DMS : Chapitre 108
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Chapitre 109 – L’offre et la demande (6)

 

Ce capitaine corrompu clignait déjà des yeux. Tandis que ses paupières frétillaient, il me regardait déjà. L’étourdissement n’allait pas durer bien longtemps. Encore une ou deux secondes et il pourrait à nouveau bouger et alors… je pense que ce serait la fin pour moi.

Et encore plus rapidement que ce que je pensais, il esquissa un sourire sadique.

— Chienne ! Je ne sais pas ce que tu es, mais tu n’es pas une exploratrice normale ! grinça-t-il d’un air presque satisfait.

Effectivement, il avait maintenant une raison encore meilleure qu’avant de me tuer. J’étais louche, j’utilisais des sorts et des compétences étranges. S’il en avait le temps, sans doute viendrait-il à suspecter mon appartenance au camp des Architectes.

Je ne pouvais clairement pas le laisser faire ça. S’il le pouvait alors… je ne serais plus en sécurité nulle part. Plus nulle part. Fermant les yeux, je compris – ou plutôt je crus le comprendre par manque de temps pour peser mes options – que je n’avais plus le luxe du choix.

Puisqu’il le fallait…

— Appropriation.

Inspirant un grand coup face à l’intensité critique de la situation, je me mis à prier en mon for intérieur. Tous les dieux de l’univers s’il le fallait ; peu importe, tant que l’un d’eux me répondait favorablement. J’étais prête à lui devoir un sacré service.

[Appropriation vient d’être supprimée.]
[Mue de Dragon vient d’être acquis.]
[Réinitialisation de la compétence dans : 23 h 59 m 59 s.]
[Mue de Dragon.]
[Tous les millénaires, les Dragons perdent leur peau écailleuse et passent une année complète à s’en créer une nouvelle, enfermés dans leurs cavernes. La peau ainsi perdue se calcifie très rapidement pour devenir l’un des matériaux les plus résistants connus à ce jour.]

— Euh… Quoi ? Encore une compétence bizarre ? m’écriai-je.

C’était quoi, cette mue ? Comment allait-elle m’affecter ? Et puis, on parlait d’une année entière alors que je possédais la compétence pour une journée à peine !

Mais je n’eus pas vraiment le temps de me poser plus de question que ça. Je sentis comme un liquide épais et gluant couler le long de mon corps, sous mes vêtements. J’étais en train de saigner ? Tandis que mon ennemi mortel se libérait de sa stupeur et levait déjà un bras armé au-dessus de ma tête, je baissai les yeux.

Les habits que je portais étaient en train de tomber, en suivant et en se déformant en même temps que ma… ma peau ?! Ma peau entière glissait le long de mon corps et je pouvais apercevoir mes muscles saillants juste en-dessous ! J’avais les muscles à vif !

Et étonnamment, ça ne faisait pas mal, pas du tout.

Enfin, ce n’était pas comme si j’avais le temps de me préoccuper de ça : une épée luisante s’abattait déjà sur moi et mon seul réflexe fut de m’accroupir et d’attraper ma tête entre mes bras, en position fœtale.

C’est la fin. Pourquoi n’ai-je pas simplement bondi de côté ? Oh… Je suis sûre que ça n’aurait servi à rien.

Friderik venait lui aussi de tenter de s’interposer mais il fut tranché en deux aussi facilement que si cette épée avait été un couteau brûlant dans une motte de beurre. Bien sûr, ça n’allait pas le tuer et ses deux parties se reformeraient rapidement, mais il était incapable de me protéger.

CLANG !

J’avais instinctivement levé les bras au-dessus de ma tête et l’épée avait frappé juste. Dans tout autre cas, je me serais attendue à me les faire trancher net, et puis ma tête aussi, fendue comme une pastèque trop mûre. Seulement, là, dans une énorme gerbe d’étincelles, la peau qui coulait lentement le long de mes muscles et déjà partiellement calcifiée comme l’indiquait la compétence avait arrêté la lame comme un mur de métal indestructible.

