Chapitre 126 – Le Destin du Fou (2)
— Tu as du vin, répéta-t-elle, choquée.
— Oui, j’ai du vin. J’ai tout ce que je veux, c’est moi la patronne ici.
— Tu… Et tu voudrais m’en donner ? ne comprit-elle pas.
— Et je vais t’en donner, en effet, confirmai-je. Seulement, j’ai une condition, je te l’ai dit.
— Laquelle ?
J’attrapai un tabouret et m’y installai à mon aise, lentement, juste ce qu’il fallait pour la faire cogiter. J’étais persuadée que le roi ne proposait pas de quêtes en personne si souvent et que la réussir était une grande occasion, le moyen d’obtenir des récompenses à la hauteur du personnage. Elle avait entrevu la possibilité de la mener à bien alors qu’elle se l’imaginait impossible quelques secondes auparavant.
Je pris une profonde inspiration et plongeai mon regard droit dans le sien.
— Je chercher quelqu’un, finis-je par lâcher. Tu vas m’aider à le retrouver. Lorsqu’il sera là, je te donnerai ce vin que tu convoites.
Elle secoua imperceptiblement la tête.
— Quelqu’un ? Et comment serais-je censée le retrouver ? Non, dans un premier temps, comment quelqu’un que tu connais pourrait-il être sur Albion ? Oh… Mais c’est vrai…
Elle venait de réaliser qu’elle m’avait déjà tuée ; que j’étais hors du donjon. Si je le pouvais, d’autres le pouvaient aussi, sans aucun doute.
— Qui cherches-tu ? reprit-elle.
Après quelques secondes d’un intense silence, je crachai le morceau.
— C’est là que ça se complique. Je cherche un slime. Un petit slime gris avec une coupe de cheveux improbable. Tu ne peux pas le louper si tu l’aperçois.
— Un slime ?
Choquée, elle ouvrit la bouche mais ne prononça pas un mot de plus. Elle ne trouvait peut-être pas ses mots, ou ne savait pas comment formuler son étonnement. Aussi repris-je la parole pour la soulager.
— Il n’est pas dans mon donjon. Il est donc forcément sorti. Je ne peux pas facilement m’aventurer sur Albion, tu comprends… Tout le monde n’est pas aussi nihiliste que toi et la plupart de ceux qui vont me croiser voudront me mettre à mort. J’ai bien en ma possession un moyen de me… camoufler, mais même celui-là me paraît quelque peu compromis pour l’heure. Alors c’est toi qui vas y aller.
— Comment suis-je censée le retrouver ? Finit-elle par demander. C’est un slime, il peut être n’importe où. Un slime de roche, si je comprends bien ? Du genre à se fondre dans le décor…
— Je crois savoir où il se se cache.
J’avais eu du temps pour y réfléchir et dans un monde comme Albion, dangereux mais qu’il connaissait quelque peu, il allait faire ce qu’il y avait de plus logique. Il me cherchait ; j’étais partie voir le roi. Il avait la possibilité de s’approcher du roi facilement et en apprendrait d’avantage sur ce qu’il se passait à Camelot s’il le faisait.
— Trouve le roi Arthur. Trouve son épée. Il ne sera pas loin d’elle même si tu ne le vois pas. Dis-lui simplement que je l’attends dans le donjon.
— H… Hein ? Le roi, rien que ça ? Fit-elle sans surprise. Penses-tu qu’il est si facile de l’approcher ? Pire encore, se trouver à proximité de son épée…
— Tu y arriveras. Après tout, n’es-tu pas celle qui m’as tuée ? Lui lâchai-je pour la rassurer et lui donner du courage.
Je voulais y aller moi-même mais les évènements récents avaient sans doute grillé ma couverture en tant qu’exploratrice ; plus qu’avant encore. Et j’avais appris dans la douleur qu’accéder à la chambre du roi n’était pas une mince affaire, d’autant que maintenant que la taverne était ouverte aux explorateurs, je risquais fortement d’en croiser en chemin.
— Je ne quitte pas le donjon. Si tu n’es pas revenue dans trois jours, alors tu peux oublier ce vin.
