DMS : Chapitre 139
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Chapitre 140 – Les Skaaghs (1)

 

 

 

En ville, le chaos régnait déjà malgré la nuit tombée. Les dégâts qu’avait provoqués mon tavernier n’avaient pas manqué d’éveiller plusieurs quartiers de Camelot, et les rues commençaient maintenant à s’illuminer de lanternes et d’éclats provenant de derrière les volets clos des bâtiments dans lesquels les plus peureux – ou prudents – restaient cloîtrés.

Bien sûr, Orc’Grogar gisait toujours là. Il n’avait pas disparu alors que je m’étais attendue à le voir se réinitialiser. Il fallait que je fasse vite et que j’aille voir de quoi il retournait dans le donjon. Quelque chose sonnait faux dans tout ça et je voulais en avoir le cœur net.

Étrangement, personne ne m’arrêta tandis que je fonçais en direction du château, puis de la grange. Les gardes avaient été réquisitionnés dans leur intégralité, semblait-il. Plus une seule âme ne gardait l’enceinte du château, et je ne vis aucune patrouille dans les allées et jardins.

Mais bien sûr, ç’avait déjà été le cas lors de mon arrivée, bien que je n’eus pas eu le temps de m’en étonner à ce moment, pressée de poursuivre celui qui avait détruit la porte du donjon.

La persona avait toujours le contrôle et je le lui laissais avec plaisir. J’avais confiance : la sensation était différente ; je n’étais plus scellée, enfermée et prisonnière de mon corps, incapable de bouger et condamnée à observer par mes yeux impuissants pendant que ma volonté cédait peu à peu. Non, c’était différent. J’étais comme enveloppée… d’une pellicule, à défaut d’autre terme, comme si j’avais pu porter un exosquelette, une armure assistée. Je n’étais pas prisonnière de mon corps, je pouvais en reprendre le contrôle sur un simple caprice. Cela dit, la persona connaissait son affaire ; elle avait été créée pour ça, après tout, alors il était dans mon intérêt de la laisser faire pour l’instant.

Bien entendu, je savais qu’il arriverait un moment où je voudrais faire les choses moi-même. Je vivais une vie dangereuse et je ne voulais pas partir un jour, rejoindre le néant – ou qu’en savais-je d’autre, dans toutes leurs histoires – en regrettant de ne pas avoir surmonté les épreuves toute seule.

Mais c’était l’histoire d’un autre temps. Pour l’heure, la situation était critique et j’avais affaire à plus puissant que moi – si le donjon se rebellait comme l’avait fait le boss, je ne ferais rien sans la persona.

— Nous y sommes, lâcha-t-elle en s’arrêtant devant l’entrée, attendant sans doute que je décide si nous devions entrer ou non.

Parce que oui, la porte était toujours comme je l’avais laissée en revenant sur Albion : explosée, et l’intérieur du donjon visible aussi clairement que s’il s’était agi d’un vrai bâtiment dans cette caverne souterraine.

C’est totalement silencieux. On dirait que les lieux sont abandonnés depuis des dizaines d’années… Fais le tour, ne prenons pas de risques.

Sans me répondre, la persona s’approcha légèrement du cadre de la porte et l’observa avec soin. La porte elle-même s’était volatilisée, des morceaux de bois jonchant la caverne sur une trentaine de mètres ; les murs de la taverne étaient fissurés, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, ce qui ne faisait que conforter cette impression que sans la porte, l’intérieur et l’extérieur ne faisaient plus qu’un – la taverne faisait désormais partie d’Albion, et n’était plus coupé du monde par des règles et des lois strictes.

Finalement, entre. Il n’y aura rien d’autre à voir dehors. Il a fracassé la porte et est sorti comme ça.

La persona suivit ma consigne et passa le pas de la porte. À l’intérieur, tout était vide. Pas de clients. Pas de tavernier. Pas d’explorateurs. Rien. Bien sûr, les flammes du lustre qui pendait au plafond étaient toujours allumée et crépitaient lentement, de même que celles des quelques lanternes murales ; si ce n’était pour ça, les lieux auraient aussi bien pu ne jamais avoir été occupés. Tout était propre, parfaitement soigné. Je m’attendais au moins à trouver quelque chope de bière sur l’une ou l’autre table, des chaises renversées ou le signe d’une quelconque fuite urgent. Mais lorsque je vis à quel point tout était nettoyé, les chaises et tabourets parfaitement rangés, le sol propre de toute tache de fête un peu trop joyeuse – à la fois de bière et de vomi – je ne peux que m’en étonner.

On dirait que le donjon s’est réinitialisé, mais pas ses occupants… ni la porte.

— Je ne peux rien dire, Wuying. Je ne possède pas ce genre de connaissances, malheureusement. Je te l’ai dit, je sais énormément de choses concernant le plan des Architectes, mais mon utilité savante s’arrête là.

