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Chapitre 68 – Les Devoirs d’un Paladin (6)

 

Je me rendis à quelques dizaines de mètres de là, dans la direction de laquelle provenait ce bruit de martèlement continu. Évidemment, il s’agissait du forgeron, installé dans un coin devant son échoppe. Il frappait une enclume à côté d’une forge brûlante et ne fit pas attention à moi le moins du monde. Tournant le dos à la porte d’entrée, il était concentré au possible dans le tabassage de ce morceau de métal qui rougeoyait et prenait forme petit à petit sous ses puissants coups de marteau.

Le regardant travailler pendant quelques minutes, j’attendis qu’il daigne tourner la tête vers moi afin de me demander ce qui m’amenait dans sa médiocre échoppe. Bien sûr, pour lui, sa boutique devait être son monde et la meilleure forge du monde ; mais elle n’en restait pas moins une échoppe d’un village reculé. S’il avait été un PNJ, j’aurais clairement insisté sur le fait qu’il s’agissait d’une boutique de débutant. Cela dit, en tant qu’humain et autochtone, il ne faisait sans doute pas un travail exemplaire non plus. J’imaginais que les plus grands forgerons devaient travailler à la capitale.

— Hem hem… toussai-je légèrement entre deux coups de marteau.

Mais il ne prêta pas attention à moi. Terriblement concentré dans son œuvre, il ne se permit pas la moindre seconde d’inattention.

— Il va bien finir par arrêter… me plaignis-je.

Il fallait que je me procure une épée et un bouclier chez lui, après tout. Je n’allais tout de même pas entrer et les voler ?

— …

— …

— …

Après m’être répété ça plusieurs dizaines de fois en riant intérieurement et voyant qu’après presque trente minutes à tambouriner sans relâche, il n’avait toujours pas tourné les yeux, l’idée que j’avais exprimée sous forme de plaisanterie commença à faire son chemin et je me mis à envisager l’éventualité de réellement entrer et lui faucher de l’équipement. Après tout, j’attendais là et en mauvais marchand qu’il était, il n’avait pas prêté attention à moi – pas le moins du monde.

— Et puis ça lui apprendra, finis-je par murmurer, il n’a qu’à faire attention à sa boutique.

Je me décalai subtilement sur le côté tout en faisant attention à ce qu’il ne me voie pas disparaître de son champ de vision – si tant était qu’il m’avait remarquée. Me déplaçant en crabe pas à pas de la façon la plus louche du monde pour quiconque assisterait à la scène, je finis par franchir le pas de la porte et pénétrer dans la maison.

Dehors, les coups de marteau résonnaient toujours, inlassablement et sans faiblir.

Je jetai rapidement un regard circulaire pour noter la seule et unique fenêtre fermée par un volet, à l’extérieur. Personne ne pourrait me voir depuis la rue ; refermant doucement la porte derrière moi, je me mis ainsi à l’abri du regard du forgeron qui pouvait après tout tourner la tête à n’importe quel moment.

— Ouf… soupirai-je, c’est la première fois que je fais ça… Il aura fallu que je meure, que je me réincarne et que je passe d’un plan magique à une planète lointaine pour devenir une criminelle ! Il fallait au moins ça !

Par contre, je devais prendre soin de ne pas me faire attraper ; je ne voulais pas être traitée comme une voleuse dans le royaume du roi Arthur. Bon, j’allais sans doute en devenir une, mais si je pouvais éviter, c’était aussi bien. Maintenant que j’avais obtenu ce tout nouveau corps humain, je n’allais pas lui donner une réputation pareille même pas vingt-quatre heures après.

Et… Et si je devais me faire attraper, je me suiciderais avant qu’on ne m’identifie. J’avais l’outil idéal pour ça sous les yeux.

J’attrapai rapidement une petite dague exposée sur un meuble et testais du doigt le tranchant de la lame. Elle coupait à la perfection. Je pourrais me trancher la gorge et mourir en quelques secondes. Il fallait du cran pour ça, mais j’en avais vus d’autres.