— O… Oh. En plus, je n’ai que trois jours… ? Tu te moques de moi ?
Certains explorateurs tournèrent les yeux vers nous en l’entendant hausser le ton mais retournèrent rapidement à leurs affaires après avoir aperçu le tavernier les guetter d’un œil averti depuis l’autre côté de son comptoir.
D’un autre côté, Xun Ya l’exploratrice – je venais de me souvenir que Wayne l’avait un jour nommée ainsi – fronça les sourcils.
— Pas besoin de peser le pour et le contre. Si je n’ai que trois jours, je n’ai pas de temps à perdre.
Elle ne prit même pas le temps de descendre le reste de son alcool et se leva comme une furie, se jeta vers la porte d’entrée et y disparut instantanément.
Je me permis enfin de soupirer, toujours assise sur mon tabouret. Je pouvais sentir toute la tension dans chaque regard qui se posait occasionnellement sur moi et au bout de quelques minutes d’attente, je décidai que je n’allais pas rester ainsi pendant trois jours.
Je me dirigeai vers la porte de derrière, celle qui menait à l’arrière-boutique. Là où se trouvait le coffre de récompense dont le tavernier offrirait le contenu au premier à le battre à un concours de boisson.
Bien sûr, je n’avais pas besoin de clé. J’étais dans mon donjon et quoi que je voulût y faire, tout se pliait à ma volonté. La porte ne m’arrêta pas et s’entrouvrit juste assez pour me laisser m’y glisser avant de se refermer dans un cliquetis métallique.
— Après tout, je serai plus au calme ici. Je ne supporte plus ces regards oppressants, soufflai-je.
Soudain, je me rendis compte que je n’avais jamais mis les pieds dans cette petite pièce, à peine plus grande qu’un cellier. Mon regard se posa sur le coffre, plutôt banal. C’était après tout un simple coffre de donjon au contenu plus qu’aléatoire. Je me souvins l’y avoir déposé sans entrer.
Dans la pièce, il n’y avait absolument rien d’autre.
— Je comptais vraiment passer trois jours ici ? Me demandai-je alors. C’est ridicule. Devrais-je rentrer chez les géants et surveiller le donjon en attendant le retour de Xun Ya ?
Il me semblait que c’était une solution plutôt acceptable. Chez les géants, je pourrais être au calme dans un endroit familier et entourée d’amis. Au moins de deux, en tout cas.
Ainsi ressortis-je de cette petite arrière-boutique pour poser le pied sur la dalle de sortie, sous les yeux inquiets et accusateurs des explorateurs à moitié ivres.
***
Xun Ya était une Danse-Lame.
Elle avait choisi de combattre au corps-à-corps afin de ressentir pour toujours le frisson du danger, la sensation de l’affrontement direct. Xun Ya n’était pas une lâche. Bien sûr, elle pouvait profiter d’un adversaire inconscient qui lui tournait le dos ; elle n’était pas stupide et n’allait pas lui signaler sa présence rien que pour faire comme dans les histoires qu’elle lisait de son vivant.
« Oh, tourne-toi ! Je ne te frapperai pas dans le dos ! »
Voilà bien une chose qu’elle ne ferait jamais. Si un ennemi lui tournait le dos, alors elle frappait.
— Nous vivons dans un monde cruel et qui ne pardonne pas l’erreur, se rappela-t-elle. Pas moyen que je laisse une chance à cette chienne de vie de me planter un couteau dans le dos. Non, c’est moi qui le ferai, à chaque fois.
Xun Ya était une battante. Si elle pouvait faire quelque chose, elle le ferait. Elle tenterait tout pour arriver à ses fins et n’abandonnerait que quand toutes les solutions seraient épuisées.
Elle remonta vers Camelot d’un pas ferme et décidé, croisant quelques explorateurs riant ensemble à l’idée de partager un verre dans une taverne plus qu’étrange.
De retour à la surface après quelque temps de marche, Xun Ya passa la porte nouvellement construite et gardée par deux soldats en armure équipés d’un bouclier et d’une lance, de deux épées pendues à leur ceinture et au regard sévère.
