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Chapitre 73 – Le donjon imprenable (3)

 

— L’Église d’Albion ? Paladin ? … Ne me dis pas que…

— J’ai obtenu une classe sans le faire exprès, répondis-je en haussant les épaules.

Je sentais son regard posé sur moi et m’analysant des pieds à la tête, en insistant bien sur quelques parties un peu trop dévoilées à mon goût. Il ne pouvait pas s’en empêcher ; pourtant, il m’avait déjà vue totalement nue et exposée, était-il possible qu’il fût du genre « cuir et soumission » ?

Non, il l’avait dit, les femmes attachées, ce n’était pas son truc.

Mais alors, que signifiait ce regard lubrique ?

— Tu as obtenu une classe, tu es devenu un Paladin, et tu te promènes vêtue comme une fille de rue ? questionna-t-il en retour.

— Eh ! m’écriai-je, j’ai demandé quelque chose de sexy, pas… Pas ça !

— D’ailleurs, Paladin ? Tu as obtenu une classe ?! Je m’attendais à tout sauf à ça…

— Tu ne l’avais même pas un tout petit peu envisagé ?

— Je… Je pensais uniquement à la boutique d’objets, à vrai dire… D’ailleurs, tu en as obtenu quelque chose ?

— Rien du tout, avouai-je.

— Merde !

Il se désintéressait totalement de la classe que je venais d’obtenir alors que c’était tout de même quelque chose d’extraordinaire. Tout ça pour se morfondre sur le fait que je n’avais pas pu dépenser mes crédits dans la boutique pour explorateurs ?

— Ne me dis pas que…

Il avait imaginé tout ça dans le seul et unique but de me faire acheter des objets pour les bouffer ensuite dans son propre intérêt ?

Je grinçai des dents en fronçant les sourcils. Comprenant que j’avais vu clair dans son jeu, il baissa les yeux et n’osa plus les relever, honteux. Je cherchais encore quoi lui dire quand il prit la parole :

— Je… Je suis désolé. C’est… Tu comprends, cette quête… C’est quelque chose de si rare et de si puissant, elle me pousse à avaler toujours plus d’objets de plus en plus puissants… Et des créatures, aussi. Je n’ai pas encore pu développer une nouvelle forme mais… Même sans ça, c’est comme un instinct qui me pousse à dévorer, encore et encore.

Il avait l’air mal en point, psychologiquement parlant. Après tout, se retrouver dans le corps d’un slime après avoir été humain dans deux vies différentes pouvait vous anéantir votre homme. J’en étais arrivée à cette conclusion auparavant et j’en était de plus en plus persuadée.

D’un seul coup, j’étais celle qui se sentait mal à l’aise alors qu’il était celui qui avait fait une connerie égoïste. Il restait mon petit slime adoré et il fallait que je lui remonte le moral.

— Allez, ce n’est pas grave. Je suis la première architecte de tous les temps à avoir obtenu une classe d’exploratrice. Tout ça grâce à toi. Tu crois que je vais t’en vouloir pour si peu ?

Il leva les yeux, une lueur d’espoir au fond du regard. Il s’approcha de moi et me demanda tout de même :

— Tu n’as… Tu n’as pas des objets pour moi, n’est-ce pas ? De l’équipement ?

Il profitait vraiment de toutes les situations !

— Non. Je n’ai rien pour toi. Je ne compte pas te donner mes deux seules possessions, lui répondis-je fermement.

Déçu, il se retourna et se mit à errer sans but, comme plongé en pleine réflexion. D’un seul coup, il se retourna et me lança :

— Mais si tu as une classe, tu vas gagner deux fois plus de statistiques ?

Il disait vrai. Même si les statistiques d’architecte ne montaient vraiment que dans de très rares cas – et je devais toujours poser la question à FeiLong ou à un autre – celles d’un explorateur monteraient à chaque niveau, de façon stable. C’était un double bonus si je parvenais à exploiter les deux faces de la pièce.

Il n’était pas idiot. Grâce à une classe d’explorateur, j’allais rapidement devenir bien plus puissante que tous ceux de mon niveau, et mon pouvoir global ne ferait qu’augmenter toujours plus.

— Wuying…

— Oui ?

— Moi aussi, je veux devenir fort. Plus fort. Toujours plus fort, avoua-t-il. Ainsi, je pourrai être le boss de n’importe lequel de tes donjons pour toujours et t’être utile.

Il était déjà incroyablement puissant. Que racontait-il ? Dès qu’il tuait des explorateurs, il gagnait des points de statistiques en bouffant leurs équipements. Même moi, je n’avais aucune chance de lui tenir tête actuellement. Ceci dit, il possédait au fond des yeux ce petit quelque chose d’attachant.