— Qu… Quoi ?! Sale chienne ! Comment as-tu fait ça ?! Qui es-tu ? cria le capitaine désormais totalement libre de ses mouvements.

J’aurais pu lui répondre. Ou lui répondre que je m’en foutais de lui répondre. Ou encore simplement lui adresser un sourire moqueur. Après tout, ma peau était en train de devenir, tout en se détachant de moi, un des matériaux les plus solides connus si j’en croyais la description. J’aurais pu lui dire qu’il ne pouvait plus me faire de mal désormais. J’aurais parfaitement pu le croire aussi – si j’avais été stupide.

Mais ce type était infiniment plus rapide que moi. Comment pouvais-je espérer parer toutes les attaques qu’il daignerait m’offrir, avec une peau qui se barrait progressivement et dont je n’avais plus le contrôle ?

Non, je devais me barrer et le faire vite, très, très vite.

Aussi me relevais-je alors que l’épée venait de voler dans les airs sous le choc, à la grande surprise du capitaine qui ne pouvait que se demander quel genre de monstre j’étais pour réussir à le contenir de la sorte à mon niveau.

Friderik était en train de se réassembler paresseusement, comme s’il n’avait pas trop le choix. Je l’attrapai rapidement et m’élançai en direction de la sortie tandis que l’autre idiot s’était retourné pour ramasser son arme.

— Tu crois peut-être réussir à m’échapper ? me lança-t-il le dos tourné.

— Je peux toujours essayer ! J’ai un autre choix ?! lui répondis-je, le dos tourné moi aussi.

La sortie n’était qu’à deux mètres. Guère plus. Pourtant, alors que mon pied s’apprêtait à en franchir le pas, je sentis une main m’attraper par la nuque. C’était froid et un véritable étau. Il était déjà là…

— Je vais te briser le c…Eh ?!

Il voulait me broyer la nuque, les cervicales et tout ce qui allait avec pour mettre un terme radical à ma vie. Je vis, dans le reflet d’une armature métallique sur le mur, son épée toujours au sol, plus loin. Finalement, il avait renoncé à la ramasser pour se jeter sur moi ? Il n’était pas le dernier des cons, tout compte fait. Il m’avait coupé ma seule opportunité de fuir.

Seulement, ce à quoi il ne s’attendait pas, c’était que la peau de ma nuque n’était plus solidaire de mon corps, elle non plus. Elle était séparée de moi par cette espèce de liquide gluant, un peu comme un mélange de lymphe, de sang et d’un mucus dont j’ignorais autant la provenance que la composition.

Sa main glissa, bien sûr. Ou plutôt, ce fut mon cou qui échappa à sa poigne. Seul un morceau de peau déjà dure lui restait dans la main, et comme elle était toujours attachée au reste de celle qui pendait sur mon corps, en sautant en avant, je la lui extirpai simplement d’entre les doigts.

— Haaaaa ! Espèce de folle ! Tu vas mourir !! Ha ha ha ha ! commença-t-il à rire comme un dément.

Il ne perdit rien pour attendre et se rua à ma suite. Friderik avait totalement terminé de faire fusionner ses deux morceaux et comme s’il ne l’avait pas réellement fait de manière consciente, il ouvrit des yeux légèrement incrédules, comme s’il ne savait plus où il était.

— Wuying, je…

— La ferme, pas le temps ! lui criai-je immédiatement.

— Non, je veux dire, j’ai eu le temps de réfléchir à quelque chose. Donne-moi du vin !

— Du v…

— Ha ha ha ha ! continuait à rire l’autre taré.

Sans me laisser le temps de répondre à Friderik par ailleurs, la lame de mon poursuivant me frôla à nouveau. Peut-être en avait-il une deuxième cachée sur lui, mais j’étais sûre que ce n’était pas celle avec laquelle il m’avait agressée un peu plus tôt. Celle-là était toujours par terre, dans l’Antre de l’Ombre. Je faillis tomber à la renverse, juste à cause du déplacement d’air qu’il venait de provoquer et aidée par mes pieds instables dans une peau gluante.

