MoL : Chapitre 102

MoL : Chapitre 101
MoL : Chapitre 103

Chapitre 102 — Géants

 

Au milieu de Cyoria, relativement près du trou sans fond autour duquel la ville était construite, existait une anomalie. Une grande maison était posée là comme une sentinelle solitaire, entourée d’arbres et de terre. Nulle route n’y menait, et la forêt alentour était bien trop dense et sauvage pour être comparée à un parc urbain. La zone était parfaitement circulaire, coupait même quelques bâtiments en deux de façon nette et sans bavure, comme si quelqu’un avait tout bonnement échangé une portion de la forêt du nord avec une partie aléatoire de la ville, sans se soucier ce qui y ferait bonne figure.

Ce qui était exactement ce qu’il s’était passé, évidemment. Pendant que Zorian et les autres se s’étaient battus contre les Dragons et avaient tenté de pénétrer dans la Maison Iasku, leurs ennemis avaient effectué un puissant sort de téléportation sous la forme d’un rituel, afin d’emmener toute la zone directement au cœur de Cyoria, directement à côté de l’endroit où le Primordial était tenu prisonnier, et où le rituel de sa libération allait prendre place.

Zorian eut besoin de quelques instants pour régénérer ses réserves de mana un tantinet, et s’émerveilla face à la pure audace de la manœuvre. Il s’était demandé depuis un moment pourquoi Quatach-Ichl, la sorcière, Robe Rouge et peut-être Sudomir n’avaient pas daigné apporter leur aide pour défendre le manoir. Maintenant, il savait. Ce genre de rituels n’était pas quelque chose qu’on pouvait effectuer par pur caprice, ou que l’on pouvait arrêter en plein milieu sans en subir les conséquences. Quatach-Ichl, Jornak et Lac d’Argent avaient sans doute tous trois été nécessaires pour réussir cette hérésie, et ils ne pouvaient alors absolument pas se permettre de se laisser distraire, même pour un instant. Voilà pourquoi ils avaient eu besoin des trois Dragons, afin de les protéger lorsque les choses s’étaient avérées critiques. Et voilà pourquoi ces sales bêtes s’étaient montrées tellement sur la défensive.

Ils auraient dû faire plus d’efforts, pousser plus fort. Zorian regrettait. S’ils avaient tout donné, pendant cet assaut, et tenté de pénétrer dans la maison avec tout ce dont ils disposaient, alors peut-être…

Il secoua la tête, chassant ces idées. Il n’avait pas le temps de réfléchir à des hypothèses infondées qui le resteraient à jamais. D’ailleurs, d’un côté, la chance était avec eux. Zorian n’avait pas investi beaucoup de temps à l’étude de ces rituels, mais tout ce qu’il en savait lui disait qu’il devait avoir été initié longtemps auparavant. Bien avant qu’il eût donné le signal à tout le monde d’attaquer, Jornak et ses allés étaient déjà en train de lancer ce sort. S’ils avaient été à peine plus lents, il était possible que le combat eût démarré au milieu de la téléportation, ou pire, qu’ils arrivassent dans la forêt pour y trouver un morceau de Cyoria.

Là, ç’aurait été un vrai désastre !

Il observa le champ de bataille autour de lui, tentant de définir ses prochaines actions.

Princesse s’était trouvée trop éloignée pour être prise dans l’effet de la téléportation, ce qui signifiait qu’elle était effectivement hors-jeu. Il faudrait trop de temps, trop de mana, pour la rapatrier à Cyoria, et en partant de l’hypothèse qu’elle pût terminer le combat qu’elle menait assez rapidement. Le Ver Sulrothum avait lui aussi été laissé là-bas, bien, bien trop gros pour espérer être téléporté.

D’un bon côté, les deux bêtes divines avaient chacune mis bas un des Dragons. Celui que combattait Princesse était évidemment lui aussi trop éloigné pour être affecté par le sort, et l’autre s’était fait frapper par le Ver et avait boulé au loin lorsque la maison avait disparu, le laissant derrière, lui aussi. Le seul Dragon mage qui restait là, dans les cieux de Cyoria, était Oganj, qui combattait actuellement les alliés de Zorian, tout là-haut.

Heureusement, Zach et le groupe entier avaient suivi la maison, et furent accompagnés de la plupart des becs-de-fer et des Sulrothums. Zach et les mages humains étaient actuellement en train d’essayer d’empêcher Oganj de raser la ville, mais les deux autres étaient techniquement libres. Sous le commandement de leur haut-prêtre, les guêpes avaient totalement anéanti les démons, et se contenaient actuellement de balayer métaphoriquement le sol avec ce qu’il restait d’eux. Quant aux becs-de-fer, ils avaient rapidement récupéré de ce soudain changement de décor, et leur esprit combatif semblait toujours aussi imperturbable, même après cette expérience. Les deux groupes seraient bientôt capables de se remettre à la tâche et d’aller combattre.

Ce qui était une bonne nouvelle, car la Maison Iasku se mit soudain à vomir un torrent de Trolls de guerre et autres monstres étranges, de morts-vivants, et même de mages ennemis.

Zorian n’en était pas surpris. Pourquoi sinon auraient-ils pris l’immense peine de déplacer la maison à Cyoria ? Évidemment, parce qu’elle était remplie de troupes à ras bord. Pourtant, il fut étonné qu’ils eussent réussi à conserver tant de troupes en réserve ainsi. La quantité de soldats et de monstres qu’ils avaient placés sous Cyoria pour leurrer l’attaque principale n’était pas minime, et ils avaient également perdu un grand nombre de leurs sous-fifres en tentant de retarder l’assaut dans la forêt. Jornak et Quatach-Ichl avaient dû se montrer bien plus actifs durant leur phase de recrutement que ce qu’il avait imaginé. Ce n’était pas juste les mercenaires d’Altazia – à regarder les forces qui se répandaient dans la ville, Zorian put voir que bon nombre étaient d’origine ibasienne. Quatach-Ichl avait dû payer un sacré prix pour renforcer son armée avec ces derniers arrivés.

