je découvrais des choses auxquelles je n’aurais pas dû avoir accès, j’entendais tout ce qui se passait dans la vie du roi et de son entourage direct, à savoir Lancelot, Perceval et toute une clique de chevaliers dont je ne retenais pas les noms.

— Sire, il est l’heure de répondre aux doléances, annonça Lancelot un beau matin.

— Les doléances ? Déjà ? s’étonna Arthur, tranquillement installé sur sa chaise percée. J’ai l’impression que mon esprit s’égare un peu, ces derniers jours.

Lancelot secoua la tête et posa une main sur l’épaule du roi.

— Ce n’est qu’une impression, Sire. Venez, il est temps.

Quelques minutes plus tard, Arthur s’installa sur son trône et arrivèrent rapidement plusieurs personnages hétéroclites. Des marchands, des fermiers, même un type qui était habillé assez richement pour être un proche du roi. Qu’étaient ces doléances ?

Lancelot n’allait pas tarder à me le faire savoir.

— Sa majesté le roi Arthur Pendragon, dirigeant légitime d’Albion par la volonté des dieux, honnête et juste devant les cieux et sans égal sur ces terres est présent devant vous.

Suite à cette acclamation grandiloquente, tous posèrent un genou à terre, à l’exception naturellement des gardes armés qui se trouvaient le long des murs de l’énorme salle du trône et de Lancelot, qui se trouvait être le supérieur réel du roi, à la barbe de tout le royaume.

Je me surpris à m’imaginer comme ça devait être compliqué de supporter posséder tout le pouvoir mais ne pas pouvoir en faire étalage. Passer pour un chevalier alors qu’on était un souverain. Un dieu, même. Après tout, n’avait-il pas dit qu’il avait créé Albion de ses propres mains ? Ou plutôt, de sa propre volonté…

Soudain, je me surpris à me demander s’il pouvait toujours faire de même désormais. Possédait-il toujours un tel pouvoir en tant que premier arrivant sur cette planète lorsqu’elle était stérile et ténébreuse dans l’immensité de l’univers ?

Non. Cela ne devait forcément être qu’un fonctionnement du système lors de son arrivée et auquel il n’avait plus accès. Sinon, pourquoi aurait-il été jusqu’à faire des compromis face à Wuying ? Il aurait simplement récupéré l’épée sans même savoir où elle avait disparue.

Un des marchands s’avança et s’inclina encore une fois devant le roi.

— Sire, ô mon roi. Les affaires ne sont vraiment pas bonnes depuis quelques jours. Je souhaite qu’une enquête soit menée.

Le roi leva une main, paresseusement, pour l’inviter à continuer.

— Quelles sont donc ces affaires qui ne vont pas bien ? Dis tout au King, mon ami.

Le marchand s’inclina deux fois de plus, reconnaissant d’avoir le droit d’expliquer son problème.

— Je suis un marchand de spiritueux. Je vends les alcools les plus précieux et les plus délicats de Camelot. Je ne me plains pas concernant les revenus et mes richesses ; je paye d’ailleurs une taxe importante, plus que ce que le château me demande, afin d’être dans les bonnes grâces de sa majesté. Mais depuis plusieurs jours, certains de mes clients les plus fidèles se sont mis à me parler d’un alcool que je ne vends apparemment pas. Ils ne veulent plus rien d’autre, et je suis impuissant à leur faire acheter même le plus succulent des breuvages à bas prix.

Le roi haussa les sourcils.

— Tous tes clients se sont mis à agir ainsi ? demanda-t-il.

— Non, non, non. Seulement une poignée. Mais je les connais bien, très bien même. Ils ne sont pas du genre à me parler d’un certain vin que même moi, je ne connais pas, tout en refusant d’acheter quoi que ce soit d’autre. Ils agissent étrangement, je l’affirme. Je crains qu’ils ne soient victime d’un quelconque sortilège et que cela puisse se propager si l’on n’enquête pas. D’autant que si je ne vais pas faire faillite à cause de ces quelques clients, si jamais d’autres agissent de même…

Le roi baissa la main, lui coupant apparemment la parole.

— Je vois. Ce n’est probablement rien. Un sortilège ? Pourquoi un sorcier diabolique s’amuserait-il à les faire languir pour un alcool qu’ils ne peuvent se procurer ? Hmmm, le King n’y croit pas trop. Cela dit, une enquête va être ouverte. Mon bon Lancelot, envoie dix gardes accompagner ce brave marchand qui paye ses taxes. Qu’il leur dise ce qu’il sait sur ces fameux clients.

Le marchand s’inclina jusqu’au sol sans dire un mot de plus. Puis, il se retourna et sur un signe de la main de la part de Lancelot, un garde quitta son poste pour emmener le marchand hors de la salle du trône.

— Suivant ?

