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Chapitre 108 – L’offre et la demande (5)

 

Sous couvert du grabuge qui régnait encore à Camelot, nous nous frayèrent un chemin incognito jusqu’à l’antre déchue du Seigneur de l’Ombre. De nombreux endroits en ville n’étaient plus que pelotons d’exécution purs et simples, et je vis à plusieurs reprises des gardes royaux mettre à mort de pauvres victimes qui n’avaient rien demandé de plus que d’acheter un vin délicieux mais illégal.

Serrant les dents, rouge de colère et de culpabilité, je choisis de faire la seule chose que je pouvais faire : les ignorer. Si je ne voulais pas que cette catastrophe se reproduise à l’avenir, il fallait que je mette la main sur ce qui restait de ce vin des géants avant que d’autres ne le fassent à ma place.

— Il y a un entrepôt quelque part dans ces sous-sols, expliquai-je à Friderik, je n’ai pas eu le temps de chercher la dernière fois, les mercenaires effectuaient leurs rondes et je ne voulais pas qu’ils me voient. Mais maintenant que leur boss est mort, les lieux sont vides. On a tout le loisir de chercher.

Friderik acquiesça en silence. Je ne savais pas ce à quoi il pensait mais il semblait vraiment concerné par tout ça. Estimait-il que c’était également sa faute ? Pourtant, il n’avait pas joué de rôle dans ce qui s’était passé.

— Si j’en crois mon intuition, c’est par là, fis-je en indiquant un couloir dans lequel je n’avais jamais eu l’occasion de m’aventurer.

L’excès de garde m’avait alors empêché de confirmer mes soupçons mais m’avait en même temps conforté dans ma déduction. Pourquoi aurait-il fait garder avec une efficacité pareille un lieu vide d’intérêt ?

Friderik bondit au bas de mon épaule et assuma sa forme de loup. Je le vis renifler l’air et aussitôt, ses oreilles se dressèrent. Se tournant vers moi, il esquissa un léger sourire.

— Tu as vu juste. Je le sens. Le vin.

— Alors c’est parti, répondis-je en hochant la tête, il faut qu’on récupère tout au plus vite.

Je m’élançai au pas de course, peu désireuse d’attendre plus longtemps pour mettre un terme à tout ça. Un peu plus loin en effet, je me retrouvai nez à nez avec une porte derrière laquelle se trouvait une espèce d’entrepôt, une cave où brûlait une simple torche au plafond et emplie de caisses en bois et de supports ressemblant étrangement à ce qu’on pouvait trouver dans les caves à vin au XXIème siècle.

— Tout est là, affirmai-je après avoir compté ce qui restait et avoir fait un rapide calcul.

— Alors récupère vite le tout, et on file. J’ai senti des odeurs dans les couloirs, il y a des intrus. Et ce ne sont pas des vieilles traces, il y a quelqu’un.

— On nous a suivis ? questionnai-je.

— Je ne sais pas, répondit-il en secouant la tête, mais nous ne sommes pas seuls.

— Hmmm, réfléchis-je tout en rassemblant les amphores de vin dans mon sac magique, ces lieux sont quelque peu labyrinthiques, on peut espérer ne pas les croiser.

Friderik secoua la tête, peu convaincu.

— Je ne sais pas. Ce sont peut-être de simples pillards qui ne connaissent pas les lieux et qui veulent profiter du grabuge pour venir voler des choses… mais ce sont peut-être aussi des mercenaires qui travaillent là et qui savent ce que contiennent ces sous-sols. Si c’est le cas, ils viendront ici. Et s’il s’agissait de gardes du roi ? Si nous tombons nez à nez, oseras-tu les pourfendre ?

Je ne répondis rien à Friderik. J’avais déjà assez de morts sur la conscience pour me hanter jusqu’à la fin de mes jours – de ma très longue immortalité – et je ne voulais pas tuer plus que de raison d’autres innocents. Les soldats du toi ne faisaient que suivre les ordres, je n’avais pas de raison de les traiter comme des monstres.

Une fois assurée qu’il ne restait plus la moindre amphore de vin dans la pièce et avoir rapidement calculé qu’avec ce qui avait été vendu et ce que j’avais récupéré, il ne devait plus en exister du tout sur Albion, je sortis dans le couloir afin de me hâter de retourner à la surface.

— Il faut qu’on quitte Albion, affirmai-je.

— Carrément ? se surprit à répondre Frederik.

— Oui. Je ne veux plus voir les lieux où j’ai provoqué un massacre, juste parce que j’ai été stupide et impulsive.

Je ravalai les larmes qui menaçaient de sortir et continuai dans un grognement.

— Il faut laisser les choses se tasser, et la vie reprendre son cours. Après tout, je n’appartiens pas à ce monde. Je suis une architecte.

Soudain, je me rendis compte que j’avais prononcé ces mots à voix haute et je m’arrêtai net pour regarder autour de moi en tendant l’oreille. Non, personne ne m’avait entendu… et si quelqu’un avait été proche, Friderik m’aurait sans doute avertie.