Il s’était agi d’un choix risqué de la part de l’ancienne liche. Zorian le sentait. Il y avait trop d’Ibasiens présents dans la ville pour leur permettre à tous de battre en retraite par le portail dans un temps court. Le plan de retour impliquait sans doute la même méthode que l’arrivée : entrer dans la Maison Iasku et se téléporter à nouveau, cette fois hors de la ville. Cependant, c’était une chose bien plus simple à perturber que ce qu’avait demandé le plan initial, ce qui signifiait que Quatach-Ichl risquait de perdre très gros.

Nonchalamment, Zorian se demandan comment une énorme perte alliée, de mages et de monstres, impacterait la réputation de la liche sur son île d’origine, avant de décider que ce n’était pas le moment de se poser ces questions-là. Il dirigea les becs-de-fer sur ces nouvelles forces menaçant la ville, et envoya un message aux Surothums pour leur demander de l’appuyer. Il ne reçut aucune réponse du haut-prêtre, mais les guêpes se mirent à voler vers ceux qui quittaient encore la Maison Iasku, montrant qu’ils avaient clairement reçu le message.

Il envoya également un signal à l’Académie. Jusqu’à ce moment, le personnel de l’Académie avait opté pour une configuration purement défensive et ne s’était pas impliqué dans les combats au sein de la ville, mais une puissance de frappe improvisée avait depuis longtemps été organisée. Maintenant qu’une masse d’ennemis s’était matérialisée pratiquement sur le pas de leur porte, ils se mirent eux aussi à émerger de leur cocon pour activement les affronter.

Quant à Zorian, il ne fit rien pour aider tout ce monde à combattre les envahisseurs dans les rues de Cyoria. Il avait fait tout ce qu’il pouvait pour eux. Ils émergeraient, victorieux ou non, d’après leurs propres mérites. Au lieu de ça, il continua à régénérer son mana, et attendit que —

Ah. Ils étaient finalement là.

Quatach-Ichl, Lac d’Argent, Jornak. Tous trois sortirent de la Maison Iasku à la suite des derniers soldats, fiers et le pas assuré.  Tous trois étaient tels que Zorian les avaient connus. Une liche squelettique, noire comme la nuit et encastrée dans une armure dorée, la couronne impériale fermement ancrée sur la tête. Une lueur verte maladive émanait de ce monstre ancien, quelque chose que Zorian savait désormais être une sorte de barrière liée à cette armure. Son apparence n’était pas qu’esthétique, après tout. Jornak était toujours vêtu de sa robe distinctive, son visage masqué. Pour dire vrai, Zorian le nommait encore bien souvent Robe Rouge dans sa tête, lorsqu’il pensait à lui, alors qu’il était totalement sûr de son identité désormais. Finalement, Lac d’Argent avait l’air la plus détendue des trois, glissée dans une robe, rouge elle aussi, coûteuse, les mains derrière le dos et observant autour d’elle. Zorian ne pouvait pas vraiment l’entendre à cause de la distance, mais il lui sembla qu’elle fredonnait une chansonnette tranquillement en marchant. Il était compliqué de connecter la belle et plantureuse jeune femme aux cheveux noirs qu’il voyait avec la veille décrépie à qui il manquait les trois quarts des dents – et des cases dans le cerveau.

Tous trois étaient sous l’emprise de l’Esprit Vide. Bien entendu.

Deux nouvelles arrivées attirèrent également son attention. En même temps que les trois ennemis principaux sortirent de la maison, une grande procession de gens vêtus de robes en sortit par une autre porte. Celui supposément le plus important dans le lot portait le même genre de robe que Jornak, et au milieu du groupe, un convoi blindé était gardé de très près. Il semblait remuer de temps en temps, comme si quelqu’un était enfermé à l’intérieur et frappait sur les côtés. Le groupe prit immédiatement la direction du Gouffre, ne prêtant qu’à peine attention aux combats qui ravageaient la zone.

La deuxième chose qui attira son œil fut… un autre Quatach-Ichl. Celui-là était identique à l’ancienne liche qui venait de sortir de la maison, sauf qu’il portait une gemme rouge brillante de la taille d’un poing et était debout directement sur le toit en ruines de la Maison Iasku.

Quatach-Ichl utilisait un simulacre ? Intéressant. Pour autant que Zorian pût le dire, il était comme Zach : il n’utilisait pas de simulacre à moins d’y être vraiment obligé. Il ne possédait pas les capacités télépathiques si utiles pour communiquer avec eux, et il devait probablement se méfier de ce qui arriverait si une de ses copies échappait à sa supervision. Zorian avait déjà assez de mal à garder ses copies dans le rang, il ne pouvait imaginer la migraine que représentait la même expérience pour ceux deux-là.

Mais ça signifiait probablement que…

Le second Quatach-Ichl leva sa main noire et squelettique dans les airs, paume vers le ciel, tenant la gemme à la vue de tous. Un cercle magique compliqué composé de lumière rouge apparut soudain autour de lui ; des faisceaux de lumière rouge jaillirent de la gemme comme autant de tentacules, et l’air au-dessus de la maison commença à se distordre comme durant un chaud jour d’été.

Ouais. C’était le moment.

Zorian sortit le cube angélique de sa veste, et déploya l’orbe impérial pour y récupérer un cube métallique similaire mais nettement plus imposant, de sa propre facture.

Jetant un œil de côté, il put voir Daimen l’approcher. Son grand frère avait choisi de rester immobile après la téléportation massive, plutôt que de rejoindre le combat contre Oganj. Il avait dépensé beaucoup de mana pour maintenir le Dragon squelettique au sol, et il avait probablement jugé prudent de récupérer ses forces tant qu’il le pouvait.