— M… Merde, faut que je me débarrasse de tout ça !! Bordel !

Friderik ne m’adressa plus la parole et se jeta sur mon sac magique pour en sortir une amphore de vin. J’étais décidément là pour empêcher cette drogue de se répandre et lui, il la sortait comme ça, sans y penser ? Mais je n’eus pas le temps de m’y opposer ou de tenter de l’arrêter. Il avait déjà bondi et faisait un vol planté en direction de ce connard de capitaine pourri, au beau milieu de la rue – fort heureusement déserte.

Bien sûr, durant la demi-seconde que ça dura, personne n’eut le temps de réfléchir. Ni moi, ni lui. Par instinct, par réflexe sans doute, ce capitaine endurci au combat leva sa lame et trancha net une fois de plus dans ce projectile qui lui arrivait droit dessus, sans même se rendre compte ce que c’était. Après tout, il était capable de détruire tout ce que je pouvais lui jeter. Son épée passa en un éclair à travers Friderik, l’amphore, le vin à l’intérieur.

Tout éclata et le vin se répandit en une gerbe rouge aux reflets noirs et dorés ; mon poursuivant pouvait être aussi habile et rapide qu’il voulait, son élan eut raison de lui : il passa à travers le vin à moitié en suspension dans les airs et s’arrêta net quelques mètres plus loin.

— N… N… bégaya-t-il.

Me rendant compte qu’il avait cessé de me poursuivre, je m’arrêtai pour me retourner. Après tout, quoi qu’il advienne, je devais récupérer cet imbécile de Friderik. Je ne pouvais pas le laisser là, entre les mains de ce fou.

La peau continuait de couler lentement sur mes formes et la moitié de mon corps était désormais à moitié composé de muscles à vifs. Je ne m’en rendais pas compte mais il était heureux que les choses se soient calmées du côté de la course-poursuite parce que je ne pouvais plus vraiment courir au risque de me casser la gueule en beauté.

— Que… Qu’as-tu fait… Sale garce… marmonnait toujours mon agresseur.

Il était planté là, recouvert de vin des pieds à la tête, trempé et le visage livide malgré tout. Je compris immédiatement ce qu’il voulait dire par là : à force de rire comme un con en me courant après, il avait avalé un peu de ce vin qui avait explosé juste devant lui. Maintenant, il venait de tomber à genoux et observait ses mains ; la deuxième épée, dont il s’était servie un peu plus tôt, gisait au sol à côté de lui.

— Je… Non…

Il était perdu pour si peu ? Quel faible. Mais je ne pouvais pas me permettre la moindre compassion. Il avait choisi de s’opposer à moi, il ne pouvait qu’accepter les conséquences. C’était un peu présomptueux de dire ça maintenant que tout était fini en ma faveur – ou presque – mais il avait décidé d’affronter Qian Wuying, maîtresse des bugs improbables et détentrice du plus intelligent slime d’attaque de l’univers.

Enfin, je n’étais pas fière pour autant à ce moment précis. Je l’avais échappée belle et s’il me semblait qu’il avait abandonné son idée de me tuer d’un seul coup, je ne baissai pas ma garde pour autant.

— Alors, toujours d’avis de me faire la peau ? lui lâchai-je tout en restant à quelques mètres de distance.

— Tu… J’ai…

Il ne savait plus quoi dire. Pendant ce temps, moi je bavais et dégoulinais d’un liquide épais et dégueulasse partout dans la rue tandis que ma peau finissait de se détacher. Je ressemblais à ce moment précis à ces mannequins qu’on pouvait voir de mon temps, sur Terre, dans les salles de biologie et représentant l’anatomie humaine. Des muscles par-ci, du cartilage par-là…

Et j’avais en face de moi un type à genoux en train d’apprendre les subtilités d’un corps féminin nu et dépecé.

Un type qui venait de se faire avoir en beauté malgré son niveau élevé et ses capacités incroyables de capitaine de la garde du roi Arthur en personne.