Il sembla comprendre mon inquiétude immédiate et m’accorda immédiatement une confirmation bienvenue.

— Il n’y a personne, Wuying, ne t’en fais pas. Remontons vite.

Après des tours et des détours, nous finîmes par arriver dans la salle de l’arène illégale sans avoir rencontré ces fameux intrus. Après tout, j’avais opté pour des détours ; j’étais déjà venue explorer les lieux et j’avais acquis une grossière compréhension de l’organisation des couloirs.

— Je peux souffler un peu. Pas d’affrontement en vue.

Me relaxant quelque peu, je ralentis le pas et Friderik reprit sa forme naturelle sur mon épaule, bien plu pratique pour passer inaperçu en ville. Maintenant, il allait falloir que je rejoigne mon donjon et que je parte.

— Merde, je ne pourrai même pas le détruire s’il n’a pas été conquis… réalisai-je.

Si je voulais laisser Albion derrière moi pour de bon, je voulais couper toutes les connexions qui pouvaient encore exister, à savoir les deux donjons que j’y possédais. Celui avec le varan fantomatique avait été découvert la veille et immédiatement conquis. Je pouvais le supprimer dès que l’envie m’en prendrais.

Mais le donjon du lac, c’était une autre paire de manches… J’allais devoir y mettre du mien si je voulais qu’un aventurier puisse le terminer.

Je m’apprêtais à sortir dans la rue quand une voix résonna dans mon dos.

— Tiens, tiens, tiens, mais qu’avons-nous là…

Je me retournai par réflexe. Sans même y penser, sans même me dire que je pouvais bondir par cette porte détruite et fuir dans la rue pour disparaître à jamais. Non, je me retournai par pur instinct.

— Toi… lâchai-je dans un murmure.

De derrière un pilier venait d’apparaître ce même capitaine de la garde en armure blanche que j’avais rencontré dans la ruelle, ce jour-là, et qui m’avait mené jusqu’à son vrai maître le Seigneur Ombre.

Il m’adressa un sourire sadique et impatient.

— Tu ne peux pas savoir les efforts que j’ai mis en œuvre pour te retrouver. Tu es vraiment telle une anguille, tu le sais ? Parvenir à m’échapper, à moi, pendant des semaines !

— …je me suis fait traquer ? murmurai-je.

— Mais tu as fait une erreur, finalement. Je savais que ça arriverait ! Tu as osé revenir ici.

Soudain, je réalisai ce qui se passait.

— Tu m’attendais ? Les types, en bas…

— Hm ? Quels types ? Oui, je t’attendais, bien entendu. Je savais que tu reviendrais récupérer ce qu’il reste de vin. Tu es si prévisible, ma pauvre.

Il parlait mais… que voulait-il ? Je croisai les bras pour montrer que j’avais d’autres choses à faire que lui accorder du temps.

— Bon, coupe court, je me fous de savoir comme tu es malin. Tu veux quoi ?

Il s’avança vers moi, l’épée à la main.

— Tu sais… Travailler pour le roi Arthur n’est pas de tout repos. Et puis, c’est mal payé. C’est pour l’honneur de la position, dit-il. Mais on ne se met pas l’honneur dans le ventre quand on a faim, hein ? Tu le sais bien, tu n’es pas idiote, je pense.

Bla, bla, bla. Où voulait-il en venir ? Je le fixai silencieusement, toujours impassible. Friderik sauta à terre et se changea en loup pour montrer les dents, sans un bruit lui aussi.

— Mais je ne suis pas homme à me nourrir de la façon dont la plèbe me regarde. Il me faut de l’or, il me faut des femmes, il me faut des festins… du jeu et de l’alcool, du sang et des combats ! Je suis un homme, un vrai !

Je me retins de rire. Ce type était vraiment cliché à ce point ?

— Mon vrai Seigneur et maître m’offrait tout cela. Et facilement, pour ne rien arranger. Tout a toujours été si parfait, et… et… et tu es arrivée. Depuis que tu as posé le pied en ces lieux, tout est parti de travers. Il est mort et tu vas payer pour ça. Oh, oui… Tu vas le rejoindre.

Il voulait me tuer, tout ça parce qu’il estimait que j’avais provoqué la chute du vieux fou ? Il était mort parce qu’il avait été trop cupide, voilà la vérité. Il s’était tout d’abord mis Qian Wuying à dos parce qu’il avait voulu se servir de moi pour ses affaires et il était mort parce qu’il avait voulu vendre le vin que je lui avais dit de distribuer avec parcimonie à ceux qui en avaient besoin.

Et maintenant, ce capitaine de la garde dont j’avais déjà oublié le nom voulait me mettre tout ça sur le dos ?

À d’autres.

— Je suis une exploratrice, lui rappelai-je, si tu me tues, je réapparaitrai. Et… eh eh… Je finirai par avoir ta peau, même si je dois mourir cent fois de plus pour ça. Es-tu prêt à accepter ton destin ?

Étrangement, il se mit à sourire encore plus largement.