— Ce truc sur le toit va invoquer quelque chose, lui dit Daimen, l’anxiété audible dans ses mots. Quelque chose de gros.

— Des démons, répondit Zorian. Je sais. Mais regarde à ces trois-là, qui marchent vers nous. Tu penses que tu peux les traverser pour arrêter l’invocation ?

Daiment observa l’ancienne liche, la sorcière qui chantonnait, et l’homme encapuchonné de rouge. Il ne les connaissait pas aussi bien que Zorian, mais il était un mage puissant et expérimenté, capable d’un jugement décent. Il observa ensuite la bataille dans les cieux, où Zach, Alanic et Xvim affrontaient Oganj, et grimaça. Leurs compagnons étaient trop occupés pour venir à leur secours.

— Peux-tu m’aider à les retenir pendant que je tente une invocation moi-même ? demanda Zorian en ne jetant qu’un regard rapide vers son frère en restant concentré sur le cube angélique – il n’avait jamais invoqué quelque chose comme ça auparavant, et espérait vraiment ne pas tout faire capoter.

Il balaya l’air de ses mains, et des forces invisibles creusèrent de profondes tranchées dans le sol autour d’eux, formant un cercle magique complexe, dont les lignes et les glyphes se mirent à s’illuminer de bleu.

— Tu n’es pas en train de sérieusement me demander de combattre trois maîtres mages seul ? demanda Daimen, incrédule au possible. Je pense que tu as une vision très enflée de mes compétences, frérot.

— Ça ira, le rassura Zorian. Tu n’as qu’à les occuper pendant un petit moment. En plus, Mrva ci-présent va te donner un coup de main.

Zorian désigna le golem gigantesque qui se tenait derrière eux. Daimen marmonna quelque chose à propos du goût horrible de Zorian pour les noms, mais le fait d’avoir un colosse de son côté l’aida assurément à gagner un nouveau niveau de confiance en lui.

— Et puis… ajouta Zorian en plaçant ses mains sur l’autre, plus gros cube. Je ne serai pas totalement inutile.

Gardant la main sur ce cube, il copia la gestuelle de Quatach-Ichl et l’éleva haut dans les airs, paumes vers le firmament. Le petit cube angélique accepta son mana avec avidité, se synchronisant avec le cercle magique improvisé de Zorian. Des centaines de petits glyphes dorés s’embrasèrent à la surface du cube ; de loin, on aurait pu penser qu’il ne tenait qu’un soleil miniature dans les mains.

Un vortex de lumières multicolores et un vent agréable se formèrent autour de lui, tandis que le cube angélique commençait à ponctionner le mana ambiant avec gourmandise. Un torrent de mana massif et totalement inconcevable fut aspiré dans le cube, plus que de nombreuses fois ce que Zorian aurait pu lui fournir lui-même, même après des mois de chargement.

Ce n’était pas ainsi qu’une invocation se déroulait, habituellement. Si Zorian avait tenté d’utiliser le mana ambiant pour aider au paiement de l’invocation en temps normal, il aurait juste souffert d’un empoisonnement de mana – il aurait explosé avant d’avoir transféré un quart du mana qu’il maniait actuellement. Cependant, cette fois, il n’avait pas à le faire par le biais de son propre corps, comme pour la plupart des sorts. Le cube semblait le faire de son propre chef, et Zorian devait simplement s’assurer que le mana aspiré fût correctement dirigé vers l’artefact divin. Ses réserves de mana diminuaient malgré tout dangereusement, mais le rituel était plus dur pour ses compétences en mise en forme que pour quoi que ce fût d’autre.

L’Ange avait-il créé le cube spécifiquement pour qu’il pût tirer avantage du talent exceptionnel de Zorian en mise en forme du mana ? Parce que c’était difficile. Incroyablement difficile ! Mis à part peut-être Xvim, Zorian ne voyait personne capable de pouvoir empêcher tout ce mana de finir hors de contrôle, ce qui ruinerait totalement le rituel d’invocation que le cube tentait d’exécuter.

Zorian n’était pas tout à fait sûr de pouvoir le faire, en réalité. La difficulté allait en augmentant. Ses mains tremblaient et des perles de sueur se formaient sur son front, pendant que le cube, dans ses mains, brillait de plus en plus intensément.

La confiance d’un Ange est vraiment lourde à porter, se lamenta Zorian dans sa tête.

Concentré comme il l’était sur sa tâche, il n’était que partiellement conscient de ce qu’il se passait autour de lui, et uniquement parce que son esprit avait fusionné avec ceux de nombreux simulacres. L’un d’eux avait pris le contrôle de son corps et de ses sens pendant qu’il se concentrait sur l’invocation, et dans son état de fusion mental actuel, cela lui permettait d’observer passivement ses environs, d’une façon qui lui aurait été interdite autrement.

Presque aussitôt après le début du rituel, Jornak, Quatach-Ichl et Lac d’Argent avaient mis un terme à leur marche dramatique pour se contenter de courir dans sa direction comme des barbares assoiffés de sang. Son sang, en l’occurrence.  S’il n’avait pas été distrait par l’invocation, Zorian aurait trouvé la scène plutôt comique. Il ne fit cependant qu’observer l’ennemi le bombarder de sorts, rapidement annihilés par Daimen et Mrva. Quatach-Ichl fit de son mieux pour le toucher en tirant une multitude de ces rayons qui représentaient sa signature, Jornak inondait la zone d’arcs électrique aveuglants qui passaient à travers tout bouclier statique et obstacle, et la sorcière tentait de copier Zorian en lui lançant une pléthore de potions à l’aide de la télékinésie.