Les coups de marteau sonnaient comme une mélopée à mes oreilles. Tant que je les entendais, je ne risquais rien.

— Par contre, bon sang, remarquai-je, pour une maison de forgeron, il n’y a vraiment pas grand-chose…

Je m’attendais à une vraie boutique, mais il s’agissait de la maison dans laquelle le forgeron vivait, mangeait et dormait ! C’était chez lui… Ce n’était absolument pas une boutique !

Me retournant vers un coin de la pièce où je vis la lumière qui passait entre les volets se refléter sur une surface brillante, je vis cependant quelque chose qui me fit écarquiller les yeux.

— Ouaah ?

Accrochée au mur se trouvait une épée rutilante, montée sur un support en bois ; C’était la seule arme que je pouvais voir sur les murs et elle était clairement exposée là en tant que la plus grande réalisation du forgeron. Sans doute la gardait-il chez lui pour se donner du courage à l’œuvre, le matin lorsqu’il se levait et la regardait ; je commençais presque à avoir pitié de lui en pensant à ce que je m’apprêtais à faire.

— Toi, tu es à moi.

Elle était sincèrement magnifique. Sa poignée était de couleur ivoire et partiellement recouverte de bandes d’un cuir noir ; la garde argentée et brillante était légèrement recourbée autour d’un onyx noir et donnait à la lame blanche longue comme mon bras un contraste de tous les diables. On aurait même dit qu’elle était polie. En prenait-il vraiment tant soin ?

— Je peux vous aider ? s’éleva une voix de femme dans mon dos.

— Oaaaaah !!

D’un réflexe, je me retournai en envoyant une immense claque dans le même mouvement. Je ne l’avais pas prévu, pas plus que je ne pensais frapper quelqu’un ; mais lorsque je repris mes esprits, j’avais à mes pieds une femme blonde d’une trentaine d’années, le visage rouge et gonflé, parfaitement assommée.

— Euh, pardon… commençai-je.

Mais que faisait-elle là ?

— Putain, la femme du forgeron ?! Non ! Meeeeeerdeeuh !

Le coup que je lui avais mis en pleine tronche avait résonné dans la maison et je tendis l’oreille pour entendre le martèlement incessant qui n’avait pas faibli.

— Pfff, soupirai-je.

Il n’avait rien entendu, j’étais quelque peu rassurée. Je me penchai pour ramasser le corps inconscient et le déposai gentiment sur la banquette en bois non loin. Ce serait toujours mieux que le sol froid et dur.

— Merde, chuchotai-je, il faut que je fasse vite, elle peut reprendre connaissance à tout moment maintenant.

Je me hâtai de décrocher l’épée du mur et l’enfournai dans les plis et les replis de ma toge blanche. Une fois bien coincée et invisible à l’œil, je me mis à fouiller rapidement la maison ; mais il n’y avait rien là dont j’avais besoin.

— Pas de bouclier… Merde, encore. Comment vais-je faire ?

Je voulus sortir par la porte de derrière – elle était sans doute verrouillée pour empêcher les intrus d’entrer mais je pourrais remédier à ça de l’intérieur – et j’étais à peine passée dans le couloir qui y menait que j’entendis la porte d’entrée s’ouvrir dans un grand fracas.

— Hen ?!

Tendant l’oreille, je me rendis compte de la triste réalité.

— Les coups de marteau… Ils ont cessé ! Bodel, il est entré…

Et pour me donner raison, sa voix, rauque et aussi puissante que ses muscles, s’éleva dans la pièce d’à-côté :

— Lirne… Lirne !!

Lirne ? Sa femme, sans doute. Il avait dû la voir allongée là, le visage rouge et une bosse sur sa joue.

Dans la pièce d’à-côté, ce fut une cacophonie tandis qu’il courait auprès de la pauvre Lirne et qu’il renversait les chaises et la table au passage.