D’ailleurs, je me surpris à me demander à quel point Lancelot était encore plus puissant que lui. Pourrais-je seulement avoir l’ombre d’une chance, même avec la meilleure stratégie du monde, en imaginant le pire des stratagèmes de lâche ?

J’étais certaine que non. Pas même une demi-seconde.

— Alors, coupai-je mes pensées, c’était bon ? Tu aimes le vin ?

Il leva lentement les yeux vers moi, à moitié fou de rage, de désespoir et parfaitement conscient des effets de ce qu’il venait d’avaler. Finalement, il esquissa un sourire.

— Tu as gagné face à moi mais… Que comptes-tu faire, maintenant ? Tu penses que je ne vais pas te pourrir malgré ma déchéance désormais programmée ? Ha ha ha… Je vais prendre plaisir à te dénoncer, folle. Je vais y prendre encore plus de plaisir qu’à te tuer moi-même.

Sur ces mots émis d’une voix rauque et revancharde, il me regarda enfourner dans mon sac ce qui avait un jour été ma peau ; je pense qu’il ne comprit pas pourquoi, juste après, je me suis à nouveau tourné vers lui en souriant.

— Tu crois ça ?

Raka
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19 thoughts on “DMS : Chapitre 109

  1. Slt merci pour le chapitre je suis le seul a me demander comment tu a pu avoir cette idée de competence glauque ? x)

    1. J’ai toute une loooooongue liste de capacités piochées au hasard dans d’autres listes diverses et variées et compétences de monstres de divers jeux (vidéo, livres, etc).

      Ce matin j’ai demandé à quelqu’un de tirer au sort et il a choisir ce numéro. J’ai fait avec.

      Cela dit, elles sont tout de même classées en « pétées » « bonnes » « moyennes » « ridicules » « inutiles » « mortelles », etc. Parce que là par exemple, je pouvais pas le faire mourir ou la tuer elle. Ca devait se passer comme ça.

        1. Tu peux tenter de me mp sur discord.
          Mais comme j’en ai déjà plus de 500 en tous genres, tu risques de tomber sur une existante.

  2. Merci pour le chapitre.

    J’avais dit quoi déjà sur sa meilleure arme pour incapacité le garde au chapitre précédent ? x)

    Je me rappelle d’un petit « Comme c’est cruel », mais apparemment je ne suis pas le seul à privilégier l’efficacité à la morale

      1. Après c’était soit ça, soit un gros lot sur le sort appropriation tellement suspicieux que on aurait douté de l’aléatoire derrière ça.

        Et concernant le début du prochain chapitre, vu que le garde semble encore un peu conscient et capable de la dénoncer, elle va lui un proposer un simple échange, un peu de vin contre son silence.

        Après l’échange, même s’il le voulait, il ne serait pas capable de la dénoncer, et en plus elle cherche à se débarrasser de son vin

        Concernant la peau de wuying, les géants du feu pourront surement en faire une armure complète étrangement pile à sa taille, presque comme une seconde peau. En tout cas c’est ce que je demanderais à sa place

        Après concernant la nouvelle peau qui est censé prendre un an à pousser mais la compétence ne durant que 24h, je vois que deux possibilité, soit le temps à été changé de 1 an à 24h (le plus simple scénaristiquement) ou le sort à créer un passif qui dure 1 an où la peau se refait lentement de façon indépendante aux 24h.

        (oui essayer de deviner la suite d’une histoire est une de mes passions)

        1. Concernant l’aléatoire, elle aurait parfaitement pu.
          J’ai tiré le sort au hasard entre le niveau « ultime » et « inutile mais on a toujours le plan du vin ».

          C’est du vrai de vrai aléatoire, tant que je peux suivre mon scénario.

  3. Le gros défaut de cette série c’est le rythme de parution. Je sais pas si je suis trop gourmand ou si je suis trop impatients de connaître la suite et que sa fausse mes pensées, mais j’ai vraiment l’impression c’est trop lent.

    1. Un à deux par semaine.
      Là, ça fait juste un temps que je n’ai pas pu m’y consacrer / que j’étais malade le WE.
      Ca va revenir.

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