Rien ne fonctionnait. Daimen brûlait ses réserves de mana sans peur afin d’ériger de massifs boucliers dorés entre eux et l’ennemi, encaissant la majeure partie des dégâts, ou désenchantait parfois quelques projectiles en les touchant à l’aide de rayons bleus et autres vagues disruptives. Tout ce qui arrivait dans sa direction était stoppé net par Mvra, qui était solide et lourdement protégé, suffisamment pour simplement s’autoriser à intercepter les attaques physiquement.

Mrva passa également à l’offensive à plusieurs reprises, ramassant des rochers dans les cratères creusés par le combat pour les lancer avec une précision extravagante. Il chargeait parfois soudainement dans la direction des ennemis pour tenter de les écraser – une tactique brute mais efficace qui les interrompit plus d’une fois en les forçant à esquiver ce colosse.

En général, le golem géant était plus rapide et agile que ce que son apparence laissait supposer. Il n’était pas lent, il n’était pas pataud. C’était un golem comparable à un Dragon, et Zorian était très satisfait qu’il performât aussi bien qu’il l’avait espéré. C’était juste dommage qu’il n’eût pas découvert comment le faire voler également.

Quelque chose à essayer lorsqu’il commencerait à fabriquer la version deux du colosse.

À un certain moment, Jornak sembla en avoir assez du golem, et tenta de s’en débarrasser de la même manière dont il s’était occupé du simulacre de Zorian dans les tunnels. Il lança une série de bombes vers le colosse, et elles explosèrent silencieusement en une série de fêlures spatiales miniatures qui enveloppèrent la zone immédiate. Mrva fut totalement submergé par cette toile de craquelures spatiales… et en émergea totalement serein.

Le colosse de métal était bien plus gros que ses homologues, et pouvait se vanter d’avoir été un puits à argent et à ressources bien plus profond que ces derniers. Zorian l’avait équipé des plus subtiles barrières, des protections les plus avancées qu’il pouvait créer, et il faudrait bien plus que ça pour l’abattre.

Surpris par le fait que le golem était toujours intact et se ruait vers lui, Jornak paniqua et tenta de lancer un sort de téléportation de courte portée pour échapper à cette menace. Ce fut une erreur. L’une des protections que Zorian avait placées sur Mrva était une barrière anti-téléportation qui pouvait être amplifiée pour couvrir une large zone autour de lui. La barrière était du genre sournois – elle ne faisait pas que perturber la téléportation, mais tentait également de le faire d’une façon qui la ferait tenter de tuer le lanceur du sort.

Le corps de Jornak se plia et se froissa tandis que sa téléportation se faisait sévèrement pirater. Il se montra suffisamment doué pour se stabiliser, assez pour ne pas se voir déchiqueté en morceaux par la pression dimensionnelle, mais pas assez pour échapper à toutes les conséquences. Pris de vertiges et incapable de réagir à temps, il faillit se faire piétiner par Mvra, et ne dut son salut qu’à Quatach-Ichl, qui agita la main pour le tirer de là à distance.

Quel dommage. Mais peu importait. Quatach-Ichl et Lac d’Argent étaient parfaitement alignés à ce moment, et Mrva jeta ses deux mains dans leur direction, créant une énorme vague venteuse soutenue par une force cinétique, et l’envoya voler dans leur direction, toutes voiles dehors.

Les objets capables de lancer des sorts y étant enregistrés étaient en général très décevants. Ils ne pouvaient que créer des vagues de force brute, du feu et ce genre de choses. Pour certains utilisateurs, c’était suffisant… Spécialement si l’explosion de force était assez imposante.

Quatach-Ichl était trop expérimenté pour tomber dans un piège pareil, et il ne fut que momentanément distrait par cette attaque, juste le temps nécessaire pour la contrer. La sorcière, par contre, n’était pas vraiment une combattante. Elle fut prise totalement au dépourvu et réagit trop lentement, et ne put empêcher l’attaque de l’envoyer voler au loin.

Elle serait bientôt de retour, mais ce n’était pas important. Dans ce genre de batailles, chaque seconde comptait. Lac d’Argent était la plus faibles des trois, mais malgré tout dangereuse. L’éloigner pour un temps était une bénédiction.

Malheureusement, Mrva et Daimen furent incapables de tirer avantage de cette opportunité, parce que deux sphères géantes d’ossements noirs sortirent tout à coup de la Maison Iasku pour venir se présenter au golem géant. Comme elles approchaient, elles se déplièrent pour devenir deux montres crocodiliens familiers. Zorian avait vu l’un d’entre eux en action lorsque Zach et lui avaient été accompagnés de la liche pour dévaliser le trésor royal d’Eldemar, et savait exactement à quel point ils pouvaient être forts et résistants.

À cette époque, Quatach-Ichl avait prétendu que ce monstre était son familier. Bien sûr, il en possédait plus d’un…

Les deux bêtes noires se jetèrent rapidement sur Mrva, tentant de l’abattre.

— Quels superbes alliés je possède, dit l’ancienne liche, en tordant la tête de côté comme pour faire craquer son cou, la voix amplifiée, probablement à l’attention de la sorcière et de Jornak, mais audible sur une large zone. C’est mieux que rien, je suppose, mais à peine. On pourrait imaginer que des voyageurs temporels seraient meilleurs que ça.

— Quoi ? demanda Daimen, confus, préparé à tout faire pour occuper la liche, mais maintenant hésitant.

— Oh, il ne t’a rien dit ? s’étonna sincèrement Quatach-Ichl. N’êtes-vous pas des frères, ou quelque chose comme ça ? On dirait que la famille ne signifie plus la même chose qu’en mon temps.

Avant que Daimen pût dire quoi que ce fût, deux simulacres supplémentaires de la liche apparurent derrière l’original. En tout cas, Zorian supposait qu’il avait combattu depuis tout ce temps avec son vrai corps. Les trois Quatach-Ichls lancèrent immédiatement un sort d’accélération sur eux-mêmes, et se floutèrent. Une fraction de seconde plus tard, chacun était en train de lancer trois sorts.