Lancelot n’attendit pas et désigna la personne suivant. Ainsi, ces doléances étaient une forme de session où l’on pouvait demander ce que l’on voulait au roi ? Et apparemment, il n’était pas obligé d’accepter.

Dans son fourreau était cachée ma lame, à sa hanche. Ma garde me permettait d’observer les environs à l’aide de minuscules yeux que personne ne pouvait remarquer. Après tout, qui pouvait prétendre oser fixer Excalibur plus que de raison ? C’était assurément un coup à se faire mal voir du roi et de Lancelot.

Un fermier s’avança. Mal vêtu, les vêtements pleins de terre et les mains calleuses, il s’inclina lui aussi.

— Sire, ô mon roi. Le fermier voisin s’est mis à me voler des vaches. Je demande réparations. Ces vaches sont essentielles pour ma survie et celle de ma famille.

Le roi haussa une fois de plus ses fins sourcils.

— Volées ? Comment peut-il te voler des vaches ? Ne possèdent-elles pas ta marque ?

— Ma marque ? Hah ! Sa marque, depuis peu, est identique à la mienne ! Il a simplement recouvert ma marque avec la sienne, au fer rouge !

Le roi prit son menton dans une main et fronça les sourcils.

— Je vois. Si tel est le cas, il s’agit d’une affaire plus grave qu’un vol. Il s’agit de braconnage prémédité. Lancelot, envoie immédiatement une troupe de cinq chevaliers armés. Qu’ils emmènent cet honnête fermier avec eux et que cette histoire soit mise en lumière. S’il dit vrai, exécutez le voleur, et que toutes ses possessions aillent à ce fermier. S’il ment… je te laisse décider de la suite des évènements.

— Oui, mon roi.

Les doléances continuèrent de la sorte pendant encore plusieurs heures. En réalité, d’autres types arrivaient régulièrement et s’ajoutaient à la liste de ceux qui attendaient pour demander réparations, aides ou reconnaissance.

À la fin de la séance, Arthur poussa un long soupir. Il avait refusé plus d’une vingtaine de demandes jugées trop futiles ou surréalistes. Au contraire, il avait envoyé plus de gardes enquêter sur d’autres cas que j’avais pu en compter dans la salle avant que tout ça ne commence.

Lorsque tout fut terminé, Arthur se leva et posa une main sur ma poignée, comme pour se rassurer, sans même baisser les yeux. Je pouvais sentir qu’il utilisait un étrange pouvoir, une compétence peut-être, ou quelque chose de spécial afin de sonder le pouvoir qu’il restait à Excalibur avant qu’il ne doive la planter dans le rocher pour la recharger.

Je n’avais aucune espèce de pouvoir sur ça : ma compétence Excalibur me permettait de me changer, en entier ou en partie, en l’épée. En revanche, elle ne me permettait pas de contrôler le niveau de puissance de l’arme et effectivement, je sentais que par rapport à ce qu’il était une semaine plus tôt, ce n’était pas ça.

Ma puissance avait diminué.

Allais-je devoir rester planté plusieurs jours dans la pierre si je voulais recharger la puissance de ma compétence ? Si je ne le faisais pas, allais-je simplement pouvoir invoquer une épée inerte, pas plus tranchante ou meurtrière que toute autre arme banale ?

La question se poserait bien assez tôt. Pour l’heure, j’étais Excalibur et j’avais encore de la puissance à revendre.

— Lancelot ?

— Oui, Sire.

— Quand devons-nous participer à la prochaine réunion autour de la table ?

— Dans une semaine, Sire.

— Oh ? s’étonna Arthur, alors il n’y a pas de doléances, la semaine prochaine ?

— En effet, répondit Lancelot en secouant la tête. Voilà déjà trois semaines de doléances passées. La semaine prochaine est réservée à la réunion de la table ronde.

Arthur se mit à sourire de toutes ses dents.

— Parfait ! Parfaiiiit ! Le King n’aime pas les doléances. C’est d’un ennui ! Imagine ça, toutes ces personnes qui viennent demander l’aumône. Je préfère de loin voir mes chevaliers et les entendre relater leurs aventures sur les terres du royaume.

— Sire… Ce n’est pas de l’aumône, continua Lancelot d’une voix égale. Il est de votre devoir de veiller sur la sécurité et l’équité d’Albion. Ils viennent demander tout ça parce que le château de Camelot est l’autorité et la puissance suprême.

— …Je sais bien.

Arthur continua à râler tout bas comme un enfant. Décidément, il était loin de ce que m’avait raconté Wuying. Elle m’avait longuement expliqué la légende de ce roi après que j’eus dévoré son épée ; un roi grand, noble, juste et sage.