— Tu sais, il y a déjà une foule là-dehors, ils n’attendent que de pouvoir entrer t’affronter.

— V… Vraiment ? s’étonna-t-il, mais alors… C’est pour ça que ça n’arrête plus, depuis un moment ?

— Oui. Tu es remonté dans la première salle.

— Évidemment. Il n’y a plus rien, en bas. Juste un coffre au fond de la salle.

— Tout le monde pense que tu es le boss d’un donjon de nouvelle génération, du genre une entrée et un boss surpuissant et rien d’autre. Je pense qu’ils espèrent de grosses récompenses s’ils parviennent à te tuer.

— À… me tuer ? Puis-je seulement mourir ? Ha ha…

Son regard se fit plus grave.

— Je sais que je ne peux être réinitialisé, mais puis-je vraiment mourir et revenir à la vie ? Si je meurs, je… Suis-je un monstre ? Un explorateur ?

Il se retourna à nouveau et se mit à faire les cent pas – façon slime. Il se demandait s’il avait encore le droit de mourir, finalement. Rien ne le lui garantissait, et une erreur était vite arrivée.

— Allez. Je suis sûre que tout ira bien, le réconfortai-je.

— Il faut que je m’endurcisse, que je me renforce, conclut-il, de cette façon, je ne mourrai pas et la question ne se posera jamais.

Je fis signe vers l’arrière.

— Ils doivent être en train de se demander pourquoi on met autant de temps. Je ferais mieux de… oh.

— Hm ?

— Si je sors, réalisai-je alors, ce sera par la dalle de sortie. Ils vont tous croire que je t’ai tué. Et… Je n’ai pas vraiment envie de mourir…

— Ah ? Pourtant, tu es déjà morte un certain nombre de fois, me rappela-t-il.

— Je ne sais pas… Il y a quelque chose… Je me suis rendu compte récemment que tous les architectes que j’ai croisés ont en quelque sorte peur de la mort. Pourquoi ? Je suis sûre que ce n’est pas uniquement à cause de la douleur. La douleur, on s’y habitue. Quelque chose au fond de moi me dit qu’il faut que je m’abstienne de mourir, le plus possible. Il y a peut-être quelque chose que j’ignore, qu’on me cache ou qu’il faut que je découvre par moi-même ?

— Tu crois ? Je ne sais rien de tout ça, expliqua-t-il, chez les explorateurs, la mort n’est pas quelque chose de grave. Ils reviennent à la vie sans vrai problème.

— Je ne sais pas. Toujours est-il que je ne souhaite pas mourir si je n’y suis pas obligée, tant que je n’ai pas mis ce sentiment malsain au clair.

Des points de suspension apparurent au-dessus de sa tête.

— Alors, tu ne peux pas sortir, tu ne veux pas mourir, tu comptes faire quoi ? Rentrer à Imperos ? Avec cette tête ? Tu vas te faire tuer de toute façon. Ils ne prendront même pas la peine de te demander comment tu as fait pour arriver chez les architectes.

— Tu as raison, me résignai-je, et mon sort dure encore pendant presque un certain temps. Je ne peux pas vraiment rester jusqu’à ce qu’il arrive à terme, hein ? Dehors, ils vont trouver ça suspect. Plus que suspect, même.

— Hmm…

D’autres points de suspension apparurent au-dessus de sa tête, et il finit par proposer :

— Alors ressors, et dis-leur que tu m’as tué. Après tout, ils ne seront pas choqués par le fait que je sois toujours là, le donjon se réinitialise. Dis-leur que tu as obtenu énormément de crédits. Je ne sais pas, 5 000 ? Il est certain que ça va les pousser à se jeter dans la gueule du loup encore plus vaillamment, et moi, héhé… Je vais avoir de quoi manger.

— Ah. Je vois. Tu as raison, acquiesçai-je.

— Je pense que je vais également… essayer de dévorer les explorateurs eux-mêmes. Je n’ai pas encore franchi le pas parce que bouffer un humain restait au-delà des limites de ma morale, mais… si je veux devenir fort plus rapidement, je ne peux pas faire la fine bouche. Ils me donneront probablement des statistiques en plus, et j’en ai besoin.

Tandis que nous envisagions l’avenir proche, je me résignai à sortir par la dalle de sortie en direction d’Albion. Je fis mes adieux à Friderik pour l’heure et fis demi-tour afin de quitter le donjon après m’être assurée que le mur dont je ne parlerai plus avait bien repris son apparence normale, au grand dam du slime.