Neuf étoiles rouges, toutes plus petites qu’un ongle mais hurlant d’une violente brillance, prirent leur envol vers Zorian à une vitesse démesurée.

Daimen tituba pour les bloquer, mais il était trop tard, et il ne pouvait faire que trop peu. Les cinq premières s’écrasèrent sur le bouclier doré à plusieurs couches, bloquées mais réclamant leur lot de dégâts. La sixième fut stoppée par Daimen lui-même, qui avait récupéré un petit miroir dans sa poche et s’en était servi pour intercepter le projectile. L’artefact divin fut à la hauteur de son nom et arrêta totalement le projectile. Contrairement à la fois où il avait stoppé l’attaque de Princesse, il ne se brisa pas. Il y eut un flash lumineux, et l’étoile rouge disparut simplement, Daimen debout, intact, tenant le miroir.

Les trois autres se précipitaient toujours vers Zorian.

Haut dans le ciel, ses trois alliés réalisèrent qu’il était en danger et tentèrent de l’aider, mais Oganj avait lui aussi compris ce qu’il se passait, et cracha soudain une cascade, une pluie de rayons lumineux blancs afin de les intercepter et les empêcher de courir à l’aide de leur allié au sol.

Bien que conscient de l’attaque qui approchait, Zorian ne fit rien pour l’esquiver. Il resta fidèle à son rôle et continua de stabiliser le rituel d’invocation, de toute ses forces.

Cependant, le gros cube métallique toujours posé sur sa main ne resta pas si passif. Dans un son grinçant de plaques de métal et d’engrenages internes qui prenaient vie, il s’envola entre Zorian et les projectiles, directement sur leur trajectoire.

Deux des étoiles bifurquèrent sur le côté, s’assurant que le cube ne pourrait en intercepter qu’une seule des trois. Mais en vain : l’artefact s’effondra, et se sépara en huit versions plus petites de lui-même, qui se positionnèrent en une sphère autour de Zorian, enfermant la zone dans une boule bleue de lumière et de force magique, presque invisible. Les plus petits cubes n’essayèrent pas d’intercepter les projectiles, qui vinrent s’écraser, impuissants, sur cette nouvelle protection.

La barrière quasi-invisible réagit à peine. Quiconque se serait tenu proche de Zorian aurait vu quelques vagues parcourir sa surface depuis les points d’impact, légère distorsion qui ne dura que l’espace d’une demi-seconde. Passé ce point, il n’y avait aucune trace de dégât sur le bouclier.

À son crédit, la liche ne sembla pas choquée. Quatach-Ichl lança simplement un sort de barrage après l’autre, cramant dieu savait combien de mana pour lancer une multitude de sorts vers Zorian. Ce dernier commença à s’inquiéter pour Daimen, ce genre de déflagrations pouvant facilement le tuer s’il était pris dans la zone de dégâts. Encore plus facilement si la liche décidait que lui ôter la vie directement serait une bonne idée. Heureusement, Daimen le réalisa rapidement et comprit que l’endroit le plus sûr était aux côtés de Zorian, protégé par son bouclier, et se retira rapidement derrière celui-ci pour bénéficier de sa protection.

Et le cube les protégea tous les deux, comme prévu. Il n’était pas un simple accessoire d’aide, ou le cœur d’une barrière de protection comme la plupart des artefacts. Il était plus proche, en nature, d’un golem, et avait été tout aussi compliqué et coûteux à fabriquer que Mvra. Bien qu’aucun objet magique ne pût lancer de sort, mais n’en maintenir qu’un indéfiniment, le cube de Zorian faisait force d’imiter le lancement d’un sort. Une innombrable montagne de sorts de protections maintenait le cube intègre. En en amplifiant certains et en en réprimant d’autres, il pouvait ajuster ses protections en une fraction de seconde, afin de créer des boucliers personnalisés pour contrer certains types spécifiques de sorts. Il le faisait presque de façon autonome, parce que Zorian l’avait animé de la même manière que pour un golem. Aucune de ses opérations ne demandait de mana, et encore moins d’attention de sa part. Aussi, aucune des attaques de la liche ne furent efficaces.

Les projectiles s’écrasaient contre le bouclier impénétrable créé par les huit cubes orbitant autour de Zorian, sans produire le moindre effet. Les attaques lentes et plus puissantes étaient gérées de manière plus active par l’un des petits cubes qui envoyait des billes de marbre dans leur direction, toutes chargées de divers sorts. Chaque cube possédait une dimension miniature incluse, et il était peu probable qu’ils arrivassent à court de billes de marbre avant très, très longtemps. Une fois un sort touché par une bille, il était si affaibli que le bouclier n’avait aucun mal à l’encaisser sans broncher. Les tentatives d’attaques à l’aide de constructions ectoplasmiques ou de terre animée furent annihilées par Daimen, qui les bombardait depuis l’intérieur des défenses ultimes du bouclier. Celui-ci était suffisamment sophistiqué pour laisser sortir des attaques, mais ne pas laisser entrer celles de l’ennemi, chose qui n’était usuellement pas possible en attaquant depuis l’arrière du bouclier d’un autre mage.

Lac d’Argent et Jornak avaient récupéré à ce point, et firent de leur mieux pour aider Quatach-Ichl, mais tandis que Mvra était occupé par les crocodiles squelettiques, il n’était pas totalement enchaîné dans l’affrontement. Aussi, ils durent aider les crocodiles à le contenir pour l’empêcher de venir se mêler des affaires de la liche de trop près. Et tout ça n’était pas très efficace.

Quatach-Ichl finit par réaliser que ça n’allait pas fonctionner, et que ses tentatives pour écraser Zorian par la force ne lui faisait que gaspiller du mana pour rien. Zorian n’en dépensait même pas pour se défendre, et les attaques de la liche ne l’usaient simplement pas.