Pourquoi celui que j’avais sous les yeux et qui avait apparemment été créé par les souvenirs de Lancelot en personne n’était-il rien de tout ça ? Décidément, je ne regrettais vraiment pas d’avoir osé bouffer Excalibur. Quelque part, j’estimais qu’il ne la méritait pas, pas plus que son titre de roi.

S’il avait connu la grandeur des rois de mon époque… Erik, Olaf et les autres ! Il pâlirait de terreur et de jalousie. Arthur ? J’avais honte de devoir jouer le rôle de son épée, à dire vrai.

Mais il fallait que je me force, pour Wuying. Je lui avais promis ; si je m’enfuyais maintenant, qu’allait-on penser d’elle ? Elle était la seule à avoir pu faire quelque chose à l’épée pendant qu’elle la possédait, et on la suspecterait immédiatement. Je ne pouvais pas lui faire ça.

Deux semaines s’étaient déjà écoulées depuis ma transformation en épée. J’avais toujours besoin de me nourrir, naturellement. Depuis le début, j’avais appris à me débrouiller : la nuit, lorsque le roi dormait et que j’étais déposé sur un râtelier juste à côté de son lit… Son sommeil était la seule opportunité que je possédais, le seul moment où je n’étais pas accroché à sa hanche et le seul où je pouvais aller manger un morceau.

J’avais rapidement appris à quitter la chambre du roi au nez et à la barbe des gardes qui ronflaient généralement devant la porte, dans le couloir, pour me balader dans les couloirs obscurs du château. En quelques jours, tout devint naturellement assez familier et après avoir découvert l’emplacement des cuisines, je pus enfin m’en donner à cœur joie après plus de vingt-quatre heures sans manger.

Toutes les nuits, c’était la même chose. Je mangeais jusqu’au petit matin, avant que l’aube n’arrive. Puis, après avoir refait le chemin à l’envers non sans avoir effrayé bien malgré moi quelques âmes nocturnes dans les couloirs sombres, je reprenais la forme de l’épée sur le râtelier.

Jusqu’alors, Arthur ne s’était apparemment pas réveillé une seule fois la nuit, pour mon plus grand bonheur. Si ç’avait été le cas, je ne savais pas comment j’aurais pu régler le problème. Sans doute aurais-je fini par me changer en épée dans un couloir et il aurait fini par abandonner l’idée de comprendre pourquoi elle n’était plus dans la chambre.

En tout cas, c’était évidemment une façon de penser assez naïve.

Un matin de la troisième semaine, je l’entendis parler avec Lancelot.

— Il est bientôt temps de retourner placer Excalibur dans le rocher, annonça Arthur.

— Oui, mon roi. Cette fois, nous laisseront une garde d’honneur pendant les quelques jours durant lesquels Excalibur sera dans la pierre. Ainsi, cette exploratrice ne pourra pas se l’approprier à nouveau. Je l’ai créée avec la seule condition de ne pouvoir être retirée de la pierre que par une seule personne, et cette personne est le roi Arthur. Je ne sais toujours pas par quel miracle elle a pu…

Il avait commencé à parler tout bas, exprimant ses doutes et ses interrogations pour lui-même. Mais il ne termina pas sa phrase : un soldat armé arriva en catastrophe dans la salle à manger pendant le déjeuner matinal d’Arthur et Lancelot pour leur annoncer une nouvelle des plus étranges.

— Sire ! Sire ! Premier chevalier Lancelot !

Le soldat ne prit même pas la peine de s’incliner ou de montrer une quelconque forme de respect envers les deux vrais dirigeants de ce monde : le dieu et la marionnette, en réalité.

— Une émeute se prépare en ville !

Lancelot le prit au mot.

— Réprimez-la. Envoyez toute la garde s’il le faut.

Aussi simple que ça ?

— Non, nous… Ce n’est pas… C’est trop gros ! Nous ne pourrons pas, les gens sont à moitié fous !

— Fous ? Comment ? demanda Arthur.

— Fous comme… complètement fous ! Certains marchent à quatre pattes, un sourire carnassier aux lèvres et fouillant entre chaque pierre, d’autres n’hésitent pas à agresser tous ceux qu’ils voient en leur réclamant… du vin ! J’en ai moi-même vus quelques-uns rire aux éclats, les yeux injectés de sang tandis qu’ils prenaient les armes pour avancer vers le château !

— Quoi ? s’exclama Lancelot en se levant abruptement, combien sont-ils ?

— En tout ? Il y a plusieurs milliers de fous furieux à travers la ville entière !

— Et vous ne les avez pas remarqués plus tôt ?!

— Ils… C’est comme s’ils avaient perdu la raison d’un seul coup, d’hier à aujourd’hui…

Raka
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8 thoughts on “DMS : Chapitre 105

  1. Vaut peux être mieux pas
    prend le temps d’ecrire c’est une pur merveille
    alors pas de soucis pour nous, on va souffrir du manque en silence.

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