— Bon sang, il va comprendre qu’il y a un intrus… Il faut que je file !

Je fis deux pas en avant, le plus silencieusement du monde, lorsque je l’entendis reprendre d’une voix presque larmoyante :

— Oh, Lirne… Tu es encore tombée, maladroite ! Il faut vraiment que tu fasses attention ! Cette fois, heureusement tu as chuté sur le banc et tu ne t’es que cognée la tête, mais imagine, tu aurais pu tomber au sol ! Et si tu blessais notre futur bébé, hein ? Fais attention… Je t’en prie…

Un bébé ?

D’un seul coup, le remords s’empara de moi. Avais-je frappé une femme enceinte sans le vouloir ? Je me sentis immensément coupable et me mordis la lèvre, presque jusqu’au sang. Mais je ne pouvais plus rien y faire. Il ne soupçonnait pas ma présence, sa garde était baissée et c’était le moment idéal pour filer à l’Anglaise ! Pour une fois, ma chance ne m’avait pas fait défaut !

— Huh ? s’étonna-t-il alors que j’avais déjà la main sur le loquet de la porte de derrière.

Pourquoi avait-il l’air surpris ? Quelque chose me disait que ça ne valait rien qui vaille. Je n’aurais jamais dû remercier ma chance ! Bon sang, l’épée !!

— QUI EST LA ?! hurla le forgeron hors de lui après avoir sans doute vu son chef d’œuvre absent.

Sans plus attendre, je poussai le loquet qui tomba avec un grand bruit métallique et ouvrit la porte en catastrophe pour filer à travers le village quelques secondes après.

Je n’avais pas osé me retourner pour vérifier s’il était à mes trousses. Je priai le plus sincèrement du monde qu’il préfère rester auprès de sa femme et de son futur bébé que courir après son trésor désormais en ma possession.

Je courus comme une dératée, quittant même le village dans la foulée sans jamais jeter un œil en arrière. Mais après quelques minutes de course, je me rendis compte que j’approchais d’une forêt et me souvins des monstres.

— Il faut que je fasse demi-tour.

Je vérifiai rapidement les statistiques de l’épée que je venais de voler, avant toute chose.

[Lame de Blanc-Cristal]

[Arme : Epée longue]

[Rareté : Peu commune]

[Attaque : 18~20]

[Le travail d’une vie d’un forgeron qui donne tout pour nourrir sa famille, sa femme et son futur fils. Il avait prévu de vendre cette épée aux enchères de Camelot pour offrir un bel héritage à son enfant, sans se rendre compte que la qualité de cette arme ne se situe que dans son aspect. De plus, maintenant que l’épée a été volée, plus rien de tout ça n’a d’importance.]

Je m’arrêtai deux minutes et me mis à réfléchir.

Deux choses me travaillaient à cette seconde précise.

Tout d’abord, j’étais prise d’un remords considérable, encore plus que lorsque j’avais frappé la pauvre femme et appris qu’elle était enceinte. Bon sang, la description de l’arme s’était même mise à jour ! Pourquoi ? Pour me faire regretter ? Il n’y avait pas d’autres façon de le dire ?! En plus… En plus… L’arme n’avait aucune valeur !

Mais ce qui était fait était fait. Il allait devoir travailler sur une autre arme à vendre, et peut-être que cette fois, il aurait une chance d’en tirer quelque chose.

Ceci dit, il y avait autre chose qui n’allait pas.

Je venais de voler une arme. Une arme fabriquée par un forgeron. Un forgeron humain. Un humain qui ne faisait pas partie du système. Et elle possédait des informations ? Le système allait jusqu’à corrompre et influencer tout ce qui se trouvait en Albion ?

J’allais devoir faire attention, si c’était le cas. Ce bordel pourrait me jouer des tours un jour ou l’autre.

Soufflant de dépit, je fis demi-tour après avoir bien rangé l’épée dans les plis de ma toge à nouveau. Je me rendis au village et fis mine d’aller voir le forgeron pour acheter un bouclier.