Ils étaient clairement là pour vérifier que ceux qui descendaient étaient bien des explorateurs chevronnés. Après tout, qui savait ce qui pouvait les attendre dans cette grotte, sous le château ?
Xun Ya ne fit pas attention à eux. Elle les dépassa rapidement et fila droit vers la cour, de laquelle elle pouvait sortir du château en bifurquant vers la droite. Tout était balisé pour les explorateurs désirant se rendre dans le donjon et gare à ceux qui s’écartaient du chemin. Des soldats en poste le long de la route balisée veillaient au grain.
S’approchant de l’un d’eux, Xun Ya fit mine de démarrer une conversation, n’ayant rien de mieux à faire.
— Bien le bonjour, brave soldat. Le travail est-il difficile ?
L’intéressé l’avait regardée s’approcher et lui adressa un léger sourire en secouant la tête.
— Non, exploratrice. Il ne s’agit que de rester debout pendant quelques heures. Qu’y a-t-il de difficile à ça ? Ha ha, c’est mieux que de faire la guerre, n’est-ce pas ?
— Je n’en suis pas certaine, hésita Xun Ya en sachant qu’elle ne pourrait pas faire ce qu’il faisait pendant autant de temps. Peut-être est-il plus intéressant d’affronter des ennemis sur un champ de bataille…
— Viens-tu de la taverne, exploratrice ? Demanda le garde.
— En effet, acquiesça Xun Ya d’un geste sec de la tête. Et j’y ai bien bu.
— La quête est-elle menée à bien ?
— Non, malheureusement pas encore, fit Xun Ya en secouant la tête d’un air désolé avant de la relever et de prendre un air décidé. Mais dans moins de trois jours, je l’aurai fait.
— Dans moins de trois jours ? Répéta le soldat. J’ai hâte de voir ça. Le roi va peut-être enfin sortir à nouveau. Il est cloîtré depuis un certain temps maintenant.
Xun Ya hocha la tête. Elle ne savait pas trop où la menait cette conversation mais elle comptait en profiter.
— En effet. C’est une bien triste nouvelle que notre bon roi Arthur qui ne veut plus sortir. Est-il souffrant ? Maudit ? On ne le sait pas. Tout le monde espère que ce vin qu’il demande lui permettra de vite s’en sortir.
— Je remercie chaque explorateur désireux de remplir la quête de notre roi, acquiesça le garde sans en dire plus.
Il détourna le regard comme si tout avait été dit et qu’il désirait mettre un terme à la conversation pour retourner à son intéressant travail, les yeux fixes droits devant lui.
Xun Ya ne l’entendait cependant pas de cette oreille. Il fallait qu’elle approche le roi et soudoyer un soldat était le moyen le plus direct auquel elle avait pensé.
— Dis-moi, mon brave soldat… J’ai dit que j’allais ramener ce vin dans moins de trois jours mais… en réalité, j’ai besoin de…
Xun Ya soupira. Elle devait le dire, quoi qu’il advienne.
— …de voir le roi. Au minimum, de lui parler, même à travers une porte close.
Le soldat ouvrit de grands yeux étonnés et la regarda à nouveau.
— Pardon ?
— Il faut que je parle au Roi Arthur. Je… Je ne sais pas quel vin lui amener, il y en a plusieurs sortes, vois-tu, et… et…
— Oh. Je vois. Malheureusement, il est compliqué d’obtenir une audience avec le roi. Dans le meilleur des cas, Sir Lancel…
— Non ! Coupa Xun Ya qui n’aimait pas la direction dans laquelle allait la réponse, pas Lancelot ! Il ne m’est d’aucune utilité ! Il faut qu’Arthur entende ce que j’ai à lui dire !
Et elle n’était même pas certaine qu’il portait Excalibur.
— Non… Je ne peux pas prendre ce risque. Je dois d’abord vérifier au plus simple.
Sans attendre que le soldat lui réponde, Xun Ya tourna les talons et s’enfuit vers la forêt ou était habituellement scellée l’épée du roi. Peut-être… Peut-être allait-elle avoir la chance de la trouver là.
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Merci pour le chapitre
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Merci pour le chapitre !
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