— Oganj ! hurla-t-il soudain. Aide-moi à craquer cette carapace !

— Débarrasse-moi de ces idiots, alors ! répondit le Dragon, tentant toujours de chasser la sphère laiteuse qui volait autour de lui.

La liche s’accroupit et bondit, partant pour les cieux comme une balle de fusil.

Daiment fut déchiré entre la possibilité de poursuivre le mort-vivant volant, même s’il savait qu’il ne pourrait l’abattre, et pire, que ça le ferait sortir du sanctuaire de son frère, et tenter de pressuriser Jornak et la sorcière. Il décida finalement de tenter de tuer Robe Rouge.

C’était une décision intelligente, que Zorian supportait totalement. Bien que contrer tout ce que pourrait faire Quatach-Ichl aurait sans doute été bien plus utile, seule sa mort en aurait été la finalité, selon toute probabilité. Zorian préférait faire face à bien plus de danger que de regarder son frère mourir là. Le souvenir d’un Daimen pâle, exsangue, sur le point de mourir après s’être sacrifié pour sauver son petit frère ne quittait pas son esprit, et le contrôle du sort d’invocation en fut légèrement perturbé…

Non ! Non, concentration ! Concentration…  Zorian repoussa ces idées morbides, comme il l’avait fait pendant tout le mois, et fut à nouveau totalement au problème sur lequel il travaillait. L’invocation de l’Ange. Ça devait fonctionner, ou l’ennemi allait avoir une ribambelle de démons de leur côté, et il n’y aurait plus rien à espérer.

Le combat dans les airs s’intensifia. À moment, Zach et Alanic saisirent l’occasion de lancer un barrage de sorts interruptifs sur le simulacre de Quatach-Ichl debout sur le toit de la maison, pour essayer de retarder – ou annuler – sa grande invocation. Ils échouèrent, à la fois parce que la liche volante interféra pour protéger sa copie et parce que la Maison Iasku possédait toujours quelques schémas défensifs intacts, malgré tout ce qui s’était passé.

Mais à cet instant, un désastre frappa. Quatach-Ichl parvint à distraire Zach afin de laisser Oganj affronter Alanic et Xvim, seuls. Plutôt que d’en tuer un des deux – une action qui aurait pu fonctionner, mais aurait sans doute échoué – le Dragon mage décida de s’en prendre à Zorian.

Zorian pouvait comprendre la logique qui supportait sa décision. Chez les Dragons, le combat magique se spécialisait en d’énormes sorts affamés de mana qui rivalisaient aisément avec les sorts d’artillerie utilisés par plusieurs mages humain statiques, sans les désavantages que possédaient cette branche de la magie. Quatach-Ichl ne pouvait pas défaire le sanctuaire de Zorian par sa puissance seule, mais un Dragon… Un Dragon pourrait sans doute morceler n’importe quel type de protection, à l’exception de celles spécifiquement centrées autour de la Maison Iasku.

Le temps sembla ralentir tandis que Zorian observait Oganj lancer son sort. Les yeux jaunes et fendus du Dragon semblèrent briller d’une arrogance renouvelée, d’un dédain sans bornes. Il avança son énorme main vers le sol, où se trouvait Zorian, et une extravagante boule de feu incandescente se mit à craquer et à hurler avant de foncer vers sa cible.

Et elle hurlait littéralement. Zorian ne savait pas si le Dragon avait ajouté cette effet pour lui donner une apparence plus menaçante, plus intimidante et plus surprenante, mais la boule de feu de la taille d’une maison n’était pas avare de cris stridents en déchirant l’air.

Zorian ne bougea pas, malgré ça. Les huit cubes cessèrent d’orbiter autour de lui, et le bouclier qui le protégeait s’effondra. Les objets volèrent en direction du projectile mortel en approche à très grande vitesse, s’arrangeant en une forme d’anneau. Jornak et Lac d’Argent tentèrent de tirer profit de ce moment fugace qui voyait les défenses de Zorian anéanties, mais Daimen et Mrva les en empêchèrent. Quant à la boule de feu, elle vola, inconsciente, vers l’anneau formé par les cubes, alors que Zorian était pourtant certain que le Dragon pouvait contrôler sa trajectoire à volonté. Il supposa que ce vieux lézard était certain que son sort allait tout raser sur son passage et qu’il n’y avait pas de raison de se méfier de quoi que ce fût en chemin.

Et il allait être sacrément déçu. Comme la boule de feu se rapprochait, elle sembla entrer dans une zone de vrai ralentissement temporel. Une bulle de dilatation du temps qui forçait ce dernier à passer plus lentement à l’intérieur qu’à l’extérieur. Les yeux d’Oganj s’écarquillèrent, il tenta de sortir son projectile de là, mais les cubes ne le lui permettraient pas. L’anneau qu’ils formaient passa autour du projectile enflammé, qui… disparut.

Et ils s’en retournèrent immédiatement recréer le périmètre de défense autour de leur maître.

C’était comme si les cubes avaient sorti un immense sac, avaient enfermé la boule de feu à l’intérieur, et l’avaient refermé dans la joie et la bonne humeur. Ce qui… n’était pas si loin de la vérité, en définitive. L’énorme boule de feu d’Oganj était actuellement préservée dans la dimension de dilatation temporelle de l’un des cubes. Pas tout à fait figée dans le temps, mais pas loin. Vraiment pas loin.

Oganj lui envoya un regard haineux et colérique, qui aurait pu le tuer sur place s’il en avait eu le pouvoir. Cela dit, il n’était plus en position de lui faire quoi que ce fût. Le moment que Quatach-Ichl lui avait offert était passé, et Zach était de retour, plus hargneux que jamais.