Oui, je le sais. Et c’est normal… Tu ne peux pas TOUT savoir, n’est-ce pas ? Même le plus puissant des ordinateurs possède toujours une mémoire limitée…

— C’est vrai. Même les serveurs les plus avancés des… Non. Tu n’as pas besoin de savoir ça.

Savoir quoi ? Continue !

Forcément, dire un truc pareil, ça attise la curiosité.

— Ne t’embête pas avec ça. Tu n’as pas le niveau pour y trouver une quelconque utilité, insista la persona.

Non, dis-moi…

— Il existe un peuple, qui vit très loin d’ici. Plus loin que tu ne l’imagines. Ils sont puissants et très avancés, technologiquement parlant. Voilà tout.

Un peuple ? Puissant ? Puissant à quel point ?

Un donjon cybernétique, hein… ? Voilà qui me rappelait une chose que j’avais vue chez le marchand…

— Si ton village de géants complet allait les attaquer, ils n’entreraient jamais dans leur ville. Voilà, puissant à quel point. Ils se feraient massacrer par les systèmes de défense les plus basiques.

Ce n’est pas…

Soudain, une chose que je suspectais depuis longtemps mais que je n’avais jamais eu l’occasion de vérifier ou de réfléchir me revint à l’esprit, comme une balle de fusil. C’était l’occasion ou jamais de poser la question.

Dis-moi…

— Oui ? demanda la persona tout en inspectant l’intérieur de la taverne à la recherche de la moindre chose inhabituelle.

Dans ce monde… Ou ces mondes, je n’en sais rien. En fait, je me rends compte que j’ignore tout de l’univers… Mais je m’égare. Dans ce monde, je sais que les Architectes ne peuvent pas dépasser un certain niveau. Qu’en est-il des monstres ?

— Les monstres ? s’étonna la persona.

Eh bien oui, les monstres. Les gobelins, les serpents, les géants, les elf…

Je ne finis pas le fil de cette pensée. Je l’avais réalisé longtemps avant concernant les géants, mais le fait d’y inclure désormais les elfes, créatures normalement intelligents et civilisées, me fit douter. Des monstres ? Qualifiait-on réellement tout ce qui vivait hors d’Imperos comme des monstres ? La persona sembla suivre où ma logique venait de me mener et me reprit.

— Le monde hors d’Imperos est vaste. Il n’est pas infini, mais si grand que nul ne pourrait en voir le bout, même après deux mille ans de voyage. Bien sûr, il existe des exceptions, certaines compétences permettant de se déplacer telle la foudre, telle la lumière. Mais elles ne sont pas à la disposition de n’importe qui…

Se déplacer comme la foudre, eh. Que de bons souvenirs.

— Mais ce monde a beau être vaste, il n’en est pas moins peuplé par une grande variété de formes de vie… ou de mort. Certaines créatures ne sont que de simples esprits, tu le sais ? Toujours est-il qu’il existe des milliers de civilisations que l’on ne peut pas qualifier de monstrueuses. La plupart ne connaissent d’ailleurs même pas les Architectes, et se contentent de vivre.

Je m’en doutais. Mais alors… Quel est le niveau maximal que peuvent atteindre ces… individus, créatures, monstres… Ces formes de vie ?

La persona s’arrêta, et je sentis en moi qu’elle était en train de réfléchir à la façon de formuler sa réponse. N’était-ce pas facile, pourtant ?

Elle finit par ouvrir la bouche, la refermer, et la rouvrir quelques secondes plus tard.

— Il faut que tu te détaches de ce que tu sais. Le système ne permet pas aux Architectes d’atteindre la valeur de quatre étoiles parce qu’il n’arrive pas à tenir en laisse correctement tout ce qui dépasse cette puissance. Au-delà… il a participé à la création de tout ce qui le compose, mais ne contrôle rien. L’univers qui lui est soumis et qui dépasse les quatre étoiles lui échappe totalement et évolue sans son intervention.

Voilà qui était intéressant, mais qui ne répondait toujours pas à ma question. Cela dit, s’il fallait que je me détache, alors pourquoi pas ?

Au-delà de quatre étoiles, qu’y a-t-il ? lui demandais-je.

La persona ramassa un gobelet derrière le bar pour en vérifier le contenu. Vide, propre et intact. Il n’avait jamais servi. Elle le reposa et soupira.

— Après quatre étoiles, il y en a cinq, bien sûr. Puis six, sept, huit, neuf et dix.

Dix étoiles ! J’avais peine à imaginer ce qui pouvait dépasser la puissance d’un géant, eux qui faisaient trembler terre et air en se déplaçant. C’était dément.

— Cela dit, continua-t-elle, je ne crois pas que quiconque ait déjà croisé une créature aussi puissante par le passé. Les Architectes, pour tout ce que j’en sais, ne les ont jamais vues.