— Tu sous-estimes vraiment mon réseau de renseignement, pauvre folle.

— Ton réseau ? Qu’est-ce que ton réseau de merde et archaïque peut faire pour te sauver ? lui demandais-je en lui rendant un sourire tout aussi sadique afin de le dissuader.

— Ha ha ha ! se mit-il à rire de toutes ses forces, tu crois peut-être que le château de Camelot, et sire Lancelot en particulier, n’a pas les moyens de forcer un employé de ce système, comme il l’appelle, à parler ?! Tu crois qu’il est faible à ce point ?!

— Ne me dis pas que…

— Tu ne peux pas mourir, sale garce ! Si tu meurs, tu es bonne pour une punition que même les dieux trouveraient ignoble ! Et ça, j’en suis persuadé parce que la femme nommée Qian Wuying est recherchée par le système ! Je ne sais pas ce que tu as fait pour mériter ça, mais peu m’importe ! Le système te recherche ? Je vais t’envoyer directement entre ses griffes et il fera bien ce qu’il veut de toi ensuite !

Il ne prononça pas un mot de plus et se jeta en avant, l’épée entamant un mouvement circulaire. Il avait décidé de m’achever d’un seul coup et comme il avait quelque peu tourné autour de moi en parlant, je ne pouvais même plus sauter dans la rue pour fuir.

Bon sang, ce type devait avoir beaucoup plus de niveaux que moi… Même Friderik ne pourrait peut-être pas lui tenir tête. Après tout, il était capitaine des gardes royaux !

Mais je n’eus pas le temps de me poser plus de question. Je devais me défendre, quoi qu’il m’en coûte. Et le fait était que mise devant une situation critique, toutes ces compétences que je possédais s’imposaient d’elles-mêmes dans ma tête, un peu comme si je les avais toujours maîtrisées.

— Bénédiction de force !

Une aura dorée m’enveloppa immédiatement. J’étais un Paladin de l’Église d’Albion et ce type osait essayer de me tuer ? N’étais-je pas assez charismatique pour l’en dissuader ?

— Entrave !

Sans le réaliser, je venais d’utiliser une compétence d’Architecte. Le pas était franchi. Même s’il ne s’en rendait pas compte sur le moment, il n’était pas idiot et finirait par se demander comment un Paladin pouvait posséder ce genre de sort.

Le capitaine pourri s’immobilisa sous l’effet de mon entrave et se mit à trembler violemment comme il cherchait à se libérer. Bien sûr, il ne mettrait que quelques secondes, mais c’était tout ce dont j’avais besoin, j’en étais certaine.

— Frappe étourdissante !

Après avoir rapidement enfilé mes Armilles de Frappe, je lui collai une beigne monumentale sur le coin du menton. Il ne bougea pas d’un pouce et je sentis les os de mes doigts craquer et se briser, envoyant une vague d’une violence inouïe jusque dans mon épaule. Je retins un hurlement en serrant les dents et ne pus empêcher mes larmes de couler.

Mes Armilles étaient inutiles : je ne pouvais pas continuer à le frapper… mais la compétence avait fait son effet. Il cessa de trembler et son regard se perdit dans le vide l’espace d’une seconde. Juste ce dont Friderik avait besoin pour se jeter sur lui et le mordre au cou. Bien sûr, sans vrai effet…

— Friderik, il est trop puissant !

Oui, je parlais à Friderik, qui était supposé être mon familier. Je n’étais plus à ça près. Après tout, j’avais utilisé l’Entrave et si je laissais fuir le capitaine, il finirait par comprendre que je n’étais pas celle que je prétendais. Pour mon propre bien et parce qu’il avait apparemment la possibilité de communiquer avec le système grâce à Lancelot, il pouvait me créer de sérieux problèmes si je le laissais vivre.

J’étais déjà une meurtrière de masse, je pouvais accepter cette culpabilité-là en plus, d’autant qu’il essayait de me tuer, n’était-ce donc pas de la légitime défense ?

Mais comment faire ? La seule capacité que je possédais et qui pouvait éventuellement avoir un quelconque effet sur lui…

Pouvais-je décemment prendre ce risque ?

Raka
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16 thoughts on “DMS : Chapitre 108

  1. Elle a sa meilleure arme dans son sac pour s’en débarrasser sans même sa salir les mains. Il suffit de lui faire boire un peu de vin et c’est fini, il sera incapable de transmettre une quelconque information, et sera exécuté sur le champ.

      1. avec des amis, on fait assez souvent des JDR papier D&D, j’ai peut être un peu trop joué des personnages chaotiques avec la mentalité que tous les moyens sont bons pour arriver à son but.

        1. Oh bah.
          Si le scénario était pas déjà écrit et que je m’y tenais pas fermement, j’aurais fait ça.

          Seulement, ça va être légèrement plus compliqué que ça.

    1. Au fait, avant que je n’oublie : il y a un problème avec le titre du chapitre. Tu n’aurais pas recopier un titre déjà existant sans le faire exprès :p ???

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