D’ailleurs… Zorian en avait presque terminé avec son invocation. Même s’il avait commencé plus tard que la liche, il avait apparemment travaillé plus rapidement.

Quatach-Ichl le réalisa également.

— Vous allez devoir gérer ça seuls pendant un moment. J’ai besoin d’accélérer, cria-t-il à l’attention de ses alliés, avant de s’envoler en direction de son simulacre, de qui il prit la place, ce qui provoqua une accélération notable du processus d’invocation des démons.

Serrant les dents, Zorian envoya encore plus de mana dans le cube angélique, le forçant à aspirer le mana ambiant avec une férocité et une avidité renouvelées. La pression sur ses compétences de mise en forme du mana était énorme, à un point absolument critique. Même avec l’aide de ses simulacres, sa conscience fluctuait et diminuait progressivement, et le cube doré au-dessus de sa tête finit par devenir le centre de son monde. Non. Il devint son monde tout entier.

Soudain, la pression disparut. D’un seul coup, sans crier gare. L’air ondula et tourbillonna, et une énorme ombre flottait désormais au-dessus de lui.

C’était l’Ange à qui ils avaient parlé, plus tôt dans le mois. En tout cas, il lui ressemblait, aux yeux de Zorian. Une masse de branches noires arborant des yeux oranges en lieu et place de feuilles, baignés de lumière et de feu. Cette incarnation-là, par contre, était bien plus massive.

Bien, bien plus. L’Ange en face de lui minimisait absolument tout ce qu’il pouvait voir autour de lui. Même Oganj et Mrva avaient l’air de gamins en face de cette entité. À l’exception du Ver volant des Sulrothums, il s’agissait de la créature la plus grosse que Zorian eût rencontrée au cours de sa vie.

L’Ange n’était pas seul. Autour de lui volaient ce que Zorian qualifiait de boules d’ailes animées. Il y en avait au moins vingt, et s’il y avait un corps caché quelque part derrière toutes ces ailes, il ne pouvait pas le voir. Elles avaient l’air quelque peu ridicules à côté du titanesque arbres à yeux brûlants.

Quatre autres Anges flottaient silencieusement à côté de l’Ange principal. Ils possédaient un air bestial, comme des lions avec un très, très long corps flexible. Ils volaient sans ailes, leurs corps ondulant à la manière d’anguilles, et ne possédaient pas de têtes ; à leurs places se trouvaient un anneau de masques blancs portant chacun une expression différente, et portés en guise de colliers.

L’apparition soudaine de l’énorme Ange et de ses quatre subordonnés mit un terme immédiat au combat aérien. Oganj quitta la zone sans attendre, se retirant vers la Maison Iasku et ses protections tandis que Zach, Alanic et Xvim atterrirent à côté de Zorian, heureux et reconnaissants pour cette chance de reprendre leur souffle et récupérer un peu de mana.

Lorsque Zorian tourna la tête vers la maison, en revanche, il réalisa que les Anges n’étaient pas les seuls nouveaux arrivants. Quatach-Ichl avait apparemment terminé son invocation en même temps, et une armée de démons se trouvait là.

Et ils étaient… très diversifiés, pour ne pas en dire plus. Par centaines, ils tournoyaient autour de la Maison Iasku, divisés en une trentaine d’espèces différentes. Un groupe avait l’air de chats humanoïdes de la taille d’un homme et possédant des yeux rouges et des sourires carnassiers un peu trop larges. Un autre consistait en de larges humanoïdes tordus à la peau très pâle, possédant quatre bras mais pas d’yeux, une longue queue et des épines sur le dos. Un troisième se présentait sous la forme de chapelets d’œufs brunâtres enroulés autour de longues et fine pattes d’araignées. Une multitude de visages humains dansaient sur ces œufs, comme s’ils souffraient un calvaire. Isolée et regardée avec effroi même par les autres démons, soutenue par une multitude de tentacules épineux qui gigotaient comme pour trouver une proie à l’aveugle, une énorme rose d’un rouge sombre dominait les groupes variés. Un régiment de démons humanoïdes montait la garde dans un coin, portant des lances et couverts de la tête aux pieds d’armures noires dont sortaient un peu trop de pointes et de protrusions douloureusement acérées, mimant une ancienne légion humaine. Un nuage de créatures dégoûtantes, à l’aspect de morve, flottait d’un endroit à l’autre, bavant un peu partout.

Cependant, cette armée de démons n’avait pas l’air si impressionnante aux yeux de Zorian. Il y en avait beaucoup, mais ils étaient plutôt petits, comparés aux Anges en tout cas. Il se retenait de tirer des conclusions trop hâtives de cette observation, mais la façon dont les démons prenaient peur à chaque fois qu’ils regardaient vers l’arbre géant dans les cieux lui indiquait qu’il ne devait pas être trop loin de la vérité.

Non. Ce qui l’inquiétait vraiment, c’était le torse humanoïde géant qui flottait au-dessus de tous les démons. Celui-là était gros. Pas autant que l’arbre flamboyant, mais suffisamment pour tenir tête à Oganj et Mrva. Le torse ne possédait ni bras, ni tête, mais un gigantesque œil entre les pectoraux, pourpre et brillant. Une armure faite d’ossements, humains, animaux, ou d’étranges entités que Zorian ne reconnaissait pas, le couvrait en entier, ne laissant apparent que cet œil unique.

Les démons plus faibles en-dessous avaient peur de l’Ange, mais l’œil du torse avait l’air totalement serein, étudiant la scène devant lui avec une curiosité détachée.

Pendant un moment, il observa Zorian, et Zorian fit l’erreur de croiser son regard. Il sentit immédiatement son âme trembler, et sa vision s’embruma.

Une branche noire massive s’étendit depuis l’arbre, perforant la terre devant Zorian et brisant le contact entre lui et l’œil pourpre à l’horizon.