Ce n’était pas étonnant en soi. Non seulement ces individus devaient vivre à des distances défiant l’imagination, mais même si un Architecte avait eu la possibilité de les rencontrer, quel en aurait été l’intérêt, à part mourir sans même s’en rendre compte ? Il y avait curiosité, témérité et stupidité, et il ne fallait pas confondre les trois.

Le bar était vide et ne semblait pas vouloir se réinitialiser. Je me concentrai légèrement et me rendis compte que le système dont Joc était l’intermédiaire, cette espèce de système parallèle au vrai, m’indiquait que mon donjon n’existait pas. Celui-ci était considéré comme terminé, conquis et détruit.

Bien sûr, le boss était mort. Peut-être y avait-il eu un amalgame de coïncidences ? Lorsque le boss avait rendu l’âme, le donjon était déjà en partie détruit. Sans doute mon système avait-il considéré que je l’avais moi-même désagrégé.

Encore un bug, je commençais à m’y habituer sérieusement. Pourquoi fallait-il qu’il m’arrivât sans cesse ces mésaventures ?

Le donjon est mort. Je peux y entrer et en sortir car la dalle de sortie est toujours là, mais il ne se réinitialisera pas. Je vais le faire disparaître pour de bon.

Je repris le contrôle de mon corps et la persona me céda la place sans objections. Je fermai les yeux l’espace d’une seconde, souhaitant définitivement faire disparaître le donjon, afin que tout pût reprendre sa forme initiale : la caverne, le rocher sur lequel la porte était toujours ouverte, et tout le reste.

Mais rien ne se passa. Aux yeux du système qui le contrôlait, le donjon n’existait plus. Il était devenu une part du monde, un morceau du paysage d’Albion, et je ne pouvais plus rien y faire désormais.

— Oh, fis-je en le réalisant. Ce n’est pas bien grave. Tout ça n’a qu’à rester ainsi. Après tout, si quelqu’un souhaite reprendre cette taverne, grand bien lui fasse.

Wuying, m’appela la persona dans mon esprit. Quel est ton but, maintenant ?

Elle avait le don de poser les bonnes questions au bon moment, elle… Mon but ? Quel était mon but ? En avais-je jamais eu un, en vérité ? Devenir une déesse ? Mais le pouvais-je encore, avec ce système à mes trousses ?

Bien entendu, c’était toujours mieux que de passer une éternité à fuir où à être contrôlée. Mais…

Peut-être que ça pouvait marcher ?

Et si la persona avait eu raison ? Elle n’avait pas vu les choses sous cet angle, mais ça m’ouvrait une possibilité de taille !

— Puisque je ne suis plus affectée par le système… lui répondis-je, que se passera-t-il lorsque je dépasserai les quatre étoiles ?

Elle ne perdit pas de temps à répondre, sûre d’elle.

Tu passeras à cinq étoiles, bien sûr. Tu m’as l’air coincée sur ce plan en dépit de tout bon fonctionnement et quoi que tu puisses faire.

— Cinq étoiles, hein ? fis-je en souriant légèrement. Puis, six, et enfin dix ? Tu as bien dit que le système était incapable de gérer ce qui le dépassait… Ha ha ha !

Incapable de me contenir, je voyais enfin une solution à mon problème.

— Je vais le soumettre ! Oui, je vais le soumettre ! m’écriai-je, ma voix s’échappant de cette taverne déserte pour faire écho dans la grotte alentour.

Le soum… Oui, c’est une idée qui peut fonctionner.

— Je veux qu’elle va fonctionner ! Tu voulais connaître mon but ?! Montre-moi la façon la plus rapide de gagner des niveaux !

La persona garda le silence pendant quelques instants, avant de finalement décider de me répondre, comme si elle y avait bien réfléchi.

Je pense que tu devrais te procurer des Skaaghs, et revenir créer un donjon sur Albion.

Raka
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13 thoughts on “DMS : Chapitre 140

  1. WAIIIIIIIIII je ne l’ai pas encore lut, mais merci pour le chapitre ainsi que cette nouvelle alléchante !

  2. merci pour le chapitre.
    Du coup le système ressemble à un guide du débutant pour les architectes.

    1. Nan, c’est une expression populaire 🙂 « Je veux que + une phrase au futur de l’indicatif ».

  3. Merci beaucoup et vivement la suite!!
    Juste pour info Shi Kun à prit une trop grosse cuite pour ne pas revenir ?

    1. Il était dans le même état que Wuying, j’ai tenté plusieurs fois mais le temps m’a manqué récemment. Il reviendra cette semaine.

  4. Merci pour le chapitre.

    par contre, « puissant à quoi point » ne me semble pas correct… quand la persona parle des peuples technologiquement avancés

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