Aussitôt à l’extérieur, tous les regards se braquèrent sur moi.

— Qu… Elle n’est pas morte !

— Incroyable ! Elle a survécu !

— Non, attendez, elle n’a pas pu le tuer… Elle a dû fuir. Oui, c’est ça, fuir !

— Tu rigoles ? Pour fuir, il faut dépasser le boss ! C’est impossible ! La dalle de sortie se situe entre les deux salles !

— Mais alors comment ? Elle n’a pas pu le tuer ?

— Où est passé celui qui est entré avec elle ?

Les explorateurs soulevaient un raffut de tous les diables, posant plus de questions que je n’avais le temps d’en entendre. Je levai les mains pour les faire taire, désirant exprimer quelque chose. Au début, ils ne prêtèrent pas attention à mon geste, mais ne me voyant plus bouger et m’agacer petit à petit, ils se calmèrent peu à peu et le silence s’abattit tandis que tous les regards étaient désormais braqués sur mon visage. Tous étaient pendus à mes lèvres.

Prenant une forte inspiration, soufflant et me décidant à mentir, je commençai :

— J’ai tué le slime, et voi…

Avant que je puisse finir ma phrase, les explorateurs présents recommencèrent à hurler. Certains de joie, d’autres d’excitation, d’autres encore d’incrédulité. Certains m’accusèrent même de mentir, tandis qu’on leur répondait que je n’aurais pas pu sortir du donjon si je n’avais pas tué le boss. Le groupe était clairement divisé en plusieurs parties : il y avait ceux qui me croyaient sur parole parce que ce que je disais était logique ; il y avait ceux qui ne me croyaient pas et me traitaient de menteuse, prétendant que j’avais trouvé un moyen de contourner le slime diabolique.

Et il y avait ceux qui étaient de toute façon en train de baver devant moi et qui auraient accepté tout ce que j’aurais pu raconter, logique ou pas.

— Pourtant, je vous dis que je l’ai tué. J’ai gagné 5 000 crédits et je vais y retourner si personne ne veut tenter sa chance.

Aussitôt, plusieurs cris de protestation s’élevèrent pour me signifier que non, je n’allais pas y entrer à nouveau, qu’il fallait que je laisse ma place à d’autres ; si j’avais réussi à tuer ce slime, alors d’autres le pourraient aussi ! Pour une somme de crédits pareille, c’était plus que rentable.

Avant que je puisse dire quoi que ce fût, une ombre me dépassa et se jeta dans le donjon, rapidement suivi d’une deuxième, sur laquelle sur referma le portail magique. Deux explorateurs s’étaient précipités les premiers et je n’eus même pas le temps de les voir me dépasser. Ils étaient désormais à l’intérieur.

— Ils ont volé ma place !

— Enfoirés ! Qu’est-ce que ça veut dire, de ne pas attendre son tour !

Les explorateurs les premiers en lice rougirent de fureur envers ceux qui venaient de leur voler leur tour, juste sous leur nez. Mais ils ne pouvaient rien y faire. Avaient-ils seulement vu de qui il s’agissait ?

Ils auraient pu faire un appel et le deviner, par élimination ; mais ils n’en eurent pas le temps, et à peine vingt secondes plus tard, le portail de l’entrée disparut, révélant évidemment la mort de ceux qui venaient à peine d’entrer dans le donjon.

Encore des crédits pour maman ! Allez-y, encore, encore !

Souriant à peine, je m’avançais afin de laisser la place à d’autre, n’osant plus dire un mot. Néanmoins, je n’en eus pas besoin : l’action éhontée des deux explorateurs précédents avait soulevé une indignation et une suspicion générale chez les autres, et celui de qui le tour était arrivé se jeta aussitôt dans l’entrée sans réfléchir, de peur qu’on ne lui vole sa place une fois de plus.

Personne ne le suivit ; tout le monde se regardait avec des petits yeux, en coin et emplis d’une méfiance évidente. Celui qui allait entrer juste après était tendu au possible, prêt à bondir au moindre mouvement de la barrière magique de l’entrée.

Souriant beaucoup plus largement, je sentis que le mouvement était lancé. Je n’avais plus besoin d’y mettre mon grain de sel. Friderik pouvait me remercier.

Il me restait encore une bonne heure avant la fin de ma transformation. Je décidai d’aller me cacher un peu plus loin, et de revenir au moment crucial pour moi-même voler une place et entrer dans le donjon au tout dernier moment.

Raka
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10 thoughts on “DMS : Chapitre 73

  1. ahhh mince elle aurait du du coup rester le donjon va pas désemplir elle finira par être en mode architechte dans le monde humain

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