Il était à nouveau en train de marteler comme un fou sur son morceau de métal ! Mais cette fois, une rage et un désespoir emplissait ses yeux, comme s’il comptait redoubler d’efforts pour la perte qu’il venait de subir.

Soudain, je me rendis compte de ma bêtise. J’étais la seule dans tout le village à porter une toge blanche, et ce n’était pas comme si ça passait inaperçu. Si la dénommée Lirne s’était réveillée et lui avait fait part de ce point – elle l’avait forcément vu même si elle ne m’avait aperçue que de dos – je venais de me jeter dans la gueule du loup.

Cependant, par une errance du hasard, le forgeron leva les yeux vers moi et ne sembla pas me reconnaître comme étant la coupable. Je tentai alors le coup, faute de mieux.

— Bonjour ?

Cette fois, il n’était pas aussi concentré dans ce qu’il faisait et m’avait entendue.

— Bonjour, jeune fille… Quel étrange accoutrement tu portes.

Ces derniers mots me firent froid dans le dos. Comme s’il savait et qu’il essayait de me le dire à demi-mot. Mais non, ce n’était pas possible. N’est-ce pas ? Il m’aurait déjà sauté dessus…

— Je… Vends-tu de l’équipement ? J’ai besoin… d’un bouclier. N’importe lequel fera l’affaire… C’est pour le type des paladins, là…

Il leva les sourcils et je pus voir qu’il avait effectivement pleuré avant de se remettre à la tâche.

Le pauvre… Qu’ai-je fait ? Ce n’est pas un PNJ, je ne devrais pas gâcher la vie des gens. Plus jamais. Je ne suis pas un monstre.

Tout en me promettant de ne plus jamais faire de mal ainsi à quelqu’un ne faisant pas partie du système, je l’entendis me répondre d’une voix lasse :

— Oh… Tu es nouvelle, hein ? Eh bien… Tiens, j’ai ça, je te le donne de bon cœur.

Il se retourna et attrapa un petit bouclier rond et un peu cabossé. Il n’était pas de très haute facture mais il faisait assurément l’affaire pour un débutant, surtout s’il était gratuit. Et il irait très bien à ce mec qui m’avait donné la quête.

— Je… Merci… balbutiai-je.

Je me sentais de plus en plus mal pour lui et ce que j’avais fait. Tout ce que j’avais fait. Le vol, l’agression – même si c’était un accident – et même la bienveillance dont il venait de faire preuve envers moi. Je ne pus m’empêcher de lui demander :

— Dis-moi… Tu vas bien ?

Il releva la tête vers moi, et le regard vide, m’adressa un sourire tout au plus chaleureux.

— Oh… Oui… Les aléas de la vie, ne t’en fais pas. Ce vieux forgeron ne va pas t’embêter avec ça.

Alors déjà, t’es pas vieux, hein, t’as quoi ? La quarantaine tout au plus ? Et ensuite, tu ne m’embêtes pas, je voulais juste apaiser un peu ton esprit.

— Tu ne peux rien faire pour moi, reprit-il. J’ai simplement… perdu quelque chose de précieux.

— Oh…

Je ne pouvais rien répondre à ça. Lui aurais-je dit quoi que ce fut, je me serais incriminée. Il fallait que j’aille de l’avant ; après tout, j’avais une quête à rendre.

— Au revoir, brave forgeron. Je te souhaite une belle vie.

C’était bien là tout ce que je pouvais lui dire. Tournant les talons, je m’en retournai vers celui qui allait me donner une récompense à la hauteur de ce qui pesait désormais sur ma conscience.

En tout cas, je l’espérais.

Raka
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6 thoughts on “DMS : Chapitre 68

  1. Elle doit l aider ! Repayer sa dette, s excuser par un moyen ou un autre, lui donner quelque chose bon sang ! Merci pour le chap

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