L’esprit de Zorian s’éclaircit aussitôt, et il renforça les défenses de son âme, dirigeant un remerciement silencieux vers l’Ange au-dessus de lui. Il ne pensait pas que cette attaque l’aurait tué, mais ce n’était vraiment pas le moment d’engager un puissant démon dans un combat de la magie de l’âme.

L’espace de quelques secondes, le champ de bataille devint silencieux, personne ne désirant faire le premier pas. Personne, sauf Jornak, qui finit par perdre patience et amplifier sa voix pour atteindre Zorian et les autres.

— Si nous nous battons ici, la ville va être rasée, dit-il.

— Si nous ne combattons pas ici, tu vas libérer Panaxeth, et la ville va être rasée, répondit Zach. C’est pire. Où veux-tu en venir ?

— J’espérais stupidement que vous pourriez entendre raison, admit Jornak. Peu importe ce que vous faites, la ville est condamnée. Vous êtes condamnés. Vous l’êtes depuis le moment où vous avez accepté ce contrat empoisonné avec les Anges. Nous savons tous les deux qu’ils espéraient probablement que quelque chose comme ça se produise, et que vous mourriez à la fin du mois, même si vous atteigniez votre but. Le Primordial est arrêté, et le héros disparaît à la fin de l’histoire, de façon fort pratique, incapable d’utiliser ses pouvoirs divins pour changer les choses, pour faire basculer le statu quo. Vous n’étiez jamais supposés survivre à tout ça, depuis le début.

Plusieurs secondes s’égrenèrent en silence. Zorian jeta un œil à l’Ange qui le dominait, au-dessus de lui, tentant de voir s’il allait s’exprimer ou contredire ces affirmations, ce qu’il ne fit pas.

Zorian n’avait aucune idée de la façon d’interpréter ce silence. Peut-être que Jornak avait raison. Peut-être aussi que l’Ange jugeait que ces mots n’étaient pas dignes de la moindre réponse.

— Mais j’ai… Moi, j’ai une chance de survivre à tout ça. De changer les choses… de tout changer pour le mieux, continua Jornak. Le sacrifice d’une ville, d’une seule ville, qui a craché sur le sacrifice de ta famille et t’a volé tout ce que tu avais, est-il un tribut si lourd à payer ?

— Tu perds ton temps, lui envoya Zach, avant de lever la tête vers le ciel, en direction de l’Ange. Qu’attends-tu ? Chaque moment qu’ils utilisent pour gagner du temps, les cultistes et leurs sacrifices s’approchent du Gouffre. Finissons-en.

Pas encore, résonna simplement l’Ange, sa voix vibrant alentour, puissante et profonde.

— Bien, conclut Jornak, un soupçon de colère suintant dans sa voix.

Zorian ne comprenait pas pourquoi, d’ailleurs… S’était-il vraiment attendu à ce que Zach se couche et attende la mort s’il le lui demandait gentiment, après tout ce qu’ils avaient vécu ? Ils avaient même invoqué un Ange !

— Puisque vous le prenez ainsi, ajouta encore Robe Rouge, faisons monter les paris.

Il fit claquer ses doigts, et le son amplifié comme sa voix précéda trois détonations, qui résonnèrent à trois endroit différents de la ville. Au lieu de pierre et de poussière, cependant, ce qui émergea de ces explosions fut un geyser de fumée noire. Ce qui la composait était difficile à discerner de si loin, mais Zorian n’était pas idiot.

Des banshees. Des tas et des tas de banshees.

Soudain, Zorian imita Jornak et claqua des doigts, lui aussi. Il n’y eut pas d’explosion, mais le flot de spectres libéré par les bombes convergea immédiatement vers plusieurs endroits particuliers de la ville avant de disparaître. Comme si un prédateur caché les avait attirés avant de les avaler sans en laisser la moindre trace.

Jornak sembla réellement confus par la tournure des évènements.

— Surprise ? demanda Zorian, la voix audible au loin également. Eh bien, tu nous as donné tant d’avertissements à propos de ces bombes. Il est naturel que nous nous y soyons préparés.

— Comment… commença Jornak, avant de s’arrêter net, réalisant qu’il était en train de demander à son ennemi mortel d’expliquer comment il avait contré ses plans – évidemment qu’il n’allait rien dire.

En vérité, il fallait remercier Sudomir pour ça. Après tout, le maire de Knyazov Dveri avait déjà compris comment attirer et capturer des âmes sans corps sur une large zone autour de sa maison. Zorian ne pouvait pas vraiment dupliquer sa façon de faire, mais il pouvait créer de plus petites version du puits des âmes, adaptées aux spectres, et les disperser dans la ville.

Et même là, capturer des banshees possédant leur propre volonté était significativement différent d’attirer des âmes sans conscience. Zorian dut puiser loin dans ses connaissances du chrysanthème et sa capacité à aspirer les âmes d’êtres vivants, afin de rendre son nouvel outil fonctionnel.

Heureusement, il avait obtenu beaucoup, vraiment beaucoup d’occasions d’étudier le fonctionnement de la fleur avide d’âmes, durant les six derniers mois de la boucle temporelle…

Avant que quiconque ne pût ajouter quoi que ce fût, tout le monde remarqua un nuage de points dans le ciel, approchant depuis l’horizon.

Des aigles. Des aigles géants chevauchés par des mages de combat.

Apparemment, les militaires d’Eldemar avaient réussi à organiser une réponse et étaient sur le point de s’inviter aux festivités. Zorian ne put s’empêcher de sentir son cœur bondir de joie. C’était totalement imprévu, et il n’avait aucune idée de la façon dont les soldats allaient réagir à sa présence.

En revanche, l’arbre flamboyant n’eut pas l’air surpris.

Maintenant, nous combattons, grogna-t-il en se mettant en mouvement vers la horde de démons, qui hurla en réponse au défi, en se mettant eux aussi en marche.

Raka
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